Troisième partie
De la Troisième République à nos jours
CHAPITRE I
La Troisième République
La chute du Second Empire est un coup dur pour les gendarmes, qui ont soutenu sans faille le régime. Au contraire de ce qui s’était passé en 1830 et en 1848, ils n’ont pas eu à intervenir pour empêcher les forces d’opposition de s’emparer du pouvoir. Mais les nouveaux hommes forts – monarchistes et républicains –, bien que divisés sur la nature du futur régime, sont unanimes à leur reprocher de s’être compromis avec le pouvoir bonapartiste. Par ailleurs, la défaite contre la Prusse et ses alliés annonce de profondes réformes de l’outil militaire, dont la gendarmerie fait partie intégrante. L’Arme ne risque-t-elle pas de faire les frais de la réorganisation générale qui s’engage ?
14 octobre 1877 : victoire des républicains aux élections législatives.
1er juillet 1886 : le général Boulanger ministre de la Guerre.
22 décembre 1894 : condamnation du capitaine Dreyfus à la déportation perpétuelle.
9 décembre 1905 : loi de séparation des Églises et de l’État.
3 août 1914 : l’Allemagne déclare la guerre à la France (et à la Grande-Bretagne le 4).
11 novembre 1918 : l’Allemagne signe l’armistice mettant fin à la Première Guerre mondiale.
6 février 1934 : nuit d’émeute à Paris.
3 mai 1936 : victoire du Front populaire aux élections législatives.
3 septembre 1939 : la France et la Grande-Bretagne déclarent la guerre à l’Allemagne.
22 juin 1940 : armistice franco-allemand de Compiègne.
18 juin 1940 : appel du général de Gaulle.
A – Dans l’attente des réformes (1871-1914)
Légion de la Garde républicaine (1902).
Après l’écrasement de la Commune de Paris et des mouvements insurrectionnels en province, le Gouvernement entreprend de renforcer ses moyens pour maintenir l’ordre dans la capitale et ses abords immédiats. La gendarmerie va, dans un premier temps, profiter de cette politique : augmentation des effectifs de la Garde républicaine (qui reprend son appellation initiale) et création d’une légion de gendarmerie mobile. En août 1871, la gendarmerie est forte d’environ 29 000 hommes (20 000 hommes pour les vingt-six légions et les 3 624 brigades de la gendarmerie départementale, 6 110 gardes républicains, 1 200 gendarmes mobiles et 1 500 gendarmes en Afrique du Nord et dans les colonies). Le pouvoir ayant besoin d’ordre et la gendarmerie ne s’étant pas opposée à son installation, elle espère conserver une place de choix au sein du nouvel État.
1 – Les rapports ambigus avec les pouvoirs publics
Gendarme à pied
(vers 1860).
La proclamation de la République le 4 septembre 1870 s’accompagne, une fois la paix revenue, d’une lutte pour le pouvoir entre les républicains et les conservateurs monarchistes, mais les deux adversaires s’accordent pour écarter les partisans de l’Empire et leurs soutiens. Les nouveaux hommes forts n’ont pas oublié les faveurs dont la gendarmerie a bénéficié tout au long du règne de Napoléon III. Ils la soupçonnent fortement d’être restée bonapartiste et favorable à un régime conservateur et autoritaire. Les interventions des gendarmes de certaines légions départementales pour intimider les candidats républicains et leurs électeurs lors de la campagne électorale de 1877, fondamentale pour l’avenir démocratique du régime, semblent donner raison aux détracteurs de l’Arme. Consciente de cette accusation, la gendarmerie croit percevoir dans les tentatives de réformes du corps qui sont entreprises à partir de 1871 une volonté manifeste de la rabaisser. Jusqu’en 1914, alors que les gendarmes n’ont de cesse de proclamer leur attachement au régime républicain, les rapports de la gendarmerie et des pouvoirs publics sont entachés d’ambiguïté, chaque acteur soupçonnant l’autre.
Le désastre de 1871 et la perte de l’Alsace-Lorraine ont traumatisé les Français. Sous l’impulsion d’Adolphe Thiers, à la tête du pouvoir exécutif, le pays s’engage dans une politique générale de réorganisation pour effacer la défaite et préparer la Revanche. L’armée, futur instrument de cette Revanche, est tout naturellement concernée par les réformes qui se préparent. Le moment est propice à un débat général : articles de presse et publications se multiplient, proposant des solutions sur le devenir de l’institution militaire.
Gendarmes escortant des déserteurs
(vers 1890).
Si la gendarmerie n’est pas au centre des discussions, certaines propositions la concernent. Plusieurs d’entre elles envisagent de la démilitariser pour la rattacher au ministère de l’Intérieur, en tant que force de police. Son statut militaire est remis en cause car sa fonction principale n’est pas de combattre – c’est le rôle des autres armes –, mais d’assurer la sûreté publique et le maintien de l’ordre. « C’est un corps départemental et cantonal pour le service de police et le maintien de l’ordre, mais ce n’est pas une troupe de guerre », écrit en 1871 le colonel Lewal, important théoricien militaire et futur ministre de la Guerre.
Portrait d’un
gendarme à pied
(vers 1873).
Chaque débat autour de la gendarmerie, au Parlement ou dans la presse, voit resurgir la question d’une éventuelle démilitarisation pour la rattacher au ministère de l’Intérieur ou de la Justice (notamment au tournant du siècle, quand, à la suite de crimes spectaculaires largement commentés par la presse, un débat sur le vagabondage et l’insécurité des campagnes met en évidence certains dysfonctionnements du corps). La montée en puissance de la police, notamment sous l’impulsion de Clemenceau, ministre de l’Intérieur en 1906, puis président du Conseil de 1906 à 1909, relance la question du statut militaire de la gendarmerie.
Toutefois, les pouvoirs publics ne semblent pas réellement tentés par cette solution. La succession des réformes entreprises met plutôt en évidence les embarras et les hésitations des gouvernements.
Garde à cheval
en tenue de ville
(1873).
Le redéploiement de la gendarmerie du 27 avril 1875 en trente et une légions départementales s’insère dans la réorganisation générale de l’armée réalisée entre 1872 et 1875. Mais le Gouvernement, souhaitant favoriser les corps de troupes sans pour autant augmenter le budget du ministère de la Guerre, va tenter, à deux reprises, de ramener le nombre des légions à celui des corps d’armée de métropole et d’Algérie. La première tentative, en 1879, qui réduit la gendarmerie départementale à vingt légions, est abandonnée au bout de quatre mois : on revient à trente et une légions, avec des légions bis et une légion ter – pour la Corse – pour conserver un numéro de légion identique à celui du corps d’armée correspondant. La dernière tentative, en 1886, entreprise par le général Boulanger – dont l’arrivée au ministère de la Guerre avait pourtant apporté à la gendarmerie l’espoir d’être mieux considérée –, ramène le nombre des légions à vingt et une. Comme la précédente, cette réorganisation ne donne pas satisfaction et provoque des réactions défavorables, tant des autorités militaires que des autorités civiles. Le décret du 24 décembre 1887 y met un terme en déployant la gendarmerie départementale en vingt-sept légions (avec des légions bis et ter).
