SOCIÉTÉ NATIONALE DE L'HISTOIRE ET DU PATRIMOINE DE LA GENDARMERIE | SOCIÉTÉ DES AMIS DU MUSÉE DE LA GENDARMERIE

Dossier de Benoit HABERBUSCH, docteur en histoire

Le 3 février 1976, une trentaine d’écoliers pris en otages par des terroristes somaliens attend anxieusement l’issue de son sort. Leur car est stationné en plein désert, près d’un poste frontière de Somalie. C’est dans ce contexte international tendu que les hommes du GIGN reçoivent leur première mission hors de l’hexagone. 

La prise d’otages de Loyada.


Comme tous les jours, ce 3 février 1976, les enfants des militaires de la base aérienne 188 à Djibouti attendent, sur le bord de la route, le car qui doit les amener à l’école. À sept heures quinze, à l’arrêt dit de la Cité du Progrès à Ambouli, faubourg sud de Djibouti, trois hommes masqués par des foulards et porteurs de pistolets-mitrailleurs surgissent d’une ruelle et grimpent rapidement à bord du véhicule. Un quatrième comparse, porteur d’un sac paraissant lourdement chargé, surgit à son tour. Le conducteur du car reçoit l’ordre de démarrer rapidement en direction de la route d’Arta.

Arrivé à la hauteur d’un poste de contrôle de gendarmerie, le car force le passage en obligeant un gendarme mobile à plonger sur le côté pour éviter d’être écrasé. Trois coups de feu sont tirés vers les gendarmes sans les atteindre. Un message est également largué. Signé du Front de Libération de la Côte des Somalis (FLCS), il réclame l’annulation du futur référendum, l’indépendance de Djibouti et la libération des détenus politiques.

Devant la gravité des événements, l’alerte est déclenchée. Un compte rendu est adressé au haut-commissaire de la République et au général commandant supérieur. Tandis que l’hélicoptère de la gendarmerie repère le véhicule qui prend la direction de Loyada, poste frontière avec la République de Somalie, un escadron de gendarmes mobiles se lance à sa poursuite. Le car est intercepté à un barrage dressé à hauteur de la brigade de Loyada. Les terroristes trouvent face à eux quelques éléments du groupe nomade autonome, la brigade de gendarmerie et un groupe héliporté de la légion étrangère. Le commandant de brigade qui s’avance vers le car est accueilli par un coup de feu et doit se replier à l’intérieur des locaux. Les ravisseurs relâchent un jeune otage avec un message verbal précisant que les enfants seront libérés si le véhicule peut poursuivre sa route librement vers la frontière somalienne. Le procureur de la République est avisé des exigences des ravisseurs. Le commandant de groupement se rend à la brigade de Loyada. Conformément aux directives reçues du général commandant supérieur, il prend sous ses ordres l’ensemble des forces de sécurité qui ont été renforcées par l’arrivée de l’escadron 5/3 et des légionnaires héliportés. À huit heures quarante-cinq arrive le haut-commissaire adjoint, chargé des négociations. Il est accompagné du consul intérimaire de la République Somali à Djibouti, puis du procureur de la République et du juge d’instruction chargé des affaires concernant le FLCS. Des négociations s’engagent et durent toute la matinée. Chacun s’offre de remplacer les enfants, mais le commando refuse et se montre très ferme sur ses revendications. Il obtient de se placer après le panneau frontière près d’un poste somalien. Le haut-commissaire adjoint et le consul se rendent au poste somalien puis reviennent côté français, porteur des exigences nouvelles des ravisseurs. La conviction de tous est que les choses se présentent mal et qu’il va falloir prendre des dispositions pour ravitailler les enfants et prolonger les négociations.


AU GOUVERNEMENT FRANCAIS.


AU NOM DU F.L.C.S, NOUS EXIGEONS, EN ÉCHANGE DE CES OTAGES ET EN PRÉSENCE DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU FRONT : 


– L’ANNULATION OFFICIELLE PAR LE GOUVERNEMENT FRANCAIS DU SIMULACRE DE RÉFÉRENDUM PROCHAIN, ET LA RECONNAISSANCE SANS CONDITION AUCUNE DE L’INDÉPENDANCE DE DJIBOUTI.

– LA LIBÉRATION IMMÉDIATE DE TOUS LES DETENUS POLITIQUES. 

– L’ARRET IMMEDIAT DE TOUTES MESURES REPRESSIVES : RAFLES, EXPLUSIONS, ÉTAT DE SIEGE DE LA VILLE DE DJIBOUTI.

– L’OCTROI DE RETOUR AUX DEPORTES ET EXPLUSES.

