CHAPITRE III - LA GENDARMERIE PARISIENNE
Nouvelle organisation de la force publique parisienne
La lieutenance générale de police, supprimée au début de la Révolution, renaquit sous le Directoire sous la forme d’un ministère ; dans l’intervalle, la police ne fut, pendant la tourmente révolutionnaire, qu’une simple institution municipale. Il ne sera pas question, dans les pages qui vont suivre, de cette police civile ; notre exposé se rapportera aux éléments de la force publique faisant partie de la force armée, et l’étude se bornera au seul domaine de l’organisation de ces différents corps.
Les anciens corps de police spéciaux de la capitale – compagnie du guet et garde de Paris, garde de l’Hôtel de Ville, compagnie de gardes du prévôt de l’Hôtel, compagnies de gardes du prévôt général de la connétablie et de la suite des maréchaux de France, compagnies du prévôt général des monnaies et du lieutenant criminel de robe courte – furent supprimés par la Révolution et absorbés, soit par la garde nationale, soit par la gendarmerie.
Quelques-uns des corps supprimés renaquirent, à Paris, sous d’autres noms ; on créa, en outre, dans la capitale, une force publique spéciale composée de divisions de Gendarmerie nationale parisienne émanées, non de la maréchaussée, mais de la garde nationale.
Quant à la maréchaussée proprement dite, elle ne fut pas supprimée par la Révolution. La loi du 16 février 1791 changea son nom en celui de Gendarmerie nationale ; son organisation fut adaptée à la récente division de la France en départements (lettres patentes des 22 décembre 1789 - janvier 1790) et combinée avec la nouvelle organisation judiciaire (loi des 16-29 septembre 1791) ; mais le personnel, sous des dénominations nouvelles, fut maintenu en fonction et ses attributions essentielles ne furent pas modifiées. Faisant suite à divers essais d’organisation, la loi du 28 germinal an VI vint établir définitivement les bases du service de l’arme.
Nous nous proposons uniquement de montrer le sort réservé, dès le commencement de la Révolution, aux corps de police spéciaux de la capitale.
La veille de la prise de la Bastille, le mouvement révolutionnaire entraîna la création d’une milice parisienne qui prit, quelques jours plus tard, le nom de garde nationale. Ce fut, dès lors, un principe, qu’à l’exception des militaires, nul, en dehors des citoyens actifs faisant partie de la garde nationale, n’avait le droit de porter les armes. C’était la condamnation de tous les corps de milice bourgeoise existant jusqu’à cette époque. Ainsi s’expliquent, d’une part, le maintien, sous un autre nom, de la maréchaussée, corps essentiellement militaire ; d’autre part, la disparition de certaines milices familières aux Parisiens, telles que le guet de Paris ou la garde de l’Hôtel de Ville, et qui n’avaient cessé, depuis le Moyen âge, de rendre les plus grands services à la cause de la paix publique.
À la garde nationale ou à la gendarmerie allait incomber le service de la plupart des corps de police spéciaux de la capitale.
Service de la cour et du Corps législatif
Suppression de la compagnie du prévôt de l’Hôtel et création des grenadiers de la gendarmerie
On sait que la maréchaussée était représentée dans la garde du roi, en temps de paix comme en temps de guerre, par les gardes de la prévôté de l’Hôtel qui étaient chargés, sous l’autorité du grand prévôt de France, de la police et de la sûreté de la Cour, et faisaient des rondes autour des lieux habités par le roi.
Cette compagnie de gardes, dont le siège était à Versailles, avait pour colonel, au début de la Révolution, le marquis de Tourzel, prévôt de l’Hôtel et grand prévôt de France, résidant au château et ayant sous ses ordres un lieutenant général d’épée et un état-major commandé par le major Dutilloy.
La compagnie comptait six lieutenants, quatre sous-lieutenants, cinq brigadiers, cinq sous-brigadiers et quatre-vingt-quatorze gardes dont quarante-huit en charges, vingt commissionnés et six appointés. Tout ce personnel servait tant à Versailles que partout où le roi faisait son séjour. À Versailles, deux corps de garde détachaient des patrouilles pour la sûreté des citoyens.
La Révolution, en déplaçant la souveraineté, obligea le prévôt de l’Hôtel à partager ses services entre l’Hôtel du roi et l’Assemblée nationale réunie à Versailles ; c’est ainsi que, le 5 octobre 1789, le major Dutilloy et le lieutenant de Tergot, de la compagnie des gardes, assurèrent la protection de l’Assemblée, au péril de leur vie, contre les bandes venues de Paris qui, le lendemain, envahirent le château.
L’utilité de la garde du Corps législatif était incontestable ; c’est pourquoi la loi du 15 mai 1791, en supprimant la compagnie de la prévôté de l’Hôtel, la recréa, avec le même personnel, sous le titre de Gendarmerie nationale. On organisa ainsi deux compagnies de grenadiers sous les ordres d’un lieutenant-colonel placé lui-même sous l’autorité du colonel de Gendarmerie nationale servant au département de Paris (1re division de gendarmerie). Chaque compagnie, commandée par un capitaine, était partagée en trois brigades et composée de trois lieutenants, trois maréchaux des logis, six brigadiers et trente-six gendarmes. L’effectif total était de 99 hommes, officiers compris.
Les gardes de la prévôté de l’Hôtel en excédent furent conservés en qualité de surnuméraires avec droit de combler les vacances qui viendraient à se produire dans les deux nouvelles compagnies de gendarmerie.
Ce nouveau corps, dont l’uniforme de gendarme portait l’insigne des grenadiers de cavalerie, était appelé à maintenir l’ordre et la police dans les issues et aux portes de la salle du Corps législatif, à fournir un officier et deux gendarmes auprès du ministre de la Justice et à servir auprès de la Haute Cour nationale et du tribunal de Cassation.
La loi des 14-29 avril 1792, qui réorganisa la gendarmerie, décida que les deux compagnies de grenadiers de la gendarmerie ne seraient plus sous les ordres immédiats du commandant de la 1re division, mais seulement sous ceux de son chef particulier ; néanmoins, elles demeuraient soumises à l’inspection générale du colonel inspecteur de cette division.
La Haute Cour nationale se trouvant alors à Orléans, une loi des 17-22 avril 1792 accorda aux officiers un quart en sus de leur traitement, et aux sous-officiers et gendarmes une demi-solde en sus du tarif établi par la loi du 15 mai 1791, pour couvrir leurs frais de déplacement et de service extraordinaire. Les appointements des officiers de grenadiers de la Gendarmerie nationale ayant subi des réductions du fait de la réorganisation de 1791, une loi des 23-27 juin 1792 leur accorda un supplément compensateur.
Les événements révolutionnaires montrèrent le danger que pouvait courir la représentation nationale et la nécessité d’en renforcer la garde. L’Assemblée législative, reconnaissant l’utilité et le zèle des deux compagnies de grenadiers gendarmes, décida d’augmenter l’effectif de ce corps. Tel fut l’objet de la loi des 11-14 septembre 1792. L’effectif était porté à 181 unités, et le corps conservait la dénomination de grenadiers de la gendarmerie. Chacune des deux compagnies, commandée par un capitaine, était fractionnée en trois divisions ; chaque division était composée d’un lieutenant, un maréchal des logis, trois brigadiers et vingt-quatre gendarmes ; un quartier-maître assurait l’administration du corps qui comprenait, en outre, un chirurgien-major et deux tambours. Le lieutenant-colonel qui avait le commandement des deux compagnies ne dépendait plus que de l’Assemblée nationale, bonne précaution que n’eurent pas la sagesse de prendre les chambres du 18 fructidor an V.
On porta le corps à son nouvel effectif en faisant appel à des sujets pris dans la gendarmerie des départements, sachant lire et écrire, ayant trois ans d’activité dans la gendarmerie, trente ans au moins, soixante ans au plus, et une taille de 5 pieds 6 pouces. La condition des trois ans d’activité limitait le recrutement aux anciens cavaliers de maréchaussée, et la condition d’instruction s’explique par le fait que certains vieux cavaliers passés dans la maréchaussée avant 1760 pouvaient ne savoir ni lire ni écrire.
Au printemps de 1793, la Convention, en lutte contre la coalition et aux prises avec les insurrections de l’intérieur, mobilisa toute la force armée. Les deux compagnies de grenadiers de la gendarmerie cessèrent leur service près le ministre de la Justice et la Cour de cassation, en exécution du décret du 14 mars 1793, et furent dirigées, au mois de mai suivant, vers les départements de l’Ouest, pour coopérer à la répression des troubles. Réduite des deux tiers par la guerre civile, cette troupe vint reprendre son service près la Convention nationale.
En 1795, le corps fut recruté de l’élite des grenadiers de l’armée, et un décret du 23 germinal (12 avril) statua sur sa formation. L’effectif des grenadiers fut porté à 534 ; une compagnie de grenadiers fut attachée à ce corps.
Lors de la journée de prairial (20 mai), à l’encontre des divisions de Gendarmerie nationale parisienne et de la gendarmerie des tribunaux, dont il sera question plus loin, les grenadiers gendarmes firent vaillamment leur devoir ; mais, malgré toute leur énergie, ils ne purent préserver l’Assemblée des outrages de la populace ; aussi, fut-il décidé de réorganiser, une fois de plus, ce corps d’élite, et de l’assimiler plus complètement aux bataillons de l’armée.
C’est ainsi que la loi du 4 thermidor an III (22 juillet 1795) dénomma grenadiers près la représentation nationale les grenadiers gendarmes faisant leur service près le Corps législatif. Ils formèrent un bataillon de huit cents hommes à huit compagnies. Les grenadiers étaient recrutés parmi les militaires s’étant le plus distingués à l’armée ; le bataillon était soumis aux règlements des unités d’infanterie, habillé et armé à l’instar de ces troupes. La loi supprimait la compagnie de canonniers qui était attachée aux grenadiers gendarmes.
Le nouveau corps était déjà très différent des grenadiers de la gendarmerie, quand la constitution de l’an III (22 août 1795) disposa, en son article 70, qu’il y aurait, près du Corps législatif, une garde de citoyens pris dans la garde nationale sédentaire de tous les départements et choisis par leurs frères d’armes ; que cette garde ne pourrait être au-dessous de 1500 hommes en activité de service et que son service et sa durée seraient déterminés par le Corps législatif.
Désormais, la garde des assemblées, pendant la période révolutionnaire, n’aura plus rien de commun avec la Gendarmerie nationale. En particulier, le rôle important joué à la journée du 18 fructidor an V par les grenadiers du Corps législatif, sous les ordres du commandant Ramel, rentre dans l’histoire générale et non dans l’histoire particulière de notre arme.
Mais, sous le Consulat, la gendarmerie fut de nouveau chargée du maintien de l’ordre et de la police dans les lieux où résidait le Gouvernement. Telle fut la mission de la légion de gendarmerie d’élite, instituée par l’arrêté consulaire du 12 thermidor an IX (31 juillet 1801).
Revenons à la police de la Cour.
Suppression de la compagnie des voyages et chasses du roi
On sait qu’à partir du règne de Louis XV, la prévôté de l’Hôtel fut secondée, dans son service de protection, par une compagnie de maréchaussée spécialement chargée de la surveillance quand le roi se rendait à la chasse ou en voyage, en particulier sur les routes de Paris à Compiègne et à Fontainebleau ; ce fut la compagnie des voyages et chasses créée par l’ordonnance du 24 mars 1772(1).
À l’inverse de tous les corps spéciaux dont nous avons à nous occuper ici, la compagnie des voyages et chasses du roi était une véritable unité de maréchaussée figurant sur l’état des compagnies dont le corps était composé. Comme la prévôté de l’Hôtel, la compagnie des voyages et chasses du roi avait son chef-lieu à Versailles, où siégeait aussi, à côté du prévôt général, l’unique lieutenant de la compagnie. Il existait deux sous-lieutenants, l’un à Versailles, l’autre à Montfort-l’Amaury. La compagnie était composée de soixante cavaliers formant vingt brigades dont quatre étaient commandées par des maréchaux des logis et seize par des brigadiers ; un trompette était affecté à la compagnie.
La loi du 16 février 1791 supprima la compagnie des voyages et chasses du roi dont le personnel fut incorporé dans la Gendarmerie nationale. La surveillance des routes, qui incombait spécialement à cette compagnie, rentra dans les attributions normales de la gendarmerie de la première division.
Rappelons, cependant, que la Restauration fit revivre, pendant quelque temps, la compagnie des voyages et chasses du roi comme, d’ailleurs, la prévôté de l’Hôtel.
Service près des maréchaux de France
Indépendamment des compagnies de maréchaussée réparties dans les provinces, il existait, à la suite des maréchaux de France, des prévôts disposant chacun d’une compagnie d’archers.
Vers la fin de l’Ancien Régime, chacune de ces compagnies était composée d’un prévôt, un lieutenant, deux exempts, un greffier et vingt gardes (la dénomination d’archer avait été remplacée au XVIIIe siècle, suivant les cas, par celle de garde ou de cavalier). Cette compagnie suivait le maréchal à la guerre où le prévôt exerçait sa juridiction. Bien que la dignité de maréchal de France ne dût être abolie que par la loi des 21-26 février 1793 sur l’organisation de l’armée, les compagnies de la suite des maréchaux, unités dont le rôle était alors très effacé, furent supprimées, purement et simplement, par la loi du 16 février 1791.
En dehors des prévôtés de la suite des maréchaux de France, il existait aussi une compagnie spéciale aux ordres du prévôt général de la connétablie. Cette compagnie était composée de trois exempts ayant rang de lieutenant de cavalerie, un porte-étendard, six brigadiers, quatre sous-brigadiers, quarante-huit gardes et un trompette. Il y avait de plus, dans cette unité, un commissaire des guerres. Au début de la Révolution, elle était commandée par Magnier, prévôt général, mestre de camp de cavalerie, premier colonel de cavalerie légère, inspecteur général des maréchaussées du royaume. Un double service, judiciaire et de police, incombait aux armées au prévôt général de la connétablie ou prévôt d’armée.
La juridiction prévôtale ayant disparu dès l’année 1790, la loi du 16 février 1791 supprima la compagnie du prévôt général de la connétablie, mais en versant ses éléments dans la Gendarmerie nationale. Le service de police qu’assurait en campagne cette compagnie fut confié dans chaque armée, par la loi des 18-23 mai 1792, à un détachement prévôtal de gendarmerie commandé par un capitaine.
Après avoir été plusieurs fois réorganisé quant à ses effectifs, le service prévôtal fut réglementé par l’instruction ministérielle du 29 floréal an VII, due au général Wirion.
Service de la ville de Paris
Création de la garde nationale et suppression de la garde de Paris et de la garde de l’Hôtel de Ville
Le 11 juillet 1789, sur la proposition de Mirabeau, l’Assemblée nationale demanda au roi le renvoi des troupes qui étaient aux environs de Paris et dont la présence paraissait être une menace pour l’Assemblée. Louis XVI répondit que ces rassemblements n’avaient d’autre objet que le maintien de l’ordre et la protection de la représentation nationale.