La gendarmerie et les élections.
Le 24 juillet 1880, le ministre de la Guerre, Farre, adresse une circulaire aux commandants de légions de gendarmerie : « Messieurs, à l’occasion des élections qui auront lieu le 1er août prochain pour le renouvellement partiel des conseils généraux et d’arrondissement, vous rappellerez aux officiers, sous-officiers, brigadiers et gendarmes que le rôle de la gendarmerie doit se borner à assurer le maintien de l’ordre et la liberté des votes. Les commandants de compagnie ou d’arrondissement ainsi que le personnel des brigades devront rester à leur poste pendant toute la durée du scrutin. La gendarmerie devra, sans délai, déférer aux réquisitions qui lui seront adressées par les préfets, soit dans ce but, soit pour transporter les résultats du scrutin et les procès-verbaux de vote. Vous vous reporterez, d’ailleurs, aux instructions contenues à cet égard dans les circulaires ministérielles précédentes. Veuillez bien m’accuser réception de la présente dépêche et me rendre compte de l’exécution des dispositions qu’elle contient. »
Les gendarmes sont convaincus que leur rattachement à la direction de la cavalerie est le principal handicap à la compréhension des pouvoirs publics. Leur seul lien direct avec le ministre de la Guerre est un comité consultatif, créé en 1820, transformé en comité technique le 31 juillet 1888. Sa compétence est limitée aux questions techniques ; l’administration du corps et les questions de personnel sont du ressort du bureau de la gendarmerie, dépendant de la direction de la cavalerie. Mais la question de l’autonomie de la gendarmerie, par la création d’une direction – voire d’une sous-direction – n’est pas à l’ordre du jour.
Le décret du 20 mai 1903, préparé par le comité technique (présidé par le général Mourlan), n’est pas la grande réforme réclamée. Le dernier texte organique remonte à 1854, et le général André, ministre de la Guerre, explique dans le rapport introductif que la seule nécessité est de « coordonner les dispositions avec les lois, décrets et règlements intervenus depuis quarante-huit ans » ; il précise que le comité technique, « éloigné de tout esprit d’innovation systématique », a cherché à définir de façon précise les rapports du corps avec les pouvoirs publics « afin de sauvegarder cette arme contre des exigences qui ne pouvaient trouver leur prétexte que dans l’élasticité ou l’obscurité de quelques articles du décret de 1854 ». L’appartenance de la gendarmerie à l’armée est réaffirmée.
2 – La question du maintien de l’ordre
Gendarmes
escortant des
saltimbanques
(vers 1890).
En 1871, après l’écrasement du mouvement communard, la participation effective des troupes de ligne au maintien de l’ordre n’est pas véritablement remise en cause lors des débats sur la réorganisation de l’armée. Le rôle de la gendarmerie est même accru avec la création, le 23 juin 1871, d’une légion de gendarmerie mobile (un bataillon et un escadron). Sa mission est d’assurer la sécurité des pouvoirs publics qui siègent à Versailles et de renforcer les légions de la région parisienne en cas de besoin.
Le retour, en 1879, du Gouvernement et des chambres dans la capitale va poser la question de l’opportunité de conserver des troupes faisant double emploi avec la Garde républicaine. Le débat est bref et en deux actes. Leur budget n’étant pas renouvelé, l’escadron est licencié le 27 novembre 1879 ; le bataillon subsiste jusqu’au 28 mars 1885.
À partir de 1890, les luttes sociales deviennent plus fréquentes et beaucoup plus violentes. En cas de troubles graves, les effectifs de la gendarmerie départementale se révèlent insuffisants pour assurer ou rétablir l’ordre. L’appel à la troupe est alors fréquent. Mal préparés à cette mission, qu’ils n’acceptent qu’avec réticence, les régiments d’infanterie, de dragons et de cuirassiers réagissent souvent d’une façon maladroite et trop radicale. Ainsi, le 1er mai 1891, à Fourmies (Nord), la grève se solde par un massacre : les soldats du 145e régiment d’infanterie, dotés du nouveau fusil Lebel, ouvrent le feu sur la foule des manifestants (quatorze morts, soixante blessés).
ORGANISATION DE LA GENDARMERIE EN 1875 (mai)
Peloton de gendarmes aux grèves
d’Aniche (Nord) (1905).
La question de créer une troupe spéciale spécifiquement chargée du maintien de l’ordre, une gendarmerie mobile, se pose alors. Mais les pouvoirs publics et le personnel politique sont réticents. Les conservateurs répugnent à l’idée de donner au Gouvernement un instrument permettant d’imposer sa politique par la force ; cette idée prévaut notamment en 1906 à l’occasion des troubles qui se produisent pendant les inventaires des biens de l’Église. La gauche se méfie de tout ce qui peut s’apparenter à une « troupe prétorienne » pouvant mettre en danger la République ; la crise boulangiste de 1887-1889, puis l’affaire Dreyfus, atteignant son paroxysme en 1898-1899, éloignent durablement la gauche de l’armée. Les projets de reconstitution d’une gendarmerie mobile sont alors enterrés, plus ou moins discrètement, à la satisfaction générale, malgré l’intérêt porté à cette reconstitution par le ministre de la Guerre Eugène Étienne, en 1905-1906.
Gendarmes devant l’église d’Avranches
lors de la crise des inventaires (1905).
La loi du 21 mars 1905 sur le recrutement de l’armée, réduisant de trois à deux ans la durée du service militaire dans l’armée active, va réactiver le débat. Pour l’état-major, qui s’est résigné à cette mesure, le temps d’instruction des recrues étant beaucoup trop court pour préparer la Revanche, il devient dangereux de les distraire pour des opérations de maintien de l’ordre. Néanmoins, le Gouvernement, notamment pendant le ministère Clemenceau (1906-1909), hésite de moins en moins à faire appel à la troupe lors de mouvements sociaux qui secouent le pays. Lors de la crise viticole qui trouble le Languedoc en juin 1907, l’intervention de l’armée s’avère dramatique : six morts à Narbonne ; à Agde, des recrues du 17e régiment d’infanterie, originaires de la région, se mutinent et marchent sur Béziers. L’ordre est finalement rétabli et les mutins sont transférés dans un bataillon disciplinaire en Tunisie.
