CHAPITRE II - DE LA RESTAURATION À LA DEUXIÈME RÉPUBLIQUE
La Restauration
Après Waterloo (18 juin) survient la Deuxième Restauration. Le 20 juin, en effet, Napoléon prononce sa deuxième abdication et le 28, le roi Louis XVIII rentre pour la seconde fois en France. Le monarque va être poussé à la vengeance par des fanatiques plus royalistes que le roi. On reprochera à la gendarmerie son obéissance à « l’usurpateur », mais Louis XVIII ne peut ignorer qu’il fut conduit aux Tuileries, en 1814, par les baïonnettes étrangères et que si, pendant les Cent-Jours, il s’était réfugié à Gand, ce furent encore les armées ennemies qui, en 1815, l’avaient replacé sur le trône. Aussi, l’épuration de la gendarmerie sera-t-elle l’œuvre, non point du roi lui-même, mais de son entourage, du duc d’Angoulême en particulier.
L’ordonnance du 21 juillet 1815 supprime l’inspection générale de la gendarmerie et en réunit les bureaux au ministère de la Guerre sous le titre de division de la gendarmerie et de la police militaire. Le ministre aura directement la haute main sur l’arme.
Quelques jours plus tard, le ministre de la Guerre Gouvion Saint-Cyr s’occupe de la réintégration des militaires de la gendarmerie dépossédés de leurs fonctions au retour de l’île d’Elbe, et de la destitution de ceux qui furent désignés pour les remplacer.
À la date du 28 juillet, le ministre adresse l’ordre suivant au corps de la gendarmerie :
« Le ministre de la Guerre, constatant que, depuis le 20 mars dernier, un très grand nombre de militaires de tous grades du corps de la gendarmerie, ainsi que de la garde de Paris, ont été arbitrairement dépossédés des emplois dont ils étaient pourvus, ordonne ce qui suit :
Art. 1. Les militaires de tous grades de la gendarmerie, ainsi que de la garde de Paris, qui ont reçu l’ordre de cesser leur activité depuis le 20 mars dernier, ou qui ont reçu d’autres destinations, retourneront de suite au poste qu’ils occupaient à cette époque pour y reprendre provisoirement leurs fonctions.
Art. 2. Les officiers, sous-officiers et gendarmes et autres militaires nommés en remplacement dans le corps de la gendarmerie et dans la garde de Paris, sont admis à la retraite ou rétablis à la suite selon qu’ils se trouvaient dans l’une ou l’autre de ces positions à la dite époque du 20 mars dernier.
L’inspection générale de la gendarmerie ayant été supprimée par une ordonnance du roi du 21 de ce mois, la correspondance aura lieu directement avec le ministre jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné »(1).
En même temps, le ministre envoyait une copie de cet ordre aux préfets en les invitant à en surveiller l’exécution.
Quel était alors l’état moral de la gendarmerie ? L’arrestation du maréchal Ney nous fournit, à cet égard, d’utiles indications.
Arrestation illégale du maréchal Ney
Le maréchal Ney quittait Paris le 6 juillet 1815 et, après avoir tenté vainement de gagner la Suisse, allait se réfugier chez sa cousine au château de Bessonies (Lot). À la suite d’une indiscrétion, le préfet du Cantal eut connaissance de la retraite du maréchal dont il décida l’arrestation, bien que Bessonies ne fût pas dans son département.
Le 3 août 1815, le capitaine de gendarmerie d’Aurillac, Dugué-Dassé, commandant la compagnie du Cantal, ayant sous ses ordres un lieutenant et quatorze gendarmes à cheval, se rendit à Bessonies, hors de sa circonscription et, sur réquisition du préfet, procéda à l’arrestation du maréchal Ney, puis le conduisit à l’hôtel de ville d’Aurillac, où Ney séjourna douze jours, avant d’être transféré à Paris(2).
Le capitaine de gendarmerie Dugué-Dassé était un homme « bien dévoué au roi », disait le préfet du Cantal dans une lettre adressée le 4 août aux ministres de l’Intérieur, de la Guerre et de la Police ; mais il ne semble pas que ses subordonnés aient tous partagé les mêmes sentiments.
On lit dans une notice sur l’hôtel de ville d’Aurillac parue en 1898, dans le Moniteur du Cantal et attribuée à l’abbé Trioulier :
« Un gendarme nommé Arnal, Jean, Antoine (1786-1867), a raconté que, le jour même de l’arrestation du maréchal Ney, les braves soldats qui avaient reçu la pénible mission d’aller aux Bessonies ne suivaient le maréchal que de loin afin de lui laisser toute facilité de s’évader. Avant sa sortie du département et sur la route de Saint-Flour à Marsiac, un autre gendarme nommé Séguy, lui propose de fuir avec toute son escorte prête à le suivre. Le maréchal se redressa vivement dans sa calèche et lui dit fièrement : “Gendarme, si j’étais libre, je te ferais fusiller ; on ne propose pas à un maréchal de France de fuir quand il est prisonnier ; fais ton devoir, je sais ce que j’ai à faire” ».
Les faits que nous venons de rapporter démontrent que le moral des gendarmes, anciens soldats de la Révolution et de l’Empire, pouvait inspirer des inquiétudes au Gouvernement de la Restauration.
D’autre part, Henri Houssaye rapporte que, pour assurer la garde du maréchal Ney au palais du Luxembourg dans les jours qui précédèrent sa condamnation, comme on ne se fiait pas aux gendarmes, des gardes du corps et des officiers de la garde royale, vêtus de capotes bleues de soldats, faisaient faction dans les couloirs qui donnaient accès à la chambre de Ney(3).
Des précautions s’imposaient. On a déjà vu les mesures prises, dès le 28 juillet, par le ministre de la Guerre, en procédant à des destitutions et à des réintégrations ; mais une épuration générale du corps de la gendarmerie parut nécessaire. Le ministre de la Guerre Gouvion Saint-Cyr en chargera les chefs de légion ; mais déjà c’est le duc d’Angoulême lui-même qui, par l’intermédiaire de l’inspecteur général Seignan de Serre, dont la suppression de l’emploi n’est pas encore effective, en a chargé, à Carcassonne, le colonel commandant la 12e légion mais l’opération sera combinée avec l’autorité civile.
Voici la lettre que le colonel écrira, le 6 août, au préfet des Pyrénées-Orientales :
« En me confirmant dans le commandement de la 12e légion de gendarmerie, SAR Monseigneur le duc d’Angoulême m’a fait donner l’ordre de faire subir aux quatre compagnies qui la composent une épuration qui la mettra dans le cas de servir entièrement dans les intérêts du roi et de la société. Pour me mettre à même de satisfaire aux ordres qui m’ont été transmis par M. Seignan de Serre, inspecteur général de la gendarmerie comprise dans le Gouvernement de son Altesse, je viens vous prier, Monsieur le préfet, de vouloir bien demander à MM. les sous-préfets et aux maires des communes de votre département dans lesquelles il existe des résidences d’officiers ou de brigades, des notes sur la manière dont ceux qui les composent se sont conduits pendant la dernière usurpation de Bonaparte. L’intention formelle de M. le duc étant d’éloigner du corps de la gendarmerie tous ceux qui se sont montrés les zélés partisans de l’usurpateur, ceux qui ont manifesté des opinions dangereuses pendant son séjour en France, ainsi que ceux qui ont tourmenté, vexé ou maltraité les partisans de la royauté, je vous serais très obligé si vous vouliez bien prescrire à ces messieurs de me les faire connaître. Je vous prierai seulement, Monsieur le préfet, de les engager à ne pas confondre parmi les coupables et au nombre de ceux qui doivent être renvoyés, les malheureux sous-officiers et gendarmes qui n’ont agi qu’en vertu d’ordres supérieurs, toutefois cependant, qu’ils n’auraient point ajouté au désagrément de leurs fonctions, des vexations particulières »(4).
La lettre qu’on vient de lire nous éclaire sur le mécanisme de 1’épuration projetée. À la date du 17 août, le ministre Gouvion Saint-Cyr en avise les préfets. Il leur fait connaître qu’il avait chargé les chefs de légion de faire rayer des contrôles les hommes qui, « par leurs principes, n’offraient pas une garantie suffisante de leur aptitude aux fonctions de la gendarmerie et de leur dévouement au roi ».
En même temps, le ministre annihilait les effets du décret rendu le 1er mai 1815 par le Gouvernement impérial tendant à augmenter les forces de gendarmerie de deux gendarmes par brigade à cheval et à pied et ordonnait de faire rayer des contrôles ceux des hommes qui avaient été admis en vertu de ce décret.