De fait, dès le lendemain, 12 juillet, la foule, irritée du renvoi de Necker, se mêlait aux gardes françaises et engageait une lutte avec le Royal-Allemand ; des bandes commettaient des actes de pillage, tandis que la bourgeoisie, confondue avec le peuple, entourait l’Hôtel de Ville, où les électeurs composant l’Assemblée générale étaient réunis, demandait des armes et se faisait délivrer celle des gardes de la ville.
Dès la matinée du 13, les électeurs, toujours assemblés à l’Hôtel de Ville, organisèrent une municipalité et rédigèrent un plan d’armement pour la milice bourgeoise. Chacun des soixante districts devait fournir deux cents hommes, ce qui portait à douze mille hommes ce premier noyau de milice parisienne que l’on projetait de porter progressivement à l’effectif de quarante-huit mille citoyens. Le lieutenant-colonel marquis de La Salle, qui s’était déclaré pour la Révolution, en fut nommé général, le duc d’Aumont ayant demandé vingt-quatre heures pour réfléchir, avant d’accepter le commandement général qui lui avait été offert.
Déjà, les gardes françaises, qui avaient d’abord été employées à réprimer les mouvements populaires et s’étaient tournées ensuite du côté du peuple, avaient offert leurs services au comité permanent des électeurs et avaient été enrôlées dans la nouvelle milice.
Qu’allaient devenir les anciens corps de police parisienne ? De tous les corps particulièrement destinés à la police de la capitale, le guet de Paris était le plus ancien. Avant la Révolution, la compagnie du guet avait été incorporée à la garde de Paris. Ces deux fractions d’un même corps étaient placées, en 1789, sous le commandement unique de Rulhière, lieutenant-colonel de cavalerie et chevalier du guet. La compagnie du guet, composée de 71 hommes à pied, était attachée au corps du Châtelet. La garde de Paris était composée d’une compagnie de cavalerie de 132 maîtres et d’une compagnie d’infanterie de 890 hommes.
À l’ensemble de ces troupes, qui constituait le guet, incombaient la police des rues de la capitale, spécialement pendant la nuit, l’arrestation des malfaiteurs, ainsi que la garde des quais, ports, remparts et faubourgs.
Sur l’utilité du guet, Mercier, à la veille de la Révolution, s’exprimait ainsi dans son Tableau de Paris : « La machine est bien montée depuis cinquante ans ; mais cette machine, comme toute autre, a ses moments de langueur. Si elle venait à s’arrêter, Paris serait en proie aux horreurs d’une ville prise d’assaut ».
Or, de même que les gardes françaises, le commandant du guet de Paris, M. de Rulhière, avait mis sa troupe à la disposition de l’Assemblée des électeurs pour la défense de la ville et la sûreté des citoyens, et ses offres avaient été acceptées avec empressement. C’est ainsi que disparut, fondue dans la garde citoyenne, la garde de Paris. Seule, la compagnie du guet, attachée au corps du Châtelet, devait se maintenir et ne disparaître que l’année suivante (1790)(2).
Revenons à la nouvelle milice créée le 13 juillet. On sait comment, le 14, la Bastille succomba. Le marquis de La Salle n’ayant pas rempli ses devoirs fut remplacé, le 15, par le marquis de La Fayette dans le commandement de la milice parisienne à laquelle le comité des électeurs donna, le 16, le nom de garde nationale.
Le 17, le roi éloignait les trente mille hommes de troupes du Champ de Mars et déclarait, à l’Hôtel de Ville, en pleine séance de l’Assemblée communale, qu’il approuvait la nouvelle organisation de la garde nationale. Cette organisation fut consacrée par l’édit du 6 août.
La garde nationale parisienne, commandée par La Fayette, fut d’abord composée d’un État-Major général, et de sept divisions, dont six d’infanterie et une de cavalerie. Chacun des soixante districts de la capitale ayant été appelé à former un bataillon d’infanterie, chaque division d’infanterie fut composée de dix bataillons, d’une compagnie de grenadiers soldés et d’une compagnie de chasseurs soldés.
Chaque bataillon portait le nom d’un district ou d’une section de la ville, et se composait de cinq compagnies de fusiliers d’environ cent hommes chacune. Une de ces compagnies était soldée et était dite compagnie du centre. Il y avait, en outre, une autre compagnie soldée destinée à donner main-forte à la police des halles. Chaque bataillon avait un drapeau et chaque compagnie une flamme.
La cavalerie formait une division composée d’un état-major et de huit compagnies soldées de cent hommes chacune.
Peu après, six compagnies de chasseurs soldés furent encore créées et destinées au service des barrières. Il fut aussi créé, avec des éléments provenant de la garde de Paris, six compagnies soldées de cent hommes pour la garde des îles, quais et ports de la ville ; certains éléments assuraient la garde de Bicêtre et de la Salpêtrière.
L’effectif de la garde nationale s’accrut encore, par l’adjonction, aux cinq compagnies de fusiliers de chaque bataillon, d’une compagnie de grenadiers soldés et d’une de chasseurs soldés. Bientôt une section d’artillerie de deux pièces fut attachée à chaque compagnie de grenadiers soldés.
De la sorte, jusqu’à la réforme du 28 août 1791, dont il sera question plus loin, le corps de la garde nationale parisienne se trouva composé de 46 787 hommes divisés en deux catégories, l’une soldée, l’autre non soldée. La première, qui comprenait 8751 fantassins et 813 cavaliers et recevait une solde plus forte que celle de l’armée, fut recrutée parmi les gardes françaises insurgées et les soldats débandés des régiments. Quant aux 37 225 hommes de la seconde catégorie, c’étaient des volontaires, citoyens de Paris, appartenant à la bourgeoisie. Telle était la troupe à la tête de laquelle La Fayette avait la mission de maintenir la tranquillité publique et de faire exécuter les lois décrétées par l’Assemblée nationale.
Malgré cette nouvelle organisation de la force publique, la garde de l’Hôtel de Ville s’efforçait de se maintenir en tant qu’unité spécialement affectée au service de la maison commune. Cette troupe était composée, de haute ancienneté, de trois compagnies de cent hommes, sous le nom d’arbalétriers, d’archers ou d’arquebusiers. Des lettres patentes du 10 décembre 1769 avaient accordé à ces compagnies le rang de gendarmerie et maréchaussée de France, créé une quatrième compagnie sous le titre de fusiliers et fixé les effectifs à soixante-seize hommes pour chacune des quatre compagnies.
Au commencement de la Révolution, la garde de l’Hôtel de Ville était placée sous le commandement du vieux colonel Häy. Le mouvement révolutionnaire et, notamment, la création de la garde nationale, devaient emporter à son tour ce corps plusieurs fois centenaire. En effet, un décret de l’Assemblée nationale, du 18 juin 1790, portait que les citoyens actifs qui voudraient conserver les droits attachés à cette qualité devraient se faire inscrire sur les registres des gardes nationales, et que nul ne pourrait porter les armes s’il n’était inscrit sur ces registres. En conséquence, tout corps particulier de milice bourgeoise, d’arquebusiers ou autres, était tenu de s’incorporer dans la garde nationale.
Au surplus, le décret des 29 septembre - 14 octobre 1791, relatif à l’organisation de la garde nationale, précisait en sa section 2, article 28 : « Les anciennes milices bourgeoises, compagnies d’arquebusiers, fusiliers, chevaliers de l’arc ou de l’arbalète, compagnies de volontaires et toutes autres, sous quelque forme et dénomination que ce soit, sont supprimées ».
En 1792, la garde de l’Hôtel de Ville disparaissait et ses éléments étaient fondus dans diverses unités de gendarmerie (compagnies de Gendarmerie nationale parisienne, dont nous parlerons ensuite, et gendarmerie des tribunaux)(3).
Déjà, en effet, des forces de gendarmerie extraites de la garde nationale étaient spécialement affectées au service de la capitale : c’étaient les divisions de Gendarmerie nationale parisienne, qu’il ne faut pas confondre avec la première division de Gendarmerie nationale qui avait remplacé la maréchaussée en vertu de la loi du 16 février 1791, sur les territoires des départements de Paris, Seine-et-Oise et Seine-et-Marne.
Divisions de Gendarmerie nationale parisienne(4)
La première organisation de la garde nationale issue du mouvement révolutionnaire était loin d’être parfaite. Composée de citoyens armés ou prêts à s’armer pour la chose publique ou pour la défense de la liberté et de la patrie, la garde nationale ne formait pas un corps militaire(5), et cependant elle avait ouvert ses rangs aux gardes-françaises dévoués à la Révolution et à une grande quantité de soldats venus à elle dans l’espoir d’une solde plus forte. De plus, s’il n’y avait dans la nation qu’une seule garde nationale soumise aux mêmes règlements, à la même discipline et revêtue du même uniforme, on comptait, cependant, dans la garde nationale parisienne, des troupes qui étaient soldées et d’autres qui ne l’étaient pas.
Ce vice profond apparut dès qu’en apprenant la fuite du roi, l’Assemblée décréta la mise en activité des gardes nationaux tant que la situation de l’État l’exigerait(6) et de 97 000 d’entre eux pour la défense des frontières du Nord(7). Toute la garde nationale étant mise en activité, la distinction entre garde soldée et garde non soldée n’avait plus sa raison d’être ; elle fut supprimée par la loi du 28 août 1791 (décrets des 3, 4, 5 août). Cette loi détacha de la garde nationale parisienne toute la fraction soldée, composée de neuf mille hommes environ, et la reforma aussitôt comme troupes de ligne. La loi reconnaissait qu’il était de nécessité absolue, jusqu’à ce que la Constitution fût affermie, que les corps nouvellement créés fissent partie de la force armée de la capitale pour y maintenir l’ordre et la tranquillité.
Ainsi furent constitués, avec les compagnies d’infanterie soldées de la garde nationale parisienne, trois régiments d’infanterie de ligne (102e, 103e, 104e), deux bataillons d’infanterie légère (13e et 14e) et une division de Gendarmerie nationale à pied (30e). Avec la cavalerie de la garde nationale parisienne on forma une division de Gendarmerie nationale à cheval (29e). Les trois régiments d’infanterie de ligne, les deux bataillons d’infanterie légère et leur état-major avaient la même composition que ceux des corps semblables qui formaient l’armée française. Les deux divisions de gendarmerie à pied et à cheval, qui reconstituaient, en quelque sorte, sous une autre forme, la garde de Paris, étaient assimilées aux autres divisions de Gendarmerie nationale des départements, au nombre de vingt-huit, organisées par la loi du 16 février 1791.
La division à pied, commandée par un colonel, était composée d’un état-major comprenant le colonel, deux lieutenants-colonels, un quartier-maître trésorier, deux adjudants maréchaux des logis, un tambour-major, un chirurgien aide-major, soit huit hommes, officiers compris, et de huit compagnies formant deux bataillons. Chaque compagnie était composée de cent treize hommes, à savoir : un capitaine, trois lieutenants, quatre maréchaux des logis, douze brigadiers, quatre-vingt-douze gendarmes, un tambour, et comprenait douze brigades. L’effectif de la division était de 912 hommes, officiers compris.
La division à cheval avait la même composition, sauf que les huit compagnies formaient quatre escadrons. Elle faisait son service à cheval et même à pied, si le besoin l’exigeait. Elle était commandée par Rulhière, l’ancien commandant de la garde de Paris, versée, on l’a vu, dans la garde nationale.
Les deux divisions de gendarmerie, les trois régiments d’infanterie de ligne et les deux bataillons d’infanterie de ligne et les deux bataillons d’infanterie légère devaient faire ensemble le service de la capitale ; aux gendarmes appartenait, en particulier, la garde des quais et des ports de la ville. Le service était réglé par un état-major central où trois adjudants généraux, établis à Paris, remplissaient les mêmes fonctions qui leur étaient attribuées dans l’armée.
Une loi des 23-27 juin 1792 nous montre la rapidité de l’avancement dans les deux divisions de gendarmerie : les maréchaux des logis nommés adjudants pouvaient concourir, du moment de leur nomination, avec tous les lieutenants, pour arriver au commandement de la compagnie, et ils pouvaient rester adjudants jusqu’à ce que leur ancienneté les y portât ; autrement dit, un adjudant pouvait être promu directement capitaine. La même loi attribuait un secrétaire-greffier à chacune des deux divisions (29e et 30e).
D’autres créations de divisions de Gendarmerie nationale parisienne devaient suivre celle des deux divisions (29e et 30e) issues, comme on vient de le voir, de la garde nationale.
Sous la pression des événements, après la proclamation de la patrie en danger, une loi du 22 juillet 1792 (décrets des 17, 19 et 20) et une loi du 21 août (décrets des 12 et 16) tirèrent des brigades de gendarmerie du territoire deux divisions à cheval combattantes appelées à servir dans un camp sous Paris. Quoique destinées à la guerre, où la 32e se couvrit de gloire à Hondschoote, ces unités furent considérées comme faisant partie de la gendarmerie de Paris.
Après ce premier emprunt aux brigades du territoire, qui devait être suivi, à la nouvelle de la prise de Longwy par les Prussiens, de la mobilisation de toute la gendarmerie départementale, de nouvelles divisions de Gendarmerie nationale parisienne furent créées, comme la 29e et la 30e, au moyen de prélèvements sur les éléments les plus révolutionnaires de l’armée ou de la garde nationale.
En effet, l’Assemblée législative ayant décidé, le 15 juillet 1792, d’éloigner de Paris, pour les employer à la défense du territoire, les trois régiments d’infanterie qui contribuaient, avec les 29e et 30e divisions de gendarmerie, à la police de la capitale, elle rendit le lendemain un décret organisant une nouvelle gendarmerie à pied pour remplacer les troupes de ligne. Ce décret du 16 devint la loi du 18 juillet 1792.
L’Assemblée, considérant qu’on ne pouvait mieux remplacer les troupes de ligne qu’en rappelant au service de la nation « les hommes du 14 juillet qui avaient concouru, avec la garde nationale, à la conquête de la liberté, qui avaient bien mérité de la patrie, et voulant leur procurer l’honneur de donner de nouvelles preuves de civisme en défendant la Constitution » décrète :
« Les ci-devant gardes-françaises qui ont servi la Révolution à l’époque du 1er juin 1789, les officiers, sous-officiers, canonniers et soldats des divers régiments qui se sont réunis sous les drapeaux de la liberté à compter du 12 juillet de la même année, qui ont été inscrits ou enrôlés, soit à la municipalité, soit dans les districts de Paris jusqu’au 1er novembre 1789, les gardes des ports et ceux de la ville de Paris, les cent Suisses de la garde ordinaire du roi qui ont servi dans la ci-devant maison militaire des princes et qui, depuis leur licenciement, ont fait un service personnel et continu dans la garde nationale, s’inscriront volontairement, ainsi qu’il suit, pour être de suite organisés en Gendarmerie nationale à pied ».
Dès que les citoyens se furent fait inscrire à la municipalité de Paris, la loi des 17-18 août 1792 leur enjoignit de se réunir à la maison commune où il serait procédé à la formation des nouvelles compagnies de Gendarmerie nationale. Chaque compagnie, à l’effectif de cent treize unités, était du type de celles de la 30e, que nous avons indiqué ci-dessus.
