SOCIÉTÉ NATIONALE DE L'HISTOIRE ET DU PATRIMOINE DE LA GENDARMERIE | SOCIÉTÉ DES AMIS DU MUSÉE DE LA GENDARMERIE

1944 : comme de nombreux Français, les gendarmes départementaux sont placés devant des choix décisifs. Si une minorité se compromet dans la voie de la collaboration, une autre minorité s’engage résolument dans le combat pour la liberté. La majorité, quant à elle, calque sa conduite sur l’évolution des événements qui se précipitent à partir du 6 juin. Elle va alors grossir les rangs des militaires de l’Arme qui ont choisi de libérer le territoire national en luttant contre l’occupant.

Au service de la Résistance

Au début de l’année 1944, la Gendarmerie nationale se trouve dans une situation délicate. D’une part, elle est soumise à la pression des occupants allemands qui n’hésitent pas à interférer dans le service des brigades. La loi du vainqueur a aussi imposé la séparation de la gendarmerie de la Garde, ancienne garde républicaine mobile. D’autre part, en tant qu’institution représentée à Vichy par sa direction, l’Arme doit être loyale à l’Etat français, qui s’enfonce dans une politique de collaboration radicale. En raison de ce contexte particulier, les gendarmes sont chargés de remplir des missions impopulaires comme la rafle de Juifs, la recherche des réfractaires au Service du travail obligatoire (STO) et la lutte contre les résistants.

La radicalisation des missions menace de briser le lien traditionnel qui unit la population française rurale de l’époque avec la gendarmerie départementale. C’est pourquoi, certains officiers et sous-officiers décident d’entrer en dissidence pour lutter contre l’occupant. Ce choix est d’autant plus difficile qu’il va à l’encontre du devoir d’obéissance imposé par leur statut militaire. Quelques uns agissent dès les premiers temps de l’Occupation. Ainsi, le chef d’escadron Guillaudot, nommé commandant de la compagnie du Morbihan, monte immédiatement un réseau de Résistance remarquablement organisé s’appuyant sur les brigades territoriales. Arrêté le 10 décembre 1943, il est déporté vers le camp de Neuengamme, via Compiègne qu’il quitte le 28 juillet 1944.

Dans les premiers mois de 1944, la Résistance au sein de la gendarmerie se décline sous plusieurs formes. Elle est plus le résultat d’un engagement personnel que d’une incitation du commandement. Tout d’abord, pour beaucoup, elle se limite à une résistance passive qui consiste à cacher à sa hiérarchie des informations, recueillies au cours des tournées, sur les parachutages, les réfractaires au STO ou les activités de la Résistance. Loin d’être spectaculaire, ce mode de résistance tire son efficacité de sa répétition.

D’autres gendarmes prennent une part plus active dans la Résistance, en profitant de la position conférée par leur uniforme. En matière de renseignement par exemple, jusqu’en septembre 1944, le gendarme Paul Joyeux anime le réseau  » Mithridate  » dans le département des Vosges. A la tête d’une cinquantaine d’agents, il renseigne Londres sur la localisation d’objectifs stratégiques ennemis. Ailleurs, comme à la brigade Bletterans dans le Jura, le personnel prend part à de nombreux atterrissages et parachutages clandestins. D’autres militaires encore se spécialisent dans la diffusion de tracts ou les filières d’évasion.

Pour tous ces hommes, les risques encourus sont énormes comme en témoignent les nombreuses arrestations opérées par l’occupant, souvent à la suite de dénonciations. Le 21 avril 1944, par exemple, la Gestapo arrête le chef Riu et trois gendarmes de la brigade de Bouglon (Lot-et-Garonne), dénoncés pour leur participation à des parachutages depuis le mois de janvier. Déportés, deux d’entre eux succomberont dans les camps de la mort. Pour échapper à la capture, certains gendarmes n’hésitent pas à déserter. En janvier 1944 de l’adjudant-chef Genoud, de la brigade d’Annemasse, près de la frontière suisse, est contraint à cette extrémité à cause de sa participation à une filière d’évasion au sein du réseau « Gilbert ».

Les répercussions du débarquement du 6 juin 1944

L’arrivée massive et brutale des Alliés sur les côtes normandes, le 6 juin 1944, confrontent les gendarmes aux réalités de la guerre. La brigade de Sainte-Mère-Eglise, commandée par l’adjudant Julien Huault, à l’effectif de six hommes, voit atterrir les premiers soldats américains parachutés en France. Malgré l’espoir suscité par cet événement, la gendarmerie est durement éprouvée par les bombardements. La seule compagnie de la Manche compte ainsi 25 casernes détruites dont 12 en totalité, ainsi que 29 tués et 20 blessés parmi le personnel et les familles. Les sacrifices subis n’entament pas la détermination du personnel dont la première réaction est de protéger les populations locales. A Montebourg, par exemple, la violence des combats et la destruction de la localité n’empêchent pas les gendarmes de rester sur place pour aider les sinistrés.