D’autre part, le ministre s’attachait à rétablir le service que les événements avaient désorganisé ; à la même date du 17 août, il écrivait aux préfets :
« Je suis informé que, sur plusieurs points du territoire, le service de la gendarmerie a été interrompu par les derniers événements. J’ai écrit à MM. les chefs de légion de s’occuper sans relâche de rétablir la gendarmerie dans l’exercice de ses fonctions et de se concerter, à cet effet, avec les autorités civiles et militaires. J’attends, Monsieur le préfet, de votre zèle pour le service du roi, que vous concouriez de tous vos moyens à l’exécution de ces dispositions. Si, par suite des renseignements que vous aurez recueillis dans votre département et de l’exactitude desquels vous serez assuré, vous croyez devoir me communiquer des notes et documents sur le personnel des militaires de cette arme, je vous prie de me les adresser directement, me réservant de les prendre en considération dans le travail définitif sur l’organisation du corps de la gendarmerie dont je m’occupe en ce moment. »
C’est le ministre, on le voit, qui, aux lieu et place de l’inspection générale dissoute, va prendre la direction de l’épuration et cette épuration aura lieu à l’occasion d’une nouvelle organisation de l’arme. Cette réorganisation fera l’objet de l’ordonnance royale du 10 septembre 1815 concernant la gendarmerie, fixant ses effectifs et l’avancement des officiers. L’ordonnance maintient les vingt-quatre légions de l’ordonnance royale du 11 juillet 1814, mais en organisant de nouveau les escadrons de deux compagnies chacun. Elle prévoit 1 550 brigades à cheval et 620 à pied ; l’effectif de chaque brigade doit être porté à huit hommes, mais cette mesure ne recevra qu’un commencement d’exécution. Les officiers, sous-officiers et gendarmes auront le rang du grade immédiatement supérieur, mais n’en auront la retraite qu’après dix ans de service. Il y a huit inspecteurs généraux du grade de lieutenant général ou de maréchal de camp. La moitié des emplois d’inspecteurs généraux du grade de maréchal de camp sont donnés aux colonels de gendarmerie ; la moitié des emplois d’inspecteurs de gendarmerie du grade de lieutenant général est donnée aux maréchaux de camp inspecteurs de gendarmerie.
Épuration
Et voici l’épuration qui, nous l’avons vu, était déjà bien préparée. L’ordonnance du 18 novembre 1815 portait qu’il serait formé dans chaque département un jury chargé de procéder à l’organisation des brigades de gendarmerie. Ce jury était composé du préfet, du général commandant le département, du procureur près la Cour royale ou, à son défaut, du substitut près la cour d’assises, et de deux officiers de gendarmerie du département désignés par le ministre de la Guerre. Le jury choisissait parmi les sous-officiers et gendarmes en activité ceux qu’il jugeait susceptibles d’entrer dans la nouvelle composition des brigades.
Afin que les opérations des jurys pussent répondre au vœu de l’ordonnance, les directives et recommandations suivantes étaient adressées aux préfets généraux, procureurs et officiers de gendarmerie, le 30 décembre 1815, par le ministre Clarke, duc de Feltre, qui avait remplacé Gouvion Saint-Cyr, le 12 décembre, au département de la Guerre :
« Je ne doute pas, Messieurs, qu’investis de toute l’autorité et de la confiance nécessaires pour une opération aussi importante, vous ne remplissiez les instructions de Sa Majesté en n’appelant à faire partie de l’organisation que des hommes d’une fidélité reconnue et d’un dévouement réel à la personne du roi et à la Charte que S.M. a donnée à ses peuples ; c’est en vous attachant à ne fixer vos choix que sur des sujets qui ont donné des gages de la pureté de leurs principes, que vous assurerez au nouveau corps de la gendarmerie la considération et l’influence dont il a besoin pour pouvoir coopérer avec efficacité à toutes les mesures d’ordre et de sûreté publique […]. À cet effet, vous vous ferez représenter, avec le registre de discipline, le contrôle de tous les hommes présents au moment de l’organisation, les rapports des autorités locales et les notes particulières des officiers […]. Mais vous devrez surtout, et sans céder à aucune espèce de considérations, écarter ceux des officiers et gendarmes qui, par des actes, des discours et des démarches coupables, ont contribué dans leur arrondissement à égarer l’opinion publique en faveur de 1’usurpateur ».
On voit les précautions prises par le duc de Feltre, l’organisateur des cours prévôtales(5), pour écarter du corps de la gendarmerie les sujets ayant fait preuve d’attachement au régime impérial.
Au surplus, la gendarmerie fut frappée à la tête en la personne du général Radet. L’ancien inspecteur général de gendarmerie, qui s’était distingué comme organisateur et comme grand prévôt à la Grande Armée, ainsi qu’à l’armée de Waterloo, fut mis en non-activité le 3 août 1815, et à la retraite d’office en septembre. Objet d’un ordre d’arrestation daté du 29 décembre 1815 et émanant du ministre de la Guerre, il fut arrêté à Varennes le 4 janvier 1816 et traduit devant la cour prévôtale du Doubs à Besançon.
Quel était son crime ? Sans doute, avait-il arrêté le pape en juillet 1809 et le duc d’Angoulême en avril 1815, mais il avait traité ses illustres prisonniers avec beaucoup de ménagements et il avait agi chaque fois en vertu d’ordres supérieurs dont seul l’Empereur était responsable. D’ailleurs, en 1791, Radet, alors capitaine de canonniers, n’avait-il pas tenté de sauver le roi à Varennes ? Mais Radet avait servi « l’usurpateur » et, cela, les ultras ne pouvaient le lui pardonner. Condamné à neuf ans de détention le 29 juin 1816, sous prétexte « d’avoir cherché à éloigner de leurs devoirs les militaires et les sujets fidèles », il fut gracié le 24 décembre 1818 par le duc d’Angoulême(6).
Si les royalistes sévissent contre les militaires de la gendarmerie demeurés fidèles à Napoléon, ils font appel au concours de cette arme dans leur action contre les membres de l’armée ayant servi l’Empereur. C’est ainsi que, l’ordonnance du 24 juillet 1815 ayant prescrit de placer le maréchal Soult en surveillance spéciale, nous voyons adjoindre à la brigade de Saint-Amand (Tarn), un gendarme de confiance chargé secrètement de ne pas perdre de vue le maréchal et de faire des rapports fréquents sur lui à ses chefs.
Dans l’Ain, les rapports d’un lieutenant de gendarmerie font ressortir l’impossibilité de découvrir l’ex-roi Joseph Bonaparte, que l’on sait aux abords de la frontière, de sorte que le préfet du Jura organise une véritable expédition dont il confie le commandement au capitaine commandant la compagnie de gendarmerie de ce département(7).
Revenons à l’organisation. On a vu que l’escadron de deux compagnies créé par la loi du 27 pluviôse an V, puis supprimé par l’arrêté du 12 thermidor an IX, avait été rétabli par l’ordonnance du 10 septembre 1815 ; c’est ainsi qu’en vertu de cette ordonnance, la gendarmerie comprenait 24 colonels, 46 chefs d’escadron, 89 capitaines en premier, 8 capitaines en second (1550 brigades à cheval, 620 à pied. Force totale : 17 000, officiers compris).
L’ordonnance du 23 octobre 1817 supprima de nouveau l’escadron en réunissant les fonctions confiées précédemment aux chefs d’escadron à celles des colonels chefs de légion. Toutefois, l’ordonnance conservait un chef d’escadron dans chaque département où résidait un chef de légion, pour commander la compagnie de ce département.
Mentionnons l’ordonnance du 2 août 1818 pour application de la loi Gouvion Saint-Cyr, du 10 mars 1818 et relative à l’avancement. Cette ordonnance portant règlement sur la hiérarchie militaire et la progression de l’avancement, ainsi que les nominations aux emplois dans l’armée, renferme des dispositions particulières pour la gendarmerie royale.
Deux ordonnances furent publiées le 31 mars 1820. L’une, relative aux comités consultatifs, disposait que le nombre des inspecteurs généraux serait désormais désigné chaque année. La deuxième fixait le nombre des inspecteurs généraux de gendarmerie à neuf, dont trois lieutenants généraux et six maréchaux de camp, et disposait que ces officiers généraux pourraient être réunis en comité consultatif.
Notons également une ordonnance du 5 avril 1820 attribuant une première mise d’habillement aux militaires passant dans la gendarmerie.
Coup d’œil sur le service
Si une prodigieuse épopée a couvert de gloire nos drapeaux, si notre arme a cueilli sa part de lauriers sur les champs de bataille après s’être distinguée dans la guerre aux brigands, l’autorité affaiblie d’une loi républicaine fondamentale, les exigences abusives des autorités militaires, les prétentions extraordinaires du ministre de la Police, les bouleversements révolutionnaires de 1814-1815, ont placé la gendarmerie, de 1800 à 1820, dans un perpétuel état d’équilibre instable.
De précieux services sont rendus à la conscription, mais, que la surveillance des campagnes ait manqué de méthode, l’auberge sanglante de « Peyrebeille » le prouve suffisamment, et nous savons pourquoi.
Les circonstances militaires et politiques, la pratique des déguisements sont défavorables à la liberté et à la sûreté des citoyens. Après Waterloo, la police politique, instrument légué au Gouvernement de la Restauration par ses prédécesseurs, s’est retournée contre les partisans de l’Empereur déchu. Nous avons vu un préfet donner l’ordre d’arrêter le maréchal Ney hors de son département, un capitaine de gendarmerie plus dévoué au roi qu’à l’exécution des lois, procéder à cette opération illégale. Nous avons vu un gendarme exercer secrètement une surveillance et faire des rapports sur le maréchal Soult.
L’autorité judiciaire elle-même néglige parfois les règles tutélaires relatives à la mise à exécution des mandats. En 1818, le hasard fit tomber entre les mains de Paul Louis Courié un mandat d’arrestation adressé par un procureur du roi à la gendarmerie et rédigé dans les termes suivants : « Monsieur le commandant, veuillez faire arrêter et conduire en prison [un tel] de [tel endroit] ». Toute la réquisition était là. Autant elle était sommaire, autant la formule de politesse était soignée : « J’ai l’honneur d’être, Monsieur le commandant, avec considération, votre très humble et très obéissant serviteur ». Rien n’indiquait le motif de l’arrestation, cette réquisition était donc illégale, et la gendarmerie n’aurait pas dû la mettre à exécution, car la loi de germinal le lui défendait expressément.
