Par le lieutenant HABERBUSCH
Si Berlin occupe une place à part au sein des forces de gendarmerie stationnées en Allemagne, le petit territoire de la Sarre a également connu une singulière destinée entre 1945 et 1957.
Au cours de son histoire, le destin de la Sarre a été lié plusieurs fois à celui de la France, son puissant voisin. Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, la question de l’avenir de ce petit territoire allemand se pose à nouveau. Alors que son potentiel économique attise les convoitises, l’issue de son sort apparaît incertain. Dotée d’un statut particulier au sein de la zone d’occupation française, la Sarre semble hésiter entre un futur français ou allemand. C’est dans ce contexte si singulier que des gendarmes français sont envoyés au-delà du Rhin, tout comme l’ont été leurs aînés durant l’entre-deux-guerres.
Le poids du contexte sarrois sur l’organisation de la gendarmerie.
À la suite de l’effondrement du IIIe Reich en mai 1945, la Sarre quitte l’orbite allemand pour se retrouver sous l’autorité d’un gouvernement militaire français au sein de sa zone d’occupation. Les vaincus de 1940 souhaitent profiter des capacités industrielles sarroises, notamment en matière d’extraction du charbon, pour accélérer le relèvement de leur pays affaibli par plusieurs années d’occupation allemande. Certains Français caressent même l’espoir d’un rattachement définitif de ce territoire à leur pays.
Parmi les troupes envoyées dans la zone d’occupation française se trouve un détachement de gendarmes créé en juillet 1945 . Cette unité, rattachée à la 1ère légion d’occupation, est principalement chargée de maintenir l’ordre ainsi que d’assurer la protection et la surveillance de la frontière franco-allemande.
L’évolution du statut de la Sarre vers une autonomie politico-administrative conduit le commandement à revoir l’organisation initiale. Les premières élections libres des conseils municipaux se déroulent le 15 septembre 1946, la reformation des partis politiques (hormis le NSDAP, parti nazi) ayant été acceptée par les autorités militaires françaises. Le 15 décembre 1947, les conseillers élus adoptent une constitution sarroise qui proclame la souveraineté du territoire et son rattachement économique à la France . Pour tenir compte de cette évolution politique, le détachement de gendarmerie prend l’appellation de compagnie de gendarmerie de la Sarre avant de devenir une compagnie autonome en mai 1946. Il existe alors trois sections ayant pour chef-lieu Sarrebrück, Saint-Ingbert et Sarrelouis. En dehors du statut spécial de la Sarre, l’autonomie de la compagnie se justifie par la présence de nombreux services administratifs sarrois autonomes (justice, police) ainsi que par des régimes particuliers en matière de solde et de casernement.
L’autonomie de la compagnie de la Sarre est vite remise en cause en raison de l’évolution du statut d’occupation et du transfert progressif aux autorités sarroises d’un certain nombre de prérogatives. Ainsi, le gouvernement militaire de la Sarre cède la place au haut-commissariat de la République (décret n° 47-2436 du 31 décembre 1947) qui se transforme bientôt en mission diplomatique du fait de l’autonomie du gouvernement sarrois dans le domaine administratif et judiciaire. Quant aux gendarmes, ils assistent à un rétrécissement de la gamme de leurs missions, bientôt limitées au seul domaine militaire.
Tenant compte de cette évolution, la compagnie autonome de gendarmerie de la Sarre se transforme le 14 mai 1948 en simple section rattachée à la 6e légion de gendarmerie . Désormais, elle dépend directement du colonel commandant la 6e légion à Metz. Ses effectifs sont alors d’un capitaine et de 73 sous-officiers répartis en neuf brigades territoriales : Sarrebrück, Volklingen, Sulzback, Sarrelouis, Merzig, Neunkirchen, Hombourg, Saint-Ingbert et Saint Wendel. Cette organisation est modifiée par deux circulaires ministérielles de 1950 et de 1952 qui ramènent respectivement les effectifs de 73 à 47 et de 47 à 39 sous-officiers . Le nombre de brigades, quant à lui, passe de neuf à six, puis à cinq (Sarrebrück, Sarrelouis, Merzig, Hombourg et Saint-Wendel).