LA PRESENCE DU SECRETAIRE GENERAL DU FRONT EST EXIGEE. LE FLCS DETERMINERA LE PAYS QUI POURRA SERVIR D’INTERMEDIAIRE.

SI LE GOUVERNEMENT FRANCAIS ESSAIYAIT DE FAIRE LE MALIN, IL AURAIT A REGRETTER
Copie du message envoyé par les preneurs d’otages

Un défi de taille pour une formation d’élite récente.


Prévenue du drame qui se joue à plus de 6 800 kilomètres de la France, la circonscription régionale de gendarmerie de Paris (nom donné à l’époque à cet échelon placé au niveau de la légion) avertit à midi les hommes du groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale (GIGN) n° 1. Leur chef, le lieutenant Prouteau s’entraîne au stand de tir de Maisons-Alfort lorsqu’il apprend la nouvelle. Né le 7 avril 1944 dans une famille de militaires, ce jeune officier a d’abord suivi une formation à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr d’où il est sorti sous-lieutenant en 1969. Après un passage dans les transmissions, il a réussi le concours de l’école des officiers de la Gendarmerie nationale (EOGN). C’est lui qui a été choisi pour mettre en place le groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN).

En 1976, le GIGN comptabilise tout juste deux années d’existence. En fait, deux GIGN ont été formé. D’une part, le GIGN n° 1, basé à Maisons-Alfort et succédant à l’équipe commando régionale d’intervention (ECRI) créée en septembre 1973, opère sur tout le territoire des 1ère, 2e, 3e et 6e régions militaires. D’autre part, le GIGN n° 4 basé à Mont-de-Marsan, constitué au sein de l’escadron 9/11 de gendarmerie mobile opère sur les 4e, 5e et 7 régions militaires. Ces deux unités ont pour vocation de résoudre les prises d’otages, de maîtriser les forcenés et de lutter contre le terrorisme.

Plusieurs succès témoignent déjà de leur efficacité. C’est le cas notamment en mai 1974 lors de la mutinerie à la prison de Fleury-Mégoris. Héliportés sur le toit du centre pénitencier, cinq hommes de la gendarmerie, vêtus de noir, parviennent à faire refluer une soixantaine de détenus, sans violence physique inutile. L’intervention du GIGN est déterminante pour mâter la rébellion. Autre exemple, le 19 avril 1974 à Ivry-la-Bataille, un homme retient sa femme en otage après avoir tiré sur son beau-frère. Le lieutenant Prouteau négocie avec le forcené et réussit à le convaincre de lui remettre son arme. Autre exemple encore, en septembre 1975 dans une affaire de hold-up à Faverges (Haute-Savoie), les hommes du GIGN évitent toute effusion de sang en persuadant un jeune homme fragile, dépassé par ses actes, de libérer ses six otages et de se rendre.

Disposant de moyens limités au départ, le GIGN ne cesse de perfectionner ses techniques d’action en tirant les leçons de chacune de ses missions. Après chaque sortie de l’unité, le commandant du GIGN n° 1 rédige un rapport dans lequel il détaille les différentes phases de l’intervention de ses hommes, fournit une analyse de l’opération et donne les principaux enseignements à tirer. Durant ses deux années d’existence, le GIGN enrichit ainsi son expérience sous l’impulsion de son chef. Toutefois, jusqu’à cette date, l’ensemble des missions s’est déroulé en métropole. 


La rude leçon du désert.

Après avoir pris connaissance des principaux aspects de l’affaire de Djibouti, le lieutenant Prouteau désigne huit hommes pour l’accompagner. Prenant un avion à Roissy, les gendarmes, habillés en civil pour des raisons de discrétion, arrivent à Djibouti à minuit quarante-cinq (heure locale). Plusieurs déconvenues les attendent dans cette région isolée . Tout d’abord, le voyage en soute non pressurisée a endommagé le matériel sensible (jumelles, radios) et les équipements adaptés au désert font défauts. Plus inquiétant, les photos aériennes confirment la difficulté de la mission. Le terrain plat et dénudé n’offre pratiquement pas d’abri sûr. Le trajet pour rejoindre Loyoda met également les nerfs des gendarmes à rude épreuve. Alors que le convoi, tous feux éteints, peine à suivre la piste, la jeep où se trouve le lieutenant Prouteau se retourne dans un trou d’eau ! Il faut redoubler d’efforts pour remettre la jeep sur ses roues.

