par le Général (2s) Jean-Louis DREVON et le Colonel (er) Michel GABORIT
Le récit qui suit a été établi à partir d’extraits du journal de marche personnel du capitaine Drevon et des éléments complémentaires apportés par le lieutenant Gaborit.
Il y a quarante ans, le vendredi 22 Août 1975 à 16 h 00, les gendarmes mobiles des EGM 6/3 Saint Denis, 2/6 Hirson et 1/8 Strasbourg, appuyés par un peloton VBRG du 6/3 (véhicule blindé à roue de la gendarmerie) et des hélicoptères de l’armée de l’Air et de l’ALAT, se lançaient à l’assaut d’une cave viticole occupée depuis la veille par une trentaine d’autonomistes lourdement armés (fusils-mitrailleurs, armes de guerre et de grande chasse). Une fusillade fera deux morts dans les rangs des forces de l’ordre, le gendarme Jean-Yves Giraud du 2/6 et le maréchal des logis-chef Michel Huguel du 6/3, ainsi qu’un blessé grave parmi les occupants qui quitteront les lieux avec armes et bagages sur ordre du ministre de l’Intérieur de l’époque. Le docteur Edmond Siméoni, responsable de cette occupation, se rendra puis sera transféré sur le continent.
Ce drame sera suivi, après la dissolution de l’ARC (Action régionaliste Corse), d’un mois de troubles graves et permanents dans l’île de Beauté, dont, dans la nuit du 27 au 28, un échange de tirs nourris à Bastia au cours duquel un CRS, le brigadier Serge Cassard, sera tué et plusieurs de ses camarades blessés.
Le témoignage d’un commandant d’escadron et d’un commandant de peloton VBRG qui ne furent pas en première ligne le 22 Août mais qui participèrent activement à la gestion des manifestations et des exactions qui prolongèrent cette tragédie, se propose d’évoquer les événements tels qu’ils les ont vécus dans un contexte où une politique à tout le moins ambiguë jointe à l’absence initiale d’un véritable état-major opérationnel et de liaisons fiables interdisaient toute action cohérente et laissaient libre cours à des initiatives qui, parfois, se sont révélées malheureuses. Plusieurs enseignements majeurs furent tirés des faiblesses et lacunes relevées durant cette période.
En propos liminaire il convient de rappeler qu’à l’époque le GIGN, officiellement créé en 1974, n’était encore qu’un groupe embryonnaire scindé en deux éléments, un à Maisons-Alfort, l’autre à Mont-de-Marsan, que les moyens transmissions étaient modestes – pas de téléphone portable, pas d’Internet, des PC Trans équipés de vieux ANGRC 9 plus adaptés à l’exploitation en graphie qu’en phonie, des radios TMF 623 et de la gamme TRPP 13/11 dont la portée sans relais était limitée. Dans les premiers jours le seul lien avec le commandement furent le télétype et le téléphone fixe de la BA 126 de Solenzara.
En un mot, la quasi-impossibilité de conduire une opération importante et coordonnée de maintien et de rétablissement de l’ordre sur un vaste secteur. Autre faiblesse majeure, les VBRG étaient dépourvus de tourelleau ce qui se révélera très handicapant lors de l’intervention sur la coopérative et durant la nuit du 27 au 28 à Bastia, le servant de l’AA 52 constituant une cible idéale pour un sniper.
***
21 Août
Ce jeudi, en fin de journée, l’escadron 1/9 (aujourd’hui le 23/3) d’Argentan, termine son indisponibilité estivale. La Direction générale de la Gendarmerie nationale me donne l’ordre d’être le lendemain matin à 6 H 00 à l’aérodrome militaire d’Orléans pour un acheminement, sous le signe de l’urgence, à destination de Solenzara. Nous devrons être en version « Puma léger » c’est-à-dire en tenue 4 S avec pour seul armement le PA.
Certes les médias nous apprennent qu’il se passe quelque chose de grave en Corse mais nous sommes dans l’incapacité d’en mesurer l’importance.
Tant bien que mal j’arrive à constituer une unité de marche à l’effectif de 85 puisque théoriquement nous ne devions pas être totalement opérationnels avant le lundi 25, certains détachements de maîtres-nageurs-sauveteurs et de pilotes de vedettes étant répartis sur les plages de la Manche jusqu’au dimanche.
22 Août
Nous quittons Argentan à 3 h 00 heures du matin, destination la base aérienne militaire d’Orléans-Bricy.
Manifestement les aviateurs ne nous attendaient pas. Ils sont déjà très mobilisés depuis le milieu de la nuit pour embarquer, non sans difficultés, les VBRG de l’EGM 6/1 de Satory. En fait, pour ce qui nous concerne, le message ayant été transmis de Paris tardivement, notre avion n’a pas été prévu. L’armée de l’Air sachant toujours bien accueillir ses visiteurs, un copieux petit-déjeuner nous est offert au mess, le temps de trouver un nouvel aéronef.