Face à la militarisation des charges confiées aux gendarmes, le capitaine Lombard, commandant la section de gendarmerie de la Sarre, propose dans un rapport d’octobre 1953 de supprimer toute similitude avec une dénomination territoriale française. Ce changement doit permettre de mieux prendre en compte le glissement des activités de l’Arme vers des fonctions prévôtales. Concernant les effectifs, le capitaine Lombard préconise de ramener l’ensemble du personnel à un officier, neuf gradés et trente gendarmes . La décision ministérielle n° 46421/Gend.T du 21 décembre 1953 entérine cette évolution en transformant la section de gendarmerie de la Sarre en détachement de gendarmerie française en Sarre. Les brigades s’appellent désormais des postes. Le rattachement administratif à la 6e légion demeure , quant à lui, inchangé.
Les résultats du référendum du 23 octobre 1955, les accords Mollet-Adenauer du 30 septembre 1956 et la signature de Luxembourg du 27 octobre 1956 sur le rattachement politique de la Sarre à la République fédérale d’Allemagne (RFA) mettent un terme à la spécificité de la gendarmerie française en Sarre par rapport aux autres unités de gendarmerie des forces françaises en Allemagne (FFA). La décision ministérielle n° 03648 DN/Gend.T du 29 janvier 1957 confirme effectivement le rattachement officiel du détachement de gendarmerie en Sarre à la 2e légion de gendarmerie des FFA à compter du 1er janvier 1957. Les gendarmes français de la Sarre retrouvent les conditions d’exécution du service de leurs autres camarades stationnés en République fédérale d’Allemagne (RFA).
Les spécificités du service en Sarre
Tout comme l’organisation, les missions des gendarmes français dans la Sarre sont intimement liées à l’évolution du statut de ce territoire. Dans un premier temps, leurs activités s’apparentent à celles d’une troupe d’occupation dans un pays ennemi vaincu. Les gendarmes veillent ainsi au respect de la réglementation édictée par le gouvernement militaire français notamment en matière de couvre-feu ou de passage clandestin de frontière . Il faut dire que les échanges entre la Sarre et l’extérieur sont rigoureusement réglementés. Les Sarrois ne peuvent pas, par exemple, obtenir des marchandises françaises, ni même détenir de l’argent français. Cette sévérité n’empêche pas le développement de trafics illicites liés au marché noir. En voici un exemple, rapporté par le commandant de la compagnie autonome de la Sarre en février 1948 :
« Un important trafic se fait entre les paysans de la zone d’occupation française et la Sarre. Les cultivateurs viennent vendre en Sarre, et particulièrement à Sarrebrück, des quantités plus ou moins grandes de farines panifiables pour des francs qu’ils utilisent à des achats irréguliers de marchandises diverses. Ces dernières sont introduites clandestinement en zone d’occupation française. Ces trafics ont lieu plus spécialement dans les cafés de la place du marché Saint-Jean et les cafés environnants. Des marchands de textiles français, autorisés à venir vendre leurs marchandises en Sarre, apportent, cachées dans les étoffes des denrées contingentées (chocolat, cacao, café) qu’ils revendent au marché noir ».
L’autre problème lié à la zone frontalière concerne le passage clandestin de prisonniers de guerre allemands (PGA) évadés de camps français et cherchant à rejoindre leur foyer. Comme le constatent les gendarmes, ces hommes bénéficient de complicités locales. L’enquête menée par deux gendarmes de la brigade de Sarrelouis après l’évasion d’un PGA employé dans une mine en septembre 1946 confirme ces pratiques. Les sous-officiers réussissent à établir la culpabilité de civils allemands qui ont remis sciemment des pièces d’identités aux prisonniers. Parmi les personnes arrêtées, on compte un ex-policier sarrois, le chef du bureau de la police, la fille du maire de Schwalbach et un employé de mairie de Buss.