Pour éviter la répétition de ces graves incidents, l’idée de mettre en place une gendarmerie mobile refait surface. Adolphe Messimy, ministre de la Guerre en 1911-1912, prépare un projet de loi visant à créer une « Garde républicaine mobile » ; l’appellation de gendarmerie mobile, rappelant trop le Second Empire, est rejetée. Mais la chute du Gouvernement l’empêche de le déposer.
Trop d’intérêts s’opposent à la mise en place d’une force spécifique de gendarmerie chargée du maintien de l’ordre. La gendarmerie elle-même, craignant de voir une gendarmerie mobile constituée à partir des effectifs de la gendarmerie départementale, n’y est pas favorable.
3 – Les gendarmes : des citoyens à part
Brigade de Nangis en tenue de service courant
et en grande tenue (1887).
Les gendarmes, qui ont tous prêté serment à la personne de Napoléon III, acceptent cependant loyalement le changement de régime et participent à la répression qui succède à la Commune. Ils sont unanimement félicités pour leur attitude pendant cette période difficile. Mais, malgré tout, la République naissante, ayant conservé le souvenir des « prétoriens » qui permirent à l’Empire de s’affirmer, se méfie de ceux qui représentent un des symboles du régime déchu.
Le nouveau régime entend faire de l’armée l’outil de la Revanche et l’élément principal de l’unité nationale. Sa réorganisation suppose de la préserver des erreurs du passé et de la tenir à l’écart du débat politique. La loi du 27 juillet 1872 sur le recrutement de l’armée l’exclut du suffrage universel. Par ailleurs, alors que des militaires s’étaient publiquement exprimés en signant bon nombre de brochures ou d’articles dans la presse, pour apporter leur point de vue sur la réorganisation de l’outil militaire en 1871, les autorités leur rappellent leur devoir de réserve : l’armée est la « grande muette ». En échange, au moins jusqu’à la crise boulangiste, le pouvoir civil pare l’armée de toutes les vertus et la porte à l’admiration de la nation tout entière.
Arrestation d’un cycliste (1896).
Pour le gendarme, la situation est quelque peu différente. Il est évidemment soumis, en tant que militaire, aux lois et règlements qui s’imposent à l’armée. Privé des droits politiques, sa liberté matrimoniale est également restreinte par l’obligation d’obtenir une autorisation de la hiérarchie avant de contracter mariage ; l’apport dotal minimum imposé aux futures épouses des officiers est cependant supprimé en 1900. La vie en caserne est une contrainte supplémentaire pour le gendarme, qui ne peut aller et venir librement ; son épouse et ses enfants y sont tolérés sous sa responsabilité.
Revendiquant leur statut de militaire, les gendarmes en acceptent les contraintes. Mais ils supportent mal le manque de considération des autorités et la méfiance qu’elles manifestent vis-à-vis de l’Arme. De plus, loin de faire l’admiration unanime des populations, les gendarmes sont en général détestés quand ils interviennent pour faire respecter les règlements ou maintenir l’ordre : leurs interventions lors des grandes grèves des années 1890-1910 ou des inventaires des biens du clergé en 1906 renforcent leur impopularité.
Les campagnes, lieu d’action privilégié de la gendarmerie, admettent difficilement un ordre imposé remettant en cause l’intimité de la vie privée, comme les violences familiales, ou les usages locaux, qu’il s’agisse de la chasse, de l’usage des forêts ou des désordres, parfois accompagnés de violences, s’apparentant à des coutumes anciennes, comme les charivaris. En attendant de policer les populations rurales par le service militaire et l’enseignement public, le pouvoir envoie les gendarmes pour faire exécuter les lois.
Le bandit Boissin abattu par des gendarmes
(1891).
Au début du XXe siècle, la condition des gendarmes est peu enviable : la solde est restée inchangée depuis 1874 – en 1890, celle des officiers de gendarmerie est alignée sur la solde des officiers des autres armes – ; les tâches administratives qu’on leur impose alourdissent leur travail ; ils ne profitent pas des avantages accordés aux autres militaires qui rengagent et beaucoup d’entre eux quittent le service sans avoir reçu la médaille militaire.
La loi du 21 mars 1905 sur le recrutement de l’armée confirme le peu d’intérêt porté par les responsables politiques à la gendarmerie : le législateur fait de la profession de gendarme un emploi réservé, facilitant ainsi l’entrée dans le corps de nombreux sous-officiers d’autres armes au détriment de l’avancement propre du corps.
La condition des militaires de la gendarmerie est telle que le recrutement s’en ressent, tant sur la qualité que sur le nombre. Dans les dernières années qui précèdent la Grande Guerre, le nombre de candidats est pratiquement toujours inférieur au nombre de postes vacants.
Gendarme (vers 1885).
Afin de faciliter le passage des sous-officiers de gendarmerie au corps des officiers, une école est mise en place en 1901 à Paris, à la caserne Schomberg, sous la direction de la légion de la Garde républicaine. Cependant, elle ne semble pas donner entièrement satisfaction au personnel, qui, dans les légions de province, peine à préparer le concours d’entrée.
Comme les autres militaires, les gendarmes n’ont pas la possibilité de s’exprimer publiquement, sans l’autorisation du ministre de la Guerre, pour présenter leurs revendications. Toutefois, quelques-uns, sous couvert de l’anonymat, publient dans la presse des articles dénonçant la condition des gendarmes et le peu de considération que les pouvoirs publics accordent à la gendarmerie. Mais ce sont surtout les retraités de l’arme, non tenus au devoir de réserve, qui interviennent auprès des parlementaires et écrivent dans la presse spécialisée : Le Journal de la gendarmerie, fondé en 1839, L’Écho de la gendarmerie, fondé en 1887, à la suite du Moniteur de la gendarmerie, et Le Gendarme, fondé en 1888 par le capitaine Paoli, également fondateur de la Caisse du gendarme destinée à venir en aide aux militaires de la gendarmerie et à leur famille.
B – L’épreuve de la Grande Guerre (1914-1918)
Le capitaine Paoli.