Enfin, vers neuf heures, nous décollons… mais l’équipage nous indique qu’il doit faire escale à Istres pour déposer du matériel. Nouveau retard. Nous atterrissons à Solenzara à 13 heures.
C’est dans l’ignorance totale de la situation sur le terrain que nous mettons pied à terre. Heureusement, nous sommes réceptionnés par des aviateurs et par le lieutenant Gaborit du 6/1 arrivé quelques heures plus tôt avec ses quatre VBRG après des péripéties qu’il évoquera plus loin. Nous sympathisons immédiatement. « Mon capitaine, je me sens moins seul » seront ses premiers mots. En revanche aucun militaire de la gendarmerie départementale n’est présent. D’un commun accord nous décidons que, sauf mission spécifique, nous ne formerons qu’une seule unité.
L’urgence est donc de savoir d’une part pourquoi nous sommes là, d’autre part comment mettre en condition l’unité.
Tandis que mon adjoint règle les problèmes logistiques avec la base – encore un grand merci aux aviateurs qui se mettent en quatre pour nous recevoir – depuis la brigade de la gendarmerie de l’air j’appelle le groupement à Bastia. J’obtiens le chef d’escadron adjoint qui me donne l’ordre de rejoindre immédiatement Aléria !!! il s’ensuit un dialogue étonnant :
« Mais, mon commandant, avec quoi ? »
« Avec vos véhicules. »
« Mais, mon commandant, je n’ai pas de véhicule ! »
« Comment ? Vous n’êtes pas venus avec votre convoi ? »
« Par Transall il aurait fallu une escadre pour transporter les véhicules ! »
« Bon, je vous fais acheminer des camions de mobilisation de Borgo, vous les aurez en fin d’après-midi. Vous faites route dès que possible ! »
« Mais je n’ai pas d’armement non plus, à part les pistolets ! »
« Ah bon ! je vais voir si l’on peut aussi en déstocker de la mobilisation. »
« Bien sûr avec des munitions ! »
« Et pour les transmissions ? »…
Là je sens que mon interlocuteur qui comptait vraisemblablement disposer d’un renfort, va s’étrangler.
Ce premier contact s’arrête là, ce que je peux comprendre.
Le lieutenant Gaborit se démène comme un beau diable pour remettre en condition ses blindés avec le soutien des services de la base notamment pour les pleins de carburant et le stockage de l’armement.
Il me raconte alors les péripéties de son départ du continent.
L’escadron 6/1 est la première unité à être totalement équipée de ce nouveau matériel entré en service en 1973. Il dispose de 13 engins : 3 pelotons de 4 plus celui du capitaine. Depuis, il forme les équipages des autres unités et affine la doctrine d’emploi. C’est ainsi qu’il vient tout juste de qualifier les spécialistes de l’EGM de Saint-Denis engagé sur la ferme d’Aléria.
La veille, l’escadron est depuis 8 h 00 et jusqu’à 16 h 00 en réserve MO sur Paris lorsqu’il reçoit, vers 12 h 00, l’ordre de rejoindre immédiatement Satory puis de faire mouvement le plus vite possible, avec ses VBRG, sur la base aérienne d’Orléans-Bricy, destination la Corse. L’ordre précise que le personnel n’emportera qu’un paquetage réduit ; en revanche les engins devront être parés et équipés des dotations initiales en munitions y compris pour la mitrailleuse AA 52. Problème : cette dotation est stockée dans un établissement à proximité de Chartres. Il faut aller la récupérer. En raison de la limite de poids, il ne sera pas fait le plein des réservoirs.
Ni les gendarmes, ni les aviateurs n’avaient jusqu’ici embarqué de VBRG dans un Transall et de plus la nuit ! Après plusieurs minutes de conciliabules et d’essais, c’est finalement en marche arrière que les engins sont embarqués et que les quatre appareils emportant vers Solenzara le peloton du lieutenant Gaborit prennent l’air au milieu de la nuit tandis que les autres se préparent à partir pour Ajaccio et Bastia.
L’atterrissage au petit matin surprend le commandant de la BA 126 qui n’était pas prévenu mais qui répond instantanément favorablement aux diverses demandes de soutien, de carburant, d’hébergement et d’alimentation. En revanche aucun gendarme départemental n’est présent. Donc le lieutenant Gaborit ignore tout de la situation.
Le colonel commandant la base de Solenzara, auquel je me présente à mon tour, me dit qu’il ne m’attendait pas et qu’apparemment il se prépare un coup dur sur Aléria puisque ses hélicoptères ainsi que ses médecins ont été réquisitionnés. Pour accueillir les forces de l’ordre il doit modifier son plan de charge et renvoyer une escadrille à l’entraînement afin de libérer des locaux. Il met à ma disposition une jeep ainsi que les installations nécessaires.
Comme les gendarmes du 1/9 ignorent tout du VBRG, nous profitons de cette inactivité forcée pour faire connaissance avec cet engin et organiser notre coopération puisqu’à l’évidence nous agirons ensemble, en totale autonomie.
