En mars 1720, une réforme cardinale pour la structuration territoriale de la gendarmerie contemporaine est adoptée : désormais, la maréchaussée royale sera organisée en brigades, au sein de compagnies plus étendues. Ces dernières sont confiées à des prévôts généraux, secondés par des « lieutenans, assesseurs, […] procureurs, greffiers, […] brigadiers, sous-brigadiers, archers et trompettes », dont la mission première est de « maintenir la tranquillité publique […] de sorte que nos sujets [de Louis XV] ne puissent manquer de secours dans les occasions où le ministère desdites compagnies leur sera nécessaire […] pour le bien de notre service et du public [souligné dans le texte]. » Quels sont, plus précisément, les éléments d’une série d’édits qui transforment en profondeur la maréchaussée pour lui donner des caractéristiques qui vont perdurer jusqu’au XXe siècle ?
Dès 1642, des brigades sont créées. À l’origine, elles sont temporaires et ont pour finalité de surveiller un territoire défini, en particulier les voies de circulation qui le traversent. À la fin du Moyen-Âge et au début de l’époque moderne, les maréchaussées ont d’abord pour mission de réprimer les abus commis par les gens de guerre lors de leurs déplacements – d’où leur appellation de routiers – entre leur résidence et le champ de bataille. Puis, ces tâches de police aux armées dévolues aux prévôts (qui ont donné leur nom à la gendarmerie prévôtale contemporaine) des maréchaux, qui commandent donc ces maréchaussées, s’étendent progressivement à l’ensemble de la population.
Réciproquement, l’encadrement des soldats est mieux assuré, avec des troupes qui tendent à se professionnaliser, alors que l’État monarchique se consolide en se centralisant. Précisément, sous le règne de Louis XIV, en 1668, Colbert organise la compagnie d’Île-de-France en brigades assujetties à une résidence, le long des grands axes desservant la capitale. Leur effectif théorique est de cinq hommes. Notons que c’est peu de temps auparavant, en 1665, qu’un lieutenant-général de police, en l’occurrence Gabriel de La Reynie, est établi au Châtelet à Paris.
La préoccupation quant à l’ordre public dépasse ainsi la seule maréchaussée. La demande de sécurité des personnes et des biens est croissante, alors que les famines récurrentes accentuent la méfiance à l’égard des vagabonds, les populations « sans feu, ni lieu ». Il y a donc une volonté d’uniformisation des structures, une sédentarisation accrue des unités et une continuité, au moins une prétention, de la continuité du contrôle policier.
Quelle nouveauté alors par l’édit du 9 mars 1720 ?
La réorganisation de 1720 fut d’abord précédée d’une étude particulière à chaque province, faite par le secrétaire d’État Le Blanc, de concert avec les intendants. Claude Le Blanc, secrétaire d’État à la Guerre depuis 1718, étend le dispositif de l’Île-de-France à l’ensemble du royaume. Un nouveau maillage, constitué de ces petites unités que sont les brigades, se déploie alors lentement afin de surveiller et de protéger des circonscriptions appelées districts ou départements. Ces brigades relèvent de compagnies, qui correspondent aux généralités. N’est pas concernée la compagnie de la maréchaussée générale au gouvernement de Paris et d’Île-de-France, communément appelée prévôté de l’Île, chargée de la banlieue de Paris.
Chaque compagnie – divisée en plusieurs lieutenances, elles-mêmes subdivisées en brigades – est commandée par un prévôt général. Ces compagnies ne comptent pas que des militaires, puisque les maréchaussées exercent une fonction judiciaire, complétant leur action policière. Elles comptent donc des personnes exerçant des métiers judiciaires (assesseurs, greffiers, procureurs), qui travaillent au profit des brigades. Pour maintenir une discipline exacte et uniforme dans le service, cinq inspecteurs généraux, à chacun desquels était fixé un arrondissement d’inspection, étaient choisis parmi les meilleurs prévôts.
L’organisation de la maréchaussée tend ainsi à coïncider avec l’organisation administrative du royaume. Elle est aussi économique, car les brigades sont installées le long des routes principales ou dans les villes sièges de marchés populeux. Le réseau des brigades fut établi de telle sorte que chacune eut, en moyenne, « 4 ou 5 lieues sur une grande route à garder d’un côté et d’un autre, et autant à sa circonférence ».
Évolution des compétences
Commandées par un exempt ou un brigadier, les brigades comptent également quatre cavaliers. La sédentarisation des brigades s’accompagne d’une continuité de leur service, puisque sont régulièrement établies des liaisons avec les brigades limitrophes. Si, dans un premier temps, la surveillance de ces unités ne concerne que les lieux de rassemblement de foule et les axes de circulation, leur compétence s’étend rapidement à l’intégralité de leur circonscription de résidence. Avec l’édit de Marly de 1731, l’action de la maréchaussée devient de plus en plus policière et perd de sa compétence judiciaire au profit des juridictions provinciales, royales ou seigneuriales.
Harmonisation des statuts des personnels
Autres éléments de l’homogénéisation de la réforme de 1720 : l’harmonisation des statuts des personnels. Les cavaliers et bas-officiers sont nommés en commission, alors que les officiers achètent leur charge. Ce détail n’est pas anecdotique, car en 1716, le secrétaire d’État Le Blanc imputait à la faiblesse des soldes des négligences dans le service. Ce mode de recrutement perdure jusqu’en 1778.
La tenue est elle aussi uniformisée dans les compagnies. L’édit de mars 1720 n’exigeait néanmoins des candidats à un emploi d’archer qu’un certificat de bonnes vie et mœurs. Faute d’une limite d’âge réglementaire, on trouvait, dans certaines brigades, des gradés et des cavaliers sexagénaires ou même septuagénaires ; le père et le fils servaient parfois dans le même poste et les illettrés pullulaient.
La proximité est une condition de l’efficacité des brigades
Souvent originaires du lieu où ils résident, les personnels des brigades, cavaliers et bas-officiers, sont connus de la population dans laquelle ils s’insèrent. Cet enracinement s’accompagne souvent d’unions matrimoniales ou de l’exercice d’un second métier. Cette proximité est une condition de l’efficacité des brigades : connaissance du patois local, des lieux, des visages, des querelles divisant les familles sont autant d’atouts à la qualité de leurs missions.
Soulignons que ce qui fait l’efficacité de ces hommes perdure encore deux siècles plus tard, dans la France de la Troisième République, lorsque les brigades de gendarmerie sédentaires doivent accueillir un inspecteur de la police mobile, habillé « en bourgeois » et de la lointaine ville, qui ne connaît pas plus l’environnement géographique que les caractéristiques humaines de l’enquête judiciaire qui lui a été confiée. Le plus souvent, le policier mobile va alors recopier le rapport des premières constatations rédigé par les gendarmes, pour rapidement conclure ses investigations.
Plus largement qu’en seule matière de sécurité publique, la gendarmerie a partie prenante avec les histoires de France, de l’État, du territoire et de la population depuis des siècles, comme en témoigne à de multiples égards, le tricentenaire des textes organisateurs de mars 1720.
La création de la gendarmerie nationale en février 1791 est, certes, une innovation. On voit néanmoins ce qu’elle doit à la sédimentation des réformes, qui ont permis l’essor de la maréchaussée royale. La Révolution, en ce domaine comme dans d’autres, est moins une rupture qu’une consolidation de structures préexistantes.
Lire ici la publication du SIRPA consacré à l’histoire de ce maillage territorial
(Avec l’aimable autorisation du SIRPA/gend)