Hâtons-nous d’ajouter qu’aux époques de paix sociale, favorable au respect des lois, la gendarmerie s’attachera toujours à inscrire, dans sa propre réglementation, les principes traditionnels protecteurs de la sûreté individuelle.
Fait bien digne de remarque. C’est au lendemain de la Terreur blanche que des royalistes éprouvés auront le courage de se tourner vers la loi républicaine de germinal dont ils auront discerné les excellents principes concernant la liberté des citoyens, hérités, il est vrai, de l’ancienne monarchie.
C’est ainsi qu’aucun règlement général n’ayant encore été rendu pour l’application de la loi fondamentale du 28 germinal an VI, nous allons voir l’ordonnance royale du 28 octobre 1820, qui comblera cette lacune, reproduire les règles tutélaires de la loi républicaine de germinal.
Nécessité d’une nouvelle réglementation
Il nous semble intéressant de montrer comment la loi de germinal ayant perdu de son autorité, la gendarmerie, depuis l’Ancien Régime et jusqu’en 1820, a pu n’avoir d’autres règlements pour ses multiples détails du service, que l’ordonnance royale de 1778.
On a vu qu’il en avait été ordonné ainsi par un décret du 22 juin - 21 juillet 1791. Sans doute, ce décret-loi avait-il été abrogé par la loi de germinal. Sans doute celle-ci qui ne renfermait que des principes généraux, a-t-elle disposé, en son article 175, qu’elle sera complétée par un règlement de service établi par le Directoire exécutif ; mais le Directoire sombre au 18 brumaire avant que ce règlement ait été élaboré. Or, la loi des 22 juin - 21 juillet 1791 a été abrogée par la loi de germinal (article 235). Cela importe peu ; nécessité fait loi ; l’ordonnance de 1778 continue.
Sous le Consulat, l’arrêté du 8 germinal an VIII qui crée un inspecteur général de la Gendarmerie nationale charge cet officier général (article 22) de rédiger un projet de règlement destiné à rendre réguliers et uniformes la police, l’instruction, la discipline et le service de la Gendarmerie nationale.
Les travaux du général Radet aboutissent, on l’a vu, à l’arrêté du 12 thermidor an IX ; mais ce règlement ne traite encore que de l’organisation de la Gendarmerie nationale. Comme la loi de germinal et l’arrêté du 8 germinal an VIII, l’arrêté du 12 thermidor an IX confie à son tour, à un règlement ultérieur à rédiger par le premier inspecteur général le soin de préciser dans leurs détails, les diverses parties du service de la gendarmerie (article 38). Mais ce règlement, qui aurait dû être élaboré dans un délai de deux mois, ne voit pas le jour. Tout se passe, depuis le commencement de la Révolution, comme s’il est plus facile d’organiser, en créant des brigades, des compagnies, des légions, des inspections et des états-majors que de régler, sur un plan rationnel, un service qu’une longue expérience a montré comme de première importance et particulièrement délicat ; l’ordonnance de 1778 continue.
Cependant, la gendarmerie possède, on l’a vu, un général d’une compétence éprouvée : Wirion. On sait qu’il a été établi à l’usage des forces placées sous son autorité un règlement de service très complet s’inspirant à la fois de l’ordonnance de 1778 et de la loi de germinal.
Mais, ni le général Radet lorsqu’il était seul inspecteur général de la gendarmerie, ni le général Moncey, premier inspecteur général, ne font bénéficier l’ensemble de l’arme de l’œuvre du général Wirion. Durant tout l’Empire, parallèlement à la loi du 28 germinal an VI, l’ordonnance de 1778 continue.
1814 : Première Restauration. On a vu que l’ordonnance du roi Louis XVIII, des 11-12 juillet 1814, réorganise la gendarmerie. Aux termes de l’article 14, le premier inspecteur est tenu de rédiger le règlement général du service de la gendarmerie. Le maréchal Moncey, qui a conservé ces fonctions malgré le changement de régime, avait déjà reçu un ordre semblable, on vient de le voir, sous le Consulat. Va-t-il doter l’arme, cette fois, du règlement si longtemps attendu ? Non, car les événements politiques vont se précipiter.
Voici, cependant, un règlement de service du 30 janvier 1815 ; c’est pour la gendarmerie belge. Le traité de Paris de 1814 vient de séparer la Belgique de la France et de la réunir à la Hollande et la gendarmerie du nouvel État a déjà sa réglementation basée sur la loi du 28 germinal an VI que la gendarmerie belge, à l’instar de la gendarmerie française, a conservé jusqu’à nos jours, comme loi fondamentale.
Retour de l’île d’Elbe. Napoléon nomme Savary, duc de Rovigo, premier inspecteur général de la gendarmerie ; mais le court délai des Cent-Jours ne permet pas de faire œuvre utile. Quelle orientation l’ancien ministre de la Police aurait-il pu donner au service de la gendarmerie ? La police politique, assurément, eût été l’objet de toute sa sollicitude.
Deuxième Restauration. Nouvelle organisation de la gendarmerie. L’emploi de premier inspecteur, général est supprimé. L’ordonnance du 10 septembre - 27 octobre 1815 dispose, en son article 18, que le ministre secrétaire d’État rédigera un projet de règlement général sur le service de la gendarmerie. On se met à l’œuvre et, cinq ans plus tard, l’ordonnance du 28 octobre 1820 vient satisfaire enfin aux vœux des gouvernements qui se sont succédé en France depuis la Révolution.
C’est ainsi que l’ordonnance de 1778 demeura, jusqu’en 1820, la charte de la gendarmerie pour tous les détails de service non réglés par la loi du 28 germinal an VI : tournées faites par deux hommes, modèle des journaux de service, informations à prendre au cours des tournées, vérifications à effectuer au cours des revues, détails du service intérieur.
Il convient de remarquer que, dès son arrivée au pouvoir, le Gouvernement de la Restauration avait fait un silence absolu autour de la loi républicaine de germinal an VI. Les ordonnances du 11 juillet 1814 et du 10 septembre 1815 concernant la gendarmerie, ne se réfèrent en effet qu’aux ordonnances royales de 1778 et de 1791.
Mais la grande ordonnance de 1820 va faire de nombreux emprunts à la loi de germinal, sauf en ce qui concerne le rôle des officiers, et s’inspirer de ses principes essentiels. Sous tous les régimes, la loi républicaine sera désormais, pour le service de la gendarmerie, une base inébranlable que ne cessera de reconnaître la jurisprudence de la Cour de cassation.
Ordonnance du 29 octobre 1820
L’ordonnance du 29 octobre 1820 reproduit les dispositions essentielles de la loi du 28 germinal an VI, relatives au service ; elle fait aussi quelques emprunts à l’ordonnance de 1778.
Concertée entre les quatre ministres intéressés (Guerre, Intérieur, Justice, Marine) elle réunit les dispositions des lois, ordonnances et instructions antérieures sur le service de la gendarmerie et détermine d’une manière positive les devoirs de ce corps et ses rapports avec les diverses autorités. En ce qui concerne les autorités militaires, nous savons déjà que la gendarmerie ne relève que des commandants de territoire et, sous certaines réserves, des commandants de places (article 77) ; l’indépendance, vis-à-vis des troupes de ligne, est précisée dans l’article 89.
En ce qui concerne les rapports avec les autorités civiles, l’ordonnance précise, en son article 52, dans des conditions de dignité pour l’arme héritées de l’ordonnance de 1778, le principe tutélaire des réquisitions qui avait été peu en honneur dans les formes légales sous le Gouvernement impérial, dans les rapports avec les fonctionnaires du ministère de la Police.
La destination de la gendarmerie est celle qui a été définie dans les articles l à 3 de la loi de germinal(8).
Il est enjoint aux gendarmes d’être constamment en tenue militaire (article 270). C’est la condamnation des déguisements pratiqués depuis le Consulat et l’instruction ministérielle du 10 avril 1821 pour la mise à exécution de l’ordonnance de 1820 insiste sur la nécessité pour les officiers, sous-officiers et gendarmes, de ne faire aucun acte dans l’exercice de leurs fonctions sans être revêtus de leur uniforme.
Malgré ces sages prescriptions, on confiera parfois au personnel des missions occultes de nature à déconsidérer ces hommes à leurs propres yeux, et le ministre de la Guerre devra rappeler, le 22 mai 1837, que la gendarmerie n’est pas destinée à exercer un service occulte, et ne peut exécuter un service de surveillance en habit bourgeois.
Rôle des officiers
Observons que l’ordonnance de 1820 méconnaît les principes de la loi de germinal concernant le rôle des officiers.
La loi de germinal (article 189) attribue aux officiers un rôle de direction en leur ordonnant non seulement de prendre connaissance au cours de leurs revues du service des brigades, mais encore de donner au personnel les instructions et ordres que les circonstances et le bien du service peuvent exiger. On ne retrouve ces dispositions, ni dans l’ordonnance de 1820, ni dans les décrets de 1854 et 1903. Pourquoi une lacune aussi grave ?