Vers 16 h 00 un hélicoptère en provenance de Bastia nous livre de l’armement et des munitions. Surprise : tout cet arsenal désuet, composé de MAS 36, de 36/51 et de FM 24/29 est waterproofé, plein de graisse et, ironie suprême, un feuillet collé sur les caisses de munitions, sans doute par un gestionnaire scrupuleux, prescrit de « ne les ouvrir sous aucun prétexte ». Pas d’indication de l’établissement organique, pas de bon de prise en compte. À peine délesté de sa cargaison l’hélicoptère repart.
Aussitôt le personnel se met au travail pour rendre ces armes utilisables. Heureusement que certains « vieux soldats » ont déjà servi les FM qui ne sont plus en dotation et que les jeunes découvrent avec curiosité.
À 17 h 30, les véhicules promis par le groupement arrivent : une jeep et cinq GMC du centre mobilisateur de Borgo.
En l’absence de nouvelles directives et sans pouvoir obtenir le moindre renseignement, je décide de me diriger immédiatement vers Aléria, conformément aux ordres reçus à notre arrivée.
À ce moment le chef auto m’informe qu’il y a un gros problème. Dans la précipitation les convoyeurs ont oublié de mettre de l’huile dans les boîtes de vitesse des GMC, l’une d’elles est bloquée « les pignons sont bleu gendarme » et le camion inutilisable. Aucun véhicule moderne n’aurait parcouru le trajet Borgo-Solenzara dans ces conditions via Corte, car l’itinéraire direct est coupé ! Vite trouver de l’huile et du même coup refaire les pleins, bien sûr sans bons ni tickets… C’est le garage de la base qui vient à notre secours.
À 19 h 00, avec la jeep et les quatre GMC restant, nous partons vers le nord ne sachant absolument pas ce que nous allons trouver. Nous roulons lentement, d’une part en raison de l’ambiance incertaine, d’autre part parce que les chauffeurs s’accoutument à la conduite un peu rude de ces véhicules. Sur le trajet nous croisons un camion incendié qui gît sur le bas-côté entouré de quatre ou cinq individus qui s’esquivent dans les champs à notre vue. Nous apprendrons plus tard qu’il a servi à transporter les autonomistes autorisés par le ministre de l’Intérieur à évacuer la ferme d’Aléria avec leurs armes !
Toujours dans l’incertitude, je fais une halte à la compagnie de Ghisonnaccia où j’apprends les événements tragiques de l’après-midi ; l’assaut de la cave et la mort des deux sous-officiers. C’est la consternation. Le commandant de compagnie est absent, il est sur le continent. Son adjoint consent à me prêter deux machines à écrire pour équiper mon secrétariat. J’en profite pour téléphoner au groupement qui me prescrit de retourner à mon cantonnement et d’y attendre les nouvelles missions.
23 Août
La journée est consacrée à parfaire la mise en condition opérationnelle de l’ensemble EGM et peloton VBRG, en organisant un exercice conjoint, ainsi qu’à patrouiller autour de la base pour dissuader toute tentative d’intrusion.
24 août
Au matin un appel téléphonique du groupement me communique les instructions gouvernementales d’usage des armes édictées le… 22 août ! Il sera répondu par le feu à tout tir hostile ! Il nous est interdit de communiquer avec la presse. On me fixe également une liste de missions de surveillance. Le gérant me rend compte de ce que les commerçants refusent de nous vendre des denrées et de l’impossibilité d’obtenir de l’argent d’une banque locale. Dans la soirée, nous apprenons que nous sommes intégrés au SGO 2/15 (sous-groupement opérationnel) dont le PC est à Bastia. Ce SGO succède donc à celui de Marseille qui aurait dû être notre employeur. Un convoyeur du centre mobilisateur de Borgo nous livre un nouveau GMC et récupère, avec un véhicule « lot 7 » celui dont la boîte de vitesses est bloquée.
25 Août
Au soir je reçois par téléphone, du groupement de GD de Bastia, l’ordre de me présenter au lever du jour à la compagnie de Ghisonaccia. Il s’agit de protéger une opération de police judiciaire. Nous devons être le plus discret possible. Facile à dire avec les GMC dont le bruit des moteurs et surtout les changements de vitesse par des chauffeurs peu expérimentés s’entendent à des kilomètres !
26 Août
Afin d’éviter d’alerter les populations nous quittons la base vers trois heures du matin, sans les VBRG, pour gagner une position d’attente où j’ai prévu de préparer la mission dès que j’en aurai obtenu les détails. Alors que le jour n’est pas encore levé une sonnette m’informe qu’elle distingue des silhouettes d’individus qui semblent armés, à deux ou trois cents mètres. Immédiatement et en silence l’escadron se déploie dans les champs prêt à toute éventualité. Dans les premières lueurs de l’aube nous nous apercevons qu’il s’agit d’un autre escadron. Son capitaine est un camarade de promotion de Melun. Nous ignorions tous les deux que nos unités, ainsi qu’une troisième, seraient engagées dans l’opération. Peu après, lors de la réunion préparatoire dans les locaux de la brigade, nous exprimons vigoureusement notre mécontentement, ce face-à-face nocturne inopiné ayant engendré des risques importants de méprise. L’échange de renseignements ne semble pas être dans la culture locale ! En fait je ne reçois la note d’organisation émanant du groupement de Bastia qu’à cette réunion. La mission consistait à accompagner dix policiers du SRPJ chargés d’interpeller autant d’autonomistes soupçonnés d’avoir participé à la fusillade d’Aléria. Ils seront protégés chacun par un peloton. L’affaire est terminée à midi après quelques heurts et quelques coups de fusils sans conséquence tirés par des sympathisants.