Né en 1838, François-Jean Paoli commence sa carrière militaire en 1859. Il prend part à la guerre de 1870-1871 puis entre dans la gendarmerie, où il effectue la plus grande part de sa carrière au sein de la Garde républicaine. Il prend sa retraite comme capitaine en 1895. Écrivain et poète, il doit sa renommée en tant que promoteur de la mutualité dans l’armée. Soucieux de fonder un organisme destiné à venir en aide aux gendarmes et à leurs familles en cas de maladie ou de décès, il crée en 1887 une caisse de secours mutuels qui prend l’année suivante le nom de Caisse du gendarme, reconnue d’utilité publique en 1896. C’est la première société mutualiste pour les militaires en activité, qui rassemble immédiatement plus de 8 000 adhérents et 20 000 sociétaires en 1904. Fondateur du journal Le Gendarme, il en fait l’instrument de défense de l’Arme et de ses personnels. Il constitue le premier système de vente par correspondance des tenues pour les gendarmes. En 1914, il reprend du service et commande pendant trois ans l’arrondissement de Hazebrouck, où il fait le coup de feu contre des patrouilles allemandes. Officier de la Légion d’honneur en 1921, il meurt le 30 mars 1923 à Fontenay-aux-Roses (Seine). La fondation Maison de la gendarmerie, créée en 1944, poursuit son œuvre en apportant des secours aux familles des militaires en difficulté et en développant des activités de tourisme social et familial.
En août 1914, après une brève crise d’un mois, l’Europe s’embrase dans un conflit qui va durer un peu plus de quatre ans, l’Allemagne déclarant la guerre à la France le 3 août 1914. Les gendarmes départementaux participent évidemment aux premières opérations d’entrée en guerre du pays en placardant les affiches de mobilisation des armées de Terre et de Mer sur les murs des mairies et en organisant le départ des mobilisés vers leur point de rassemblement.
L’article 301 du décret du 20 mai 1903 prévoit qu’en cas de guerre la gendarmerie, en dehors des prévôtés qui accompagnent les armées, peut former des unités combattantes, comme cela avait été le cas lors du dernier grand conflit de 1870-1871.
1 – Les gendarmes exclus du monde des combattants
Gendarmes escortant des
prisonniers allemands
(vers 1915).
Si le Gouvernement refuse de mettre sur pied pour le front des formations constituées de gendarmes, il accepte néanmoins que des gendarmes se portent volontaires pour encadrer les réservistes de l’infanterie. Ainsi, dès septembre 1914, un premier contingent de plusieurs centaines de volontaires, issus en majorité de la Garde républicaine, part combattre sous l’uniforme du fantassin.
Dans les régions du nord de la France, envahies par les troupes allemandes, le ministre de la Guerre, devant l’urgence de la situation, va donner l’ordre, le 29 août 1914, à la 1re légion de gendarmerie départementale (Lille) de constituer des unités combattantes avec les gendarmes de la légion repliés sur Amiens, siège de la 2e légion. Mais cela ne dure que quelques jours. À compter du 16 septembre, les éléments repliés des 1re et 2e légions sont constitués en détachements pour renforcer les brigades de gendarmerie à proximité du front.
Il est d’ailleurs fréquent, pendant la période de la « course à la mer » qui succède à la première victoire de la Marne, de voir les gendarmes des brigades situées sur le front faire le coup de feu contre les patrouilles ennemies.
Jusqu’à la fin du conflit, aucun régiment de gendarmes ne sera constitué et, à compter de 1916, l’état-major, qui a davantage besoin de gendarmes prévôtaux, s’oppose quelque peu aux engagements volontaires des gendarmes départementaux. Toutefois la loi Mourier du 10 août 1917, destinée à combler les pertes considérables des unités combattantes, envoie au front des gendarmes réservistes qui avaient d’abord été mobilisés dans la gendarmerie départementale.
Gendarmes à cheval
contrôlant un soldat
(vers 1890).
Au total, la gendarmerie départementale et la Garde républicaine fournissent, principalement à l’infanterie, quatorze officiers généraux et supérieurs, trente-deux officiers subalternes et 804 sous-officiers gendarmes et gardes. Plus de 250 militaires de la gendarmerie trouvent la mort au sein des unités combattantes, dont le général Battesti, ancien chef de la 2e légion de gendarmerie, tué à Reims le 25 septembre 1914, à la tête de la 52e division d’infanterie.
2 – Le rôle ingrat des prévôtés
Le décret organique de 1903 prévoit que la gendarmerie assure un service prévôtal au sein des armées en temps de guerre. Cette fonction, traditionnellement confiée à la maréchaussée puis à la gendarmerie depuis sa création en 1791, est réglée par l’instruction du 31 juillet 1911 sur le service en campagne. La presque totalité des officiers et 17 802 hommes de troupe vont, par roulement, faire partie des formations prévôtales des cent cinq divisions du front du Nord-Est et du corps expéditionnaire d’Orient : sept cents d’entre eux trouvent la mort pendant le conflit.
Enfants de troupe
(vers 1870).
Les missions des prévôtés consistent en la police des cantonnements, la lutte contre l’alcoolisme, la répression du pillage, de l’espionnage et des menées défaitistes, la régulation et le contrôle de la circulation dans les agglomérations et sur les routes de la zone des armées, et le service du champ de bataille. Les gendarmes prévôtaux sont donc chargés d’assurer le maintien de l’ordre aux armées, d’arrêter les fuyards et les déserteurs et, comme l’écrit le général Eydoux, commandant du 11e corps d’armée, le 5 septembre 1914, de « maintenir les hommes sur la ligne de feu et forcer au besoin leur obéissance ». Ils doivent également surveiller et contrôler les civils qui se trouvent dans la zone des armées – secrétaires, vivandiers, marchands, habitants – et refouler ou arrêter les indésirables – vagabonds, espions, trafiquants, prostituées.
Képi de
gendarme
prévôtal
(vers 1916).
L’état-major considère comme essentiel le rôle de la gendarmerie prévôtale et s’efforce, tout au long du conflit, d’en augmenter les effectifs. Dès août 1914, le rôle des prévôtaux, face à la retraite désordonnée des armées françaises et des réfugiés civils devant l’avance fulgurante des armées du Kaiser, se révèle primordial pour le redressement qui conduit à la première victoire de la Marne (septembre 1914). En 1916, la régulation de la circulation par les gendarmes le long de la « voie sacrée » permet pendant plusieurs semaines d’amener des troupes fraîches dans le secteur de Verdun et de contrecarrer les plans de l’ennemi.
Casque de
gendarme
prévôtal
(modèle 1915).
Le gendarme Fourriques (1914).
Mais leur action est décriée par les combattants. Il n’est pas besoin ici de rappeler les terribles épreuves auxquelles doivent faire face les soldats sur le front, où règne une discipline rigoureuse et, en général, acceptée. Par une sorte d’accord tacite entre la troupe et les officiers, ces derniers laissent à leurs hommes une certaine liberté lorsqu’ils redescendent des tranchées pour quelques jours – voire quelques heures – de repos. Mais les consignes des prévôtaux sont strictes. Des incidents, parfois violents, opposent ces derniers aux soldats qui souhaitent oublier les dures conditions des bombardements et des combats en contrevenant aux règles de la discipline dès qu’ils quittent les tranchées. La méfiance des « poilus » vis-à-vis des gendarmes, considérés comme des « embusqués » – il est courant de dire que l’on quitte la zone dangereuse du front quand on aperçoit les képis des gendarmes –, va peu à peu faire place à une véritable hostilité. Conscient de ce problème, le commandement en chef va nommer un nouvel inspecteur général de la gendarmerie aux armées et placer à ce poste le général Bouchez, ancien chef de la légion de la Garde républicaine, qui commande alors une division d’infanterie (23 février 1917).
