Par le Major (ER) Jacques BATTISTINI
Ce sont celles d’un groupe de gendarmes combattants de la 2e LMGR (légion de marche de Garde républicaine) détachés à l’encadrement d’une unité amphibie vietnamienne d’intervention, lors de la guerre d’Indochine.
Le deuxième conflit mondial (guerre de 1939-1945) n’épargne pas l’Indochine française. Ce pays sera occupé par les Japonais, les Chinois, puis soumis à l’emprise marxiste d’Ho Chi Minh. Le général Leclerc, mandaté d’octobre 1945 à mars 1946 pour rétablir la souveraineté française, n’aboutit pas. La guérilla persiste : ce sera pour la France une nouvelle guerre, terminée par la défaite de Dien Bien Phu, le 7 mai 1954.
Durant ce long conflit, l’effectif du corps expéditionnaire engagé est important – l’Indochine représente en superficie une fois et demie la France : il atteint jusqu’à 200.000 hommes. La plupart sont des militaires de carrière. La gendarmerie y engage trois légions de marche de Garde républicaine implantées : la 1re au Vietnam Sud, la Cochinchine ; la 2e au Vietnam Centre, l’Annam ; la 3e au Vietnam Nord, le Tonkin.
C’est ainsi que, par périodes de 24 à 30 mois, un nombre considérable de gendarmes sera désigné pour servir en Extrême-Orient, en laissant leur famille. L’armée trouvera chez les gendarmes un solide encadrement pour ses unités. La plupart étaient des soldats aguerris et forgés au métier des armes, ayant participé à la guerre de 1939-1945 contre l’Allemagne. Beaucoup se retrouvent dans des postes isolés en brousse, à deux ou trois gardes, avec une compagnie de supplétifs autochtones. Confrontés à des situations difficiles et graves, continuellement harcelés par le Viêt-minh, nos braves ont toujours réagi avec grand courage et abnégation.
Les militaires dont les postes sont accessibles par voie d’eau ont beaucoup apprécié la présence d’unités fluviales dans leur secteur. En dehors de leur mission de protection et d’appui, leurs camarades les faisaient bénéficier, ces jours heureux, du courrier tant attendu et de leur fraternité d’Arme.
Durant ce conflit, la gendarmerie déplore 654 tués et 1620 blessés.
Courant 1951, Jacques Battistini, gendarme départemental en Corse, se retrouve à Hué (Centre Annam) dans un groupe composé d’un jeune lieutenant et d’une douzaine de sous-officiers de gendarmerie, de la 2e LMGR, 2e escadron, pour la mise sur pied et l’encadrement d’une unité amphibie vietnamienne d’intervention (DM du 4 août 1951, création d’une unité fluviale, d’engins d’assaut et de combat au Vietnam Centre). Toujours sous le signe de l’urgence, gradés et gendarmes volontaires seront intégrés à Mytho, au Sud Vietnam, au sein d’une unité comparable. Pendant un mois, ils reçoivent un entraînement poussé sur les particularités, le maniement et l’emploi d’un matériel spécifique.
Les six engins d’assaut et les équipements concernés sont embarqués avec ces sous-officiers sur le Calais pour en assumer le convoyage jusqu’à Hué. Cette unité est basée à Qui m-Long, sur la rivière des parfums, près de cette ville. Elle se compose de six LCVP (Landing Craft Véhicule and Personal) formant trois sections, de deux LCVP chacune. Chaque LCVP est commandé par un garde républicain, chef de bord, avec dix Vietnamiens d’équipage. Le chef de section est un gradé ou garde, qui assure en même temps les fonctions de chef de bord de son engin.
Armement par engin : 1 canon de 20 Oerlikon, 3 mitrailleuses de 30, 2 fusils lance-grenades 1 fusil Garand par homme, PA et PM pour le chef de bord.
Les liaisons radio : par SCR193.
La reconnaissance aérienne : chiffres blancs sur le toit.