À 13 h 30 un Puma arrive d’Ajaccio avec à son bord deux individus appréhendés escortés par deux fonctionnaires de police. L’avion qui devait les acheminer sur Marseille a décollé à 12 h 00. Ils sont confiés à la garde du 6/1 pendant que je recherche avec la base et le groupement d’Ajaccio la possibilité d’obtenir un autre appareil. Finalement c’est un NORD 2501 de passage qui les embarque pour Istres.
Une compagnie républicaine de sécurité s’installe sur la base. Son commandant m’indique qu’elle a été mise sur pied pour la circonstance à partir de dépôts. Elle dispose toutefois d’un parc automobile bien équipé en fourgons-cars. Elle est en configuration MO urbain peu adaptée aux caractéristiques du secteur où nous nous trouvons.
Après un repos bien mérité, le lieutenant Gaborit et moi montons un nouvel exercice de cohésion associant l’escadron et le peloton VBRG.
Dans la soirée, plusieurs services de surveillance nocturne ainsi qu’un barrage routier de 23 h 00 à 2 H 00 nous sont prescrits par la compagnie. Je confie le barrage au 6/1. À minuit un appel donne l’ordre d’annuler ces missions. En fait, faute de liaisons radio, ces missions iront jusqu’à leur terme.
27 Août
Le 27 Août un nouveau GMC nous lâche : plus de compression. Jusqu’en début de soirée des patrouilles mixtes du niveau peloton sont organisées dans un vaste périmètre autour de la base, une tentative d’intrusion ayant été signalée à hauteur du radar. Comme les missions qui nous sont fixées par téléphone ou par fax émanent alternativement du groupement de Bastia, de la compagnie de Ghisonaccia et du SGO, apparemment sans concertation entre eux, je ne sais plus qui commande ; donc je choisis celles qui me paraissent les plus appropriées compte tenu du peu de ce que nous connaissons de la situation.
Dans la nuit, à 2 h 45, je reçois l’ordre de monter le plus vite possible avec les VBRG sur le camp Saint-Joseph où un PC opérationnel est installé. Le commandant de la CRS me demande la possibilité de se joindre à mon convoi pour profiter de la protection des blindés, ce que j’accepte. Au fur et à mesure de la progression, le lieutenant Gaborit a été chargé de prendre contact avec les brigades qui jalonnent l’itinéraire car des menaces pèsent sur elles et elles ne répondent pas aux appels du groupement. Tout va bien pour elles à cette heure tardive. Les plantons sont étonnés de cette visite nocturne. À deux reprises, durant le trajet, quelques coups de feu sont tirés vers le convoi. Le lieutenant Gaborit ordonne aux gendarmes servant les AA 52, trop exposés et démunis de gilets pare-balles, de rentrer à l’intérieur des engins.
28 Août
Parvenus à 4 H 00 au carrefour de la route de l’aéroport nous sommes détournés sur le centre mobilisateur de Borgo. Le camp est une véritable ruche. Un état-major de GM est en cours d’installation armé par des éléments en provenance de la LGMIF et des commandants de groupement de GM qui viennent d’arriver. Ils tentent d’y voir clair tant au plan opérationnel que logistique. Les militaires d’un peloton d’AML (auto mitrailleuse légère Panhard dotée d’un canon de 90 ou d’un mortier de 60) venu de la région lyonnaise ouvrent des caisses de munitions de 90 dont, à l’évidence, ils ignoraient le type. Ils ont le plus grand mal à parer leurs tourelles. Plusieurs commandants d’unité sont présents. J’apprends que la dissolution de l’ARC annoncée à la fin du Conseil des ministres a été suivie de manifestations violentes d’autonomistes en différents points de l’Île. Il nous est rappelé que nous sommes en état de légitime défense et que l’ouverture du feu en est une conséquence possible. Nous sommes désormais hors du MO classique. Curieusement, il n’y a aucun représentant de l’autorité civile. Pour nous, c’est un cadre légal inconnu et délicat.
Nous apprenons que, vers 2 h 45, La CRS 46 en protection de la préfecture a riposté à des tirs nourris d’individus dissimulés autour de la place Saint-Nicolas. Un brigadier a été tué par balle et plusieurs fonctionnaires sont blessés. À 6 h 00, nous réceptionnons un jeune adulte qui a été appréhendé porteur d’une carabine Winchester. Nous sommes chargés de le garder jusqu’à ce qu’il puisse être transféré sur Marseille. En fait il s’agit du meurtrier du CRS.