Parallèlement à ces activités, la gendarmerie participe à la dénazification de la société sarroise en rendant compte aux autorités françaises des agissements des anciens nazis ou de leurs sympathisants. En juillet 1946, le commandant de la section de Sarrelouis informe ainsi sa hiérarchie que « des réunions clandestines nazies auraient lieu à Kerprich-Emmersdorf, Niedaldorf et Bouss. À Kerprich, le chef de la gendarmerie allemande protégerait les adhérents. Des jeunes gens de quinze à vingt-deux ans de Sarrelouis, Fraulautern, Ensdorf et Bouss ont été remarqués portant au revers du veston des épingles de différentes couleurs » . Le personnel des brigades s’intéresse aussi aux criminels de guerre qui peuvent être appréhendés lors de leur tentative de franchissement de la frontière. Ceux qui sont capturés sont escortés vers les tribunaux français chargés de les juger. Au cours du mois d’août 1949, la brigade de Sarrebrück transfère deux ex-SS de la division Das Reich à Bordeaux et un ex-adjudant SS de la même unité à Agen.
En dehors de ces missions liées à l’immédiat après-guerre, le service de la gendarmerie française en Sarre est défini par une série d’instructions dont la n° 3892 CC/CAM du 29 avril 1946 et la n° 34.696/Gend.T du 10 septembre 1948. Cette dernière précise que la compétence territoriale de la gendarmerie française s’étend sur tout le territoire de la Sarre. Les gendarmes veillent à la protection des personnes et des biens français en Sarre. À l’égard des troupes françaises, ils doivent appliquer les principes posés par le décret du 20 mai 1903 et de nature à donner satisfaction aux autorités militaires (police judiciaire militaire, surveillance des militaires absents de leur corps, administration des réserves…). Les gendarmes apportent aussi leur concours aux autorités civiles françaises installées en Sarre, notamment les autorités judiciaires.
Le cadre d’action initial tend à évoluer avec les gains de souveraineté acquis progressivement par le gouvernement sarrois. Ce changement nécessite une adaptation qui perturbe d’autant plus le service des unités de gendarmerie que la réglementation progresse avec un certain retard. En mars 1949, le commandant de la section de gendarmerie de la Sarre rend compte des difficultés qu’il éprouve : « le travail essentiel du commandant de section, jusqu’à ce jour, a été de régler les questions administratives. Le passage d’un régime d’occupation au régime du rattachement économique, a posé des problèmes complexes qui n’ont pas été résolus sans difficultés. Ce chapitre est encore loin d’être épuisé, les Sarrois devenant chaque jour plus exigeants et plus insupportables. Il faut s’attendre à avoir des questions de logement et de mobilier à résoudre » . Le capitaine de gendarmerie se plaint aussi du problème posé par la police judiciaire : « le rôle de la gendarmerie française en Sarre, en ce qui concerne la police judiciaire, tend de plus en plus à devenir nul. La convention de justice franco-sarroise devait être suivie d’un décret d’application, celui-ci n’est pas encore paru et ne paraîtra vraisemblablement jamais. Toutes questions à traiter ont été des cas d’espèce et les décisions n’ont pu être prises qu’en accord avec la mission juridique du haut-commissariat ou avec le procureur général sarrois. Cette manière d’agir a provoqué des lenteurs dans l’exécution du service. Cependant, actuellement, étant donné le nombre et la variété des affaires traitées, les précédents créés facilitent la tâche des commandants de brigade ».
Jusqu’en 1957, deux instructions définissent encore le cadre des missions de la gendarmerie française en tenant compte des différents accords franco-sarrois. Celle du 9 octobre 1950 s’appuie ainsi en partie sur la convention franco-sarroise du 3 mars 1950 relative à l’aide mutuelle judiciaire . Ce texte confirme que « la gendarmerie française remplit le rôle d’une prévôté vis-à-vis des troupes françaises stationnées et des troupes alliées transitant en formations constituées en Sarre ». En décembre 1951, le commandant de la section de la Sarre fait le point sur les effets de ces deux textes sur le service. Selon lui, la mise en application des accords franco-sarrois perturbe et retarde le service en raison de l’obligation dans la plupart des cas d’opérer en présence d’un policier sarrois. Toutefois, l’instruction du 9 octobre 1950 a permis de définir les nouvelles attributions de la gendarmerie française avec précision. Connaissant parfaitement ses droits et ses devoirs, le personnel évite tout empiètement sur les prérogatives de la police sarroise . Un autre instruction, celle du 23 juillet 1954, confirme le caractère exclusivement militaire des missions confiées à l’Arme en les classant en cinq catégories : la police générale militaire, la police judiciaire militaire, la police de la circulation routière militaire, la police militaire de l’air et l’administration militaire. Ce texte demeure en vigueur jusqu’au rattachement de la Sarre à l’Allemagne.