Avec les compagnies ainsi recrutées, on forma deux nouvelles divisions de gendarmerie à pied ayant la même composition que la 30e. Comme les deux divisions formées pour le camp sous Paris, par les décrets des 12 et 16 août, avaient pris les numéros 31 et 32, les deux nouvelles divisions de gendarmerie parisienne à pied prirent les numéros 33 et 34.
Les 33e et 34e divisions avaient été constituées, vu l’urgence, avec les premiers citoyens qui avaient répondu à l’appel de l’Assemblée nationale. La loi du 25 août 1792 se proposa de former de nouvelles compagnies de gendarmerie à pied avec les citoyens reconnus pour s’être distingués à la prise de la Bastille, comme on l’avait déjà fait avec « les ci-devant gardes-françaises et les autres citoyens qui avaient servi dès le début la cause de la liberté ». C’est ainsi que six nouvelles compagnies furent formées.
Comme, d’autre part, des soldats porteurs de congé absolu s’étaient présentés pour être admis dans les divisions de gendarmerie, une loi des 12-14 janvier 1793 décida de former en compagnies ceux de ces militaires qui remplissaient les conditions requises. La même loi prescrivait d’incorporer dans les divisions les soldats qui n’avaient pu profiter du bénéfice de la loi du 16 juillet 1792, pour des motifs légitimes de service aux armées.
La loi du 27 février 1793 réunit deux compagnies de gendarmerie, ainsi autorisées à se former, aux six compagnies déjà organisées à Paris en vertu de la loi du 25 août 1792, et ces huit compagnies formèrent une nouvelle division de gendarmerie à pied, qui prit le numéro 35. La même année (1793) fut créée la 36e division.
Il parut nécessaire d’adjoindre une troupe montée aux divisions de gendarmerie à pied de service dans la capitale. C’est ainsi que la loi des 9-11 octobre 1792 ordonna la formation d’un escadron de cavalerie attaché aux divisions alors commandées à Paris par le citoyen Verrières. Cet escadron devait être organisé comme la cavalerie de ligne, comprendre deux compagnies et être composé de ci-devant gardes-françaises susceptibles de servir dans les troupes à cheval. L’organisation et le traitement de cet escadron furent réglés par la loi des 27-28 avril 1793.
Les divisions de gendarmerie parisienne étaient spécialement destinées au service de la capitale ; mais les nécessités de la défense nationale obligèrent la Convention à les employer aussi contre l’ennemi extérieur et contre les insurgés des départements de l’Ouest(8). Leurs effectifs ayant fondu au cours des hostilités du fait de la guerre ou par suite des licenciements ordonnés par les représentants du peuple en mission aux armées, une loi du 27 prairial an II (15 juin 1794) décida l’amalgame de ces unités.
Il n’était rien changé à la 29e division à cheval. Les 30e et 31e divisions n’en formaient plus qu’une seule sous la dénomination de 30e. Les 32e et 34e formaient la 31e ; la 33e et la 35e formaient la 32e. L’amalgame se fit par compagnies en réunissant les plus faibles aux plus fortes. La loi rappelait que les divisions de gendarmerie à pied n’ayant été créées que pour récompenser les ci-devant gardes-françaises, les vainqueurs de la Bastille et les blessés du 10 août ne pouvaient être recrutées sous aucun prétexte. Les officiers et sous-officiers qui, par suite de l’amalgame, se trouvaient sans emploi, continuaient leur service comme adjoints et étaient appelés à prendre les premières places vacantes de leur grade ; nous verrons plus loin qu’un certain nombre d’entre eux furent versés dans la gendarmerie des tribunaux.
Nous venons de voir que les divisions de gendarmerie parisienne créées à partir de la loi du 27 août 1791 furent, d’une manière générale, une émanation de la garde nationale. Depuis ces diverses créations, l’organisation de la garde nationale n’intéresse plus la gendarmerie, sauf les rapports de service nécessaires entre ces deux fractions de la force publique. La garde citoyenne, on le sait, se trouva intimement mêlée aux grands événements révolutionnaires dans le détail desquels nous n’entrerons pas.
De même, nous n’avons pas l’intention d’examiner ici le rôle joué, pendant la Révolution, par les divisions de Gendarmerie nationale parisienne. On a vu l’origine de ces formations. En autorisant les gardes-françaises et les soldats ralliés à la Révolution à entrer dans les divisions de gendarmerie parisienne, les assemblées récompensaient la désobéissance dont ces militaires s’étaient rendus coupables envers leurs chefs en 1789 ; cette origine insurrectionnelle devait nécessairement peser sur les destinées de l’institution. Bornons-nous à rappeler qu’à la journée du 1er prairial an III (20 mai 1795), plusieurs éléments des divisions de gendarmerie parisienne, ainsi que la gendarmerie des tribunaux, pactisèrent avec l’émeute ; que ces troupes infidèles furent dissoutes le 6 prairial (25 mai) et que toutes les divisions de Gendarmerie nationale parisienne furent licenciées le 9 messidor suivant (27 juin 1795). Le même jour, un deuxième décret créait à Paris un corps de troupes, sous le nom de légion de police générale.
Légion de police générale
Depuis les suppressions opérées à la suite des événements de prairial, le service dont étaient chargées la Gendarmerie nationale parisienne et la gendarmerie des tribunaux allait être assuré, provisoirement, par la garde nationale et les troupes de ligne.
Ces forces avaient été placées, dès le 4 prairial (23 mai), sous le commandement du général Menou ; elles se composaient de trois mille ou quatre mille hommes de troupes de ligne qui avaient pu être rassemblés et de vingt mille hommes des sections armées de garde nationale ; c’était l’armée de l’intérieur.
Le licenciement des corps de gendarmerie chargés de la police des tribunaux et de la maison de détention, ainsi que des ports et quais de Paris, avait occasionné aux gardes nationaux un surcroît de service excessif ; on estimait, au surplus, que cette police exigeait des connaissances particulières qu’on ne pouvait espérer des troupes de ligne. C’est pourquoi la Convention décida d’adjoindre à l’armée de l’intérieur une légion de police générale qui fut créée par la loi du 9 messidor an III (27 juin 1795).
La légion était composée de six bataillons d’infanterie, comprenant chacun huit compagnies de fusiliers, et de quatre escadrons de cavalerie (deux de dragons et deux de chasseurs) qui, dans la suite, furent portés à six. Chaque compagnie était commandée par un capitaine ayant sous ses ordres : deux lieutenants, un sous-lieutenant, un sergent-major, quatre sergents, un caporal fourrier, huit caporaux, quatre-vingts fusiliers, deux tambours. Chaque escadron comprenait : un capitaine commandant, deux lieutenants, un sous-lieutenant, un maréchal des logis-chef, un maréchal des logis, un brigadier fourrier, seize brigadiers, cent vingt-huit cavaliers, deux trompettes.
Sous les ordres des Comités de sûreté générale et militaire, la légion de police assurait le service des ports et quais de Paris, des tribunaux et des prisons.
Nous ne nous arrêterons pas au rôle joué par la légion de police qui, ayant versé dans le communisme, lors de la conspiration de Babeuf, fut supprimée, par arrêté du Directoire, le 10 floréal an IV (29 avril 1796). Depuis cette époque et jusqu’à la création de la garde municipale par le Premier Consul, le service de la légion de police fut confié à des gendarmes tirés de la province.
Suppression de la compagnie de robe courte et création de la gendarmerie des tribunaux
La compagnie de robe courte de l’Ancien Régime, dont le siège était au Châtelet de Paris, avait pour chef, au début de la Révolution, Brice, lieutenant criminel de robe courte ; elle était composée de quatre lieutenants, un guidon, douze exempts, quatre brigadiers, quatre sous-brigadiers, soixante cavaliers et vingt surnuméraires à la suite. Cette troupe était chargée de veiller à la sûreté de la capitale en arrêtant tout délinquant en flagrant délit ; elle faisait un service journalier près les tribunaux dont elle mettait à exécution les décrets et mandements ; elle était chargée, aussi, de la garde des prisons.
Le service des tribunaux et des prisons était si essentiel qu’il ne pouvait être question, malgré les changements opérés par la Révolution, de l’interrompre ou d’en changer le personnel.
En conséquence, la loi du 16 février 1791, tout en supprimant la compagnie de robe courte, disposa que les éléments qui la composaient seraient versés dans la Gendarmerie nationale, mais tout en continuant leur service, de sorte que ces militaires relevèrent, non plus du lieutenant criminel de robe courte dont les fonctions de juge n’étaient plus en harmonie avec la nouvelle organisation des tribunaux, mais du lieutenant-colonel de gendarmerie du département de la Seine, placé lui-même sous les ordres du colonel commandant la 1re division de Gendarmerie nationale.
Ainsi naquit la gendarmerie des tribunaux, formée de deux compagnies. Chaque compagnie était commandée par un capitaine ayant sous ses ordres cinq lieutenants, cinq maréchaux des logis, dix-huit brigadiers et soixante-douze gendarmes. Elle était ainsi composée de cent officiers et hommes de troupe chargés du service des tribunaux et de la garde des prisons ; nous avons vu que le service auprès de la Haute Cour nationale et auprès du Tribunal de cassation fut confié aux deux compagnies de grenadiers-gendarmes créées pour remplacer la prévôté de l’Hôtel.
Le personnel de la compagnie de robe courte était passé de droit dans la gendarmerie des tribunaux. Ceux des militaires de l’ancienne compagnie qui n’étaient que surnuméraires furent inscrits sur le registre ouvert au directoire du département de Paris, en exécution de l’article 2 du titre 2 de la loi du 16 février 1791, à l’effet de recevoir les noms des citoyens qui voulaient devenir gendarmes. Un décret des 22-28 juillet 1791 disposa que les surnuméraires ainsi inscrits seraient employés, quel que fût leur temps de service, préférablement à tous autres, à combler les vacances dans les deux compagnies de gendarmerie attachées au service des tribunaux ; le même décret créait, dans ces deux compagnies, un emploi de commis de secrétaire-greffier.
La loi des 14-29 avril 1792, qui réorganisa la gendarmerie, décida que la gendarmerie des tribunaux resterait sous les ordres du lieutenant-colonel chef de la 1re division et serait soumis à la même inspection.
Les effectifs de la gendarmerie des tribunaux ne tardèrent pas à devenir insuffisants à mesure que les formes légales de la justice firent place aux arrestations et détentions arbitraires. Déjà, la loi des 7-13 avril 1792 avait accru de 158 hommes l’effectif de la gendarmerie des tribunaux qui était porté ainsi à 360 hommes ; les 158 gendarmes nouvellement créés avaient été choisis parmi les gardes de l’Hôtel de Ville dont le licenciement était imminent, et parmi les gardes nationaux chargés de la garde des ports(9).
Sous la Terreur, les prisons furent encombrées d’une foule d’individus dont le seul crime n’était, souvent, que d’avoir été dénoncés, à tort ou à raison, comme suspects. Le décret du 24 juin 1793 augmentait encore l’effectif de la gendarmerie des tribunaux qui était porté à 385 hommes, y compris les officiers et sous-officiers ; les deux compagnies composant ce corps étaient commandées par un lieutenant-colonel ; d’autre part, le Comité de salut public ayant décidé que chacune des quarante-huit sections de Paris nommerait deux citoyens à l’emploi de gendarme attaché au service des tribunaux et de la garde des prisons, la gendarmerie des tribunaux se trouva composée, en 1793 et 1794, de deux compagnies de 240 hommes n’ayant plus avec la gendarmerie du département de la Seine qu’une attache purement nominale, et formant un corps autonome que Thiers a appelé la « milice de Fouquier-Tinville ».
Une loi du 11 pluviôse an II (30 janvier 1794) accordait aux gendarmes des tribunaux, comme à tous autres militaires assujettis à un service public, qui avaient été commis pour garder des scellés ou des particuliers, et qui n’avaient pas été payés par les détenus, une indemnité de 30 sous par jour de garde. La même loi interdisait, pour l’avenir, d’employer les gendarmes et tous autres militaires en activité de service à des missions de cette nature, sauf réquisition du Comité de sûreté générale.
À la séance de la Convention du 17 nivôse an III (6 janvier 1795), le représentant Gossin, au nom du Comité militaire, fit ressortir le service pénible exécuté par les gendarmes des tribunaux, dont l’effectif était insuffisant ; en conséquence, un décret, pris le même jour, augmenta les effectifs de cette troupe dans laquelle on versa la garde de Bicêtre et de La Salpêtrière. L’effectif fut porté à 736 hommes formant un corps de cinq compagnies de 146 hommes dont le commandant en chef devait être nommé par la Convention, sur la présentation du Comité de salut public. La nouvelle gendarmerie était recrutée au moyen de l’excédent du complet des divisions de gendarmerie parisienne amalgamées par la loi du 27 prairial an II (15 juin 1794) dont nous avons parlé ci-dessus.
Fidèle à notre plan, nous n’examinerons pas ici le service exécuté par la gendarmerie des tribunaux qui sombra, en même temps que les divisions de gendarmerie parisienne, aux journées de prairial, et fut licenciée par une loi du 6 prairial an III (25 mai 1795). Dès lors, son service fut assuré, on le sait, par la garde nationale, puis par la légion de police générale.
Nous aurons achevé l’examen des corps de police spéciaux de la capitale sous la Révolution, quand nous aurons parlé succinctement de la compagnie du prévôt général des monnaies.
Suppression de la compagnie des monnaies
Comme son nom l’indique, cette compagnie n’intervenait, en matière de police, que pour la répression des délits relatifs aux monnaies. Elle faisait partie du corps de la gendarmerie et maréchaussée de France et jouissait des mêmes privilèges. En 1790, elle était commandée par Bazard, prévôt général des monnaies. À cette époque, les cavaliers qui composaient cette unité n’étaient plus répandus dans tout le royaume. L’effectif de la troupe était de quatre exempts, quarante archers-gardes et un trompette, dont le domicile ne pouvait être éloigné de plus de dix lieues de la ville de Paris.
Comme tous les corps spéciaux de l’Ancien Régime, la compagnie des monnaies fut supprimée par la loi du 16 février 1791 et ses éléments firent partie de la Gendarmerie nationale.
Il existait dans la compagnie des monnaies, depuis le mois d’octobre 1785, un certain nombre de cavaliers qui y servaient comme surnuméraires. Une loi des 21 février - 7 mars 1792 autorisa ces militaires à entrer dans la gendarmerie bien qu’ils n’eussent pas le temps de service exigé par la loi du 16 février 1791, pourvu qu’ils eussent la taille prescrite par les règlements, soit 5 pieds et 4 pouces (1,728 mètre).
Nous venons de voir qu’aux lieu et place des anciens corps de police spéciaux, la Révolution avait créé une garde nationale dont elle avait extrait des divisions de Gendarmerie nationale spécialement destinées au service de la capitale. Mais la garde citoyenne ne tarda pas à devenir un instrument de révolte contre le Gouvernement légal, et les divisions de Gendarmerie nationale parisienne finirent elles-mêmes, nous l’avons dit, dans l’insurrection. Il en fut de même, on l’a vu, de deux autres créations de la Révolution : la gendarmerie des tribunaux et la légion de police générale.