La période la plus délicate est celle du printemps 1917 quand, à la suite de l’offensive désastreuse du Chemin des Dames (avril 1917), des régiments se mutinent et refusent de monter en ligne. La nomination à la tête des armées françaises du général Pétain, plus économe du sang des combattants, ramène le calme. Dans les mois qui suivent, la situation des prévôtaux demeure très difficile. La haine du gendarme est quelquefois plus forte que celle de l’ennemi et peut aller jusqu’à l’assassinat ; ainsi, à Commercy, le 9 septembre 1917, un gendarme en service commandé est assassiné par des militaires. Le général en chef est obligé d’intervenir pour demander aux officiers de veiller à ce que les gendarmes soient traités avec égard et de sanctionner les militaires qui ne se conformeraient pas à cet ordre. Mais, jusqu’à la fin du conflit, l’hostilité des combattants ne fléchit pas.
3 – Les problèmes d’effectifs de la gendarmerie de l’intérieur
Arrestation d’un vagabond par
deux gendarmes (vers 1875).
La mobilisation des réservistes de la gendarmerie ne suffit pas à combler les places laissées vacantes par les prélèvements effectués dans les brigades pour constituer les prévôtés. Avec des effectifs moindres, la gendarmerie départementale voit ses tâches accrues par la guerre : exécution des lois sur la mobilisation, chasse aux insoumis et aux déserteurs, surveillance des suspects et des prisonniers de guerre, garde des frontières des pays neutres. Par ailleurs, la délinquance et le brigandage sont en nette augmentation.
Pour faire face, alors que le recrutement est suspendu depuis le début des hostilités, le ministre de la Guerre autorise l’admission temporaire des gendarmes auxiliaires (23 avril 1915). Mais il faut attendre le 29 juillet 1917 pour qu’un véritable recrutement soit rétabli ; des gendarmes temporaires sont recrutés et titularisés après un stage de trois mois. Toutefois, les légions de gendarmerie départementale restent en sous-effectifs : malgré la présence de 197 gendarmes temporaires et auxiliaires, la 18e légion (Bordeaux) est en déficit de 147 sous-officiers et gendarmes en 1918 ; le passif est de 122 sous-officiers et gendarmes pour la 6e légion (Châlons), en dépit de la présence de cinquante-cinq temporaires et auxiliaires.
Les rapports avec la population ne sont pas toujours bons. Les gendarmes des brigades sont souvent considérés comme « embusqués » et leur rôle de messagers de mauvaises nouvelles, annonçant aux familles la mort au front d’un père ou d’un fils, conforte bien souvent cette appréciation dans l’esprit des civils de l’arrière.
C – D’une guerre à l’autre (1918-1940)
Pétain et la gendarmerie au lendemain de la Grande Guerre. Le 26 août 1919, le maréchal Pétain délivre le message suivant : « Au moment où les hostilités vont prendre fin, le maréchal commandant en chef des armées françaises de l’Est tient à féliciter la gendarmerie des services qu’elle a rendus. Au début de la campagne, tout le long de la frontière, elle a déployé beaucoup de courage et d’activité en surveillant les étrangers suspects, en recueillant tous renseignements utiles et en engageant la lutte avec des patrouilles et des détachements ennemis. Pendant la campagne, la gendarmerie a su remplir avec tact et fermeté l’importante mission de maintenir l’ordre dans la zone arrière du champ de bataille, souvent sous le feu, et de surveiller les populations civiles pour écarter les suspects. Tous ont bien mérité de la patrie. »
À l’issue de la Grande Guerre, la gendarmerie va voir sa place s’accroître et les débats d’avant-guerre trouver une solution. Dans les mois qui ont précédé l’armistice du 11 novembre 1918, le Gouvernement, sous l’impulsion du président du Conseil Georges Clemenceau et du général Mordacq, directeur de son cabinet militaire, va mettre en place une sous-direction de la gendarmerie (16 février 1918), prélude à une possible direction. Pour atténuer les difficultés du personnel de la gendarmerie, méprisé par les combattants, et revaloriser sa position dans la société, le Gouvernement donne le rang de sous-officier à tous les gendarmes (21 février 1918). Néanmoins, sous l’influence des groupes de pression formés par les anciens combattants, les gendarmes prévôtaux se voient refuser, en 1927, la carte du combattant.
Par ailleurs, devant la menace des troubles sociaux qui éclatent en France une fois la paix revenue, dans le contexte de la révolution bolchevique de 1917, la question d’une gendarmerie mobile va trouver rapidement, mais discrètement, une issue.
1 – La naissance de la direction de la gendarmerie
Le général Plique.
Né en 1866, élève de l’École spéciale militaire de Saint-Cyr de 1887 à 1889, Joseph Plique est d’abord affecté au 156e régiment d’infanterie avant d’être versé, avec la grade de lieutenant, dans la Garde républicaine. Nommé chef d’escadron en 1908, Plique publie, en 1912, alors qu’il commande la compagnie de la Lozère, une Histoire de la maréchaussée du Gévaudan. Commandant de la 12e légion de gendarmerie à Limoges, en février 1918, il est nommé par Clémence au à la tête de la sous-direction de la gendarmerie nouvellement créée. Il est promu colonel peu après. Comme commissaire du Gouvernement, il intervient lors des débats parlementaires traitant de la gendarmerie. Le colonel Plique doit néanmoins affronter le scepticisme des autorités civiles et militaires, qui n’envisagent pas le maintien d’un organisme créé pour la durée du conflit. En février 1920, la sous-direction est supprimée et Plique est nommé à la tête de la légion de gendarmerie de Paris. Mais, huit mois plus tard, une direction de la gendarmerie est créée et le colonel Plique est conduit à en prendre la tête. Il peut alors entreprendre les réformes nécessaires, dont la recréation d’une gendarmerie mobile. Après cinq années passées à la tête de la direction, Plique est nommé commandant du 2e secteur de gendarmerie à Tours. Promu officier de la Légion d’honneur en 1921 et général de brigade en 1923, Joseph Plique est placé dans la section de réserve en 1926. Il meurt le 17 juillet 1949 à Gudmont (Haute-Marne).