Dans le même temps, je reçois l’ordre d’installer un barrage filtrant sur la nationale 193, avec les VBRG, à l’entrée sud de Bastia. Afin de ne pas trop perturber la circulation, le dispositif s’étend sur environ 300 mètres avec plusieurs équipes de contrôle du 1/9 et du 6/1, protégées par les VBRG dont la mitrailleuse est visiblement approvisionnée et pointée pour dissuader toute velléité. Très rapidement le barrage est saturé car de nombreux touristes, dont les vacances s’achèvent, souhaitent gagner le port pour embarquer à bord des ferries. Nous trouvons des carabines et des fusils de chasse avec des munitions cachées dans les coffres ou dissimulés sous les sièges de véhicules d’autochtones. Le PC avisé nous indique que la préfecture n’a pas souhaité différer la date d’ouverture de la chasse. Il convient – sauf « comportement anormal des détenteurs » ???? – de ne pas saisir ces équipements ce qui ne ferait qu’exacerber les tensions ! Dès lors notre présence ne se justifie plus. Malgré tout, nous interpellons quand même dix personnes plus agressives. Nous saisissons quatre carabines de grande chasse, plusieurs dizaines de cartouches, un casse-tête et un poignard. Alors que l’escadron est replacé en réserve au camp de Borgo, je suis convoqué au commissariat central de Bastia pour être entendu par un contrôleur général de la police qui enquête sur le rôle de chacun durant la nuit du 27 au 28 et la matinée du 28.
En fin de journée le commandant du SGO me confie la mission de quadriller les abords de la place Saint-Nicolas de Bastia, avec mon escadron renforcé par un peloton du 1/15 et huit VBRG du 6/1. Compte tenu des enseignements tirés de la nuit précédente et pour réduire la vulnérabilité du servant de la mitrailleuse des VBRG je décide qu’un engin éclairera avec son projecteur les objectifs éventuels tandis que le tireur d’un autre en léger retrait dans l’obscurité pourra utiliser son armement en étant moins exposé. Les photos du numéro 1371 de Paris-Match du 6 septembre 1975 qui titre « Pourquoi la Corse tue des gendarmes » sont assez éloquentes. Finalement cette mission est annulée.
29 Août
Vers 3 h 30, nous sommes libérés et renvoyés sur Solenzara où nous bénéficions de la journée de repos jusqu’à 20 h 00.
Nous percevons enfin 50 gilets pare-balles, que j’ai réclamés le 23, auprès de la caserne Saint-Joseph à Bastia.
30 Août
Nous récupérons, au port de Bastia, notre convoi lourd avec nos véhicules kaki, notre armement et nos transmissions organiques. Nous reversons les GMC. En revanche, puisqu’il n’y a pas eu de bons de prise en compte, personne n’accepte de réintégrer l’armement de mobilisation que nous finirons par déposer au groupement de Bastia le 23 septembre en même temps que les gilets !
31 Août
Alerte générale sur l’ensemble de la Corse en prévision de manifestations. Nous multiplions les patrouilles de surveillance du niveau peloton, de jour comme de nuit, avec des consignes strictes d’emploi des armes. Certaines missions de groupe vers des lieux isolés doivent être exécutées par héliportage ce qui impose de sélectionner quelques jeunes sous-officiers, de leur faire une courte séance d’instruction et surtout d’adapter leur équipement. Là encore c’est pour beaucoup une découverte.
2 Septembre
À la demande de l’armée de l’Air, l’escadron est chargé d’escorter un convoi de munitions sensibles entre la BA 126 et Porto-Vecchio. Le même jour nous percevons la nouvelle grenade F3 avec autorisation d’en tirer cinq pour en montrer les effets aux personnels.
3 Septembre
Le lendemain nouvelle mission. Prendre contact avec le relais hertzien d’Antisanti gardé par la Légion étrangère et la brigade de Vezzani dont le commandement semble craindre qu’ils soient menacés. Je fixe d’emblée des conduites à tenir en cas de rencontre avec des autonomistes et surtout les conditions d’ouverture du feu. Après avoir quitté la nationale, sans les VBRG en raison du profil de l’itinéraire, nous nous engageons sur la route étroite qui mène à Antisanti. Un vrai coupe-gorge que les véhicules peinent à gravir. Les nombreux virages font que je ne peux voir les pelotons avec lesquels je n’ai pas toujours de liaison radio. À un moment j’entends deux ou trois coups de feu sans doute une arme de chasse. Je sais que les gendarmes ne peuvent réagir et sont vulnérables puisque les 4 x 4 sont équipés de banquettes latérales qui font que le personnel est exposé le dos à la route. Arrivé à Antisanti je constate alors qu’il me manque le dernier peloton. Impossible de faire demi-tour.