La Révolution s’acheva au 18 brumaire sans que la capitale, alors uniquement protégée par l’armée de l’intérieur, disposât d’une garde spécialisée à l’instar de l’ancienne garde de Paris. Le Premier Consul mit fin à ce grave état de choses par la création de la garde municipale (4 octobre 1802).
Déjà, le général Wirion, chargé de l’organisation de la gendarmerie dans les pays de la rive gauche du Rhin, avait su tirer de l’expérience révolutionnaire un enseignement utile à l’ensemble de la gendarmerie, en formulant le précepte célèbre qu’on ne saurait trop méditer à l’heure actuelle, où notre arme voit s’accroître ses effectifs : « La principale force du corps de la Gendarmerie nationale réside dans la moralité des militaires appelés à en faire partie »(10).
Les convulsions de la force publique
Nous avons traité de la nouvelle organisation de la force publique sous la Révolution, à l’exception, toutefois, de la police municipale qui fonctionna dans la capitale depuis la suppression de la lieutenance générale de police, après la prise de la Bastille, jusqu’à la création, sous le Directoire, d’un ministère de la Police.
Parmi les divers éléments de la force publique, la gendarmerie départementale, héritière de la maréchaussée, occupe le premier rang par l’importance et l’ancienneté des services rendus à l’ordre social. À la gendarmerie départementale fut rattachée, en 1791, la gendarmerie des tribunaux qui succédait à la compagnie de robe courte du Châtelet de Paris.
Sur un plan différent, nous voyons naître, en 1789, une garde citoyenne. La veille de la prise de la Bastille, en effet, le mouvement révolutionnaire entraîna la création d’une milice parisienne qui prit, quelques jours plus tard, le nom de garde nationale. Nous avons montré comment cette création amena la disparition de tous les corps de milice bourgeoise existant jusqu’à cette époque. À la garde nationale, dont l’institution allait s’étendre à l’ensemble du territoire, allait donc incomber, comme à la gendarmerie départementale, le service de la plupart des anciens corps de police supprimés par la Révolution.
Enfin, de la garde nationale furent détachées en 1791, sous le nom de divisions de Gendarmerie nationale parisienne, des formations militaires spécialement destinées au service de la capitale et reliant ainsi l’ancien guet de Paris aux formations qui, sous diverses appellations, ont précédé l’actuelle Garde républicaine.
Depuis la suppression des divisions de gendarmerie, la légion de police générale fut, sous la Révolution, le seul essai de garde parisienne.
Gendarmerie départementale
S’il était une institution qui dût résister à la tourmente révolutionnaire, c’était bien la maréchaussée dont Brissot, le futur chef de la Gironde, avait dit qu’elle était « un ressort dont l’absence causerait tout au moins un grand désordre si elle ne devait entraîner la perte de l’État ». Ne lit-on pas aussi dans un cahier des États généraux que la maréchaussée était « le corps le plus utile à la nation », et, dans une délibération du directoire des Pyrénées-Orientales, qu’elle était « la seule troupe qui fit la sûreté des citoyens » ?
Aussi, sauf l’adaptation nécessaire, par la loi du 16 février 1791, aux nouvelles divisions administratives, sauf le nom de gendarmerie substitué à celui de maréchaussée, aucune modification essentielle n’est apportée au service de la vieille institution. On continue à appliquer, à cet égard, d’anciennes règles qui subsistent encore aujourd’hui et dont les plus anciennes – les meilleures – remontent au XVIe siècle.
Composée en grande partie d’hommes ayant servi dans la maréchaussée, la gendarmerie, dans les débuts de la Révolution, ne cessa de rendre les plus grands services à l’ordre public ; mais le mouvement politique ne tarda pas à imprimer au personnel son caractère révolutionnaire. Dès le commencement de l’année 1792, l’activité des sociétés populaires tend à l’épuration de la gendarmerie. À Lille, cent personnes du club des Amis de la liberté vont demander au colonel de Riolle le renvoi d’un brigadier. Le lendemain, après une séance du même club, quatre cents personnes se rendent à la caserne pour renvoyer ou exterminer le brigadier. À Cahors, c’est encore un brigadier de gendarmerie que les Jacobins chassent, alléguant qu’il ne fréquente que des aristocrates. À Toulouse, sans parler du lieutenant-colonel qu’ils menacent de mort, c’est toute la gendarmerie qu’ils déportent dans un autre district, sous prétexte qu’elle a des principes contraires à la Constitution(11).
À la date du 17 octobre 1792, la Convention décide que les surnuméraires, qui ont remplacé dans les brigades les gendarmes partis aux armées, seront tenus d’exhiber un certificat de civisme délivré par la majorité absolue des membres du conseil général de la commune. Voici un modèle de ce certificat :
« Nous, maire, officiers municipaux et notables composant le conseil général de la commune de… certifions que le citoyen…, gendarme en résidence dans cette ville, a donné dans toutes les occasions des preuves non équivoques de civisme, et qu’il s’est toujours conformé aux lois de la République ».
Dans les fêtes civiques, la gendarmerie se joignait aux autorités civiles et militaires pour prêter le serment de fidélité à la Constitution. Le serment prêté par les autorités de Perpignan, parmi lesquelles se trouvait le capitaine de gendarmerie Crozat, à la fête civique du 17 février 1793, était le suivant :
« Anathème aux rois, aux tyrans, aux dictateurs […]. Nous jurons de défendre jusqu’au dernier soupir la liberté, l’égalité, la souveraineté du peuple, l’unité et l’indivisibilité de la République, de dénoncer comme ennemis publics tous ceux qui tiennent une conduite opposée à ces principes que nous avons juré de défendre ».
Une loi du 5 février 1793, qui obligeait tous les fonctionnaires publics à présenter des certificats de civisme, fut appliquée à la gendarmerie dont le ministre attendait ainsi l’épuration : « Citoyens, écrivait-il le 20 mai 1793 aux administrateurs des départements, je recommande à votre zèle et à votre patriotisme la prompte exécution de cette loi qui occasionnera probablement dans le corps [de la gendarmerie] des vacances que le bien du service commande de remplir avec célérité ».
À cette époque, l’indiscipline s’était propagée dans les rangs de la gendarmerie. Aux armées, des gendarmes, suivant l’exemple des volontaires, avaient quitté leurs drapeaux sans congé, repris leur emploi dans les brigades, et le ministre, à la date du 16 mars, avait demandé aux administrateurs des départements les listes des coupables afin de les livrer aux cours martiales(12).
À l’intérieur, des surnuméraires appelés à remplacer aux armées des gendarmes fatigués, faisaient opposition à la réadmission de ces derniers, et refusaient de partir au front sans emporter la certitude d’être titularisés à leur retour. À la date du 15 mai, le ministre intervenait à ce sujet auprès des administrateurs. Les représentants du peuple envoyés dans les départements procédaient eux-mêmes d’office aux suspensions ou destitutions qu’ils jugeaient opportunes.
La loi des 14-16 frimaire an II (4-6 décembre 1793), sur le mode de Gouvernement provisoire et révolutionnaire, supprimait la hiérarchie plaçant les autorités sous la dépendance des directoires des départements ; elle chargeait les représentants du peuple en mission d’achever sans délai l’épuration complète de toutes les autorités constituées et d’en rendre compte à la Convention avant la fin du mois suivant.
Peu d’officiers ou de gendarmes suspects d’« aristocratie » ou d’« incivisme » échappèrent à la révocation : « À Troyes, dit Taine, Rousselin, commissaire civil national, destitue d’un coup tous les gendarmes, moins quatre, et met en réquisition leurs chevaux tout équipés, avec leurs armes, pour être montés sur-le-champ par des sans-culottes connus et éprouvés […]. Depuis 1792, on a incessamment épuré la garde nationale et la gendarmerie jusqu’à n’y plus laisser que des énergumènes ou des machines ».
Divisée ainsi par la politique, mal payée à cause du mauvais état des finances, mal nourrie, mal vêtue, mal équipée, mal montée, mal logée, la gendarmerie tomba dans une désorganisation profonde. Commencée sous la Convention, cette désorganisation s’accéléra sous le Directoire. La surveillance des routes ayant cessé, les vols et les assassinats prirent des proportions inouïes.
Une réorganisation de la gendarmerie s’imposait. Elle fut réalisée par la loi du 25 pluviôse an V. Cette réforme était motivée par le brigandage qui désolait le pays ; mais la politique n’y fut pas étrangère, car la gendarmerie – disait le général Lacuée, rapporteur de la loi aux Cinq-Cents – avait été « affaiblie par l’esprit de parti ». Le moment paraissait donc venu de réagir contre l’esprit jacobin dont les gouvernements précédents avaient imprégné le personnel. C’est ainsi qu’une nouvelle épuration fut ordonnée.
Déjà, la loi de pluviôse avait été précédée d’une enquête, ordonnée par Petiet, ministre de la Guerre à tendance antijacobine, sur les officiers et les sous-officiers composant le corps de la gendarmerie.
Le 4 pluviôse (23 janvier 1797), le chef d’escadron Crozat, de la 10e division de gendarmerie à Perpignan, écrivait aux administrateurs du département des Pyrénées-Orientales :
« Citoyens. Le ministre de la Guerre m’ayant fait demander par l’inspecteur de nouveaux renseignements sur le compte des officiers et sous-officiers de la division que je commande, je pense que personne mieux que vous, citoyens, ne peut fournir à cet égard des données plus justes et plus légales qui, jointes à celles que j’ai demandées à l’administration municipale et à celles du corps, pourront produire le résultat que le ministre désire. Salut et fraternité ».
L’épuration, on le voit, était déjà soigneusement préparée quand la loi du 25 pluviôse vint prescrire, en son article 1er, le licenciement de la gendarmerie à cheval faisant le service de l’intérieur.
Pour cette fois seulement, tous les officiers étaient à la nomination du Directoire. Les sous-officiers et gendarmes étaient admis par un jury d’examen siégeant au chef-lieu du département. Ce jury était composé, outre le chef de division, des officiers de gendarmerie du département, que le Directoire venait de nommer, de deux membres de l’administration centrale du département, du président du tribunal de police correctionnelle le plus voisin, de l’accusateur public et du commissaire du Directoire exécutif près du tribunal criminel. Les officiers, sous-officiers et gendarmes non conservés obtenaient une pension de retraite s’ils y avaient droit ; dans le cas contraire, les officiers et sous-officiers étaient réformés et les gendarmes placés dans la ligne.
Les jurys prévus par la loi du 25 pluviôse avaient été institués pour épurer un personnel qui, après l’obligation des certificats de civisme et les destitutions et nominations prononcées par les représentants du peuple en mission, se trouvait composé, en grande majorité, de sujets animés envers la Révolution d’une fidélité à toute épreuve.
Ce loyalisme révolutionnaire, en effet, n’avait pas paru conciliable, sous le Directoire, avec l’opinion générale de la nation qui déjà, en 1795, avait envoyé aux Cinq-Cents une majorité de députés à tendance antijacobine. Aussi, beaucoup de sous-officiers et gendarmes furent-ils réformés, par les jurys départementaux, « par suite de la défaveur qui pesait sur des sujets dont l’attachement à la République était le plus prononcé ».
La riposte à cette mesure politique ne fut pas longtemps différée. Le 18 fructidor an V (4 septembre 1797), le général Augereau était l’instrument d’un coup de force qui chassait la fraction modérée des conseils. Trois jours après commençait l’épuration des officiers de gendarmerie nommés après le 25 pluviôse. Un mois plus tard, c’était le tour des sous-officiers et des gendarmes.
Le 13 ventôse an VI (3 mars 1798), le général Scherer, qui avait remplacé Petiet au ministère de la Guerre, s’adressait dans les termes suivants aux nouveaux jurys de révision du personnel de la gendarmerie : « La journée du 18 fructidor, citoyens, est l’époque mémorable d’une régénération politique qui devait nécessairement s’étendre sur la Gendarmerie nationale ». Ce langage signifiait qu’en présence de la situation nouvelle créée par le coup d’État, il était devenu nécessaire de réviser les nominations ordonnées dans la gendarmerie par les précédentes assemblées.
Dès le 21 fructidor, en effet, une loi autorisait le Directoire à rectifier les choix d’officiers de la Gendarmerie nationale nommés après le 25 pluviôse ; cependant, les officiers non conservés dans la nouvelle organisation pouvaient être élus aux places de sous-officiers dans le même corps.
Le 18 vendémiaire an VI (9 octobre 1797), une loi soumettait à un jury de révision, en ce qui concerne la troupe, les opérations des jurys créés par la loi du 25 pluviôse an V. Dans chaque département, le jury de révision avait une composition analogue à celle des jurys établis par la loi du 25 pluviôse. Les sous-officiers non conservés pouvaient être appelés à un grade inférieur, même aux fonctions de simple gendarme. Par une disposition qui montre combien l’instruction était peu répandue, les jurys pouvaient admettre, dans chaque brigade, un gendarme ne remplissant pas les conditions de savoir lire et écrire correctement(13).
Par sa circulaire du 13 ventôse an VI (3 mars 1798), le général Scherer, ministre de la Guerre, faisait connaître aux citoyens composant les jurys de révision qu’ils auraient beaucoup d’injustices à réparer. Tandis que des militaires avaient été réformés à cause de leur attachement prononcé à la République, on en avait conservé d’autres pour lesquels un incivisme notoire aurait dû être un motif d’exclusion. Il était d’ailleurs recommandé aux jurys de n’admettre que des militaires d’une conduite irréprochable, car « des individus sans moralité ne sauraient prétendre au titre de républicains ». Toutes les opérations effectuées par les premiers jurys devaient être révisées. Le ministre présumait qu’une loi prochaine augmenterait le nombre des brigades et celui des officiers, ce qui eut lieu, en effet, le 28 germinal an VI.
La loi de germinal, qui sert encore aujourd’hui de base au service de la gendarmerie, prit des précautions afin de pouvoir apprécier le « républicanisme » des sous-officiers et gendarmes ; mais le 18 brumaire vint rendre ces précautions sans objet, et ici s’arrête, tout naturellement, l’étude des épurations de la gendarmerie durant la période révolutionnaire.
Nous avons montré l’origine et les organisations successives de la gendarmerie des tribunaux rattachée, on le sait, à la gendarmerie départementale. Lors de sa première formation au moyen des éléments de la compagnie de robe-courte, la gendarmerie des tribunaux, comme toutes les formations issues de la maréchaussée, avait eu un bon recrutement.
Sans doute, Madame Roland, bien placée pour observer puisqu’elle avait été enfermée successivement à l’Abbaye et à Sainte-Pélagie avant d’aller à la Conciergerie, avait-elle vu dans les prisons « les voleurs de profession conserver leurs intrigues, communiquer entre eux et au dehors, et dérober encore du fond de la prison en partageant avec le serviteur du lieu ou le gendarme qui paraît le garder ».