En dépit des pertes, le débarquement représente souvent le signal que les gendarmes attendaient pour entrer en lutte ouverte contre l’occupant. Certains demeurent à leur poste dans les brigades, devenant des guides ou des agents de renseignements pour les Alliés. D’autres, de plus en plus nombreux, rejoignent isolément ou en unités constituées les différents maquis. Là, ces militaires de formations deviennent autant d’instructeurs ou de cadres pour les maquisards. Apportant leurs armes et leur matériel, ils participent activement aux opérations de libération du territoire national. Dans le Var, la compagnie regroupée à Draguignan, sous les ordres du chef d’escadron Favre, chasse, avec l’aide des forces françaises de l’intérieur (FFI), les Allemands de la ville le 15 août 1944. Au cours de ce même mois, le colonel Henry, commandant la légion du Berry, ne cesse de harceler l’ennemi.

Lors de la Libération de Paris, le personnel de l’Arme se distingue à plusieurs reprises. Le 21 août, un gradé et un gendarme de la Brigade de Mennecy escortent, à travers les lignes allemandes, jusqu’à Mainvilliers (Loiret), le commandant Gallois envoyé par les chefs de la Résistance de Paris, auprès des forces alliées. Dans une capitale qui se couvre de barricades, le personnel de l’Arme livre de nombreux combats. Le 24, tandis que la brigade de Pantin traque des Allemands dans le métro, d’autres gendarmes participent à l’investissement du ministère de l’Information et ceux de Nanterre s’emparent du fort du mont Valérien. Le lendemain, les gendarmes s’attaquent aux nids de résistance ennemis. Le gendarme Pierre Seury est un des premiers à pénétrer dans la cour de l’hôtel Majestic peuplée d’Allemands en armes. La brigade du Pré-Saint-Gervais capture plusieurs soldats dont un officier, tandis que celle du Levallois-Perret participe au siège de la Kommandantur du boulevard Victor Hugo. Au fort de Charenton à Maisons-Alfort, le gendarme Vincensini, assisté du gendarme Hallier et de l’agent technique de 1ère classe François Henri, procède au désamorçage de 300 tonnes d’explosifs.

A travers la France, l’action de la gendarmerie facilite la progression des Alliés qui atteignent l’Alsace en novembre 1944. Des élèves de l’école préparatoire de gendarmerie de Brive sont envoyés à Strasbourg pour occuper des  » postes de surveillance  » autour de la ville. Sur la côte atlantique, les gendarmes soutiennent les FFI qui, intégrés à l’armée régulière, assiégent les poches de résistance allemande. Ceux de la section de Brest, notamment, prennent part aux opérations dans la poche de Brest, entre le 20 août et le 18 septembre 1944.

Avec les armées de la Libération

Quelques gendarmes départementaux participent à la libération de la France en intégrant des prévôtés. Parmi ceux-ci, on trouve des gendarmes d’Afrique du Nord. Disséminés dans les brigades du Maroc, d’Algérie et de Tunisie, ces hommes ont rejoint les prévôtés mises en place après le débarquement anglo-américain du 8 novembre 1942. Au sein des troupes françaises, ils ont suivi leur progression lors des campagnes de Tunisie et d’Italie. Ils ont débarqué en Provence en août 1944, et ont accompagné les soldats français jusqu’en Allemagne. Le maréchal des logis-chef Bellanger, de la prévôté du QG de la 1ère Armée, ou le gendarme Jules Escudero, parti de sa brigade d’Aïn el-Arba (Algérie) pour une prévôté dès le mois d’avril 1943, sont de ceux-là.

Parfois, à la demande des Alliés, des gendarmes sont détachés au sein de leur Military Police pour constituer des équipes mixtes. C’est ce qui arrive au gendarme Charles Fontaine, un réfugié alsacien accueilli clandestinement à la brigade de Cannes. Après la libération de la ville, les Américains recherchent de jeunes sous-officiers sans enfant pour les emmener avec leur Military Police. Malgré l’accouchement récent de sa femme, Charles Fontaine part donc avec les libérateurs américains. Il ne se doute pas qu’il ira ainsi jusqu’en Autriche.

Enfin, des gendarmes ayant rejoint les FFI décident de poursuivre la lutte contre l’occupant, au sein des armées. Le gendarme Gaston Houpert, de la brigade de Piègut-Pluviers (Dordogne) passe ainsi aux FFI dès le 7 juin 1944. Ce sous-officier se fait incorporer dans une unité de la Résistance, dite  » Secteur Nord de la Dordogne « , commandée par le lieutenant-colonel Rac. Nommé maréchal des logis-chef, puis adjudant FFI, il participe avec son unité à la libération de Périgueux, Angoulême et Cognac. Plus tard, cette formation, devenue le 50ème régiment d’infanterie, participe à l’attaque de Royan et à la prise de l’île d’Oléron. C’est là que le gendarme Houpert sera tué, le 30 avril 1945.

Au cours de l’année 1944, la gendarmerie départementale a donc contribué à la Libération de différentes manières. Dans les brigades, des gendarmes ont facilité l’action de la Résistance et des Alliés en mobilisant les moyens mis à leur disposition. Dans les maquis, ces militaires ont fourni des instructeurs et des cadres. Dans les armées de la Libération, les prévôtés ont assuré des missions aussi variées que la sécurité des QG ou la protection des populations locales.

Benoît HABERBUSCH (SHGN )
Armées d’aujourd’hui, n° 290, mai 2004