On ne saurait mieux saisir l’esprit de cette loi qui, ne l’oublions pas, est encore à la base du service de l’arme qu’en se reportant au règlement rendu pour son application, dit de l’an VIII, dont nous avons déjà parlé, que le général Wirion arrêta le 8 germinal an VII pour la gendarmerie des quatre nouveaux départements de la rive gauche du Rhin. Nous n’exposerons pas les nombreux articles de ce règlement qui confiaient aux officiers la surveillance et la direction du service des brigades ; nous nous bornerons à mentionner ici l’article 86.
Après avoir prescrit aux capitaines et aux lieutenants de s’assurer, au cours de leurs tournées, que les chefs de brigade et les gendarmes avaient une connaissance exacte des individus à surveiller, et de s’appliquer à bien connaître eux-mêmes les crimes et les délits les plus fréquents de leur arrondissement, ainsi que les individus dangereux, les repris de justice et les évadés, l’article 86 ajoutait : « Ces renseignements serviront aux officiers pour diriger la surveillance de leurs brigades et leur, donner les ordres et instructions convenables pour la sûreté publique et individuelle. » Nous voyons ainsi qu’après la loi de germinal le règlement de l’an VIII chargeait les officiers de la direction et, par suite, de la responsabilité du service.
Il convient de remarquer que les dispositions qui précèdent ont été conservées par la gendarmerie belge, lors de sa séparation de la France, dans ses règlements des 30 janvier et 20 mars 1815 encore en vigueur.
Par contre, les auteurs de l’ordonnance française du 29 octobre 1820 ont méconnu à ce sujet la loi de germinal et paru ignorer le règlement du général Wirion. Ils ne pouvaient estimer la loi de germinal à cause de ses origines révolutionnaires. Détail bien caractéristique déjà, pour rappeler que la gendarmerie prend la droite des troupes de ligne, les ordonnances royales des 11-21 juillet 1814 et 10 septembre - 27 octobre 1815 se référaient non point à la loi de germinal en vigueur, mais aux anciennes lois de la monarchie (28 avril 1778 - 16 février 1791). D’autre part, la personnalité de l’auteur du règlement de l’an VIII ne pouvait être guère sympathique aux officiers chargés de rédiger, en 1820, la nouvelle ordonnance sur le service de la gendarmerie.
Nous l’avons déjà fait remarquer en traitant de la gendarmerie sous la Révolution. Révolutionnaire convaincu, Wirion était animé d’un républicanisme ardent dont il avait imprégné son œuvre selon l’esprit de la loi de germinal. Son code de la gendarmerie était légal certes ; mais rédigé avant le 18 brumaire, sous un Gouvernement que Bonaparte avait renversé, il n’avait pu être accueilli avec sympathie par les dirigeants, ni sous le Consulat ni sous l’Empire.
Quant aux rédacteurs de l’ordonnance de 1820, à qui la Restauration avait confié le soin de régler le service de la gendarmerie ; quant à ces hommes nouveaux appelés aux emplois officiels après les épurations pratiquées parmi le personnel ayant servi l’Empereur, quel attrait pouvait avoir pour eux un règlement qui, en son article 48, prescrivait aux chefs de brigade et gendarmes de se rendre au temple de la loi « pour se nourrir de l’amour de la République, du Gouvernement constitutionnel et de la haine profonde que tout Français républicain doit porter à la royauté en France ». Le règlement de Wirion était donc condamné à connaître la même défaveur qui, nous l’avons dit, pesait sur la loi de germinal elle-même.
Seuls les contemporains, surtout si la presse est silencieuse, peuvent discerner les intérêts ayant provoqué une organisation vicieuse (le Journal de la gendarmerie ne parut qu’à partir de 1838) et s’abstint pendant longtemps de toute critique.
Ne faudrait-il pas incriminer l’ordonnance du 11 juillet 1814 et la loi Gouvion Saint-Cyr du 2 août 1818 qui appelèrent au commandement des légions de gendarmerie des officiers supérieurs venant directement des troupes de ligne et ignorants, par conséquent, du service spécial auquel ils étaient appelés ?
Nous avons vu que, dès la Première Restauration, les inspecteurs de gendarmerie, sous le comte Lagrange, étaient tous barons. Les auteurs de l’ordonnance ont-ils joué une part active au maintien de la sûreté publique, peu digne du corps d’officiers ?
Quoi qu’il en soit des vraies raisons, assez obscures pour nous, qui ont guidé nos prédécesseurs de la Restauration, constatons qu’au mépris de la loi de germinal et des plus vieilles traditions de la maréchaussée, l’ordonnance de 1820 et les règlements qui l’ont suivie ont mis à la charge des seules brigades le soin de veiller à la sûreté publique en réduisant les officiers, grâce à une rédaction souvent ambiguë et malgré leur qualité d’officiers de police judiciaire, au rôle de simples contrôleurs sans action réelle sur la marche du service spécial. La responsabilité des officiers quant à la mission essentielle de l’arme avait presque entièrement disparu.
Sous ce régime de moindre effort qui laissera aux chefs de brigade, dans la pratique, toute la responsabilité du service spécial, les officiers, vaguement chargés « de la direction et des détails du service », ne seront positivement astreints qu’à contrôler les moyens d’action de leurs subordonnés et réduiront au minimum leur action personnelle dans la réalisation du but à atteindre. Ils pourront se borner à porter leur attention sur les questions de discipline, de tenue et d’instruction qui ne sont que des moyens, car les règlements ne leur feront point de la direction du service spécial une obligation expresse, et ne les obligeront nullement à contribuer effectivement à la police de leur circonscription. La recherche des malfaiteurs souffrira, en particulier, de cet état de choses.
Les officiers seront, à diverses reprises et bien à tort, rendus responsables de cette insuffisance parce qu’ils ne savaient pas toujours disait-on s’adapter aux fonctions d’officiers de gendarmerie sensiblement différentes de celles d’officiers des corps de troupes, alors que c’était une réglementation vicieuse qu’il aurait fallu incriminer.
Nous verrons plus loin qu’une régression se produira, à la veille de la guerre de 1914, vers la mission historique du corps d’officiers.
Droit d’arrestation
L’ordonnance de 1820 fit à l’ordonnance de 1779 des emprunts qui, transmis jusqu’au décret actuel du 20 mai 1903 (article 153), ont fait naître des doutes sur l’étendue du droit d’arrestation, auxquels il convient de s’arrêter.
On sait que l’arrêt du Conseil du 16 mai 1608 (6 mai dans certains recueils) portant règlement entre Desparbes, vice-sénéchal (prévôt des maréchaux) d’Armagnac, résidant à Lectoure et les officiers civils du siège, imposa au vice-sénéchal et à ses archers, bien longtemps avant l’Habeas Corpus des Anglais, les règles protectrices de la liberté individuelle leur interdisant d’arrêter quiconque hors le cas de flagrant délit sans un décret (mandat) de justice.
La même règle fut imposée à toute la maréchaussée du royaume par une déclaration du 22 avril 1636, et une autre déclaration du 26 février 1724. La tradition fut renouée par les lois révolutionnaires, en particulier par la loi du 21 germinal an VI (article 169), l’ordonnance de 1820 (article 297), le décret de 1854 (article 615) et enfin le décret de 1903 (article 304). Or, une grave atteinte avait été portée à ces principes tutélaires par l’article 4 du titre 14 de l’ordonnance du 27 avril 1778 laquelle, à une époque de grand vagabondage, enjoignait aux cavaliers de maréchaussée qui, au cours de leurs tournées, recevaient « connaissance de quelques criminels, délinquants, vagabonds ou personnes suspectes », de se mettre à leur poursuite, de les joindre, de les arrêter, de relâcher ceux qui n’étaient dénoncés que comme vagabonds ou suspects, pouvaient se justifier de cette inculpation, enfin d’écrouer ceux qui étaient convaincus de vagabondage ou qui demeuraient « suspects » de crimes ou délits. L’ordonnance de 1778 permettait ainsi que la liberté d’un honnête homme fut mise en péril par une fausse dénonciation et les effets de la nouvelle réglementation ne tardèrent pas à se faire sentir.
En effet, nous avons précisé(9) que cette dérogation aux règles traditionnelles du droit d’arrestation était à l’origine de la célèbre affaire des Trois hommes condamnés à la roue, de ces trois innocents arrêtés en 1783 par la brigade d’Ariès-sur-Aube, qui eurent cependant la vie sauve grâce à l’illustre Dupaty(10). Nous avons exprimé l’avis que Dupaty, qui a reproché aux arrestations de 1783 d’avoir été opérées au mépris de l’ordonnance criminelle de 1670, devait ignorer les dispositions nouvelles de la récente ordonnance de 1778 qu’avait appliquées la brigade d’Ariès-sur-Aube, sans quoi l’ancien président à mortier, du parlement de Bordeaux, n’eût pas manqué de les incriminer.
Or, si l’ordonnance de 1820 a reproduit en son article 297 la règle traditionnelle limitant le droit d’arrestation, elle a emprunté en outre à l’ordonnance de 1778 les dispositions enjoignant à la gendarmerie au cours de ses tournées de se mettre à la poursuite d’individus simplement dénoncés comme ayant commis un crime ou un délit, pour les joindre et les arrêter.
Mais il faut remarquer que les auteurs de l’ordonnance de 1820 (article 198), du décret de 1854 (article 275) et du décret de 1903 (article 153) n’ont point manqué en reproduisant les dispositions de l’ordonnance de 1778 de remplacer les mots arrêter et suspects qui permettaient tous les abus, par celui de saisir terme qui n’implique pas nécessairement l’arrestation et par celui de prévenu dont on connaît la signification précise. La leçon des trois hommes condamnés à la roue avait porté ses fruits.
