PRÉFACE
Devant l’ampleur de la tâche que représente l’exploitation de l’incroyable richesse que constitue l’histoire de la gendarmerie, le tout nouveau Service historique de la Gendarmerie nationale s’est demandé : « par où commencer ? » Pour aborder ce vaste chantier, il fallait simultanément, tout en lançant sans attendre des pistes de recherches, dresser un état des lieux, inventorier les archives, répertorier la documentation existante, rechercher les études déjà réalisées afin de profiter au mieux de l’acquis.
De nombreux travaux universitaires (essentiellement des maîtrises) furent exhumés, mais pratiquement pas d’ouvrages de synthèse. Il faut dire que tenter une histoire de la gendarmerie en l’état des connaissances historiques sur le sujet constituait, encore à la fin du XXe siècle, un véritable défi. Le chef d’escadron Plique, qui sera le premier directeur de la Gendarmerie nationale après la Première Guerre mondiale, y avait bien pensé ; il y renonça. Il se limita à un travail plus restreint mais d’une très grande qualité historique qui éclaire bien au-delà de son titre modeste, Histoire de la maréchaussée du Gévaudan. Dans la seconde partie du XXe siècle, la thèse du colonel Saurel, en dépit de ses trois mille pages, ne traite guère que de l’histoire de la gendarmerie sous la Seconde République et le Second Empire. Aussi, seul le travail du général Larrieu présente ce triple caractère d’être global, précis et scientifique. Il couvre, en effet, toute l’histoire de la maréchaussée et de la gendarmerie, des origines jusqu’à l’après Deuxième Guerre mondiale. Il comporte une multitude d’informations détaillées qui permettent de comprendre l’évolution et l’adaptation constante de cette « organisation à part ». Il est scientifique parce que fondé sur des sources nombreuses et vérifiables.
Le général Larrieu appartient à cette génération d’officiers de gendarmerie sans doute la plus féconde de son histoire. Par la qualité de sa réflexion et le dynamisme de ses actions, elle initia en profondeur, au cours de la première moitié du XXe siècle, la gendarmerie d’aujourd’hui. Citons parmi eux les généraux Plique, Lelu, Bouchez, Battesti, les colonels Michel, Agostini et Beringuier.
D’une famille de laboureurs, Louis Larrieu est né le 5 septembre 1870 à Bonnegarde, dans le département des Landes. En 1891, jeune soldat appelé, il est incorporé au 18e régiment d’artillerie et c’est comme artilleur qu’il fera la première partie de sa carrière, franchissant en dix ans tous les grades, de deuxième classe à capitaine, et servant comme artilleur de montagne ou de marine en France métropolitaine ou au Tonkin. Noté comme un artilleur de très grande qualité, c’est avec regret que ses supérieurs le voient quitter cette arme pour entrer en 1904 en gendarmerie. Affecté à Aurillac, il y commandera l’arrondissement pendant dix ans, jusqu’au début de la guerre. Il obtient en 1911 sa licence en droit. Durant la guerre, il est affecté à l’état-major de la VIIe armée puis à la prévôté de la IVe armée.
C’est après la guerre, alors qu’il commande la compagnie de gendarmerie du Lot-et-Garonne, que les traits de sa personnalité apparaissent nettement à travers les appréciations de ses supérieurs. Son intelligence, sa puissance de travail, son jugement sûr, son caractère loyal, sérieux et pondéré sont souvent mis en exergue. Son goût et ses aptitudes pour les études et la recherche produisent leurs effets dès 1920. Cette année-là, il présente trois travaux qui lui valent une lettre de félicitations du ministre : Quelques questions intéressant la liberté du citoyen ; Les attributions essentielles de la gendarmerie ; Quelques règles de droit pénal ressortissant au service de l’Arme.
En 1922, il fait éditer le Service spécial de la Gendarmerie puis, dès 1924, prépare sa remarquable Histoire de la gendarmerie dont les deux premiers volumes (Des origines à François Ier et De François Ier à la Révolution) sont publiés respectivement en 1927 et en 1933.
La suite de cette œuvre paraît sous forme d’articles. Les premiers, consacrés à La gendarmerie sous la Révolution, vont enrichir la Revue de la gendarmerie entre 1936 et 1939, tandis que les seconds, traitant de la gendarmerie depuis le Consulat, sont publiés dans la Revue d’études et d’informations entre 1950 et 1954.
Bien évidemment, cette Histoire de la Gendarmerie depuis les origines de la maréchaussée jusqu’à nos jours, qui rassemble l’essentiel de l’œuvre du général Larrieu, n’est pas exempte de critiques. Les historiens universitaires d’aujourd’hui ne manqueront pas de souligner les travers de cette « égo-histoire » davantage centrée, surtout pour la dernière partie, sur l’étude des textes législatifs et réglementaires que sur l’interprétation des faits. Ils regretteront la part insuffisante de l’histoire sociale, souligneront les prises de positions personnelles.
Mais cette histoire institutionnelle a aussi ses avantages, notamment pour identifier des problématiques non perceptibles de l’extérieur, pour fournir des réponses internes à des questionnements externes, pour analyser d’un autre point de vue un fait historique, pour lui donner une autre signification ou relativiser son importance.
En tout état de cause, l’œuvre du général Larrieu constitue une somme d’informations historiques considérable. À ceux qui servent aujourd’hui au sein de la gendarmerie, elle leur apportera une vision complète de toute l’histoire de la maréchaussée et de la gendarmerie et leur permettra ainsi d’évaluer, sur de longues périodes, le sens, l’amplitude, la fréquence des réponses aux questions fondamentales que pose et se pose, d’une manière récurrente, l’institution. Aux jeunes chercheurs universitaires en histoire de la gendarmerie, sa lecture préalable leur sera utile pour situer leur travail dans une perspective plus vaste, tout en leur indiquant par ailleurs de nombreuses pistes à explorer. Enfin, le grand public découvrira la longue marche de ces archers, cavaliers, prévôts et autres gendarmes à cheval ou à pied qui ont contribué, depuis des siècles, à faire l’histoire de France en assurant la sécurité des Français.
Général (2s) Georges Philippot,
chef du Service historique de la Gendarmerie nationale
et délégué au patrimoine culturel de la gendarmerie