Une observation attentive de l’opinion publique sarroise.
Parmi les missions confiées à l’Arme, le renseignement représente une activité riche d’enseignements sur la période étudiée. La lecture des rapports de la gendarmerie témoigne de la minutie avec laquelle le personnel de l’Arme a cherché à informer régulièrement les autorités françaises sur l’évolution de la situation sarroise. Cette démarche s’avère d’autant plus difficile que, comme le reconnaît le commandement, les gendarmes éprouvent de grandes difficultés pour recueillir des renseignements. Malgré cela, les archives détenues par le département gendarmerie du Service historique de la Défense représentent de précieuses sources pour les chercheurs s’intéressant au contexte sarrois de l’après-guerre.
Parmi les thèmes abordés, le premier à attirer l’attention concerne l’évolution de l’état d’esprit de la population par rapport au nazisme. Si les anciens nazis se montrent discrets dans un premier temps, ces derniers relèvent vite la tête. Voici ce que l’on peut lire dans un rapport du 22 avril 1948 : « les Sarrois francophiles se plaignent de l’arrogance des nazis, restés dans l’administration. Auparavant, alors que ces fonctionnaires vivaient dans la crainte d’une mesure d’épuration, ils se montraient empressés et ne savaient que faire pour être agréables à tout ce qui touchait la France de près ou de loin. À l’heure actuelle, tout est changé. Certains qu’ils ne seront plus inquiétés grâce à la politique menée en Sarre, ils ne se gênent plus du tout. Les francophiles sont rabroués lorsqu’ils demandent quelque chose et leurs demandes sont invariablement vouées à l’échec. Aussi les défenseurs de la cause française se demandent ce que l’avenir leur réserve » . Quelques mois plus tard, en novembre 1948, le commandant de la section de la Sarre dresse ce bilan mitigé de la dénazification de la société sarroise : « en général, la population estime que la dénazification n’a été faite que partiellement et trop lentement. Celui qui avait un protecteur est sorti indemne, tandis que celui qui n’en avait pas a souvent été condamné. (…) Les administrations sarroises et les services privés ont une tendance très nette à embaucher de préférence les anciens nazis, plutôt que les anti-fascistes, les pro-français ou les anciens légionnaires ».
D’autres thèmes sont encore abordés dans les rapports de gendarmerie. Les commentaires par la population sarroise de l’actualité de l’époque sont particulièrement instructifs. Dans ce contexte de guerre froide, les autorités françaises se montrent vivement intéressées par ce que pensent les Sarrois ainsi que les différents partis politiques du plan Marshall, du blocus de Berlin, du réarmement allemand… Certains événements lointains ont des répercussions directes sur l’état d’esprit local. Ainsi, en janvier 1951, les revers de troupes onusiennes en Corée provoquent les curieuses réactions suivantes : « la véritable angoisse ressentie par la population à la suite des revers subis en Extrême-Orient par les troupes américaines se traduit par des achats massifs de produits alimentaires, principalement de matières grasses, dont le public craint le rationnement et la pénurie sous peu. Les ex-nazis, devant le conflit américano-russe, reprennent le leitmotiv : « nous l’avions bien dit ! Si l’Europe avait voulu nous écouter à temps, nous n’en serions pas là et le capitalisme américain, de même que le communisme russe, ne seraient pas prêts à déchaîner une nouvelle guerre. Maintenant l’Europe occidentale et principalement l’Allemagne seront un nouveau champ de bataille » ».