À l’exception des vagabonds, qui doivent toujours être arrêtés, les « prévenus » de crimes et délits, que l’article 153 ordonne de « saisir », ne sont pas obligatoirement mis en état d’arrestation.
C’est une erreur de croire – et on l’a commise quelquefois – que ces dispositions de l’article 153 puissent conférer à la gendarmerie, comme autrefois l’ordonnance de 1778, un droit d’arrestation quel que soit le temps écoulé depuis l’accomplissement du délit.
Si elles prescrivent de nos jours à la gendarmerie de se mettre à la poursuite de ceux qui ont commis des crimes ou délits pour les joindre et s’il y a lieu pour les arrêter au nom de la loi… de saisir ceux qui demeurent prévenus de crimes, délits ou vagabondage, il est absolument évident que ces individus, s’ils peuvent être saisis, ne sont mis en état d’arrestation et conduits devant le magistrat que s’ils sont encore en flagrant délit (temps voisin du délit) ou font l’objet de mandats comme l’exige de la manière la plus formelle, après la loi de germinal, l’ordonnance de 1820 et le décret de 1854, l’article 304 du même décret du 20 mai 1903.
Organisation
Au point de vue de l’organisation, l’ordonnance maintient la division des vingt-quatre légions en compagnies (une par département) commandées soit par des chefs d’escadron (au chef-lieu de légion), soit par des capitaines ; l’escadron disparaît définitivement.
L’effectif de la brigade était ramené de huit à cinq hommes mais, en 1828, toutes les brigades seront encore à l’effectif de six hommes.
L’effectif de la troupe était de 13 500 hommes. L’effectif total était porté à 14 086 hommes, non comprise la gendarmerie d’élite maintenue pour le service des résidences royales avec une force de 241 hommes, et la gendarmerie royale de Paris dont l’effectif était établi à 1528 hommes.
Les sièges des vingt-quatre légions étaient les suivants : 1. Paris ; 2. Chartres ; 3. Rouen ; 4. Caen ; 5. Rennes ; 6. Angers ; 7. Tours ; 8. Moulins ; 9. Niort ; 10. Bordeaux ; 11. Limoges ; 12. Cahors ; 13. Toulouse ; 14. Carcassonne ; 15. Nîmes ; 16. Marseille ; 17. Bastia ; 18. Grenoble ; 19. Lyon ; 20. Dijon ; 21. Besançon ; 22. Nancy ; 23. Metz ; 24. Arras.
En 1841, création de la 25e à Strasbourg.
À la date du 10 avril 1821, une instruction ministérielle était adressée aux chefs de légion pour la mise à exécution de l’ordonnance du 29 octobre 1820. Aux lieutenants généraux commandant les divisions et aux préfets, le ministre écrivait la même année 1821 : « La gendarmerie, pour rendre tous les services que le pays attend de son zèle, a besoin de la considération et de l’appui fortement prononcé de l’autorité. C’est par là qu’elle obtient la confiance et le respect dans l’exercice de ses fonctions ».
Nous avons vu le maréchal Moncey, premier inspecteur général, tenir le même langage sous la première Restauration.
On a vu que deux ordonnances du 31 mars étaient relatives l’une aux comités consultatifs, l’autre aux inspecteurs généraux. Une ordonnance des 3-15 juillet 1822 décida que l’inspection de la gendarmerie serait faite chaque année, conformément à ce qui serait déterminé par le ministre de la Guerre. L’année précédente, une ordonnance des 10-31 octobre 1821 avait établi dans chaque compagnie, un abonnement de remonte et de secours destiné à aider les sous-officiers et gendarmes dans leurs dépenses d’habillement, d’équipement et de remonte, à indemniser ceux qui avaient éprouvé des accidents ou des pertes dans le service, enfin, à faire des avances de premier établissement aux nouveaux admis sortant des corps de l’armée.
Les officiers avaient droit, suivant le nombre de chevaux assigné à chaque grade, à l’indemnité de fourrages déterminée annuellement, par compagnie, pour les sous-officiers, brigadiers et gendarmes.
En exécution d’une décision royale du 28 décembre 1828 et pour satisfaire au vœu des chambres qui faisait peser une diminution d’un million sur le budget de la gendarmerie, une réorganisation eut lieu en 1829 et en 1830 par suite de laquelle on réduisit à 12 000 hommes l’effectif de la troupe précédemment fixé à 13 500 hommes. Toutes les brigades à pied et toutes les brigades à cheval furent réduites à cinq hommes.
Aux termes de l’instruction ministérielle du 15 juin 1829 pour l’exécution de la décision précitée du 28 décembre 1828, on profita de cette réorganisation, qui restreignait le nombre de postes à 2 300, dont 1 800 brigades à cheval et 500 à pied, pour affecter d’une manière stable, dans leurs résidences, des hommes qui avaient été détachés temporairement des brigades rurales pour entretenir des forces supplétives ou des postes provisoires.
La nouvelle assiette des brigades fut déterminée, dans chaque département, par une commission comprenant les autorités suivantes : inspecteur général de gendarmerie, préfet, procureur du roi, colonel chef de légion, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées(11).
Particularité du service. Dispersion des attroupements
Il convient de remarquer que l’usage de la formalité des sommations préalables à la dispersion par la force des attroupements s’était perdu depuis la période révolutionnaire, au mépris du décret des 20 juillet-3 août 1791 et de la loi du 28 germinal an VI.
C’est ainsi qu’on n’avait pas fait de sommations les 19 et 20 novembre 1827, lors des troubles provoqués par les résultats des élections favorables à l’opposition libérale. On n’en avait pas fait davantage les 3 et 9 juin 1820, lors des bagarres provoquées par la discussion de la loi électorale et au cours desquelles l’étudiant Lallemand avait trouvé la mort. Ces derniers événements eurent l’écho de la Chambre des députés. À la séance du 19 juin, le général Foy qui fut un grand citoyen après avoir été un grand soldat, éleva une protestation énergique :
« La force armée mise en avant, disait-il, ne pouvait être qu’un instrument passif dans la main de l’autorité civile. Les officiers militaires devaient s’effacer devant les officiers civils : c’étaient eux, c’était le préfet du département, le préfet de police, les maires et adjoints qui devaient marcher à la tête des pelotons, des bataillons, des escadrons ; c’était à eux à faire les avertissements officiels et les injonctions légales ; c’était à eux de disperser les attroupements sans tirer les sabres et seulement par des mouvements contre les hommes réunis, si ces hommes n’étaient pas armés. Il s’agit aujourd’hui de dire que les soldats n’ont fait qu’obéir à des ordres, qu’il ne faut s’en prendre qu’à ceux qui ont donné ces ordres et que la faute tout entière est dans un Gouvernement qui a cru qu’on pouvait faire la police d’une capitale constitutionnelle et civilisée comme on fait la police d’une capitale de l’Orient. »
Voici les journées de 1830(12). Bornons-nous à rappeler ici, que, dans la journée du 27, à deux heures, des gendarmes à cheval débouchèrent par la rue de Chartres sur la place du Palais Royal où ils renversèrent quelques personnes. Le peuple, qui était monté sur un tas de démolitions, assaillit les gendarmes à coups de pierres. Ceux-ci mirent le sabre à la main et frappèrent à droite et à gauche. Il faut remarquer que les pierres ne furent lancées qu’après les charges de cavalerie faites sans sommations, en l’absence de toute autorité civile, et pour se défendre des gendarmes qui écrasaient les citoyens.
Nous verrons que devant la Cour des pairs, au procès des ministres de Charles X, le colonel de Foulcaud déclara que les attroupements avaient toujours été dispersés à la vue des gendarmes, donc sans sommations préalables.
Il est à remarquer que les chefs de la gendarmerie royale n’usèrent pas du droit que l’ordonnance du 29 octobre 1820 leur conférait – à tort du reste – de faire eux-mêmes les sommations en l’absence de l’autorité civile (article 304). Nous verrons plus loin que ce qui était illégal dans l’ordonnance de 1820, est devenu régulier par la loi du 24 juin 1943, mais que cette dernière loi sera abrogée par l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine. Le Gouvernement décida de tirer une leçon des événements en promulguant une loi nouvelle contre les attroupements : ce fut la loi du 10 avril 1831 ; mais il fallut y revenir en 1848.
Observons que si des brigands attroupés et organisés en bandes apparaissaient en quelque point les officiers de gendarmerie tenaient de l’ordonnance de 1820 (article 75), le droit de réunir des gendarmes de plusieurs brigades, et que ce droit, réservé au pouvoir civil au moyen de réquisitions, par la loi républicaine de germinal, fut retiré aux officiers de l’arme par le décret du 1er mars 1854 qui fixa, en ses articles 113 et 117, la réglementation depuis lors en vigueur.
La monarchie de Juillet
Après les trois journées des 27, 28 et 29 juillet 1830, Louis-Philippe succéda à Charles X. On verra qu’après cette révolution de 1830, la gendarmerie royale de Paris, corps destiné au service de la capitale, fut dissoute et qu’en haine des gendarmes qui s’étaient montrés obéissants à leurs chefs pour la répression des émeutes, on créa un corps qui fonctionna jusqu’en 1848 sous le nom de garde municipale.