Près d’une demi-heure d’attente et toujours rien. M’étant assuré que tout allait bien au relais, nous nous rendons à Vezzani où tout est calme, puis redescendons vers Solenzara par la nationale 200. Un coup de fusil de chasse est tiré à distance. Un 4X4 est atteint par des plombs mais les gendarmes, vu leur position, ne peuvent déterminer la provenance du tir.
De retour au cantonnement, j’ai la surprise de trouver le troisième peloton tranquillement au repos. Si je suis rassuré, les explications que me donne l’adjudant-chef qui le commande me mettent dans une colère noire ! Lui aussi a entendu les coups de feu lors de la progression vers Antisanti et a fait demi-tour. Je le relève aussitôt de ses fonctions, le sanctionne et le mets dans le premier avion à destination d’Orléans.
Dans la soirée nous recevons par hélicoptère 3 fusils de précision FRF1, avec lunette, que je confie à trois gradés bons tireurs.
Du 4 au 9 Septembre
Nous vivons un rythme soutenu de patrouilles de jour et de nuit, du niveau peloton, dans une zone étendue qui va de Bravone au Nord à Porto-Vecchio au Sud et jusqu’à Ghisoni à l’intérieur de l’Île, ce qui ne nous empêche pas de poursuivre les exercices de cohésion avec le 6/1.
10 septembre
Ordre est donné de faire mouvement avec deux pelotons sur Corte et de détacher un peloton à Calvi. Nous nous séparons avec regret de nos camarades du 6/1 qui rejoignent le VVF de La Marana. Les militaires de cette unité du groupement blindé seront rapatriés le 18 septembre, après avoir rempli des missions de protection de la base. Ils laissent sur place les VBRG qui seront pris en compte par un autre escadron.
À Corte, le commandant de compagnie m’indique que la mission de l’escadron consiste à protéger la sous-préfecture plusieurs fois mitraillée et à effectuer des patrouilles de surveillance au profit de ses brigades. Théoriquement, en ville, nous sommes pour emploi à la disposition du commissaire de police local.
Nous sommes cantonnés au quartier du 2e Régiment étrangers. Le colonel commandant cette unité de la Légion étrangère m’accueille chaleureusement. Il fut l’un de mes instructeurs de l’école d’état-major ce qui facilite notre installation et notre logistique.
Pour ce qui concerne l’employeur “urbain”, je comprends vite que nous ne sommes pas vraiment les bienvenus. Je ne verrai qu’une fois l’un de ses adjoints.
Le sous-préfet me reçoit avec soulagement. Devant les menaces, il a dû renvoyer sa famille sur le continent. Il est rassuré par notre présence. La sous-préfecture située en bordure de route est très exposée, particulièrement la nuit, à des actions ponctuelles. Le service est relativement simple à organiser mais conjugué avec celui au profit de la GD, il est lourd : sur 24 heures, un peloton de garde avec une relève interne le matin et une le soir, l’autre en réserve ou en concours GD en mesure d’intervenir au complet en cas de menace plus sérieuse. Le seul problème important réside dans le fait que chaque relève doit traverser tout le centre de Corte par le cours Paoli.
Les gendarmes ont une remarquable capacité d’adaptation au milieu dans lequel ils évoluent. Dès le deuxième jour leur tenue n’a rien à envier à celle des légionnaires qui les saluent chaque fois qu’ils les croisent parce qu’ils sont sous-officiers et que le 2e REI étant un régiment d’instruction, on le leur a appris. Très rapidement d’ailleurs nous organisons des rencontres sportives communes entre 6 et 8 heures du matin pour changer les idées puisqu’il est interdit de sortir en ville.
En effet, le climat local est détestable. À chaque relève, tout au long du trajet, ce ne sont qu’injures, quolibets ou menaces de la part d’individus qui se réclament ouvertement de l’ARC.
À plusieurs reprises il faut intervenir à la suite de présences suspectes, de jets de projectiles ou de tracts autonomistes, devant et dans l’emprise de la sous-préfecture.
À Calvi le peloton détaché remplit le même type de mission dans un contexte plus serein. Il est cantonné dans le quartier du 2e REP.
14 septembre
Au matin, le sous-préfet me demande de le rejoindre avec les moyens disponibles car il a reçu des tracts d’un comité anti-répression qui « exige la libération immédiate des patriotes emprisonnés et le retrait des forces d’occupation » et profère des menaces graves.
Notre présence armée est visible, FM en batterie. Elle dissuade les fauteurs de troubles qui décident de se rendre par le train à Ajaccio.
Il est évident que dans cette ambiance pesante et compte tenu de la fatigue qui commence à se faire sentir il faut détendre l’atmosphère. C’est dans ce but que je vais prendre une initiative malheureuse.
16 septembre
En revenant d’un entretien avec le sous-préfet, je constate qu’au centre de Corte, place Paoli, un mat portant un drapeau à tête de Maure, offert à la ville par les organisateurs des universités d’été – un rassemblement annuel infiltré par les autonomistes – vient d’être érigé. Le soir, au mess, alors que nous discutons librement, j’indique, sur le ton de la plaisanterie, que je paierais bien une caisse de Champagne à celui qui me rapporterait ce pavillon !