Néanmoins, le corps de la gendarmerie des tribunaux, malgré le service ingrat et pénible dont il était chargé, avait donné satisfaction aux divers pouvoirs établis. Taine constate que cette troupe savait faire preuve de modérantisme. Au 9 thermidor, elle avait vaillamment fait son devoir en saisissant le général Hanriot, commandant de la force armée, décrété d’arrestation par la Convention. Gossin avait même déclaré, le 6 janvier 1795, à la séance de la Convention, que cette force armée faisait « avec incorruptibilité un service incalculable ».
Mais les accroissements successifs des effectifs de cette troupe avaient eu pour effet l’admission dans ce corps d’éléments douteux ; en outre, cette force présentait tous les inconvénients et les dangers d’une formation isolée.
La loi de 1791 l’avait fait placer, très sagement, sous la dépendance des chefs de la gendarmerie départementale ; mais nous avons vu que cette situation avait changé. Gossin constatait que la gendarmerie des tribunaux se trouvait « en hors-d’œuvre ». Elle aurait pu devenir ainsi l’instrument d’un sauveur ; en réalité, elle prit parti pour l’émeute ; nous verrons qu’à la stupéfaction de la Convention, elle favorisa les insurgés de prairial et qu’elle partagea le funeste sort des divisions de gendarmerie parisienne licenciées à la suite de cet événement par la loi du 6 prairial an III (25 mai 1795), comme on le verra par la suite.
Le service des tribunaux et des prisons fut assuré par la garde nationale jusqu’à la création de la légion de police générale où furent admis les hommes ayant appartenu à la gendarmerie des tribunaux, et qui finit elle-même dans la trahison.
Garde nationale
Une étude des vicissitudes de la garde nationale se confondant nécessairement avec l’histoire politique, nous nous bornerons à rappeler les faits essentiels.
Nous savons déjà comment fut créée la garde nationale parisienne ; rappelons, cependant, que, dès le 20 avril 1789, Paris avait été divisé en soixante districts pour la nomination des électeurs qui devaient choisir les députés aux États généraux, et que ce furent ces électeurs qui, le 13 juillet, décidèrent la création d’une milice parisienne.
L’exemple donné par la ville de Paris fut suivi par la plupart des communes de France où des gardes nationales furent organisées. La garde nationale parisienne, commandée par La Fayette, fut d’abord composée d’un État-Major général et de sept divisions dont six d’infanterie et une de cavalerie. Chacun des soixante districts de la capitale ayant été appelé à fournir un bataillon d’infanterie, chaque division d’infanterie fut composée de dix bataillons. Chaque bataillon portait le nom d’un district ou d’une section de la ville, et se composait de cinq compagnies de fusiliers d’environ cent hommes chacune. Une de ces compagnies était soldée et était dite compagnie du centre. Il y avait, en outre, une autre compagnie soldée, destinée à donner main-forte à la police des halles. Chaque bataillon avait un drapeau et chaque compagnie une flamme. La cavalerie formait une division composée d’un état-major et de huit compagnies soldées de cent hommes chacune.
Peu après, six compagnies de chasseurs soldés furent encore créées et destinées au service des barrières. Il fut aussi créé, avec des éléments provenant de la garde de Paris, six compagnies soldées de cent hommes pour la garde des îles, quais et ports de la ville ; certains éléments assurèrent la garde de Bicêtre et de la Salpêtrière.
L’effectif de la garde nationale s’accrut encore par l’adjonction, aux cinq compagnies de fusiliers de chaque bataillon, d’une compagnie de grenadiers soldés et d’une de chasseurs soldés. Bientôt, une section d’artillerie de deux pièces fut attachée à chaque compagnie de grenadiers soldés.
De la sorte, jusqu’à la réforme du 28 août 1791 qui créa les divisions de Gendarmerie nationale parisienne, et sur laquelle nous reviendrons plus loin, la garde nationale parisienne se trouva composée de 46 787 hommes divisés en deux catégories, l’une soldée et l’autre non soldée.
La première, qui comprenait 8751 fantassins et 813 cavaliers et recevait une solde plus forte que celle de l’armée, fut recrutée parmi les gardes-françaises insurgées et les soldats débandés des régiments. Quant aux 37 225 hommes de la seconde catégorie, c’étaient des volontaires, citoyens de Paris, appartenant à la bourgeoisie.
Telle était la troupe à la tête de laquelle La Fayette avait la mission de maintenir la tranquillité publique et de faire exécuter les lois décrétées par l’Assemblée nationale.
À ses débuts, la garde nationale parisienne ne prit part à aucun événement remarquable ; mais on sait qu’elle sauva la famille royale au 6 octobre 1789. Elle devint si populaire que tout le monde voulut en être. Il se forma des bataillons d’enfants et de vieillards (vétérans). Nous rappellerons que, le 14 juillet 1790, anniversaire de la prise de la Bastille, eut lieu à Paris, sur l’initiative de Bailly, maire de la capitale, la fédération de toutes les gardes nationales de France. Rappelons encore que la loi du 27 juin 1790 supprima les soixante districts de la capitale et divisa Paris en quarante-huit sections auxquelles on délégua les attributions de police qu’avaient jusqu’alors possédées les districts.
La garde nationale n’avait été soumise, à l’origine, qu’aux règlements municipaux ; mais un décret de l’Assemblée constituante, du 6 décembre 1790, ordonna à tous les citoyens actifs du royaume de s’inscrire comme gardes nationaux. La loi du 27 septembre 1791 fut la première loi organique de la garde nationale : ses devoirs étaient de maintenir l’ordre public, d’assurer l’indépendance de l’Assemblée nationale et de donner main-forte à la loi.
Sauf la dispersion du rassemblement du Champ de Mars, le 16 juillet, aucun événement notable ne marqua, en 1791, l’activité de la garde nationale parisienne.
Fidèle au roi, à la loi et à la nation, la garde nationale était résolue à défendre la Constitution. Pour elle, La Fayette en avait fait le serment à la fête de la Fédération ; mais, quelle allait être l’attitude de la garde citoyenne, sous la Législative, en présence des partis qui divisaient l’Assemblée ? La Fayette n’était plus commandant général, et Pétion, maire de Paris, à qui elle devait obéissance, était républicain. Une ère de difficultés allait s’ouvrir et démontra qu’armer les citoyens pour le maintien de l’ordre est une mesure dangereuse, et qu’une garde nationale peut se transformer, avec une facilité extrême, en instrument de révolution.
Le 20 juin 1792, l’enceinte de l’Assemblée législative et la demeure royale sont violées par la faute du maire Pétion qui, s’il n’a pas favorisé l’attroupement, n’a du moins rien fait pour l’empêcher. Blessés dans leur amour-propre, les gardes nationaux prennent l’initiative d’une pétition qui se couvre de vingt mille signatures et demande à l’Assemblée la répression de l’attentat.
Le mois suivant, nouvelle humiliation. Le ministre de la Guerre Servan propose à l’Assemblée de former un camp de vingt mille fédérés destinés à protéger l’Assemblée et la capitale. N’était-ce pas offenser les gardes nationaux que de supposer qu’ils étaient hors d’état de défendre la représentation nationale ou de se défendre eux-mêmes ? Huit mille d’entre eux adressèrent une protestation à l’Assemblée.
Il apparaissait clairement, aux yeux des partis avancés, que la garde nationale était demeurée loyaliste et pourrait s’opposer au renversement de la Constitution. L’épuration de ce corps fut décidée.
Les circonstances étaient favorables. La menace étrangère, l’irritation des esprits permettaient de trouver parmi de nouveaux officiers des hommes destinés à seconder le parti républicain. C’est ainsi qu’on décida, par décret des 6-20 juillet, de renvoyer tous les états-majors dans les villes de plus de cinquante mille habitants, et d’en faire élire de nouveaux. Effectivement, la dissolution de l’état-major et la nomination de nouveaux officiers écarta un grand nombre de constitutionnels et amena à la tête de la garde nationale parisienne un certain nombre de républicains.
Dès lors, les événements se précipitent. Par décret des 25-28 juillet, l’Assemblée nationale met toutes les sections de Paris en permanence. La majorité se prononce pour la déchéance du roi. C’est donc la population presque tout entière qui se trouve ainsi appelée à délibérer sur les affaires publiques. Les sections étant souveraines, le maire n’a plus guère d’autorité. Quant à la garde nationale, elle est moralement anéantie : les mêmes hommes qui, ayant délibéré dans les sections comme citoyens, sont appelés à maintenir l’ordre public, seront évidemment peu disposés à défendre, comme gardes nationaux, le Gouvernement qu’ils auront combattu comme citoyens.
Aussi, à la veille du 10 août, la garde nationale était-elle divisée de la même manière que l’Assemblée législative. C’était déjà le sabre de M. J. Prudhomme, pouvant servir à défendre Louis XVI et, au besoin, à le renverser. Ainsi s’explique aisément la défection, au cours de cette journée, d’une grande partie de la garde nationale dont les insurgés avaient pris au préalable la précaution d’abattre la tête, le commandant général Mandat.
Après le 10 août, l’autorité resta dans les mains des insurgés qui avaient expulsé la municipalité constitutionnelle. La garde nationale parisienne, qui disparut, en quelque sorte, par le seul fait de l’insurrection, allait être organisée sur de nouvelles bases. Commandée par Santerre, elle fut composée de manière à exécuter les volontés de la nouvelle municipalité.
Ce furent les quarante-huit sections armées, recrutées non point uniquement parmi les citoyens actifs comme l’avait voulu la Constituante, mais encore parmi tous les individus ayant les moyens de vivre par leur travail. On écarta seulement les mendiants et aussi les domestiques, leurs maîtres pouvant être suspects d’incivisme.
Les sections armées, ainsi constituées, renfermaient encore beaucoup de citoyens jouissant de quelque indépendance, que la Commune voyait d’un mauvais œil. Une nouvelle épuration parut nécessaire pour écarter des sections armées, des hommes des classes moyennes. On désarma et on arrêta les gardes nationaux qui s’étaient opposés à la formation du camp de fédérés sous Paris, ceux qui avaient désapprouvé l’attentat du 20 juin, et tous ceux qui furent considérés comme suspects. Par contre, on recruta les indigents et on les arma en leur accordant une solde journalière de 40 sous.
C’est ainsi que fut constituée une armée soldée avec toute la populace de Paris. Santerre, commandant général de cette armée, ne fit rien pour s’opposer aux massacres de septembre. Il est vrai qu’il n’avait reçu, à cet effet, aucune réquisition de la municipalité.
Aucune discipline n’existait dans les sections armées ; elles étaient dans une désorganisation complète quand la Convention se réunit. Tous les hommes paisibles avaient quitté le corps. La sûreté de Paris fut livrée au hasard. La Commune et la populace y pouvaient tout entreprendre.
La garde nationale parisienne organisée par la Constituante, et les sections armées levées après le 10 août, avaient un caractère commun : chacune de ces deux forces était issue de l’insurrection ; mais, tandis que la garde nationale s’attacha à la protection des autorités reconnues ou établies, les sections armées ne furent propres qu’à opprimer la représentation nationale : on le vit bien, le 31 mai 1793, lors de la proscription des Girondins.
Au surplus, chaque progrès de la Terreur accentuait la désagrégation de la force publique. Après le 10 août 1792, nous avons vu des indigents admis dans la garde citoyenne. Après le 31 mai 1793, la solde journalière de 40 sous fut accordée à tous les ouvriers, à tous les prolétaires qui serviraient dans les sections. Henriot était le chef de cette troupe qui n’avait plus de la garde nationale que le nom.
Ce n’est pas tout. Il était prudent, aux yeux des terroristes, de ne laisser aucune ombre d’influence aux véritables membres de la garde nationale. À cet effet, le 4 juin, la Convention vota un décret organisant l’armée révolutionnaire, dont l’état-major fut rempli des hommes les plus violents et les plus disposés à seconder les desseins de la Commune. Ce fut la troupe que l’historien Antoine Hadengue a appelée « les gardes rouges de l’an II ».
Mais on sait comment la Convention, après avoir été longtemps dominée, s’insurgea à son tour contre ses oppresseurs, et ce fut le 9 thermidor an II (27 juillet 1794), où la Convention ne finit par triompher de la Commune, maîtresse des sections armées, qu’après avoir mis hors la loi les officiers municipaux.
Après le 9 thermidor, la Convention devait nécessairement entreprendre, encore une fois, l’épuration de la garde nationale. Elle rapporta le décret qui accordait 40 sous aux indigents qui assistaient aux séances. Par un décret du 1er pluviôse an III (19 janvier 1795), elle ordonna la réélection des officiers et sous-officiers.
Le premier résultat de ces mesures fut l’indépendance de la représentation nationale lors des insurrections des 5 et 12 germinal an III (25 mars et 1er avril 1795). Le 28 germinal an III (17 avril 1795), la Convention régla par décret spécial l’organisation de la garde nationale de Paris. En outre, elle rappela cette force au principe de son institution en dispensant du service toutes les personnes qui n’avaient pas le moyen de le faire gratuitement, ainsi que diverses catégories de fonctionnaires.
Malgré ces précautions, à la journée du 1er prairial suivant (20 mai), une partie des sections se trouva dans le complot. Pour la première fois, la Convention, pour assurer sa protection, fit appel aux troupes de ligne placées sous les ordres du général Menou, commandant l’armée de l’intérieur.
Le 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795), une partie de la garde nationale se trouva de nouveau dans les rangs de l’insurrection. Bonaparte, à la tête des troupes, sauva la Convention. L’Assemblée destitua l’état-major de la garde nationale qu’elle plaça sous les ordres du commandant de l’armée de l’intérieur, tout en prononçant la dissolution d’un certain nombre de compagnies de garde citoyenne.
On a beaucoup reproché à la Convention d’avoir appelé à son aide les troupes de ligne contre le peuple insurgé et d’avoir inauguré ainsi le Gouvernement militaire. Il faut cependant considérer que les attaques réitérées dirigées contre l’Assemblée par une garde nationale divisée par la politique ne pouvaient qu’affaiblir la confiance du Gouvernement dans cette institution, et lui apprendre à chercher dans l’armée un appui contre les citoyens.
Le Directoire réorganisa la garde nationale ; mais, comme la Convention à son déclin, elle ne sut employer pour son salut que la force militaire. C’est ainsi qu’on vit les troupes en action contre les insurgés, au camp de Grenelle, le 23 fructidor an IV (9 septembre 1796) ; mais on les vit entreprendre aussi contre la représentation nationale elle-même, le 18 fructidor an V (4 septembre 1797), et le 18 brumaire an VII (9 novembre 1799).
Sous Bonaparte, les citoyens ne furent plus appelés à nommer les officiers de garde nationale. La garde citoyenne perdait tout prestige au moment où s’achevait la Révolution qui lui avait donné naissance.