Nous verrons plus loin que la gendarmerie destinée à la surveillance des départements, bien qu’elle n’eût pris aucune part à la répression, eut à souffrir des conséquences de la révolution de juillet. Déjà, aux termes d’une ordonnance des 8 - 17 septembre 1830, on lui retirait son titre de gendarmerie royale, caractéristiques d’une troupe d’élite, pour lui substituer celui de gendarmerie départementale qui n’avait aucun sens et que, malgré l’impropriété du terme, elle a conservé jusqu’à nos jours.
Aussitôt après la chute de Charles X, une agitation légitimiste se produisait dans l’Ouest de la France, préludant au soulèvement qui devait se produire, à l’instigation de la duchesse de Berry et en faveur de son fils. Nous verrons en traitant de la force publique parisienne que, pour faire face à cette situation, le Gouvernement, avec la gendarmerie royale de Paris licenciée après les journées de juillet, créa en 1830 trois bataillons de gendarmerie mobile destinés à la répression des troubles et qui furent stationnés à Angers, Rennes et Nantes.
De ces trois villes partaient des détachements vers les lieux menacés par les révoltés, et le Livre d’or atteste qu’en 1831, gendarmerie sédentaire et gendarmerie mobile firent leur devoir. Néanmoins, une réorganisation de la gendarmerie mobile parut nécessaire, et une ordonnance du 3 octobre 1831 divisait les bataillons en brigades et postes provisoires qui furent répartis dans les compagnies circonvoisines.
En avril 1832, la duchesse de Berry débarquait à Marseille et se rendait en Vendée pour diriger l’insurrection, mais, au mois de juin, ses partisans étaient défaits. Emprisonnée, puis relâchée, la duchesse abandonnait la partie(13).
Cependant, la gendarmerie de renfort était maintenue pour comprimer l’agitation des parties et portée à deux mille gendarmes à pied par la loi du 23 février 1834. Pour que la répression fût plus efficace, la même loi attribuait la qualité d’officier de police judiciaire aux maréchaux des logis et brigadiers en service dans les départements menacés par l’agitation : Côtes-du-Nord, Finistère, Morbihan, Loire-Inférieure, Sarthe, Mayenne, Ille-et-Vilaine. Cette mission prit fin en 1838.
Prévôté aux armées
Nous nous bornerons, ici, a rappeler que les pouvoirs judiciaires des prévôts furent réglementés par l’ordonnance du 8 mai 1832 sur le service en campagne, puis dans le décret du 1er mars 1854 sur l’organisation et le service de la gendarmerie, avant de recevoir, par le Code de justice militaire du 4 août 1857, une existence légale.
Crise du recrutement
Deux ordonnances relatives à l’avancement, sur lesquelles nous reviendrons, celles des 18 - 29 août 1831 et 16 mars - 23 avril 1838, furent défavorables aux officiers supérieurs de l’arme ; mais c’est la gendarmerie tout entière qui eut à subir de grandes injustices : elle ne participe point aux améliorations de solde et de position qui avaient été accordées aux autres corps de l’armée ; elle perdit ses avantages particuliers de retraite et de rang supérieur et traversa une crise redoutable qui inquiéta les pouvoirs publics sur l’avenir d’une institution si précieuse aux intérêts du pays. Nous allons nous arrêter à cette crise si fertile en enseignements qui suivit la révolution de Juillet.
La solde de la gendarmerie, au début du régime de Louis-Philippe, était celle qui avait été déterminée par la loi du 23 germinal an VI pour les sous-officiers, brigadiers et gendarmes à cheval, et l’arrêté du 12 thermidor an IX pour les sous-officiers, brigadiers et gendarmes à pied. Depuis cette époque, des améliorations réelles avaient été apportées dans la fixation de la solde et des prestations attribuées à tous les corps de l’armée. Or, à l’exception des lieutenants et sous-lieutenants qui avaient profité de l’augmentation de solde accordée en 1839 aux officiers de ce grade, la gendarmerie n’avait point participé à ces améliorations ; elle avait cependant subi, comme les autres corps de l’armée, les conséquences du renchérissement de tout ce qui était nécessaire à la vie.
En outre, l’exclusion dont les sous-officiers, brigadiers et gendarmes avaient été frappés quant à l’augmentation des soldes, les avait frappés aussi quant à l’allocation de la haute paie dont jouissaient les militaires.
En ce qui concerne les officiers, l’allocation d’un supplément de 150 francs qui avait été fait à la solde des lieutenants et sous-lieutenants de gendarmerie comme aux autres officiers de ce grade dans les autres corps de l’armée, n’était pas proportionnée au traitement dont ils jouissaient respectivement, ni en rapport suffisant avec les besoins réels qu’éprouvaient les premiers en raison des dépenses auxquelles ils étaient seuls assujettis, telles que le paiement de l’impôt personnel et mobilier, les prestations exigées des habitants, le logement des troupes, etc. En outre, seuls les officiers de gendarmerie étaient exclus de l’indemnité d’ameublement qu’on allouait à tous les officiers de l’armée lorsqu’ils étaient logés sans meubles dans un bâtiment public.
Enfin, on n’avait pas appliqué à la gendarmerie les dispositions de l’ordonnance du 3 novembre 1837 et de la décision royale du 25 juillet 1839 qui avaient donné un cheval de remonte aux lieutenants et capitaines des troupes à cheval.
Et voici la suprême injustice : suivant les procédés créés en faveur du personnel de tous grades de la maréchaussée par les ordonnances du 27 décembre 1769 (article 6) et du 28 avril 1778 (titre I, article II) et des sous-officiers, brigadiers et gendarmes de la gendarmerie révolutionnaire par la loi du 16 février 1791 (titre 2, article 17), le Gouvernement de la Restauration, par diverses ordonnances que nous avons déjà citées et, en dernier lieu, par l’ordonnance du 29 octobre 1820 (article 31), avait accordé aux officiers, sous-officiers et gendarmes le rang du grade immédiatement supérieur qui servait à déterminer le montant de la pension de retraite.
Cette disposition avait pour but d’éviter que les sous-officiers, brigadiers et caporaux de la ligne n’éprouvassent aucun préjudice par leur nomination à l’emploi de gendarme, et elle était justifiée, d’autre part, par cette considération que le grade supérieur n’était acquis, dans la gendarmerie que par une ancienneté double de celle que ce grade représentait dans les régiments.
Or, ce privilège apparent qui seul relevait la gendarmerie aux yeux de l’armée, fut anéanti par l’article 21 (2e alinéa) de la loi du 14 avril 1832 sur l’avancement dans l’armée : « Il ne pourra également dans aucun cas être donné un rang supérieur à celui de l’emploi ». Cette disposition était légitime dans son application aux autres corps de l’armée ; elle avait pour but d’empêcher la renaissance de corps privilégiés tels que la garde royale, qui venait de sombrer en 1830, en défendant le trône de Charles X. Mais ce texte abrogeait implicitement l’article 31 de l’ordonnance de 1820 qui accordait équitablement aux militaires de la gendarmerie le rang du grade supérieur et le droit à la retraite de ce grade.
Les contemporains se demandèrent quelle pouvait être la raison de cette déchéance de la gendarmerie et ne surent qui en rendre responsable. L’histoire de l’arme peut nous aider à éclaircir ce mystère. Dans la loi de 1832, il n’est nullement question de la gendarmerie et l’on ne saurait admettre que, par antipathie ou mauvais vouloir, l’administration de la guerre ait voulu commettre une injustice énorme à l’égard de la gendarmerie et frapper rétroactivement, sans compensation, l’élite de l’armée qui était venue dans ses rangs sur la foi des traités.
Certes, le roi Louis-Philippe donnait-il tous ses soins à la garde nationale qui avait tant facilité son avènement au trône(14) ; mais l’on ne saurait cependant mettre en doute sa sollicitude dont il allait donner des preuves à la gendarmerie. On le verra plus loin. Au surplus, n’allait-il pas accorder l’honneur de l’inhumation aux Invalides au colonel Raffez, commandant la 1re légion (Paris) tombé à ses côtés, le 28 juillet 1835, lors de l’attentat de Fieschi ?
Mais, du fait qu’après la promulgation de la loi, on ne voulut pas revenir sur ses dispositions, pourrait-on arguer que la gendarmerie fut victime d’un oubli intentionnel et malveillant ? Nullement. Le législateur a souvent éprouvé de la répugnance pour la réparation de ses propres erreurs.
On le verra au sujet de la loi de 1924 sur les pensions. Il y a de sérieuses raisons de croire que les auteurs de la loi de 1832, comme ceux des autres lois qui avaient augmenté la solde et la position des militaires des corps de troupes, ne pensèrent nullement à la gendarmerie dont ils ignoraient, selon toutes probabilités, le règlement organique et les prérogatives. Selon toute vraisemblance, ils ne pensaient qu’à prévenir la renaissance d’un corps privilégié tel que l’ex-Garde royale, dont la fidélité à Charles X avait laissé un mauvais souvenir.
Ils oublièrent l’étendue des services que la gendarmerie rendait au pays et qui justifiait l’apparent privilège que la loi allait abolir. Ils ne pensèrent point à ce privilège, et les conséquences de cette omission ne tardèrent pas à se produire.
Ce furent des difficultés de recrutement. Les sujets susceptibles d’occuper un emploi de gendarme, qu’ils sollicitaient auparavant avec empressement, préféraient rester dans la ligne ou prendre leur congé à l’époque des libérations, les gendarmes sollicitaient leur retraite dès qu’ils y avaient droit, et la gendarmerie perdait ainsi des hommes utiles par leur longue expérience des fonctions de l’arme, et leur pension augmentait d’autant les charges du Trésor.