Parvenus enfin à destination, les hommes du GIGN se font expliquer les dernières évolutions de la situation. Les terroristes ont trente otages et ont accepté qu’une assistante sociale vienne s’occuper des enfants. Situé à quatre ou cinq mètres de la barrière placée à la frontière somalienne, le car est éclairé par un gros projecteur. Les terroristes ne semblent pas commettre de faute et ne sont jamais vus ensemble. Le lieutenant Prouteau effectue avec le capitaine de gendarmerie et le lieutenant-colonel commandant le groupement une longue reconnaissance de la zone. La palmeraie s’arrête à environ deux cent cinquante mètres du car. Des lignes de gros cailloux sont les seules aspérités du terrain désert et plat situé entre l’oasis côté territoire français et la Somalie. Le commandant du GIGN n° 1 trouve à environ deux cents mètres du car un léger mouvement de terrain pour installer ses tireurs. Il n’y a qu’un arbre et pratiquement rien pour se camoufler, mais c’est la seule position. L’observation débute à six heures. Tous les tireurs du GIGN doivent repérer rapidement le nombre de terroristes et leur manière d’opérer. Quatre cibles sont ainsi identifiées. Toutefois, il apparaît vite évident que les terroristes bénéficient de la complicité des Somaliens du poste voisin.


À l’assaut du car scolaire.


Les quatre hommes identifiés dans le car permettent d’établir le code de tir. Les objectifs sont numérotés de un à quatre suivant leur position. Au vue du nombre de gendarmes en position, chaque cible numérotée est prise sous le feu de deux tireurs. Toutefois, ce schéma se révèle inopérant car d’autres terroristes sont bientôt détectés. Jusqu’à sept hommes sont comptabilisés dans le car. Une relève est organisée avec le poste somalien voisin.

Cette perspective pèse sur le moral des gendarmes exposés en plein soleil. À quatorze heures, devant le risque d’insolation, la mission est suspendue. Les hommes rejoignent le seul coin d’ombre de la base de tir. L’organisation d’un ravitaillement en nourriture et en eau regonfle les esprits. Le lieutenant Prouteau observe alors une fenêtre de tir : les terroristes ne sont plus que quatre et les enfants dorment. Le code de tir est rétabli. Il est quinze heures quarante-cinq, l’opération peut être déclenchée.

Comme à l’entraînement, le tir est effectué au commandement : trois, deux, un, zéro, feu. En un instant, les quatre cibles s’écroulent. Un cinquième homme qui devait être assoupi sur le marche-pied de la porte avant droite du car essaie de s’enfuir. Il est aussitôt abattu. Quelques secondes passent avant que les Somaliens ne réagissent. Puis, tout à coup, les gendarmes sont cloués au sol sous le feu d’armes automatiques. La zone se transforme en véritable théâtre de guerre. Le lieutenant Prouteau donne l’ordre à ses subordonnés de riposter et de tirer sur tous ceux qui portent une arme. Neuf Somaliens sont ainsi touchés par les militaires du GIGN.

L’arrivée de la section de légionnaires et d’automitrailleuses légères permet de tirer les gendarmes de la situation délicate dans laquelle ils se trouvent. Profitant de la progression des légionnaires, deux hommes du lieutenant Prouteau appuyés par leurs camarades se lancent vers le car des enfants. Ils remarquent aussitôt qu’un terroriste armé a réussi à remonter dans le véhicule. Avant d’être abattu, ce dernier tire une rafale qui blesse le chauffeur ainsi que plusieurs enfants et touche mortellement une fillette. Au cours de cette brève fusillade, les véhicules devant dégager les enfants arrivent au plus près du car. L’évacuation s’effectue en dix minutes. Après avoir vérifié que son personnel est indemne, l’équipe du GIGN embarque à bord d’une jeep et se replie sur la base de départ. Le bilan de l’opération s’établit ainsi : 

– une fillette tuée ;
– huit blessés dont cinq enfants (l’un d’eux décédera quelques jours plus tard), le chauffeur, l’assistance sociale et un lieutenant de la légion étrangère ;
– sept terroristes et neuf Somaliens abattus par le GIGN.

Le décès de la jeune fille marque profondément les membres de l’équipe du GIGN dont plusieurs sont pères de famille. La perte d’un otage signifie pour eux l’échec de la mission. Toutefois, étant donné le caractère particulièrement difficile de l’opération, la récupération de vingt-trois enfants indemnes témoigne du courage et du professionnalisme des gendarmes engagés

 Plusieurs hommages viennent d’ailleurs confirmer la reconnaissance de la valeur des hommes du lieutenant Prouteau et contribuent à forger une renommée internationale à cette formation d’élite de la gendarmerie.