L’actualité récente a replacé les notions de contact et de proximité au cœur de la sécurité publique. Inadaptée pour les uns, pas assez développée faute de moyens pour les autres, la police de proximité pose implicitement, aujourd’hui, la question du partage des missions entre la police et la gendarmerie en zone urbaine et périurbaine. Or, forte de son maillage de proximité historique, la gendarmerie fait figure de pionnière en la matière.
Selon le politologue François Dieu, la police de proximité peut se définir comme « un mode de gestion de la sécurité mis en œuvre au plus près de la population, de manière à répondre par une action policière prioritairement préventive (inspirée du community policing anglo-saxon), à ses besoins soigneusement identifiés et pris en considération ». Apparue dans les discours officiels français à la fin des années 90, cette notion a été depuis accaparée par la police nationale. En effet, à partir de 1998, le gouvernement de Lionel Jospin avait fait de « la police de proximité » une doctrine d’emploi de la police avant que Nicolas Sarkozy ne la supprime globalement en 2003 au profit d’une police dite d’ « intervention ». Néanmoins, les missions de police de proximité continuent de se développer au sein de la majorité des polices municipales.
Dans le même temps, depuis la Loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI) de 2002, la Gendarmerie départementale a été redéployée, entraînant consécutivement la fermeture de certaines Brigades territoriales (B.T.) qui, pour le sociologue Christian Mouhanna, constituaient, avant l’heure, le modèle de « police de proximité », un rôle qu’elles continuent de jouer peu ou prou en zone rurale. En effet, si elle ne peut se prévaloir officiellement vis-à-vis de la population et de ses personnels d’un domaine pour l’heure associé à l’idée de modernité policière, la proximité est pourtant l’une des composantes fondatrices de l’action policière de la gendarmerie depuis la sédentarisation de la maréchaussée opérée en 1720.
Cette proximité s’explique par son maillage du terrain grâce la densité du réseau des brigades territoriales, et la surveillance générale qu’elles assurent. Implantée sur la totalité du territoire national, la brigade est l’unité fonctionnelle de l’épithélium gendarmique. C’est le cadre cantonal qui a été privilégié dès les origines pour occuper ce dernier, avant même que les textes organiques ne l’imposent en 1850, car il sert de base à la justice de paix, à la garde nationale, aux consultations électorales et au recrutement des soldats.
En 1870, on dénombre quelque 3 600 brigades. Au lendemain de la Grande guerre, l’Institution amorce un changement de paradigme. Après avoir retrouvé une direction en 1920, elle met sur pied des pelotons mobiles spécialisés dans le maintien de l’ordre grâce à la loi du 22 juillet 1921. Cette nouvelle subdivision de l’Arme permet de compléter le dispositif de la gendarmerie départementale et d’accroître la présence gendarmique sur le terrain. Le mouvement de spécialisation se poursuit durant l’entre-deux-guerres et s’accélère encore après la Seconde Guerre mondiale.
La gendarmerie élargit le spectre de ses missions et de ses moyens. Elle occupe désormais des espaces plus vastes, incluant la haute montagne (création des pelotons de haute montagne en 1958), les domaines maritime, fluvial, aérien et sous-terrain (groupe de spéléologues créé en 1974), et renforce par là même son rattachement aux territoires et aux hommes. La brigade demeure pour autant la structure polyvalente par excellence de la gendarmerie dans laquelle s’exercent toutes les missions qui sont confiées à l’Institution. Sa proximité physique lui permet d’exercer une surveillance générale et continue des populations.
La gendarmerie départementale comporte actuellement 3 200 brigades territoriales, réparties sur 95 % du territoire. Depuis 2002 et la refonte de l’emploi des forces de sécurité intérieure, on distingue les brigades autonomes et les brigades regroupées au sein d’une communauté de brigades. On compte aujourd’hui 1 000 communautés de brigades alors qu’environ 730 B.T. sont restées autonomes. Parallèlement, la police et la gendarmerie poursuivent leurs redéploiements. La police nationale étend sa zone de responsabilité à des communes de la zone de gendarmerie situées dans le prolongement des grandes aires urbaines ou enclavées en zone de police.
En ce qui concerne la gendarmerie, la priorité reste les petites circonscriptions isolées pouvant difficilement être renforcées par la police nationale. La proximité de la gendarmerie avec la population nécessite des réadaptations ou des innovations. Des expérimentations ont à cet effet été menées, comme les brigades territoriales de contact, initiées en mars 2017 et déployées pour renforcer les relations avec les populations. Le territoire numérique est désormais également investi par la gendarmerie via les réseaux sociaux Twitter, Facebook et autre LinkedIn, pour informer et interagir avec les populations.
L’Institution a également développé depuis 2014 sur un projet de transformation digitale Neogend permettant à chaque gendarme de disposer d’un outil numérique susceptible de faciliter le contact, et travaille également sur un projet de brigade numérique afin de développer toujours plus de proximité avec le citoyen. De toute évidence, la capacité opérationnelle de la gendarmerie et la densité de son maillage territorial doivent absolument être préservées sous peine devoir s’étioler sa proximité originelle des populations dont elle a historiquement tiré sa force et sa légitimité.
(Avec l’aimable autorisation du SIRPA/gend)
Pour aller plus loin sur le sujet :
- « Les territoires de la gendarmerie » (Edouard Ebel)
- « Le tricentenaire du maillage territorial en brigades » (Laurent Lopez)