La Garde républicaine et la Gendarmerie nationale se voient respectivement attribuer les emblèmes que nous leur connaissons encore aujourd’hui en 1880 et en 1913, avec des noms de batailles rappelant la fonction combattante des militaires de l’arme. Revenons sur les conditions d’attribution de ces deux drapeaux ainsi que sur les noms qui en ornent les étoffes.
La salle des emblèmes du Service historique de la Défense rend visible, et de façon spectaculaire, l’importance des drapeaux et étendards au sein des forces armées. Des morceaux d’étoffe investis d’une forte charge symbolique ; militaire, d’une part, par les noms de batailles et/ou de campagnes qui les ornent, et politique, d’autre part, en reliant l’histoire héroïque des formations combattantes à la défense de la République et à la permanence de la Nation.
Si les drapeaux actuels de la Gendarmerie nationale et de la Garde républicaine leur furent conférés par la Troisième République, on peut néanmoins remonter au début de la période révolutionnaire pour voir apparaître au sein de la Gendarmerie, alors nouvellement créée le 16 février 1791, des étendards pour chaque escadron. L’inscription « Gendarmerie nationale – Force à la loi » est inscrite sur un côté alors que l’envers comporte la formule « Discipline et obéissance à la loi ». Le général Wirion, qui s’illustra à la bataille d’Hondschoote en septembre 1793 et devint inspecteur général de la Gendarmerie en 1801, déclara que ces inscriptions « leur [les gendarmes] rappelaient sans cesse qu’ils étaient les sentinelles vigilantes et incorruptibles de la sûreté publique et individuelle, qu’ils devaient s’honorer de donner en tout temps l’exemple des vertus civiques, de la discipline et de toutes les qualités désirables dans un militaire républicain ».
Dans l’histoire vexillologique des emblèmes de l’institution, le décret du 25 décembre 1811 est remarquable car, pour la première fois, il indique qu’il n’y aura pour l’arme qu’une seule aigle, déposée auprès du Premier inspecteur, en l’occurrence le maréchal Moncey ; il comporte l’unique inscription « L’empereur Napoléon à la gendarmerie impériale ». Jusqu’à la Monarchie de Juillet, ce drapeau redevient blanc puis il retrouve ses trois couleurs, en étant confié à la première légion de Gendarmerie puis à un bataillon de Gendarmerie mobile entre 1852 et 1854, avec les mots « Valeur et Discipline » mais sans aucune inscription de bataille.
En 1871, le gouvernement qui a fui la Commune donne à la légion de Gendarmerie mobile installée à Versailles et qui protège celui-ci, un drapeau avec la mention « République française – Légion de Gendarmerie MOBILE » et au verso « Honneur et Patrie – Valeur et discipline ». Mais ce drapeau est versé au ministère de la Guerre en 1885 quand le bataillon qui a succédé à cette légion est dissout. Ne subsiste alors dans l’institution comme élément matériel de ralliement que l’emblème décerné à la Garde républicaine en 1880.
En effet, la formation parisienne s’est vu attribuer des mains du chef de l’État en 1880 un emblème aux côtés des troupes de ligne qui récupèrent le leur après la défaite de 1870, soit près de 400 régiments. Spectaculaire cérémonie militaire lors de la fête du 14-Juillet ; moment d’autant important que le drapeau tricolore devient alors un des symboles officiels de la République. Ce drapeau est néanmoins pour l’heure vierge de tout nom de bataille. Il faut attendre les années 1890 pour voir inscrites les mentions « Dantzig 1807 », « Friedland 1807 », « Alcolea 1808 », « Burgos 1812 », batailles accompagnées de la devise « Honneur et Patrie ».
On constate la prégnance de la geste impériale dans un choix qui relie symboliquement la Garde municipale de Paris – créée le 4 octobre 1802 pour la surveillance de la capitale et dissoute en 1813 – et une Garde républicaine qui en est érigée comme l’héritière, alors que les deux formations ont peu de points communs, si ce n’est la localisation. Malgré le caractère autocratique du régime impérial et des batailles qui relèvent plus de la conquête que de la défense, la Troisième République n’hésite pas à exalter à un passé militaire synonyme de grandeur nationale une institution qualifiée de « républicaine ».
Après la Seconde Guerre mondiale, en 1955, l’inscription « Indochine 1945-1954 » s’ajoute aux quatre précédemment évoquées, rendant ainsi hommage aux militaires de l’unité ayant pris part à cette campagne, le plus souvent dans des postes de campagne isolés.
C’est en 1913, à l’occasion de la fête nationale, que la Gendarmerie retrouve un emblème, attribué par la décision ministérielle du 21 mai 1913. Mais, contrairement à l’usage militaire, le drapeau est attribué à une institution, non à un régiment, ce qui pose immédiatement la question du lieu de sa garde. L’année 1913 pose également question ; pourquoi cette année alors qu’il était déjà question de lui attribuer un emblème à la fin du XIXe siècle ?
Peut-on l’expliquer par le contexte de veillée d’armes qui caractérise l’Europe ? Quoiqu’il en soit, quatre batailles sont rapidement inscrites, dès novembre, sur cet emblème confié à la légion de Paris : « Honschoote », « Villodrigo », « Taguin » et « Sébastopol » ; aucune date n’est associée à ces batailles, comme si leur connaissance allait de soi. Pourtant certains déplorent même qu’aucune notice historique ne soit diffusée dans l’arme, aussi les capitaine Burlat et lieutenant Durieux publient-ils en 1914 un ouvrage intitulé Le Drapeau de la Gendarmerie. Son histoire – Ses batailles.
Sans entrer dans le détail de chacune d’elles, soulignons toutefois que le choix, contrairement au drapeau de la Garde républicaine, a ici puisé dans divers registres : la défense de la patrie durant la Première République avec Honschoote en 1791 ; les conquêtes napoléoniennes et la guerre en Espagne avec les combats à Villodrigo en 1812 ; les conquêtes coloniales de la Monarchie de Juillet avec la bataille menée contre Abd-el-Kader à Taguin en 1843, puis le siège de Sébastopol en Crimée, au début du Second Empire.
Quatre régimes, avec quatre types de bataille qui permettent ainsi d’exalter la fonction combattante de la Gendarmerie à un moment où les relations internationales sont particulièrement tendues.
Comme pour la Garde républicaine, la Gendarmerie se voit honorée avec l’inscription « Indochine 1945-1954 ». Les participations à divers titres de la Gendarmerie mobile et de la Gendarmerie départementale en Tunisie, au Maroc, mais évidemment surtout en Algérie, font l’objet ultérieurement de l’inscription « AFN [Afrique du Nord] 1952-1962 ».
Élément d’identification et instrument de transmission d’une tradition, les drapeaux conférés à la Garde Républicaine puis à la Gendarmerie nationale par la Troisième République sont ceux qui continuent aujourd’hui d’être mis à l’honneur. Ils rappellent aux « soldats de la Loi » leur identité militaire qui perdure malgré les changements de régime et de ministère, plus encore, une fonction combattante dans laquelle des gendarmes s’illustrèrent aux côtés des autres armées par le passé et aujourd’hui encore en OPEX.