Nuit du 17 au 18 septembre
À 3 h 30, dans la nuit du 17 au 18 septembre, deux explosions secouent la ville. Il s’agit d’attentats contre deux établissements bancaires qui ne provoquent que des dégâts légers. Aussitôt je me précipite vers la sous-préfecture avec le reliquat de l’unité. Je retrouve le commandant de compagnie. La fouille des abords ne donne rien. Le matin un message nous informe de menaces d’actions imminentes contre les cantonnements.
Nuit du 18 au 19 septembre
Un incident se produit lors de la relève de 20 h 30 : une vive altercation avec quelques individus qui ont pris à partie un groupe de l’escadron alors qu’il se dirigeait vers la sous-préfecture. Vers 2 h 00 le commandant de compagnie m’indique qu’il vient d’y avoir un nouveau problème. Un drapeau Corse aurait été décroché par des gendarmes. Je ne tarde pas à en avoir confirmation lorsque le commandant de peloton et son conducteur frappent à ma porte et arborent fièrement ce trophée. Pour moi, un grand moment de solitude. Je sais que cela va être exploité. Quelques minutes plus tard un appel téléphonique venant de Paris (ministère de l’Intérieur ?) me demande des explications.
Dès le début de la matinée les autonomistes exigent que nous remontions leur drapeau place Paoli ce que je refuse catégoriquement. Finalement je le remets au malheureux commandant de compagnie avec mes excuses.
La réaction du nouveau commandant de SGO le 1/15, un « Patron » remarquable, ancien légionnaire, est immédiate : « Vous regroupez votre escadron, vous quittez Corte et vous me rejoignez au VVF de Borgo ».
Le VVF est en état de siège. Plusieurs unités y sont cantonnées. Un état-major plus étoffé avec des officiers de la Légion de gendarmerie d’Île-de-France s’efforce de structurer le dispositif tant au plan opérationnel que logistique. On sent une volonté de cohérence et de fermeté lors des réunions de l’ensemble des commandants d’escadrons qui ne devront désormais obéir qu’aux ordres de cet E.-M.
Sur le plan disciplinaire, je revendique ma responsabilité devant le colonel commandant la légion de Corse qui, après avoir menacé d’éliminer de l’Arme les deux gendarmes, se rend à mes arguments et finit par prononcer une sanction mesurée à l’encontre des deux militaires concernés.
Deux jours plus tard une « cérémonie de réparation » va être organisée à Corte. La menace de violences armées est forte. Des 11 h 00 plusieurs barrages autour et dans la ville sont tenus par les « patriotes corses » et le syndicat des transporteurs « Strada Corsa » qui réclament la restitution du drapeau par les gendarmes mobiles, ce que je refuse, appuyé en cela par le commandant du SGO, faisant valoir les risques encourus par mes subordonnés. Finalement, après plusieurs heures de négociation impliquant directement le préfet de Haute-Corse, le sous-préfet, le maire et l’archiprêtre, la proposition suivante est faite à la foule : le drapeau corse sera restitué par le commandant de compagnie au sous-préfet qui le remettra au maire et au conseiller général sur la place Paoli. Pendant ce temps, pour prévenir tout débordement, le SGO 1/15 fait mouvement sur la ville. Je suis désigné en avant-garde avec un peloton d’AML et un peloton VBRG. Nous avançons jusqu’à Ponte-Leccia. Les consignes sont claires. Même la pire des situations est prévue. Finalement, alors que la foule réclame les « gardes mobiles », la cérémonie se déroule à 19 h 40 dans un calme relatif. Le sous-préfet est contraint de présenter les excuses de l’Administration. Je comprends les sentiments que ces autorités ont pu éprouver. À 20 h 00 les derniers barrages sont levés.
Nous resterons jusqu’au 24 septembre au VVF soumis à un rythme très soutenu de patrouilles, de contrôles routiers et d’interventions au profit de brigades. Dans la nuit du 21 septembre la BT de Penta-di-Casinca fera l’objet d’un nouvel attentat.
24 Septembre
Nous regagnons Argentan par avion via Orléans tandis que le convoi lourd rentre par voie maritime.
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Des enseignements ont-ils été tirés de cette crise majeure ? Certainement en partie. Ils sont de trois ordres :
- sur le plan matériel et logistique ;
- sur le plan de la formation ;
- sur le plan du commandement de crise.
Pour ce qui concerne le matériel, des décisions furent prises très rapidement. Citons, par exemple, l’installation des banquettes centrales au lieu des banquettes latérales pour les véhicules kaki et la création d’une commission pour l’équipement d’une partie du parc VBRG en tourelleaux protégeant le tireur de l’AA52.
L’élimination progressive des GMC de mobilisation hors d’usage, opération vérité, fut décidée. Elle ne prit fin qu’au milieu des années 1990. Enfin la modernisation des transmissions de la gendarmerie mobile se révéla indispensable pour pouvoir conduire des opérations sur une vaste zone et ne plus avoir des « enfants perdus ». Aujourd’hui, l’arrivée d’Internet et des téléphones portables contribuent largement à résoudre les difficultés. Désormais on peut disposer en permanence et en temps réel des informations et conduire des opérations de manière cohérente.
