Claude Leblanc (1669-1728)
Descendant d’une famille de commerçants de Sens, Claude Leblanc suit les traces de son père, Louis Leblanc, maître des requêtes et intendant de Normandie, au service du roi. La réforme des maréchaussées sera l’une de ses principales préoccupations tout au long de sa carrière. Il faut dire qu’à la fin du XVIIe siècle, la situation des maréchaussées provinciales n’est pas brillante. Voilà ce qu’en dit par exemple Lamoignon de Basville, intendant de la généralité du Languedoc, en 1698 : « il n’y a rien de si mauvais que les maréchaussées de Languedoc, quoiqu’il y ait plus de fonds qu’il n’en faut pour les rendre bonnes. Il y en a qu’on appelle générale dont le prévôt a été interdit et a donné sa démission. Il y en a d’autres qui se prétendent provinciales. Il n’y a entre-eux aucune subordination ; ils se prétendent tous chefs dans leurs départements… J’avais envoyé à M. de Launoy un plan pour réformer toutes ces maréchaussées, et les mettre sous un prévôt général avec un certain nombre de lieutenants pour chaque canton ; sa mort a interrompu ce projet. Je l’ai envoyé depuis à M. Leblanc qui a grande envie de l’exécuter, à ce qu’il m’a mandé ; mais il a des vues pour une réforme générale de toutes les maréchaussées du royaume. » De nombreux documents confirment cette situation désastreuse qui conduira, entre autre, à la première tentative d’instauration de commissaires de police.
Après un bref séjour au parlement de Metz où il est conseillé, Claude Leblanc revient à Paris au conseil du roi. En 1704, Louis XIV lui confie la charge d’intendant de justice, police et finances de la généralité d’Auvergne. A ce poste, qu’il occupera jusqu’en 1708, il va prendre vraiment conscience, sur le terrain, de la déliquescence des maréchaussées provinciales et commencer à ébaucher les grandes lignes de sa future réforme. Mais il lui faudra attendre encore quelque temps avant d’occuper la fonction qui lui permettra de la réaliser. Après plusieurs années passées à Dunkerque comme intendant des Flandres Maritimes, Leblanc est nommé membre du conseil de la guerre en 1716 puis le 24 septembre 1718, secrétaire d’Etat du département de la guerre. Sans attendre, il prépare sa réforme des maréchaussées. Il s’y implique jusque dans les détails. Ainsi par exemple il demande qu’on lui justifie le choix de telle ou telle localité pour l’implantation d’une nouvelle brigade. Sa réforme tient en deux grands textes de mars 1720, un édit et une ordonnance, signés Louis et contresignés Leblanc. Dans ces deux textes, toutes les fondations de la gendarmerie d’aujourd’hui.
La nouvelle institution qu’il met en place est « nationale ». Elle participe du centralisme monarchique et s’inscrit dans le cadre de la construction de l’Etat telle que l’a voulue Louis XIV, en totale cohérence avec le renforcement, quelques décennies plus tôt, de la structure administrative des généralités Finies les maréchaussées provinciales. Elles sont purement supprimées. L’édit de mars 1720 est intitulé : « Edit portant suppression de tous les officiers et archers des maréchaussées et établissant de nouvelles compagnies des maréchaussées… ». Les charges acquises par les anciens officiers (prévôts, lieutenants des prévôts, archers et cavaliers) leur sont remboursées. Autrement dit, les 2.000 hommes des maréchaussées provinciales sont révoqués. Claude Leblanc en fera reprendre un millier des plus aptes dans la nouvelle organisation, auxquels viendront s’ajouter deux mille nouveaux recrutés au cours des années suivantes.
L’organisation générale est fixée par l’édit. Elle est calquée sur l’organisation administrative des généralités (30) et non plus sur celle des provinces (23) avec, pour chaque généralité, une compagnie de maréchaussée commandée par un prévôt général. Ce même édit fixe le statut (écuyer) des prévôts et de leurs lieutenants, les conditions de leur recrutement (4 années consécutives de service préalable dans la troupe), les formalités d’admission (réception à la Connétablie et Maréchaussée de France), les modes et le taux des rémunérations…Il précise aussi que les missions restent inchangées (« N’entendons rien innover à la juridiction attribuée aux officiers de Maréchaussée… »)
L’organisation et le fonctionnement internes sont l’objet de l’ « ordonnance du roi concernant la subordination et la discipline des Maréchaussées », du 16 mars 1720. C’est ce texte qui constitue la base de la gendarmerie d’aujourd’hui et dont dérive ce que l’on a appelé ultérieurement le caractère militaire de la gendarmerie. Après avoir rappelé que les compagnies de maréchaussée sont établies « pour veiller à la sureté publique », l’ordonnance fixe les règles.
1) L’organisation hiérarchique territoriale (art.17 et art. 1) :
- cinq inspecteur généraux choisis parmi les prévôts généraux qui se seront distingués par leur attention au service, tenus de faire tous les ans, dans le ressort de l’étendue du royaume qui leur est attribuée, les tournées qui leur seront fixées ; ils vérifient si le service est rempli avec exactitude et adressent leur rapport au Secrétaire d’Etat du département de la Guerre ;
- un prévôt général par généralité ayant sous ses ordres des lieutenants, des exempts, des brigadiers, sous-brigadiers et archers .