Divisions de Gendarmerie nationale parisienne
Ces divisions étaient destinées au service de la capitale. Bien que les événements extérieurs aient obligé la Convention à les employer aussi à la défense des frontières, le rôle de ces unités à l’intérieur de la ville de Paris est le seul qui vous intéresse ici. Elles avaient été formées avec les citoyens dont le dévouement à la Révolution s’était manifesté dès le mois de juillet 1789, parce qu’on avait estimé que « les citoyens ayant contribué le plus efficacement à la première conquête de la liberté devaient être appelés de préférence à la défendre ».
En réalité, les 29e et 30e divisions, composées des anciennes gardes-françaises insurgées et d’un grand nombre de déserteurs, comprenaient de nombreux individus de valeur douteuse, et c’est avec des éléments de même nature que les gouvernants, persévérant dans leur dessein, avaient recruté les 33e, 34e et 35e divisions. Appelées à combattre l’ennemi extérieur et les insurgés vendéens, ces troupes surent faire preuve de bravoure(14) ; néanmoins, en incorporant dans la gendarmerie parisienne des mécontents et des indisciplinés, les Assemblées avaient créé, en réalité, une force insurrectionnelle.
Sur la création des 33e et 34e divisions, on lit dans Taine : « Les anciens soldats des gardes-françaises étaient distribués dans les régiments ; l’Assemblée ordonna qu’ils seraient réunis en corps de gendarmerie. Leurs dispositions ne pouvaient être douteuses, puisqu’ils avaient commencé la Révolution. On objecta vainement que ces soldats, presque tous sous-officiers dans l’armée, en composaient la principale force. L’Assemblée n’écouta rien, redoutant l’ennemi du dedans beaucoup plus que l’ennemi du dehors ».
En autorisant les gardes-françaises et les soldats ralliés à la Révolution à entrer dans les divisions de gendarmerie parisienne, les assemblées récompensaient la désobéissance dont ces militaires s’étaient rendus coupables envers leurs chefs en juillet 1789 ; cette origine insurrectionnelle devait nécessairement peser sur les destinées de l’institution.
Il n’est point surprenant qu’une gendarmerie ainsi recrutée, sur qui l’on comptait, cependant, pour affermir la Constitution sur des bases inébranlables(15), ait abandonné au Louvre, le 10 août 1792, les postes qui lui étaient confiés, ce qui contribua, d’ailleurs, à la chute de la royauté.
Déjà, vers six heures du matin, lorsque les insurgés de la rive gauche, renforcés des fédérés marseillais, arrivèrent au Carrousel, la gendarmerie à cheval, qui occupait la place, se replia sans résistance sur le Petit Carrousel, et ce repliement était le prélude de défections beaucoup plus graves. Après le départ du roi, on vit beaucoup de gendarmes, le chapeau au bout des baïonnettes, quitter le château dont ils avaient la garde avec les Suisses, en criant : « Vive la nation ! » Et dans la suite, lorsque les Suisses, soutenant une lutte héroïque, réussirent à dégager la cour royale, à faire une sortie heureuse du côté du jardin des Tuileries et à pénétrer au Carrousel, la victoire aurait sans doute couronné leurs efforts si les gendarmes du Petit Carrousel, au lieu de charger les assiégeants repoussés par les Suisses, n’avaient déserté leur poste pour charger au contraire ces derniers dans la cour de Marsan, tandis que les canons des Marseillais, opportunément renforcés, arrêtaient l’élan des Suisses sur le Carrousel.
Les gendarmes, dans cette journée, avaient refusé d’obéir à leurs chefs. Les sous-officiers se joignirent à eux pour présenter une adresse tendant au licenciement de leurs états-majors et de leurs officiers.
Un premier décret, du 13 août 1792, licencia tous les officiers du corps de gendarmerie existant dans l’étendue du département de Paris, et autorisa les gendarmes à se réunir pour procéder à la nomination de nouveaux officiers. Cependant, pouvaient être réélus ceux des officiers qui, par leur civisme et leur patriotisme, avaient su mériter la confiance de leurs subordonnés. Un deuxième décret, du même jour, précisa que les sous-officiers n’étaient pas compris dans le licenciement.
Un décret du 15 août régla la procédure à suivre pour le remplacement des officiers de tous les corps de gendarmerie de Paris. L’élection devait avoir lieu sous la surveillance de la municipalité. Les sous-officiers et gendarmes pouvaient faire les choix dans leur sein, pourvu que les élus eussent fait un service actif dans la gendarmerie depuis le commencement de son organisation. Ils pouvaient choisir, hors de leur sein, ceux de leurs officiers qui méritaient d’être réélus, ainsi que des sujets ayant fait un congé de huit ans dans les troupes de ligne, ou servi le même temps en qualité d’officiers. Une procédure analogue était suivie pour le remplacement des officiers des compagnies de service auprès du Corps législatif.
Beaucoup d’officiers se trouvant peu fortunés, une loi des 11-13 septembre 1792 accorda aux officiers de gendarmerie licenciés qui n’étaient pas rentrés dans la ligne, une pension égale à autant de cinquantièmes des appointements afférents à leur grade qu’ils avaient d’années de service.
L’attitude de l’Assemblée, pleine d’égards envers les gendarmes parisiens qui avaient fait défection au cours de l’action, et dont elle paraissait reconnaître ainsi le droit à se démettre de leurs fonctions en toutes circonstances, contrastait singulièrement avec son décret du même jour (10 août) relatif à la suspension du pouvoir exécutif et dont l’article 9 disposait : « Tout fonctionnaire public, tout soldat, sous-officier, officier de quelque grade qu’il soit et général d’armée qui, dans ces jours d’alarmes, abandonnera son poste, est déclaré infâme et traître à la patrie ».
Le zèle révolutionnaire déployé le 10 août par les gendarmes parisiens, dont la plupart avaient contribué déjà à la prise de la Bastille, et les mesures prises pour épurer la gendarmerie des départements, eurent pour effet de porter très haut, chez les conventionnels, la réputation de la gendarmerie tout entière.
Ces hommes n’avaient-ils pas, le 14 juillet, abattu la monarchie absolue ? En faisant défection à la journée du 10 août, n’avaient-ils pas contribué au succès d’une insurrection qui, en renversant la monarchie constitutionnelle, préserva peut-être la capitale d’une invasion prussienne ?
Les « patriotes » ne devaient plus tarir d’éloges à l’égard de ces gendarmes qui, les premiers, disait-on, « avaient terrassé les satellites du despotisme et détruit les repaires de la tyrannie ». La Convention tenait en haute estime cette troupe qui « avait vu naître la liberté », et lui fournissait des hommes sûrs pour conduire à la guillotine le roi Louis XVI ou Marie-Antoinette, Girondins ou Hébertistes, aussi bien que Danton ou Robespierre.
La gendarmerie parisienne se montra longtemps digne de cette confiance, même au 9 thermidor, où le loyalisme de la force publique fut mis pourtant à une rude épreuve. Jamais, peut-être, la question de savoir où est le devoir n’a été autant de nature à embarrasser la force armée que dans cette soirée du 9 thermidor, dans les détails de laquelle nous ne pouvons entrer ici.
D’une manière générale, sauf une défaillance lors de la délivrance d’Henriot, décrété d’accusation, la gendarmerie, dans cette journée mémorable, avait obéi à la Convention ou n’avait rien entrepris contre elle.
Sans doute, les gendarmes firent-ils encore leur devoir lors de l’insurrection du 12 germinal an III (1er avril 1795) ; mais il était fatal que des hommes récompensés pour avoir désobéi à leurs chefs en 1789 et 1792 inclineraient aisément du côté de l’émeute et finiraient par désobéir à la Convention elle-même. Cet événement se produisit lors de la célèbre journée de prairial (1er prairial an III, 20 mai 1795) :
« Nous avons pour nous les braves gendarmes », aurait dit une femme ayant participé à l’insurrection. De fait, un grand nombre de gendarmes firent preuve de mollesse et pactisèrent avec les émeutiers, tandis que la gendarmerie des tribunaux, envoyée par le représentant Duntzel pour garder l’Arsenal, lâchait pied et passait au camp des insurgés.
Ayant néanmoins repris le dessus, la Convention institua une commission militaire pour juger ceux qu’elle présumait coupables. Plusieurs Montagnards, représentants du peuple, furent parmi les accusés. La vengeance de la Convention à l’égard des gendarmes fut éclatante. Elle commença par faire traduire devant la commission militaire ceux qu’on avait pu saisir. Dès le 5 prairial (24 mai), le lieutenant Legrand et vingt-trois gendarmes, qui avaient passé de l’Arsenal dans les rangs du peuple, comparurent devant la commission.
« Nous avons été corrompus par les insurgés, disaient-ils pour leur défense ; dans le faubourg, nous avions le sabre au fourreau ». Cette excuse ne fut pas jugée valable. Le lieutenant Legrand et dix-huit gendarmes furent condamnés à mort et guillotinés. Cinq gendarmes furent condamnés à un an de fers.
Mais la Convention voulut flétrir le corps tout entier en infligeant un ordre du jour humiliant à la gendarmerie des tribunaux et à certains éléments des 29e, 32e et 35e divisions, devant la force armée en bataille sur la place de la Révolution, le 6 prairial an III (25 mai 1795). Cet ordre du jour s’achevait ainsi :
« En conséquence, nous, représentants du peuple chargés de la direction de la force armée, et en vertu des pouvoirs qui nous sont confiés par la Convention nationale, arrêtons ce qui suit :
- Article 1. La Gendarmerie nationale attachée au service des tribunaux de Paris, ainsi que les gendarmes des 32e et 35e divisions actuellement dans cette ville, sont licenciés comme incapables de servir la République ; il leur est enjoint, à cet effet, de déposer sur-le-champ toutes les armes en faisceau, en face de la troupe sous les armes.
- Article 2. À compter de ce jour, toute solde cessera vis-à-vis de ce corps dont les fonctions seront remplies par la garde nationale de Paris et les troupes de ligne, en attendant les nouvelles mesures qui seront adoptées à cet égard ».
D’autres dispositions de l’arrêté ordonnaient le désarmement des déserteurs de la 29e division et enjoignaient aux gendarmes, tant des tribunaux que des 29e, 32e et 35e divisions, qui n’étaient pas domiciliés à Paris, d’en sortir dans les vingt-quatre heures, etc.
Toutefois, la Convention ne voulant frapper que les coupables, décidait de procéder à une épuration, de rendre leurs armes à ceux qui seraient reconnus innocents et de les mettre à même de servir la République. Profitant de ces dispositions, trois gendarmes des tribunaux et sept de la 32e division, acquittés par la Commission le 9 prairial (28 mai), furent envoyés, les uns aux Jacobins, les autres aux Carmélites, en attendant l’épuration du corps.
Mais, un mois après les événements de prairial, un décret du 9 messidor an III (27 juin 1795) licenciait définitivement la gendarmerie de Paris. Par une curieuse coïncidence, cette troupe, dont plusieurs éléments avaient contribué à la chute de la monarchie, disparaissait en même temps que les derniers Montagnards, chassés par la réaction thermidorienne du sein de la Convention, et qu’un espoir de revanche avait rassemblé dans les rangs des émeutiers de prairial.
L’événement avait prouvé qu’il ne suffisait pas de proclamer dans la Constitution cette maxime que la force publique « est essentiellement obéissante ». Seule, une organisation prévoyante peut assurer l’obéissance.
On connaît les précautions prises de nos jours pour que la gendarmerie départementale et la Garde républicaine entourent les libertés civiles du respect dont elles ne se sont jamais départies. Tel n’était pas le cas des divisions de Gendarmerie nationale parisienne. Sans autre lien avec le pouvoir civil que le droit de réquisition exercé par la Commune, maîtresse de la police, ces unités ne vivaient pas dans cette atmosphère de loyalisme qu’entretiennent, de nos jours, des rapports réguliers de service avec les diverses autorités. Rien ne s’opposait à ce que cette troupe, née de l’émeute, ne vînt, suivant une pente naturelle, sombrer un jour dans l’insurrection.
Légion de police générale
Nous savons déjà que, le jour où la gendarmerie était licenciée (9 messidor an III, 27 juin 1795), un deuxième décret créait à Paris un corps de troupes sous le nom de légion de police générale.
La légion avait été recrutée parmi les militaires de toutes armes, âgés de vingt-cinq ans, sachant lire et écrire ; mais la Convention, persévérant toujours dans son erreur, avait appelé aussi dans ce corps les gendarmes licenciés tant des divisions que des tribunaux ; elle avait commis ainsi une grande imprudence. Il est bien vrai, cependant, que la légion de police fit son devoir, sous Bonaparte, à la journée du 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795) ; une loi du lendemain la comprit même parmi les troupes ayant bien mérité de la patrie ; mais, l’année suivante, elle versa dans le communisme.
Le ministre de la Police(16), Cochon de Lapparent, à qui la conspiration de Babeuf avait été dénoncée par le capitaine Grisel, de l’armée de l’intérieur, la laissa se continuer pour en saisir tous les fils et fit arrêter Babeuf et ses complices le 20 floréal an IV (9 mai 1796).
La légion de police, où Babeuf avait pratiqué des intelligences, s’était mutinée prématurément. Le 5 floréal an IV (24 avril 1796), elle avait été assimilée aux autres troupes de la République et mise à la disposition du Directoire exécutif ; mais, en présence de la résistance de certains éléments de la légion à l’exécution de cette loi, les 2e et 3e bataillons furent licenciés le 9 floréal et désarmés par les troupes de ligne. Le lendemain 10 floréal (29 avril), le 1er bataillon subissait le même sort, et un arrêté du Directoire supprimait le nom de légion de police.
Cependant, les éléments demeurés fidèles servirent à la formation d’un régiment de dragons (21e). Lors de l’affaire du camp de Grenelle (23 fructidor an IV, 9 septembre 1796), ce régiment fit son devoir en recevant à coups de sabre les conjurés qui tentaient de le gagner en disant qu’ils venaient fraterniser avec lui.
On renonça à confier la sûreté de la ville de Paris à des éléments de gendarmerie pris dans la capitale. On fit appel à des détachements de gendarmes tirés de la province, et dont les officiers devaient être étrangers à la ville de Paris. Ces détachements vinrent seconder le ministre de la Police générale qui, à la surveillance politique pour déjouer les complots et contenir les séditieux, joignait les attributions de la police municipale sur tout le territoire de la République.
Ce système fut en vigueur jusqu’au 4 octobre 1802, date de la création, par le Premier Consul, de la garde municipale de Paris.
Nous avons vu le sort qui fut réservé pendant la Révolution aux principaux éléments de la force publique.
Les événements où se joua le destin de ces institutions démontrèrent que, s’il est du devoir des gouvernements d’organiser et de maintenir, sur des bases sûres, une force publique obéissante et fidèle, les assemblées révolutionnaires faillirent à leur tâche.
Certes, la gendarmerie départementale, issue de la maréchaussée, reposait sur une base solide de nature à assurer le loyalisme du personnel ; cependant, les deux premiers essais d’organisation de
1791 et 1792 conduisirent à un échec dû, en grande partie, à l’action pernicieuse de la politique. Le troisième essai, tenté sous le Directoire par la loi du 25 pluviôse an V, était voué au même insuccès, car, sans atténuer les vices principaux des premières organisations, le législateur, sous prétexte d’épuration, allait communiquer à la gendarmerie l’instabilité qui caractérisait, à cette époque, le régime politique.