Dans un climat d’incompréhension entre Français et Vietnamiens, les débuts sont difficiles. Notre jeune officier, le lieutenant Georges Pistre, soude très rapidement son équipe de vieux soldats constituant l’encadrement de l’unité. Puis, par une intelligente diplomatie, déployée auprès de son pair, le lieutenant Nguyen Huu Hanh, il parvient très rapidement à rétablir un climat de confiance et de camaraderie entre Français et Vietnamiens.
Un entraînement intensif est poursuivi par tous les équipages : reconnaissance des zones d’action, entraînement au tir de toutes les armes du bord, aux manœuvres, ainsi que la recherche de polyvalence de nos marins, quant aux différends postes à pouvoir tenir (pilote, canonnier, mitrailleur, lance-grenades, radio, etc.). Les sorties journalières et nocturnes sont répétées. Un soin particulier est accordé à la formation des tireurs (économie des coups, courtes rafales de trois à cinq coups biens ajustés, la précision doit être la règle). Nos barges sont devenues de redoutables petites canonnières, manœuvrantes, blindées, armées, capables d’intervenir très rapidement.
L’inconvénient est que nous sommes détectables à grande distance, à la vue comme à l’ouïe, ce qui nous vaut la mise en place de « comités d’accueil ou d’adieu » animant nos sorties, sur nos trajets aller et retour.
L’implication totale de notre lieutenant, avec ses gendarmes, à la mission confiée, donne à cette unité une capacité d’emploi qui va surprendre.
Elle sera déclarée opérationnelle le 15 novembre 1951, un mois après sa mise en service, et se verra confier de multiples missions. En alerte permanente, elle est en mesure d’intervenir en tout temps et tous lieux, de jour comme de nuit.
Devenue très efficace dans ces zones humides, elle connaîtra des épisodes parfois difficiles face à un adversaire plus nombreux, rusé et invisible, caché dans des trous sur les rives, sur les grands arbres en bordure des rivières, et dans des plans d’eau, en respirant pour survivre avec un roseau pour tuba !
Les gendarmes mènent également des actions pacifiques auprès de la population vietnamienne. Secours de pêcheurs avec leurs familles en perdition sur des barques dans la lagune ; d’autres familles, lors de deux typhons sur la ville de Hué.
Les deux seuls Corses de l’unité, Jean Desanti et Jacques Battistini, se trouvent réunis sur la 3e Section. Ils forment avec leurs équipages une solide équipe, devenue exemplaire sur le plan relationnel. Leur complicité amicale propre à la détente, où l’humour ne cède pas ses droits malgré le danger présent, amuse notre jeune lieutenant, qui n’est pas étranger au choix de cet embarquement. Ses sorties sur cette section sont ponctuées par des joutes de tir à l’arme individuelle avec les équipages, mais plus particulièrement avec Desanti qui est une des plus fines gâchettes de la Fluviale (exercice possible, si la mission le permet !).
Le climat d’entente cordiale entre Français et Vietnamiens va conduire cette unité à une brillante réussite, très appréciée par le haut commandement.
Des témoignages de satisfaction collectifs sont décernés par le général de corps d’armée Salan, commandant en chef en Indochine, et par le général Leblanc, commandant les FTCV (forces terrestres du centre Vietnam). Trente-deux citations sont accordées aux militaires de l’escadrille pour leurs faits d’armes ; six militaires sont blessés au cours des combats.
Le colonel Dupuy, commandant la 2e LMGR, dira de ses gendarmes, à son départ d’Indochine : « De mars 1947 à mars 1954, pendant sept ans, avec vos camarades des 1re et 3e LMGR, vos anciens et vous-mêmes avez prouvé que notre Arme savait pacifier, mais aussi se battre. »
Le séjour effectué au Centre Annam par les gardes républicains détachés à l’encadrement de cette unité fluviale vietnamienne a laissé à chacun d’eux une camaraderie et un souvenir ineffaçables. Leurs deux officiers, les lieutenants Georges Pistre et Nguyen Huu Hanh, ont permis à toute l’équipe de vivre une extraordinaire aventure, encore très vivace cinquante ans après.