2) Les règles de discipline (art.1) :
- obéissance en toutes choses concernant leurs fonctions… à peine d’interdiction… de destitution… ;
- en cas de rébellion envers leurs supérieurs, les fautifs seront jugés sans appel par un conseil de guerre, composé d’officiers des maréchaussées des deux plus prochains départements (on peut voir là les prémices du conseil d’enquête).
3) Les modalités d’exécution et de contrôle du service :
- si les brigades de chaque département ont leur totale autonomie, elles peuvent toutefois être rassemblées (rassemblement de brigades), sur ordre du prévôt et placées sous les ordres d’un lieutenant, chargé de les conduire partout où le service le demandera, pendant le nombre de jours porté sur le dit ordre ; auquel cas les brigades des autres résidences seront tenues d’obéir au lieutenant chargé de l’ordre du prévôt (art.VIII);
- obligation de tenir un registre des plaintes et procès-verbaux… dans lequel toutes les plaintes, procès-verbaux de capture, informations et autres procédures seront enregistrées de suite et sans aucun blanc, lequel registre sera, lors de la revue, présenté au Prévôt général (art. XII) ;
- les inspections : trois « tournées » par an, dans toutes les résidences de son ressort (art.VI), pour chaque prévôt général ; une « revue » chaque mois pour le lieutenant (art.IX).
4) Le logement en caserne.
« … les archers seront obligez de tenir leurs chevaux dans une Ecurie commune, de loger dans la mesme maison ou dans le voisinage » (art. XIV).
5) les permissions :
« Ne pourront les Lieutenants, Exempts, Brigadiers, sous-Brigadiers et Archers sortir des lieux de leur résidence sans un congé par écrit du Prévôt Général (art.XI) ; en cas d’infraction à cette règle, les sanctions sont sévères : pour les lieutenants, perte de « trois mois de leurs appointement »s ; les exempts seront « cassez » de leur grade, les Brigadiers, sous-Brigadiers et Archers « punis comme Déserteurs » ;
6) La solde fixée pour chaque grade et payée tous les trois mois (art.IV).C’est une grande nouveauté pour les exempts, brigadiers, sous-brigadiers et archers qui du temps des maréchaussées provinciales ne percevaient que des gages au montant variable et versés très irrégulièrement.
7) Les frais de déplacement et le bulletin de service :
« …en cas de dépenses extraordinaires… » engagées par les prévôts généraux, leurs lieutenants et exempts,il sera« pourvu aux paiements des dites dépenses et aux gratifications… selon les circonstances et l’importance des services qu’ils auront rendus « (art. XIII) ; le paiement de ces dépenses, en fonction des services rendus, sera effectué par les intendants, sur production d’un mémoire de frais dont le document essentiel est un « bulletin de service » ; celui-ci, signé des chefs de paroisse ou autres notables lors du passage dans les villages, garantit ainsi la réalité du service effectué ; grâce au paiement de ces frais, qui les incitent à parcourir le plus possible leur territoire, les officiers de maréchaussée peuvent doubler, voire tripler leur solde.
8) La Les règles d’avancement, « à l’ancienneté » ou « au choix », « sur le brevet qui sera délivré par le prévôt général », sans que celui-ci puisse exiger « aucuns Droits de nomination, ni d’en recevoir quand il leur en serait volontairement offert, à peine de dix années de prison » (art.II).
9) Les rapports avec « l’autorité civile »
Si l’intendant de justice police et finance de la généralité n’intervient pas dans le service, il est tenu informé de la situation et du service des maréchaussées de son ressort. En effet, les rapports d’inspection du prévôt général sont établis en 3 exemplaires destinés l’un « au Secrétaire d’Etat ayant le département de la Guerre, un autre à l’Intendant, et l’autre restera entre ses mains » (art.VI). En outre, les Intendants assistent aux inspections des prévôts ; « Au cas que les Intendants se trouvent dans les lieux où les prévôts généraux feront des revues, lesdits Prévôts Généraux seront tenus de prendre d’eux le jour et l’heure pour estre ladite revue faite en leur présence et par eux visée ».
10) La tenue uniforme
Pour signifier l’Etat de la même manière dans tout le royaume, il était essentiel que ses représentants que sont les archers, sous-brigadiers, brigadiers, exempts, lieutenants et prévôts de cette maréchaussée « nationale » soient équipés d’une tenue uniforme, par grade. C’est l’objet de l’article V qui fixe d’une manière extrêmement précise les moindres détails de ces tenues.
11) L’ébauche d’une sécurité sociale militaire
Moyennant une retenue de trois deniers par livre destinée à l’entretien de l’Hôtel Royal des Invalides, les officiers et archers des maréchaussées « seront admis audit Hôtel des Invalides, lorsqu’ils se trouveront hors d’état de continuer le service, soit à cause des blessures qu’ils auront reçues dans leurs fonctions, ou à cause des infirmitez, après vingt de service » (art.XVI).
Toutes les principes fondamentaux qui président encore aujourd’hui à l’organisation et au fonctionnement de la gendarmerie sont issus de cette grande réforme de Claude Leblanc. Conçue au XVème et au XVIème siècle, cette force publique « nationale » est née en 1720. Elle sera baptisée « gendarmerie » en 1791, sur les fonds baptismaux de la République. Elle fera son service militaire sous Napoléon, avant de poursuivre sa carrière au service de la nation, de l’Etat et du citoyen.
Général Georges PHILIPPOT
Ancien chef du Service historique de la Gendarmerie nationale
Docteur en histoire