La garde nationale, née de l’émeute, ne tarda pas à dégénérer en instrument de révolte. Relevant directement du pouvoir communal, intimement mêlée aux luttes des partis, elle ne cessa de constituer un danger pour les gouvernements successifs, jusqu’au jour où Bonaparte la réduisit à l’impuissance.
Les divisions de Gendarmerie nationale parisienne, issues de la garde nationale, étaient une force militaire qui sut rendre de précieux services ; mais, presque uniquement recrutée, comme la garde citoyenne à ses débuts, parmi les émeutiers de juillet et les soldats déserteurs, elle était condamnée à pactiser avec l’émeute.
Le même sort, enfin, était fatalement réservé à la légion de police générale, dont les éléments provenaient en grande partie des formations infidèles dissoutes.
En résumé, une grande leçon, dont les gouvernements ultérieurs ne surent pas toujours profiter, se dégageait nettement de l’expérience révolutionnaire. Pour que l’État puisse remplir son rôle de protection intérieure et réaliser ainsi ce que l’on a appelé « le milieu libre », où les droits individuels sont assurés aussi complètement que possible, il convient d’écarter résolument la solution, condamnée par l’histoire, consistant à armer les citoyens. Cette mission, essentielle et délicate, ne peut être accomplie, dans l’ordre et le respect des lois, que par une force publique recrutée avec le plus grand soin et sévèrement soustraite aux influences locales et à l’action dissolvante de la politique.
La gendarmerie au 9 thermidor
En traitant des événements qui amenèrent la fin de la Terreur, nous avons été dans l’obligation de rappeler des faits connus de tous. Nous avons dû nous plier à cette nécessité, les incidents de la journée du 9 thermidor formant la trame de l’étude qui va suivre : celle des réactions de la force publique, au cours de cette journée mémorable.
Ce serait une erreur de considérer la force armée placée par la Commune de Paris sous les ordres d’Hanriot comme étant composée surtout d’éléments prétoriens, dédaigneux de la légalité, et ne connaissant d’autre devoir que celui de l’obéissance passive.
Certes, la question de savoir où se trouvait le devoir, dans la soirée du 9 thermidor, était de nature à embarrasser la force publique. Les deux compagnies de grenadiers de la gendarmerie, qui formaient la garde de la Convention, avaient été placées, par la loi des 11-14 septembre 1792, sous la dépendance de l’Assemblée nationale. Dans ces conditions, au cours de la lutte engagée entre l’Assemblée et la Commune, le devoir, pour les grenadiers-gendarmes, était simple : obéir à la Convention.
Selon Cassanyes, représentant des Pyrénées-Orientales à la célèbre assemblée, la Convention ne pouvait pas trop compter sur ses grenadiers. La facilité avec laquelle Hanriot, prisonnier au Comité de sûreté générale, put être délivré, serait de nature à justifier l’opinion du député, si l’on ne connaissait l’énergie avec laquelle les grenadiers-gendarmes avaient participé auparavant à l’arrestation du commandant de la force armée.
Moins simple fut le devoir de la force publique placée sous les ordres de la municipalité et qui comprenait, notamment, les sections armées de garde nationale organisées après le 10 août ; les éléments des divisions de Gendarmerie nationale parisienne demeurés pendant la guerre au service de la capitale, ou revenus des armées, comme ceux de la 32e division qui s’était distinguée à Hondschoote, le 8 septembre 1793 ; la gendarmerie des tribunaux.
Rappelons brièvement les faits. Dans sa séance de l’après-midi du 9 thermidor, la Convention, sur la proposition de Tallien, avait décidé l’arrestation du général Hanriot, commandant la garde nationale et la force armée de Paris, et de son état-major ; elle avait voté, en même temps, la dislocation de la garde nationale dont les chefs de légion devaient prendre tour à tour le commandement général ; dans la suite, elle avait frappé d’un décret d’arrestation les deux Robespierre, Couthon, Saint-Just et Lebas, qui furent conduits au Comité de sûreté générale, c’est-à-dire dans un local dépendant de la Convention ; enfin, à cinq heures, l’Assemblée avait suspendu sa séance, laissant aux deux Comités de salut public et de sûreté générale le soin des mesures d’exécution.
Mais Hanriot, décrété d’accusation, était monté à cheval et courait les rues de Paris. Ayant appris qu’on avait arrêté cinq représentants, il organisa aussitôt un commencement de résistance aux décrets de la Convention, en rassemblant sur la place de la Commune plusieurs bataillons de sections armées, ainsi que l’escadron de gendarmerie dit « des hommes du 14 juillet ».
Ouvrons, ici, une parenthèse. L’escadron des hommes du 14 juillet avait été formé par la loi des 9-11 octobre 1792 avec des ci-devant gardes-françaises, vainqueurs de la Bastille. Il formait corps avec la 29e division de Gendarmerie nationale parisienne à cheval, que la loi du 28 août 1791 avait tirée de la fraction soldée de la garde nationale parisienne.
Cet escadron des hommes du 14 juillet comprenait dans ses rangs un ancien garde national qui avait servi dans la garde constitutionnelle de Louis XVI et que, pour cette raison, ses camarades avaient surnommé Veto. Cet homme s’est donné le nom de Méda dans un Précis historique des événements qui se sont passés dans la soirée du 9 thermidor(17), qu’il adressa au ministre de la Guerre, le 30 fructidor an X, alors qu’il était chef d’escadron au 7e hussards. En réalité, il s’appelait Merda. Au 9 thermidor, ce gendarme n’avait que vingt et un ans ; mais il était entré dans la garde nationale à seize ans ; il avait donc près de cinq ans de service et l’habitude des orages révolutionnaires ; la nature, au surplus, l’avait doué d’un courage à toute épreuve.
Les historiens, quoique parfois en désaccord sur la cause véritable de la blessure de Robespierre au moment de son arrestation, sont unanimes à mentionner l’initiative de Méda dans cette phase ultime de la lutte entre la Convention et la Commune ; mais, si l’on se reporte au Précis historique, on est forcé de convenir que ce n’est point uniquement par la blessure de Robespierre ; c’est aussi par la décision, l’initiative et l’audace dont il ne cessa de faire preuve dès l’arrestation d’Hanriot, au cours de cette soirée mémorable, que Méda contribua à la victoire de la Convention, et que son nom mérita ainsi d’être retenu par l’histoire.
Nous n’hésiterons pas à faire des emprunts au récit de Méda, dont la sincérité ne nous paraît pas contestable et qui s’achève ainsi : « Tels sont, citoyen ministre, les événements du 9 thermidor, dans lesquels j’ai figuré comme acteur ou comme spectateur, et dont plusieurs me semblent dignes d’être consignés dans l’histoire. S’il s’élevait des doutes sur quelques-uns d’entre eux, il suffirait de me les faire connaître : rappelant aussitôt les faits à la mémoire des citoyens qui étaient présents et que je nomme dans ce précis, je suis assuré qu’ils s’empresseraient de les confirmer par des témoignages qui ajouteraient encore à la part que je réclame dans le succès de cette journée ».
Reprenons donc notre récit. Après avoir harangué les sections armées, Hanriot se dirigea vers l’escadron de gendarmerie en disant : « Allons, braves gendarmes, au galop, allons délivrer les patriotes ! ». Ayant à sa tête Hanriot et ses aides de camp, la troupe fit par les quais une marche furieuse en renversant avec les chevaux une foule de citoyens. Un jeune homme ayant dit à Hanriot : « Tu n’es plus général, tu es un brigand ; gendarmes, ne l’écoutez pas ; il est en arrestation », un aide de camp lui donna un coup de sabre et le fit traîner au corps de garde de la Commune. La troupe poursuivit, toujours au galop, par les rues de la Monnaie et Saint-Honoré, répandant partout la terreur. En passant sur la place du Palais Royal, Hanriot aperçut le député Merlin de Thionville, le fit arrêter et enfermer au corps de garde du Palais.
Arrivé dans la cour du Palais national, Hanriot, sans donner aucun ordre aux gendarmes, mit pied à terre, força les portes et les consignes, arriva au Comité de sûreté générale dont le poste était commandé par le brigadier de gendarmerie Joannolle, et réussit à pénétrer, avec les aides de camp, dans la salle où Robespierre et ses collègues avaient été enfermés. Revenant ensuite vers les gendarmes, malgré, a-t-on dit, l’avis de Robespierre, il mit le sabre à la main et s’écria : « Allons, braves gendarmes, pied à terre ; allons délivrer les patriotes que ces f… gueux-là tiennent en prison ». Six ou huit gendarmes de la tête de colonne, qui était entrée dans la cour, mirent pied à terre et suivirent le général et ses aides de camp, le sabre à la main. Méda faisait partie de ce petit détachement.
La troupe se heurta aux grenadiers-gendarmes formant la garde de l’Assemblée, qui croisèrent la baïonnette. Un huissier de la Convention se jeta au milieu des gendarmes formant l’escorte d’Hanriot en criant : « Arrêtez, gendarmes ; il n’est plus votre général ; il est en arrestation ; voyez la loi ; obéissez-y ». Les grenadiers-gendarmes tombèrent sur les aides de camp ; le gendarme Méda saisit Hanriot au milieu du corps. Hanriot et ses aides de camp furent enchaînés, enfermés dans la même pièce que les députés déjà arrêtés, et confiés à la garde des grenadiers-gendarmes de la Convention.
Dans cette arrestation du commandant de la force armée et de ses aides de camp, s’étaient distingués les lieutenants de gendarmerie Hamel et Perlot, et d’autres grenadiers-gendarmes, Paulin, Lecomte et Laurent, ainsi que le gendarme Méda, de l’escorte du général. Cette opération fut-elle due à l’initiative de l’huissier de la Convention dont parle Méda dans son Précis historique ? Ou bien, fut-elle exécutée sur le conseil du gendarme Langlois, à l’instigation des représentants du peuple Courtois et Robin, comme l’indiquent les Fastes de la gloire ? Quoi qu’il en soit, cette première arrestation, par la gendarmerie, d’un général qui, dans Paris, avait à sa disposition toute la force militaire, témoignait d’une audace et d’une résolution peu communes. N’était-elle pas de nature à entraîner dans la suite toutes les troupes, par son exemple, à seconder les efforts de la Convention contre la Commune ?
On sait qu’après l’arrestation d’Hanriot, la Commune fit sonner le tocsin et poussa les sections à l’insurrection. Quelques bataillons de sections armées, plusieurs compagnies de canonniers et une grande partie de la gendarmerie étaient réunis sur la place de la Commune, par les soins de la municipalité.
On sait aussi que la Commune s’opposa à l’incarcération des cinq députés qui avaient été conduits dans diverses maisons de détention séparées, et que les prisonniers délivrés furent conduits en triomphe à l’Hôtel de Ville. Méda rapporte que les gendarmes qui conduisirent ainsi Robespierre à la maison commune, restèrent près de lui, mais dans un cabaret.
Dès lors, deux pouvoirs se trouvèrent en présence : la Convention, qui avait repris ses travaux à sept heures, et la Commune insurrectionnelle.
Quelle pouvait être, en présence de ces deux pouvoirs rivaux, l’attitude de la force publique ? Aux termes de la loi des 29 septembre - 2 novembre 1791, l’ensemble des forces parisiennes était placé, d’après les ordres exclusifs du chef de la municipalité, sous les ordres du commandant de la garde nationale. Sans doute, le décret rendu contre Hanriot avait-il eu légalement pour effet de délier la force armée de ses devoirs d’obéissance envers le commandant de la garde citoyenne, et c’est ainsi que Méda n’avait pas hésité à procéder à l’arrestation de son propre général. Sans doute, pendant la suspension de la séance de la Convention, les Comités, agissant en son nom, avaient-ils pris des arrêtés de nature à soustraire les sections à l’autorité du commandant de la garde nationale et à les placer sous l’autorité de l’Assemblée.
Mais, si toutes ces mesures tendaient à annihiler le droit, pour la Commune, de requérir la force armée, il n’en est pas moins vrai que la municipalité demeurait légalement en fonction.
Il ne semble pas que, dans une situation aussi ambiguë, les diverses fractions de la force armée, celles de la gendarmerie, notamment, aient pris parti délibérément, soit pour l’Assemblée, soit pour la Commune. Les troupes, après la destitution du général en chef que la Convention avait commis la faute de ne pas remplacer sur-le-champ, semblent, d’une manière générale, avoir longtemps obéi au hasard des ordres qu’elles pouvaient recevoir de l’un ou de l’autre des deux pouvoirs en présence.
Tel ne fut pas, cependant, le cas du gendarme Méda. Depuis sa participation active à l’arrestation du commandant en chef, Méda ne cessa de faire preuve, envers la Convention nationale, du loyalisme le plus absolu. Depuis l’arrestation d’Hanriot, le détachement d’escorte, dont faisait partie Méda, était toujours rassemblé au Comité de sûreté générale. Tandis que les officiers qui le commandaient n’avaient encore paru nulle part – ces deux officiers, le capitaine Martin et le lieutenant Bruel, étaient, selon Méda, deux officiers indignes et, de plus, ce jour-là, pris de boisson – Méda se rendait au Comité de salut public où il apportait la nouvelle de la délivrance des conjurés. Est-il vrai, comme il l’a écrit, qu’il se mêla à la séance du Comité, qu’il dit qu’il fallait marcher sur-le-champ contre la Commune et qu’on s’arrêta à cette idée ? Est-il vrai qu’à défaut d’officier, et sur l’insistance de Carnot, Méda, quoique simple gendarme, reçut l’ordre écrit – égaré depuis – de prendre le commandement au nom de la Convention, et d’aller mettre en état d’arrestation les membres de la Commune ? Si l’on considère qu’à ce moment, la Convention ne disposait, en dehors de sa garde de grenadiers-gendarmes, d’aucune autre force armée, rien ne pouvait paraître plus opportun que de faire appel au détachement dont faisait partie Méda. Rien ne permet donc de douter de l’exactitude du récit de ce dernier. Grâce à Méda, l’escadron des hommes du 14 Juillet allait donc changer de camp et se ranger du côté du pouvoir légal.
Muni de l’ordre du Comité de salut public, Méda retourne au Comité de sûreté générale pour rejoindre son détachement, montrer l’ordre à ses officiers, et l’exécuter coûte que coûte ; mais, au même moment, un grave événement se produisait au Comité de sûreté générale.
En effet, pendant que la Commune accueillait Robespierre et les autres députés délivrés, elle chargeait Coffinhal, vice-président des Jacobins, d’aller délivrer à son tour Hanriot, à l’aide d’un détachement de canonniers et de gendarmes. Cette opération fut aisément conduite. Vers huit heures du soir, Coffinhal pénétrait dans les locaux du Comité de sûreté générale et enlevait Hanriot, dont les gardiens ne faisaient aucune résistance. Faisant une sortie triomphale, le commandant de la force armée retrouve ses chevaux avec ceux de l’escadron des hommes du 14 Juillet qui l’avaient escorté. Furieux, il parle d’éventrer les gendarmes qui l’avaient arrêté. Méda, dénoncé par ses camarades, se sauve en passant sous le ventre de plusieurs chevaux, et court rendre compte, au Comité de salut public, de ce qui venait de se passer.