Dans les campagnes, l’incomplet était tel que des brigades qui devaient avoir les unes six hommes, les autres cinq, n’en avaient que trois ou deux. Ce n’étaient pas seulement les sous-officiers ou soldats qui manquaient pour tenir les brigades au complet ; c’étaient les officiers aussi qui refusaient de venir occuper dans l’arme les lieutenances qui leur étaient dévolues.
En 1841, la dissolution de l’arme était devenue si imminente que le Gouvernement se décida à agir. Il convient de louer sans réserve la solution qu’adopta le maréchal Soult, duc de Dalmatie, président du Conseil et ministre de la Guerre.
Améliorations
Grâce aux précautions prises par l’ordonnance de 1820, la gendarmerie était composée de l’élite de l’armée. Les candidats à un emploi dans cette arme devaient être âgés de vingt-cinq ans au moins, avoir une taille élevée, compter plus de trois ans de présence sous les drapeaux, savoir lire et écrire correctement et avoir une conduite exempte de reproches.
Le ministre se garda d’appliquer une méthode qui sera trop souvent suivie au siècle suivant sous la pression des circonstances et conduisant, soit à faciliter le recrutement de la gendarmerie en adoucissant les conditions d’admission, soit à n’engager de dépenses pour cette arme qu’à la condition de réaliser par ailleurs, dans son budget, des économies équivalentes.
Le maréchal Soult déclara à la Chambre des députés « que la loi et les ordonnances exigeaient des militaires destinés à la gendarmerie diverses conditions desquelles on ne saurait se départir sans danger pour l’institution elle-même », et il demanda et obtint pour la gendarmerie, par la loi du 26 avril 1841, une augmentation annuelle de dépenses de 1 549 925 francs.
Grâce à ce crédit supplémentaire, des ordonnances particulières apportèrent à la situation de la gendarmerie les améliorations suivantes :
- une ordonnance royale des 20 janvier - 1er février 1841 avait déjà réglé, sans attendre le vote des crédits, la question des pensions : les sous-officiers, brigadiers et caporaux de la ligne, admis à l’avenir dans la gendarmerie étaient considérés, pour la retraite, comme étant restés titulaires du grade qu’ils occupaient dans le corps où ils servaient précédemment, à moins qu’ils ne fussent promus à un grade supérieur dans la gendarmerie. Ces heureuses dispositions ne compensaient pas la perte des avantages qui avaient été enlevés à la gendarmerie par la loi de 1832. « Il est temps, lit-on dans un mémoire présenté en 1849 à l’Assemblée nationale, que le sort des sous-officiers et gendarmes soit enfin en harmonie avec les nécessités de la vie et qu’une existence honorable, acceptable, supportable même, leur soit préparée pour les vieux jours » ;
- une ordonnance des 30 avril - 26 mai 1841 augmenta la solde des officiers de gendarmerie de tous grades et la rapprocha de celle des officiers d’artillerie de même grade qui eurent pendant longtemps une situation privilégiée. La même ordonnance augmenta la solde des sous-officiers, brigadiers et gendarmes et leur attribua une haute paie ; elle accorda, aux frais de l’État, un cheval de remonte aux lieutenants et une indemnité d’ameublement à tous les officiers de gendarmerie logés sans meubles dans un bâtiment public ;
- enfin, une ordonnance des 30 avril - 18 mai 1841 se proposa de remédier à la lenteur de l’avancement en transformant vingt-huit lieutenances en capitaineries et cinq emplois de capitaine en emploi de chef d’escadron à Agen, Limoges, Poitiers, sièges de cours royales, et Châlons-sur-Marne, Clermont-Ferrand, chefs-lieux de divisions militaires.
Cette mesure était particulièrement justifiée. On pouvait lire dans le mémoire précité : « En abolissant les avantages concédés à la gendarmerie depuis plus d’un demi-siècle, pour balancer le peu d’avancement que ce corps obtenait relativement à l’armée, la loi du 14 avril 1832 avait contracté l’obligation forcée de faire concourir les militaires de la gendarmerie dans une proportion à peu près égale, à l’avancement donné aux régiments de l’armée ».
Les effets de la réforme de 1841 ne tardèrent pas à se faire sentir sur le recrutement de la gendarmerie qui s’opéra aussitôt après, avec facilité. Deux ans ne s’étaient pas écoulés que l’incomplet de l’arme disparut pour faire place à un nouvel état de choses dans lequel les demandes d’admission dépassaient de beaucoup les besoins du service. Une juste considération entourait la gendarmerie, et cette sorte de préjugé qui s’était attaché à la nature de ses services et dont la lettre ministérielle du 22 mai 1837 s’était proposé de supprimer la cause, avait également complètement disparu.
Accroissement des effectifs
Le recrutement de l’arme d’élite était devenu si facile qu’en 1843 le Gouvernement pouvait s’attacher à la solution d’une autre question urgente l’augmentation du nombre des brigades.
Un fait nouveau, en effet, s’était produit depuis la dernière réorganisation de la gendarmerie en 1829-1830 ; c’était le développement immense de l’industrie et de la prospérité publique. L’établissement des premiers chemins de fer, le progrès industriel ; l’ouverture de nombreuses routes, le creusement de nouveaux canaux, l’accroissement de la population et la création d’agglomérations nouvelles avaient accru les obligations de l’autorité chargée de veiller à l’ordre public. De là les demandes incessantes de la part des autorités locales pour l’augmentation du nombre des brigades de gendarmerie.
Déjà la loi du 23 février 1834 avait autorisé un accroissement temporaire de deux mille gendarmes à pied spécialement affectés à la police des départements de l’Ouest. La tranquillité ayant été promptement rendue à ces contrées, des réductions purent être opérées dès 1835 sur ces brigades nouvellement créées. Ces réductions eurent lieu d’année en année jusqu’en 1840, époque à laquelle elles durent être suspendues. En 1843, le nombre de ces brigades temporaires se trouva réduit à 163.
La facilité du recrutement de la gendarmerie, depuis la réforme de 1841, permettait de répondre au vœu des populations qui demandaient un accroissement du nombre des brigades. Ce vœu fut réalisé par la loi du 10 avril 1843 qui créa 118 brigades nouvelles dont 81 à cheval et 37 à pied. Ces brigades, jointes aux 163 brigades temporaires que l’on faisait rentrer dans le cadre permanent augmentèrent le cadre réglementaire de 281 brigades dont 81 à cheval et 200 à pied.
La gendarmerie départementale était portée ainsi, à dater du 1er juillet 1843, à l’effectif de 14 400 hommes de troupe répartis entre 2 750 brigades dont 1950 à cheval et 800 à pied. Le nombre des officiers s’élevait à 593.
Dans son discours à la Chambre des députés, le 28 janvier 1843, le rapporteur de la loi avait rendu hommage au caractère militaire de la gendarmerie : « La vie à moitié civile et isolée des gendarmes, les habitudes sédentaires qu’ils contractent, la nature et la diversité de leurs fonctions, enlèveraient bien vite à leurs services cette régularité et cette ponctualité qui en font la force, si des règlements rigoureux, une tenue sévère et le caractère de rigidité et de loyauté qui accompagne toujours les habitudes des militaires n’exerçaient sur eux une constante et salutaire influence ».
Passons à l’application de la loi.
À la date du 17 avril 1843, le duc de Dalmatie, ministre de la Guerre, par une instruction pour l’exécution de la loi du 10 avril, ordonnait la formation, dans chaque département, d’une commission consultative chargée de procéder à la révision de l’assiette des brigades et composée du préfet, président ; du maréchal de camp, commandant la subdivision ; de l’ingénieur des Ponts et Chaussées ; du commandant de la gendarmerie du département ; du procureur, près le tribunal de première instance du chef-lieu.
Le ministre faisait observer que le progrès de certaines branches de l’industrie et l’ouverture d’un grand nombre de voies de communication devaient fixer désormais l’attention sur des points dont la situation ne réclamait pas autrefois la même sollicitude.
Il faisait observer encore que l’importance des villes ne devait pas être un motif pour y grouper plus de brigades que n’en exigeaient les relations de service avec les postes qui convergeaient vers ces cités, le service de la gendarmerie étant particulièrement destiné, d’après la constitution du 28 germinal an VI, à la sûreté des campagnes et des grandes routes, et les villes pouvant contribuer à leur sûreté intérieure en donnant plus de développement aux moyens d’action de la police municipale.
Il ne devait être proposé aucun déplacement, aucune création de brigade sans que la commission se fût préalablement assurée qu’un casernement convenable pourrait être affecté à ce poste dans la commune où il était question de l’établir.
Le nombre des légions, de vingt-quatre depuis la première Restauration, avait été augmenté par l’ordonnance des 30 avril - 18 mai 1841 créant, avec les compagnies du Bas-Rhin et du Haut-Rhin détachées de la 22e légion (Nancy), une 25e légion dont le siège fût établi à Strasbourg.
Malgré l’accroissement d’effectif réalisé en 1843, la gendarmerie départementale n’avait pas encore le nombre de brigades indispensables à une surveillance méthodique du territoire. La loi du 11 avril 1847 vint créer 1 000 sous-officiers, brigadiers et gendarmes qui furent répartis entre 191 brigades nouvelles.
Pour assurer leur répartition, le pair de France de Saint-Yon, ministre de la Guerre, avait signé, à la date du 24 février 1847, une instruction analogue à celle du 17 avril 1843.