Par ailleurs, les autorités françaises se montrent très attentives aux retombées des actions menées par la France hors de l’hexagone, notamment en matière de gestion des questions coloniales. La guerre d’Indochine, la guerre d’Algérie ou même la crise de Suez ont toutes de forts impacts sur l’image de la France en Sarre. Si les succès sont favorablement commentés, les échecs et la longueur de ces crises éloignent toujours un peu plus les Sarrois de la France. Dans un rapport d’avril 1956, l’adjoint au commandant du détachement de gendarmerie en Sarre témoigne des effets désastreux de l’affaire algérienne. « Les événements d’Afrique du Nord continuent à être largement exploités par les pro-allemands contre la France. Leurs commentaires portent atteinte à l’honneur de l’armée française, dont la valeur est mise en doute. Ils déclarent que 7 000 vieux fusils chez les rebelles mettent en échec 300 000 hommes avec un armement moderne. Ironiquement, ils s’offrent à envoyer, pour rétablir l’ordre en Algérie, une ou deux divisions formées par les SS réfugiés en Espagne. (…) En général, l’opinion sarroise est persuadée de l’éviction de la France de l’Afrique du Nord dans une échéance plus ou moins rapprochée » . Les gendarmes rendent également compte de la manière dont la guerre d’Algérie s’insinue dans la Sarre à travers le passage d’agent mandatés par le FLN pour lever l’impôt révolutionnaire ou les règlements de compte entre Algériens musulmans habitant en Sarre. Plus curieusement, les gendarmes pointent les rumeurs qui circulent. L’une d’elles prétend de manière persistante que des agents recruteurs abuseraient de jeunes Sarrois en leur faisant signer des contrats pour la légion étrangère, après de nombreuses libations offertes aux intéressés dans le débit de boisson « Tante Maja » à Sarrebrück.
Toutefois, le principal enseignement des rapports de gendarmerie est que l’adhésion des Sarrois à la France n’a jamais été effectif. Les gendarmes témoignent tout de même des tentatives dérisoires des autorités de gagner le cœur des Sarrois en projetant dans les cinémas des films français sous-titrés en allemands ou en organisant des compétitions sportives franco-allemandes . Les résultats de ces vaines tentatives sont sans équivoque. Dès le mois de novembre 1948, on peut lire ceci dans un rapport de gendarmerie : « le nombre de Sarrois qui désirent le rattachement de la Sarre à la France diminue de jour en jour. Les moyens de propagande en faveur de ce rattachement sont insuffisants et les événements qui se déroulent dans notre pays éloignent de plus en plus les Sarrois de la France. Habitués à l’ordre et à la discipline, ils n’admettent pas la faiblesse de notre gouvernement et pour eux le mot démocratie devient synonyme d’anarchie ».
Un autre rapport d’août 1949 se montre guère plus optimiste : « depuis le rattachement économique, lentement mais sûrement, la Sarre s’est éloignée de la France. Cette évolution est due à une épuration inexistante, qui a laissé ou remis en place les éléments nationalistes aux postes de commande. Elle est due également à l’abandon par les autorités françaises du parti MRS, le seul sincèrement francophile sur lequel on pouvait compter ; il n’a reçu ni notre appui, ni nos subsides ou si peu. Enfin, cette évolution est due aussi à l’erreur d’avoir voulu appliquer des principes latins à des germains ».
En avril 1951, le commandant de la section de la Sarre confirme encore l’éloignement de la population sarroise de la France. « La sympathie qu’ils portent à la France, écrit-il, est très superficielle. Elle n’est axée que sur son propre intérêt. En général, la plupart aimerait avoir à faire à l’Amérique directement, escomptant des avantages tangibles. Ils considèrent la situation actuelle de la Sarre comme une mise en tutelle par la France et même ceux qui ne tiennent pas à rentrer dans l’orbite des intérêts allemands s’estiment assez forts pour n’avoir pas besoin d’un appui étranger » . À cette époque, le crédit français est d’autant plus fragilisé que la propagande germanophile supplante la propagande francophile. En avril-mai 1951, le nationalisme relève la tête, patronné par le DPS dont la devise est « Heim ins Reich » (retour au pays). L’action continue et soutenue des germanophiles pèse d’un lourd poids dans les résultats du référendum du 23 octobre 1955 qui met un terme à l’expérience sarroise. Influencée par la politique du « Heimatbund », la majorité de la population sarroise se montre favorable au retour de leur territoire à la République fédérale d’Allemagne au sein d’un dixième Land.
Ainsi, l’histoire si particulière de la Sarre entre 1945 et 1957 fournit l’occasion d’observer un nouvel exemple d’adaptation de la gendarmerie à un contexte singulier. Au cours de cette période d’immédiat après-guerre et de début de guerre froide, les gendarmes ont dû s’accommoder d’une réglementation mouvante pour assurer au mieux l’exécution de leur service. Ils ont surtout été les témoins privilégiés de la dernière occasion de rattachement de la Sarre à la France.