Au Comité de salut public, Barère reproche à Méda de n’avoir pas brûlé la cervelle à Hanriot, et veut le faire arrêter par les grenadiers. Mais Carnot prend la défense du « bon gendarme », et Méda rejoint les troupes qu’Hanriot entraînait à sa suite vers la maison commune. Les camarades de Méda, commandés par le lieutenant Bruel, suivaient le mouvement ; mais Méda réussit à les retenir. Écoutons l’auteur du Précis historique :
« J’arrive cependant assez tôt pour retenir un bataillon du Panthéon, commandé par le citoyen Sans-Gêne, et le reste de mes camarades que le lieutenant Bruel avait réunis et conduisait à la maison commune parce que, disait-il, il faut toujours suivre son général. Bruel voulant me résister, je l’arrête, et quelques-uns de mes camarades, qui m’auraient peut-être livré un moment auparavant à la fureur des partisans de Robespierre, me soutiennent jusqu’au moment où les vingt-quatre représentants, dont l’envoi dans les sections venait d’être ordonné par la Convention, sortent de la salle. Alors je fais mettre pied à terre à plusieurs gendarmes. Les représentants montent leurs chevaux et s’en vont dans les différents quartiers de Paris ».
Que s’était-il passé, en effet, à la Convention, pendant que Méda prenait le commandement des hommes du 14 Juillet ? On a souvent fait remarquer qu’Hanriot, dès qu’il fut en liberté, pouvait se rendre maître de l’Assemblée privée de défenseurs ; mais, dépourvu d’initiative, il se rendit à la Commune pour prendre des ordres, et la Convention fut sauvée.
Si l’Assemblée avait commis une faute, en ne désignant pas un nouveau commandant de la force armée, n’est-ce point parce qu’elle avait compté, tout d’abord, sur la Commune, pour assurer le maintien de la tranquillité publique ? Mais la Commune s’était insurgée en délivrant et en accueillant dans son sein les députés arrêtés, et elle venait de faire délivrer Hanriot.
Le danger auquel elle vient d’échapper dicte à la Convention les mesures d’où viendra son salut. En décrétant d’accusation le commandant de la garde nationale, elle n’a pris, manifestement, qu’une précaution insuffisante, car la loi a placé le commandant de la force armée sous l’autorité directe et exclusive de la municipalité, à laquelle Hanriot continue à obéir ; c’est donc la Commune qu’il faut abattre.
La Convention se décide ainsi à mettre hors la loi les officiers municipaux et place Barras à la tête de toutes les forces de la capitale. Dès lors, cessent réellement les pouvoirs que le chef de la municipalité tient de la loi de 1791 ; à ce moment seulement, le devoir d’obéir à la Convention, et à la Convention seule, peut apparaître clairement aux yeux de tous les éléments de la force publique.
Ainsi s’explique le facile succès des opérations dirigées par Barras dans la nuit du 9 au 10 thermidor, contre la Commune. Le nouveau commandant de la force armée commença par former des états-majors. Sept députés, désignés par la Convention, faisaient office de généraux. Les troupes des divers quartiers de Paris recevaient l’ordre de se rendre au Carrousel. Des représentants allaient haranguer les citoyens pour les décider à venir défendre la Convention ; avec eux, nous retrouvons l’escadron de gendarmerie des hommes du 14 Juillet.
Nous avons vu comment, après la délivrance d’Hanriot, Méda en avait pris le commandement. Du capitaine Martin, pas de nouvelles ; sans doute, avait-il été dépassé par les événements ; d’ailleurs, selon Méda, il était ivre. Ivre comme Hanriot lui-même. Le lieutenant Bruel, ivre également, interprétant à sa façon le devoir d’obéissance passive, avait voulu suivre Hanriot, on l’a vu, parce que, disait-il, il faut toujours suivre son général, ce qui ne saurait être vrai lorsque le général est décrété d’arrestation, lorsqu’il est hors la loi. Méda n’avait pas été du même avis que son lieutenant ; on a vu qu’il n’avait pas hésité à arrêter ce dernier, comme il avait arrêté auparavant son général, et que, fort des ordres reçus du Comité de salut public, il s’était placé à la tête du détachement.
Ainsi, après avoir été rassemblé par Hanriot, dans l’après-midi, pour aller délivrer Robespierre, l’escadron de gendarmerie des hommes du 14 Juillet forma, dans la soirée, sous le commandement de Méda, le premier noyau des troupes au service de la Convention. Méda fournit des hommes d’escorte aux représentants qui allaient alerter les citoyens. Lui-même et deux de ses camarades escortèrent les représentants Legendre, Lanthenos et Léonard Bourdon. Les sections, éclairées par les députés, envoyaient à la Convention le secours de leurs bataillons.
Cependant, une troupe importante de gardes nationaux, de canonniers et de gendarmes, rassemblés place de Grève, défendaient toujours l’Hôtel de Ville ; mais la mise hors la loi des officiers municipaux avait produit un effet dissolvant sur cette troupe, qui commençait à se désagréger.
À minuit, Barras, qui avait déjà formé un rempart de troupes considérable autour de la Convention, se trouvait prêt à attaquer la Commune. Il distribuait ses forces en six colonnes dont la mission était de cerner l’Hôtel de Ville. Ces troupes étaient commandées, les unes par Barras en personne, les autres par le député Léonard Bourdon.
Pendant ce temps, à la Commune, on le sait, tout se passait en discussions. Deux gendarmes, Muron et Gavois, y gardaient Couthon, paralytique. Robespierre disait à l’un d’eux : « Brave gendarme, j’ai toujours aimé et estimé votre corps ; soyez-nous toujours fidèle ; allez sur la porte, et faites en sorte de continuer à aigrir le peuple contre les factieux ».
Mais il était trop tard. Déjà, les troupes conventionnelles approchaient ; elles gardaient les avenues conduisant à la place de l’Hôtel-de-Ville. Méda, nous l’avons vu, escortait Léonard Bourdon à qui Barras avait confié le commandement d’une colonne d’attaque.
Léonard Bourdon ne pouvait point ne pas mettre à profit l’indomptable énergie de Méda, qui se trouvait à ses côtés. Méda rapporte que Léonard Bourdon lui laissa toute liberté pour diriger lui-même l’attaque ; nous pouvons le croire d’autant plus aisément qu’à la séance de la Convention où Léonard Bourdon demanda pour Méda l’accolade du président, le représentant débuta ainsi : « Ce brave gendarme que vous voyez ne m’a point quitté… ».
La colonne, composée d’un groupe de gendarmes et de gardes nationaux débouchait sur la place de l’Hôtel-de-Ville, par les quais. Les gendarmes, canonniers et citoyens armés au service de la Commune, qui s’y trouvaient encore, achevaient de se disperser ou ralliaient les troupes de la Convention. Harangués par Méda, les canonniers qui défendaient l’entrée de la Commune retournaient leurs pièces et les mettaient en batterie avec celles qui leur étaient opposées. Ayant réussi à se procurer le mot d’ordre de la municipalité, Léonard Bourdon put passer avec ses troupes à travers tous les postes.
Le désordre qui régnait autour des conjurés inspira à Méda un projet d’une audace peu commune. Vers deux heures, laissant Bourdon avec ses bataillons sur la place de l’Hôtel-de-Ville, il résolut de se rendre dans la salle du conseil de la Commune, suivi de quelques grenadiers, en se disant ordonnance secrète près de Robespierre. On sait comment ce projet réussit. Que s’ensuivit-il ?(18).
Méda rapporte qu’ayant visé Robespierre à la poitrine, la balle toucha le menton et cassa la mâchoire gauche inférieure. D’autres croient que Robespierre tenta de se suicider d’un coup de pistolet, tandis que Méda le blessait de son côté. D’autres, enfin, disent que Robespierre tenta simplement de se suicider ; cette thèse, d’ailleurs, est infirmée par le rapport des médecins, qui conclurent à une tentative de meurtre.
On conçoit mal que l’on puisse nier l’acte énergique de Méda. Qu’allait donc faire ce gendarme, seul ou suivi de loin par quelques grenadiers, au milieu des insurgés les plus redoutables s’il n’était décidé à user des moyens les plus violents ? D’ailleurs, le sort de sa propre existence n’était-il pas lié à la destruction de Robespierre ? Le commandant Guérin n’a pas manqué de l’observer : « Merda, dans l’après-midi du 9, s’était le premier tourné contre Hanriot et lui avait mis la main au collet. Il sentait que, si Robespierre l’emportait, il serait aussitôt guillotiné. Rien de surprenant à ce qu’il se soit résolu à un coup désespéré ».
Quelques historiens, appréciant l’acte de Méda, ont parlé d’assassinat. C’est un terme excessif : Robespierre étant hors la loi, aucune violence contre sa personne ne pouvait être criminelle.
Méda rapporte qu’il s’opposa à ce que Robespierre et Couthon, traînés par les pieds jusqu’au quai Pelletier, fussent précipités dans la Seine. Déjà, Hanriot avait été jeté à travers une fenêtre par Coffinhal qui lui reprochait sa lâcheté ; les gendarmes Charpentier et Laporte le trouvèrent dans une cour, « meurtri et sanglant ».
On sait le reste. Les gendarmes conduisirent à la guillotine Robespierre et ses partisans, comme ils y avaient conduit Danton, comme ils y auraient conduit Tallien et ses amis, si Robespierre l’avait emporté.
Après avoir reçu les honneurs de la Convention, Méda fut promu sous-lieutenant, puis s’éleva de grade en grade jusqu’à celui de colonel. Baron d’Empire, il fut blessé mortellement à la bataille de la Moskowa et nommé général.
En résumé, au cours de la lutte qui s’établit, le 9 thermidor, entre la Convention et la Commune, une troupe s’est trouvée au centre de l’action, depuis le commencement jusqu’à la fin : c’est l’escadron de gendarmerie dit des « hommes du 14 Juillet ». Des rangs de cette troupe est sorti un homme qui a joué, durant ces événements historiques, un rôle de premier plan : le gendarme Méda. L’histoire n’a guère retenu, de l’action de Méda, que le dénouement : le coup de pistolet qui donna le coup de grâce à la Commune insurrectionnelle.
Cependant, si Méda a terminé l’offensive contre l’Assemblée par un coup d’audace, ne venait-il pas de prendre une part active aux opérations sous Léonard Bourdon, et n’aurait-il pas, le premier, suggéré cette attaque au Comité de salut public ? Et, auparavant, n’avait-il pas mis le premier la main au collet d’Hanriot ?
C’est donc depuis le début du drame et jusqu’à son dénouement, que Méda a joué, sans interruption et avec efficacité, un rôle des plus importants ; mais ce rôle n’a pas été approfondi dans toute son étendue. Tout se passe, dans les divers récits du 9 thermidor, comme s’il était impossible, a priori, qu’un événement aussi considérable que la fin de la Terreur eût pu dépendre, dans une mesure appréciable, du rôle joué par un subalterne, par un miles gloriosus, suivant l’expression dédaigneuse d’un historien(19).
L’exemple de Méda, si on daigne l’approfondir, est une leçon pour les hommes politiques, aussi bien que pour les militaires. Aux militaires, à ceux de la gendarmerie en particulier, Méda rappelle qu’il existe des bornes à l’obéissance passive, et qu’aucun ordre ne saurait imposer la désobéissance à la loi. Parti sous le commandement d’Hanriot pour délivrer Robespierre, Méda apprend que son général est décrété d’arrestation. Son devoir est d’exécuter le décret qui est notifié à l’escorte par un huissier de la Convention ; il l’exécute sur-le-champ et arrête son général. Dès lors, tous ses actes ne cessent de s’inspirer de la même pensée : obéir sans hésitation et sans faiblesse à l’Assemblée souveraine, et, ici, la leçon qu’il donne ne vaut pas uniquement pour les militaires.
Cette ligne de conduite inflexible, cette fidélité aux principes du miles gloriosus du 9 thermidor peuvent être données utilement en exemple aux hommes de tous les partis.
(1) Voir A. Granger, « La gendarmerie des chasses », dans Revue de la Gendarmerie, 15 janvier 1933.
(2) Après l’affaire Mallet et la suppression de la garde municipale (1813), Napoléon eut d’abord l’intention de faire revivre le guet de Paris à pied et à cheval ; mais ce fut la gendarmerie impériale de Paris qui fit son apparition.
(3) Sur l’« agonie » de la garde de l’Hôtel de Ville, voyez l’ouvrage du capitaine Tubert, Archers du vieux Paris, 1927.
(4) Les divisions de Gendarmerie nationale parisienne furent l’un des anneaux de la chaîne reliant l’ancienne garde de Paris à la garde municipale créée sous le Consulat.
(5) Décret des 6-12 décembre 1790 concernant l’organisation de la force publique.
(6) Loi des 21-22 juin 1791.
(7) Loi des 22-29 juillet 1791.
(8) Voir notre article de la Revue de la Gendarmerie du 15 janvier 1935.
(9) Loi des 17-24 juin 1792.
(10) Règlement de l’an VIII.
(11) H. Taine, Les origines…, t. 2.
(12) Voir général Larrieu, « Les divisions de gendarmerie au combat sous la Révolution », dans Revue de la Gendarmerie, 15 janvier 1935.
(13) C’était, assurément, l’un de ces militaires peu lettrés qui écrivait sur un journal de service du mois de thermidor an V : « Deux gendarmes ont été au corps despondance avec la brigade de Perpignan qui nous a remis quatre déserteurs espagnols » ; ou bien : « Le restant de la brigade a fait la patrouille pour maintenir le bon tein du bon ordre ». Le 7 prairial an VI, le lieutenant en résidence à Lagrasse (Aude), était signalé à l’inspecteur général comme étant « presque illettré ».
(14) Voir général Larrieu, « Les divisions de gendarmerie au combat sous la Révolution », dans Revue de la Gendarmerie du 15 janvier 1935.
(15) Loi du 28 août 1791.
(16) Le ministère de la Police générale venait d’être créé le 12 nivôse an IV (2 janvier 1796).
(17) Précis historique des événements qui se sont passés dans la soirée du 9 thermidor adressé au ministre de la Guerre le 30 fructidor an X, par C.A. Méda, ancien gendarme, commandant de l’expédition contre la commune de Paris, avec une notice sur la vie de l’auteur, mort général de brigade et baron, par M. J.-J.B. [Berville], avocat à la cour d’appel de Paris, Paris, Baudouin frères éditeurs, rue de Vaugirard, n° 36, 1825.
(18) Voyez l’intéressant article du commandant M. Guérin, « Le gendarme Merda, baron d’Empire », dans la Revue de la Gendarmerie, n° 41, du 15 septembre 1934.
(19) Il serait cependant bien facile de démontrer l’influence d’événements secondaires, et souvent fortuits, sur l’issue des révolutions.