On créait, à partir du 1er mai 1847, un certain nombre de brigades qui seraient successivement augmentées dans les années 1848 et 1849, et une ordonnance du 18 novembre 1847 transformait plusieurs lieutenances en capitaineries.
La Deuxième République
Sur ces entrefaites, avait lieu la révolution de février 1848 qui entraînait la chute de la monarchie de Juillet, et au cours de laquelle la garde municipale de Paris avait fait héroïquement son devoir. Notons cependant qu’une fois de plus, le Gouvernement décida de tirer une leçon des événements en modifiant la législation contre les attroupements. Ce fut la loi du 7 février 1848.
Le 10 décembre, Louis-Napoléon Bonaparte est élu président de la République. Il appelle au commandement militaire de l’Élysée national le chef d’escadron de gendarmerie Thiboudot. La Deuxième République, issue de la révolution, allait opérer le renforcement de la gendarmerie décidé par la monarchie de Juillet. Grâce aux mesures prises à cet effet, l’effectif de la gendarmerie départementale fut porté le 1er janvier 1850 à 15 988 hommes.
Mais la République ne se contenta pas de cet effectif. La décision qui seule pouvait doter la gendarmerie d’une organisation rationnelle fut prise au cours de cette même année 1850. Depuis longtemps, les conseils généraux avaient émis le vœu de créer une brigade de gendarmerie dans chacun des 461 cantons qui en étaient encore dépourvus. Cette solution devait permettre à l’arme de mieux remplir son rôle de protection des honnêtes gens, grâce à sa présence plus fréquente dans les communes et à une meilleure connaissance de la population ; on dira plus tard : identification systématique. Dans le sens de la réduction du territoire à surveiller par chaque brigade, c’était le terme d’une évolution jalonnée par l’édit de mars 1720 et les lois révolutionnaires.
Plus tard, des moyens de communication plus rapides (bicyclette, moto, auto, téléphone), modifieront les conditions d’exécution du service, et pourront poser des problèmes nouveaux quant à l’assiette des brigades.
Prenons garde qu’ils pourront aussi faire commettre des erreurs graves : une gendarmerie dotée, de moyens modernes et qui, forte de son aptitude à répondre rapidement aux appels du dehors (avis de crimes ou de délits, demandes d’enquêtes, réquisitions), attacherait, de ce fait, moins d’importance à la police préventive et aux tournées de communes – état d’esprit que nous trouverons, en 1922, dans un rapport parlementaire (rapport Morin) – une gendarmerie peu soucieuse d’une exploration lente et méthodique de chaque circonscription, exploration facteur essentiel de la vigilance et seule fructueuse dans la recherche du renseignement ou pour la connaissance de la population, une telle gendarmerie courrait le risque de causer au pays, la surprise de quelque nouvelle affaire Vacher. On verra plus loin, qu’en 1897, cette affaire fut préjudiciable à notre arme dont une commission extraparlementaire proposa de soumettre les brigades à la surveillance des commissaires spéciaux de police. Un défaut de vigilance avait permis à un vagabond de commettre des crimes en série à l’insu de la gendarmerie.
Nous l’avons déjà dit : le progrès posera toujours de nouveaux problèmes ; mais une gendarmerie qui négligerait la continuité de la surveillance dans le temps et dans l’espace, et méconnaîtrait ainsi l’efficacité de la police préventive, trahirait le but de son institution. Une telle gendarmerie rendrait singulièrement aisé son remplacement par une police civile et s’exposerait ainsi à mourir de ses propres mains.
Il convenait également de dédoubler les lieutenances dont l’étendue était trop considérable, ce qui nuisait au bien du service et occasionnait des déplacements aussi fatigants que dispendieux aux officiers qui commandaient ces lieutenances.
Cette réforme fut réalisée par la loi des finances du 25 juillet 1850. Le principe de la création de 461 brigades dont 307 à cheval et 154 à pied, sauf à réduire l’effectif de l’infanterie de 15 000 hommes, fut adopté.
Mais les difficultés que l’on prévoyait à trouver immédiatement un casernement convenable décidèrent l’Assemblée à scinder l’opération. Elle n’alloua, dans le budget de 1851, que la somme nécessaire pour la formation de 231 nouvelles brigades, dont 154 à cheval et 77 à pied et la création de quatre emplois de lieutenants. L’opération devait être complétée en 1852.
Afin d’assurer le meilleur emploi des ressources qu’avait votées l’Assemblée, et par analogie avec ce qui avait été pratiqué lors des réorganisations précédentes, le ministre de la Guerre, de Schramm, décida, par son instruction du 29 octobre 1850 pour la création des nouvelles brigades de gendarmerie dans les cantons qui en étaient dépourvus, la formation, dans chaque département, d’une commission consultative qui avait à examiner quels étaient ceux de ces cantons où l’établissement d’un poste de gendarmerie présentait un caractère incontestable d’urgence ; sur quel point du canton il convenait de placer la brigade ; de quelle nature (infanterie ou cavalerie) devait être la brigade à concéder ; enfin quels pouvaient être les changements à apporter dans les brigades existantes, par suite de la création de nouveaux postes.
À la date du 28 mai 1851, une circulaire du nouveau ministre de la Guerre, le maréchal Randon, prescrivait aux chefs de légion de hâter l’installation des nouvelles brigades. Le personnel désigné devait être dirigé d’urgence sur la localité où l’installation devait avoir lieu au fur et à mesure qu’un casernement était rigoureusement disponible, c’est-à-dire qu’il pourrait être occupé sans inconvénient pour la santé des hommes et des chevaux.
En 1851, la gendarmerie comptait ainsi dans les départements 596 officiers, 16 546 hommes de troupe dont 11 881 à cheval et 4 665 à pied distribués entre 3 169 brigades dont 2 236 à cheval et 933 à pied.
Deux décembre
La même année 1851, un grand événement politique venait à se produire : le Deux décembre, où les brigades de gendarmerie allaient verser leur sang pour assurer le maintien de l’ordre. Elles eurent des victimes dans l’Hérault, le Var, la Nièvre et le Loiret.
L’histoire des événements du mois de décembre 1851 atteste le dévouement absolu de la gendarmerie dans l’accomplissement de sa mission. Le courage avec lequel elle résista, en province, à des masses nombreuses et armées eut un grand retentissement et accrut le prestige de l’arme.
Par une circulaire du 15 décembre, le ministre de la Guerre, maréchal de Saint-Arnaud, déclare aux chefs de légion que « la gendarmerie a dignement répondu à l’attente du Gouvernement et du pays ; elle a contribué, au prix de ses efforts et de son sang, à assurer le triomphe de l’ordre sur l’anarchie. »
Le ministre prescrit aux chefs de légion de « lui faire connaître dans le plus bref délai les noms des officiers, sous-officiers, brigadiers et gendarmes qui, dans les circonstances difficiles se sont le plus fait remarquer par leur énergie, leur sang-froid et la vigueur des dispositions prises pour la défense de la société en péril, ainsi que la situation des veuves et orphelins des militaires qui ont trouvé une mort glorieuse dans l’accomplissement de leurs devoirs ».
C’est ainsi que, par décret du 13 janvier 1852, le président de la République nomme dans l’ordre de la Légion d’honneur, deux colonels de gendarmerie : commandeurs ; six officiers supérieurs : officiers ; vingt-cinq officiers subalternes, soixante-dix gradés ou gendarmes : chevaliers.
Le courage déployé par la gendarmerie au cours de ces événements inspira certainement au colonel Ambert, du moins en partie, l’article si élogieux « Gendarme » qui, avant d’entrer dans le livre Soldat, parut dans le Journal de la gendarmerie du 21 novembre 1852(15).
Médaille militaire
La médaille militaire fut instituée par décret du 21 janvier 1852, et le prince-président de la République passait dans la cour des Tuileries, le 21 mars suivant, une revue signalée par la première distribution de cette médaille, à l’occasion de laquelle le prince prononçait une allocution.
(1) Arch. dép. Pyrénées-Orientales, R 3495.
(2) Arch. dép. Cantal, registre de correspondance, 1815 ; Revue de la gendarmerie, 15 janvier 1933, p.
(3) H. Houssaye, La Terreur blanche, Paris, 1905, p. 581.
(4) Arch. dép. Pyrénées-Orientales.
(5) Revue de la gendarmerie du 15 mars 1938.
(6) Éd. Bonnal, Les royalistes contre l’armée…, t. 2, p. 317.
(7) E. Daudet, La police politique : chronique des temps de la Restauration (1815-1820), Paris, 1912.
(8) Voir notre article de la Revue de la gendarmerie du 15 mars 1939.
(9) Revue de la gendarmerie du 15 janvier 1933 sous le titre « Évolution de la liberté individuelle ».
(10) Dont la Revue de la gendarmerie a publié dans son 3e numéro une belle et savante biographie due à M. l’avocat général Ithier.
(11) Arch. dép. Lot-et-Garonne.
(12) Voir le chapitre sur la gendarmerie parisienne.
(13) Voir J.-F. La Roche, Souvenirs d’un officier de gendarmerie sous la Restauration, Paris, 1914.
(14) C. Comte et H. Raisson, Histoire complète de la garde nationale, Paris, 1831.
(15) Voir la plaquette « gendarme » avec préface du capitaine Jean Fabre, supplément au numéro 24 de la Revue de la gendarmerie du 15 novembre 1931.