La question du maintien de la sous-direction, créée « pour la durée des hostilités » et toujours rattachée à la direction de la cavalerie, se pose pour la gendarmerie. Le lieutenant-colonel Plique, sous-directeur, tente de retarder l’échéance et entreprend, notamment, une politique destinée à accroître le recrutement en revalorisant la condition des gendarmes (augmentation des soldes et des primes). Il entend profiter des premières mesures de démobilisation qui rendent à la vie civile des milliers de combattants à la recherche d’un emploi. Mais, le 15 février 1920, la sous-direction est supprimée.
Le colonel Plique.
Néanmoins, l’idée d’une direction autonome, indépendante de la direction de la cavalerie, fait son chemin, d’autant plus que la gendarmerie voit s’accroître ses missions : implantation de brigades dans l’Alsace-Lorraine retrouvée, création d’une légion de gendarmerie de l’armée du Rhin, envoi de détachements dans les territoires du Levant placés sous mandat (Liban et Syrie). Le 21 octobre 1920, la direction de la gendarmerie est créée par décret au sein du ministère de la Guerre. Le colonel Plique, ancien sous-directeur, est nommé à sa tête.
Les débuts sont délicats ; la nouvelle direction doit s’imposer auprès des administrations de l’Intérieur et de la Justice qui l’emploient, et le ministre de la Guerre doit intervenir pour qu’elle ne soit pas tenue à l’écart. Elle doit aussi s’imposer auprès de certains commandants de légion qui voient d’un mauvais œil l’arrivée d’un nouvel échelon hiérarchique auquel ils sont tenus de rendre compte.
Les directeurs de la gendarmerie de 1920 à 1940
1) Directeurs de la gendarmerie (1920-1933)
1920-1922 colonel Plique
1922-1923 colonel Jean
1923-1924 général Grimard
1924-1928 général Crinon
1928-1932 général Bucheton
1932-1933 lieutenant-colonel Nicolet
2) Directeurs du contentieux, de la justice militaire et de la gendarmerie
1933-1939 Marcel Oudinot (conseiller à la cour d’appel de Paris)
1939-1940 Roger Léonard (maître des requêtes au Conseil d’État)
Les successeurs immédiats du colonel Plique sont des officiers issus de l’Arme : colonel Jean, général Grimard, général Crinon, général Bucheton, lieutenant-colonel Nicolet. Mais la création de la direction des fabrications d’armement au ministère de la Guerre conduit le Gouvernement, le 15 juillet 1933, à fusionner la direction du contentieux et de la justice militaire et celle de la gendarmerie afin de ne pas augmenter le nombre de directions au ministère. Un magistrat, Marcel Oudinot, conseiller à la cour d’appel de Paris, est alors placé à la tête de la nouvelle direction du contentieux, de la justice militaire et de la gendarmerie. Une sous-direction de la gendarmerie, avec à sa tête un officier général de l’Arme, lui est subordonnée.
À la veille du second conflit mondial, Roger Léonard, maître des requêtes au Conseil d’État, est directeur du contentieux, de la justice militaire et de la gendarmerie ; le général Desprez est sous-directeur de la gendarmerie.
2 – Naissance d’une formation spécialisée : la Garde républicaine mobile
À partir de 1919, le retour à la paix s’accompagne d’une importante crise sociale résultant de la hausse générale des prix et d’une montée du chômage. Les pouvoirs publics redoutent de voir s’installer en France une situation insurrectionnelle à l’instar de l’Allemagne, l’Italie ou la Hongrie. Or, pour maintenir l’ordre, il n’est plus question de faire appel à une armée auréolée de la victoire, portée à l’admiration de la nation.
Après avoir été tenté par la levée d’une milice civique, constituée d’anciens combattants encadrés par la gendarmerie, le Gouvernement remet à l’ordre du jour la mise sur pied d’une force militaire spécialement formée pour maintenir l’ordre. La majorité conservatrice de la Chambre « bleu horizon », élue en 1919, n’y est pas hostile. La loi de finances du 21 juillet 1921 permet la création de pelotons mobiles de gendarmerie, en renfort des brigades, rattachés aux légions de gendarmerie départementale. Les pelotons mobiles prennent le nom de Garde républicaine mobile (GRM) en 1926. Cette création, relativement discrète, ne prendra toute sa mesure qu’avec la constitution des légions autonomes de GRM le 24 septembre 1927. Seize légions sont constituées entre 1927 et 1939. En 1933 est créé le groupe spécial de Satory, près de Versailles, doté de chars légers. La Garde républicaine mobile aligne un effectif de 21 000 hommes en 1939.
Gardes républicains mobiles
(vers 1935).
Outre l’avantage de n’avoir plus à faire appel à l’armée, la mise sur pied d’une troupe spécialement formée pour faire face à des manifestants déterminés – ce qui n’était pas le cas, autrefois, des régiments d’infanterie, de dragons ou de cuirassiers – permet d’économiser des vies lors des affrontements parfois inévitables. La période de l’entre-deux-guerres connaît pourtant des journées de manifestations particulièrement violentes, comme celle du 6 février 1934 à Paris, au cours de laquelle, aux côtés des forces de la préfecture de police, la Garde républicaine de Paris et la Garde républicaine mobile à cheval doivent affronter les ligueurs d’extrême droite. Certains manifestants déterminés font usage d’armes à feu ou s’en prennent aux chevaux pour désarçonner les cavaliers.
Une autre force spécialisée est rattachée temporairement à la gendarmerie pendant cette période : en 1926, la gendarmerie maritime, affectée au service des ports et arsenaux et rattachée depuis 1832 à la Marine, est intégrée à la gendarmerie. Mais, en 1935, cette fusion est abandonnée et elle se trouve à nouveau subordonnée au ministre de la Marine.
3 – Des personnels mieux formés et des moyens mieux adaptés
Peloton de gardes
républicains mobiles
à cheval (1928).
Pour pallier la crise du recrutement, apparue dans les premières années du XXe siècle, il est nécessaire, alors que le maintien de l’ordre devient une priorité fondamentale, de revaloriser la condition des personnels de la gendarmerie. Cette revalorisation, commencée en 1918 par l’élévation au rang de sous-officier des simples gendarmes et l’amélioration des soldes et des primes au lendemain de la guerre, passe par la formation des candidats au métier de gendarme.
L’organisation d’un centre d’instruction d’élèves aspirants de gendarmerie en 1917 précède la création, à Versailles, d’une école destinée à la formation des officiers de gendarmerie, le 31 décembre 1918.
Page de titre du livre d’or
de l’école d’officiers de la
gendarmerie (1919).