Concernant la logistique opérationnelle, à l’époque la gendarmerie n’avait pas de culture propre. Elle était en grande partie tributaire des soutiens militaires. Sans le concours de la base aérienne de Solenzara puis du 2e REI et du 2e REP notre engagement aurait été problématique dans un secteur où une partie de la population nous était particulièrement hostile.
S’agissant de la formation, le rôle du centre de Saint-Astier fut affirmé pour permettre une remise à niveau et une meilleure synergie entre les différents types d’unités ainsi qu’une modernisation des modes d’action. De même, dans la mesure du possible, la DGGN s’efforça de préserver les séjours en camp. En revanche l’initiation des personnels aux impératifs et aux techniques de l’aéromobilité, que ce soit dans le domaine logistique ou dans la phase tactique, est demeurée un point faible.
Enfin et surtout, sur le plan opérationnel, la nécessité de disposer d’un GIGN puissant capable de traiter les situations les plus critiques devint une priorité évidente. Pour les escadrons, on commença à constituer des ELI (équipes légères d’intervention).
De même, il s’est avéré souhaitable de disposer d’états-majors opérationnels entraînés, immédiatement projetables en métropole ou en Outre-Mer, suffisamment étoffés pour prendre d’emblée le commandement d’un engagement massif dans un cadre interservices, assurer une meilleure coordination GM/GD et conduire les opérations dans l’espace et la durée en relation directe et permanente avec le centre de décision national. Les unités engagées sur le terrain ne doivent recevoir leurs ordres que d’une seule autorité. Commander ce type d’engagement ne peut se satisfaire d’une improvisation de circonstance.
Pendant le mois qui suivit Aléria, quatre commandants de SGO, au départ sans véritables moyens, se sont succédé, générant des ordres parfois contradictoires avec ceux diffusés par le groupement départemental. La situation se stabilisa au bout de vingt jours avec l’arrivée d’un chef expérimenté épaulé par un détachement de l’EM de la LGMIF, mais c’était trop tard. On a pu croire que cela avait été bien compris et admis après la création des légions de GM en 1991 qui auraient pu devenir les outils efficients de maîtrise des crises. Même justifiée par une diminution des effectifs, leur suppression, dix ans plus tard, suivie de celle de la LGMIF, qui, en 2005, était devenue la FGMI (Force de gendarmerie mobile et d’intervention) dont l’une des missions consistait à fournir « un état-major projetable de gestion de crise », laisse perplexe. La FGMI fut dissoute au mois de juin 2010 !
Enfin, il était indispensable de développer la “culture du renseignement” à tous les niveaux. Certes l’organisation du renseignement est un acte politique qui impose une dose de secret mais sa finalité est de favoriser l’action. Recueillir, synthétiser, transmettre et exploiter des informations par natures évolutives, en temps réel, ne pas laisser les exécutants dans l’ignorance de la situation, évite bien des errements dangereux. On a vu récemment que ce problème était toujours d’actualité malgré les progrès enregistrés.
Dans cette triste affaire on peut dire qu’à la fois le politique et la hiérarchie ont été surpris et n’ont pas pris la mesure du risque présenté par l’occupation de la cave viticole d’Aléria par des individus déterminés et fortement armés. Manque de renseignements ou d’analyse du renseignement ? Manque de moyens adaptés à la gestion de cette situation ? Méconnaissance des règles d’engagement d’engins (les VBRG), initialement conçus pour impressionner des manifestants « normaux » ? faiblesse des structures de commandement sur place ? Quoi qu’il en soit, le résultat fut un drame qui coûta la vie à deux gendarmes puis à un fonctionnaire de police, suivi d’une période de troubles durant laquelle le moindre incident aurait pu dégénérer en d’autres affrontements sanglants.
Aujourd’hui, si la progression de l’état islamique n’est pas endiguée, la menace djihadiste pèsera de plus en plus sur notre pays. Elle peut fort bien évoluer brutalement de l’acte individuel vers des actions d’envergure plus spectaculaires présentant des similitudes avec l’affaire d’Aléria pour frapper l’opinion publique. Les signaux d’alarme sont nombreux. Si le renseignement en amont ne le détecte pas ce qui a été le cas dans les attentats de janvier et de juin 2015 – l’adversaire aura l’initiative du lieu, de l’heure et de la forme de son agression ; nous devons donc avoir la capacité d’une réaction quasi instantanée à la mesure de l’événement.
L’engagement personnel du général d’armée, directeur général de la gendarmerie, dans la traque puis la neutralisation des terroristes auteurs des attentats de janvier 2015, montre que notre institution, elle aussi, entend affirmer sa volonté de jouer pleinement son rôle opérationnel en cas de crise majeure. On ne peut que s’en féliciter. Souhaitons qu’en dépit des contraintes budgétaires elle puisse s’en donner les moyens.