Le 16 mars 1918, le Gouvernement prévoit de créer des centres d’instruction de gendarmerie pour les sous-officiers. Un centre est ouvert, à titre expérimental, à Varenne-sur-Allier. En 1919, le centre est dissous et fait place à trois écoles préparatoires à Mamers, Tours et Moulins. Un centre d’instruction pour gendarmes alsaciens-lorrains est créé à Lure pendant la guerre et transféré à Strasbourg. Dès 1922, les pelotons mobiles de gendarmerie prennent en charge les élèves gendarmes à la sortie des écoles pour compléter leur instruction, ce qui entraîne ainsi progressivement la disparition de ces dernières.
Le progrès dans la formation des personnels s’accompagne également d’un progrès des moyens matériels mis à disposition de l’Arme : peu à peu, les différentes formations de gendarmerie départementale sont dotées de téléphones et de machines à écrire. Mais c’est surtout dans les moyens de locomotion que ce progrès est particulièrement visible. L’usage de la bicyclette, apparu au début du siècle, se répand rapidement après la guerre et conduit à la disparition progressive – jusqu’en 1937 – des brigades à cheval, en dépit des réticences de certains militaires qui considèrent que leur prestige est ainsi entamé. Mais l’après-guerre voit surtout la motorisation des unités : à partir de 1919, chaque légion et chaque compagnie est dotée d’une automobile, alors que chaque section de gendarmerie reçoit une motocyclette avec side-car. La dotation en véhicules permet à la gendarmerie de remplir la mission de police de la route – redéfinie en 1928 –, de réprimer les infractions au Code de la route et de lutter contre une criminalité apparue à la veille de la Grande Guerre et qui se répand au rythme du développement de l’automobile.
4 – De la « drôle de guerre » à la défaite
Gardes républicains mobiles
(vers 1937).
La situation internationale, brutalement aggravée en 1938, ne laisse guère de doute sur l’imminence d’un conflit en Europe. La signature du pacte germano-soviétique (23 août 1939) et l’agression hitlérienne en Pologne (1er septembre 1939) conduisent la France et son alliée britannique à déclarer la guerre à l’Allemagne le 3 septembre 1939.
Le rappel sous les drapeaux, partiel dès le 24 août et général le 2 septembre, voit, comme en 1914, les brigades de gendarmerie coordonner le départ des mobilisés vers leurs affectations. L’instruction de 1911 sur le service aux armées de la gendarmerie, toujours en vigueur quoique modifiée à plusieurs reprises, préside à la mise en place des détachements prévôtaux dès le 27 août. Pendant les huit mois de la « drôle de guerre » qui précèdent l’offensive allemande, 3 500 gendarmes, dont cent cinquante officiers, sont ainsi affectés aux cent cinquante prévôtés réparties dans la zone des armées, dont neuf détachements de liaison auprès du corps expéditionnaire britannique. Les gendarmes prévôtaux doivent, en principe, être remplacés dans les brigades par des réservistes et des gendarmes auxiliaires. Mais, comme pendant la Grande Guerre, de nombreuses brigades se retrouvent en sous-effectif alors que les missions vont en augmentant.
Télégramme annonçant l’ordre de
mobilisation à la brigade d’Andelot
(septembre 1939).
Le pays semble s’être préparé à l’état de guerre. La loi du 11 juillet 1938 sur l’organisation de la nation en temps de guerre mobilise l’ensemble des forces administratives et économiques. Avec l’aide de la gendarmerie, les populations civiles sont évacuées des zones dangereuses et hébergées dans les départements moins exposés. Mais les pouvoirs publics craignent avant tout la subversion intérieure. Le Parti communiste, ayant approuvé le pacte germano-soviétique, est dissous et ses militants sont étroitement surveillés, voire internés dans des camps, au même titre que de nombreux étrangers considérés comme suspects (y compris des antifascistes allemands et autrichiens qui ont fui le Reich). La crainte du sabotage par des agents ennemis infiltrés dans la zone de l’intérieur, la « cinquième colonne », même si elle est exagérée, est cependant une réalité et oblige les gendarmes à exercer une très grande surveillance des points sensibles dans l’ensemble du pays : voies de communication, établissements travaillant pour la défense nationale, camps militaires, aérodromes, etc.
La gendarmerie à la veille de la Seconde Guerre mondiale
Peloton de gardes républicains mobiles de la compagnie de Longeville-les-Saint-Avold (1939).
En outre, comme au cours du précédent conflit, la gendarmerie est chargée de contrôler la circulation automobile, de réprimer les trafics illicites, de rechercher les insoumis et les déserteurs.
Néanmoins, contrairement à ce qui s’était passé en 1914, le Gouvernement va permettre à la gendarmerie de s’intégrer aux forces combattantes. Des pelotons de GRM assurent l’encadrement de compagnies de frontaliers mobilisées sur la ligne Maginot et de groupes de reconnaissance de l’infanterie ; la compagnie de GRM de Longeville-lès-Saint-Avold (Moselle) est ainsi engagée contre l’ennemi dans la forêt de Warndt dès septembre 1939. La mise sur pied, au sein du groupe spécial de Satory, du 45e bataillon de chars de combat (45e BCC) permet à dix-neuf officiers et 266 sous-officiers de gendarmerie de partir au front sous les couleurs de l’arme ; l’effectif du 45e BCC est complété par des militaires de l’armée de Terre.
Rescapés du 45e BCC à Manzac-sur-Vern
(1940).
Le 10 mai 1940, les armées allemandes passent subitement à l’offensive et envahissent la Belgique, attirant les armées franco-britanniques hors de leurs bases. Le 13 mai, des éléments de la Xe Panzer Division percent le front à Sedan. Le 45e BCC, sous le commandement du chef d’escadron Bézanger, au sein de la 3e division cuirassée, est engagé le 14 mai à Stonne, au sud de Sedan, où les combats font rage jusqu’au 19 mai. Les pertes sont très lourdes. Contraint à la retraite, le 45e BCC se bat encore à Saulieu (Côte-d’Or) avant d’être encerclé à Tavernay (Saône-et-Loire), où il cesse le combat le 17 juin. On dénombre alors trente tués, quatre disparus et cinquante-neuf blessés. Tous ses chars sont détruits ou fortement endommagés.
La brusque attaque allemande du 10 mai provoque l’exode des populations du nord de la France, qui se déroule dans le cadre des plans d’évacuation prédéfinis. Le 12 mai, les légions de gendarmerie départementale reçoivent l’ordre d’évacuer les zones où pénètre l’ennemi, en veillant au départ des populations civiles. Mais, après l’échec des contre-offensives franco-britanniques, le plus grand désordre règne. Des colonnes de réfugiés, auxquelles se mêlent des militaires, sillonnent les routes au nord de la Loire sous les bombardements de la Luftwaffe. Les gendarmes départementaux se joignent parfois aux réfugiés.
Char du 45e bataillon de chars de combat
(vers 1939).
Certaines autorités restées sur place critiquent vivement ce départ, qu’elles rendent responsable des pillages commis par les civils et les militaires en déroute. Mais il semble bien que les formations de gendarmerie qui ont quitté leurs résidences aient reçu l’ordre de se replier ; certaines sont d’ailleurs restées sur place, toujours sur ordre. Des « défaillances individuelles » sont toutefois sanctionnées dès septembre 1940.
Après la débâcle qui conduit la direction et la sous-direction à Romagnat (Puy-de-Dôme), la désorganisation de la gendarmerie est totale. Ses pertes, lorsque cessent les combats, sont de 377 tués, dont vingt-six officiers, un millier de blessés et cinq mille prisonniers.
À retenir
La gendarmerie n’a pas la confiance des républicains qui arrivent au pouvoir en 1877, six ans après la proclamation de la République. Cette désaffection empêche la création d’une gendarmerie mobile, en dépit des nombreux débats suscités, à partir des années 1890, par la violence des grèves. Les pouvoirs publics préfèrent confier la répression des mouvements sociaux à une armée de ligne qui ne cache pas sa répugnance à remplir cette mission. Le décret de 1903 sur l’organisation et le service de la gendarmerie est davantage une mise à jour de celui de 1854 que la réorganisation attendue par les personnels. Paradoxalement, c’est la Grande Guerre qui va apporter à la gendarmerie les réformes qu’elle attendait. Alors que les pouvoirs publics refusent à l’Arme de constituer des unités combattantes et que les « poilus » critiquent durement son action aux armées, Clemenceau accorde aux gendarmes le rang de sous-officier et met en place une sous-direction, première étape à la création d’une direction en 1920. De 1921 à 1927, une gendarmerie mobile, qui prend le nom de Garde républicaine mobile, est enfin constituée. En 1933, un magistrat civil est nommé à la tête d’une direction du contentieux, de la justice militaire et de la gendarmerie.
Certificat d’attribution de la médaille de Stonne au 45e BCC
(1940).
GENDARMERIE ET MAINTIEN DE L’ORDRE
Le concept de maintien de l’ordre se rapproche de la notion de police et vise à préserver la paix publique, la stabilité sociale. Il s’agit d’une mission de police administrative dont le but est de gérer les manifestations et les émeutes. Sous l’Ancien Régime, le maintien de l’ordre est exercé par l’armée. Il est globalement plus violent au XVIIe siècle qu’au XVIIIe siècle. Avec la Révolution et l’apparition d’une garde nationale (dont les cadres sont élus), le maintien de l’ordre s’opère par une combinaison de forces civiles et militaires. Comment interviennent-elles concrètement ? En cas d’agitation sans gravité, les commissaires de police et leurs agents, la garde nationale ou les gendarmes se rendent sur les lieux d’un tumulte pour que cesse le rassemblement. Lorsque les troubles prennent une certaine ampleur, la gendarmerie réunit plusieurs brigades pour s’interposer en nombre, mais, en cas de désordre grave, le pouvoir politique fait appel à l’armée. De 1800 à 1871, les insurrections qui secouent le pays sont sévèrement réprimées par la troupe et le maintien de l’ordre s’exerce violemment.
Après la défaite de Sedan et la proclamation de la République, la question du maintien de l’ordre revient au premier plan. De nombreux auteurs, principalement militaires, remettent en cause le principe d’une armée intervenant dans les conflits sociaux et politiques. Des unités de gendarmes mobiles ont bien été créées sporadiquement en 1830 et en 1848, mais ces forces ont été surtout utilisées par le pouvoir pour faire face à des troubles politiques. Aussi les républicains redoutent-ils de voir s’installer une unité susceptible de soutenir un coup d’État. Le maintien de l’ordre est moins violent après 1871 ; toutefois, certaines manifestations se terminent dans un bain de sang, ce qui entraîne des polémiques dans la presse et à la Chambre. Les conscrits inexpérimentés, peu ou prou formés aux techniques si spécifiques du maintien de l’ordre, manquent d’expérience et de tempérance. Par ailleurs, il semble de plus en plus paradoxal, dans un système démocratique où les droits sociaux ont considérablement progressé, d’employer l’armée contre les citoyens qui ont contribué à la victoire de 1918.
Avec la création des « pelotons de gendarmerie mobile », le 21 juillet 1921, on voit apparaître en France un corps professionnel spécialement chargé du maintien de l’ordre. Intervenant dans les conflits sociaux en France, mais se déplaçant aussi en Allemagne occupée et en Algérie, la Garde républicaine mobile joue un rôle décisif lors de l’émeute du 6 février 1934.
Sous Vichy, les groupes mobiles de réserve (GMR), transformés en compagnies républicaines de sécurité à la Libération, constituent une nouvelle force civile destinée à maintenir l’ordre. Quant à la Garde républicaine mobile (GRM), elle est supprimée en zone occupée le 31 octobre 1940 ; en zone libre, elle est séparée de la gendarmerie par décret du 17 novembre 1940 et rattachée à l’armée de Terre, avant de prendre le nom de garde le 9 février 1941. Elle rejoint à nouveau la gendarmerie le 14 janvier 1945 sous le nom de Garde républicaine.
Après la Deuxième Guerre mondiale, la gendarmerie mobile – qui prend cette appellation le 20 septembre 1954 – se dote d’instruments plus offensifs (gaz lacrymogènes, fumigènes, grenades affectant l’ouïe, etc.) utilisés durant les grèves de 1947. Par ailleurs, elle se spécialise et sa capacité d’action, accrue par un matériel plus sophistiqué que celui des CRS, lui permet d’intervenir en Algérie. Les événements de 1968 font apparaître des carences dans l’équipement défensif des gendarmes mobiles, qui est perfectionné. Un centre de perfectionnement de la gendarmerie mobile est créé le 1er avril 1969 à Saint-Astier pour dispenser une formation spéciale.
La doctrine d’emploi du maintien de l’ordre en France se fonde sur la cohésion, la discipline des troupes et sur l’altération des sens (ouïe, odorat, etc.) des manifestants visant à limiter la vigueur des contacts. On distingue trois catégories de forces armées pour l’exercice du maintien de l’ordre (classification déjà opérée par Guibert dès le XVIIIe siècle) : le premier degré de force est constitué par la gendarmerie départementale et la Garde républicaine, le deuxième par la gendarmerie mobile et le troisième est représenté par les forces terrestres, maritimes, aériennes, ainsi que par les réservistes de la gendarmerie. Les forces armées sont mises à la disposition de l’autorité administrative responsable du maintien de l’ordre suivant la procédure des réquisitions.
E.E.