L’exercice du maintien de l’ordre correspond à une nécessité impérative de protection de la paix intérieure. Il se fonde sur le désir de préservation du bien commun. Pour le sociologue Max Wéber, il constitue un mode de violence légitime monopolisé par l’État dans le but de se protéger. Dès ses origines, la gendarmerie y joua un rôle clé avant d’être une figure de proue de sa lente professionnalisation.
Au XIXe siècle, plusieurs formations, civiles et militaires, agissaient de concert pour assurer le Maintien de l’ordre (M.O.). Aux côtés de la Garde nationale, corps citoyen apparu sous la Révolution, on retrouvait les commissaires de police, instaurés par la législation révolutionnaire dans les villes de plus de 5 000 habitants. La loi du 28 germinal an VI
désigna la gendarmerie, qui avait succédé à la Maréchaussée en 1791, comme un organe chargé du M .O. En dernier ressort, les pouvoirs publics pouvaient faire appel à l’armée, qui disposait d’importants moyens pour réprimer les troubles.
Dès le Directoire, des colonnes mobiles de M.O., constituées de gendarmes, de gardes nationaux et de troupes de ligne, furent mises en place temporairement. Au début de la Monarchie de Juillet, le principe d’une Gendarmerie mobile (G.M.) fut de nouveau adopté pour lutter contre la chouannerie.
Lors de la Commune de Paris, en 1871, une légion de G.M. fut créée par Thiers pour rétablir l’ordre en région parisienne. La circulaire Waldeck-Rousseau du 27 janvier 1884 avait fait de la gendarmerie la seule force légitime pour assurer l’ordre et protéger la tranquillité. Pour autant, jusqu’à la veille de la Grande Guerre, le recours à l’armée resta fréquent pour contenir ou réprimer les mouvements sociaux provoqués par les inventaires des biens de l’Église (1905), les grèves dans le Nord (1904-1907) ou encore les révoltes du Midi viticole (1907). Les conséquences furent souvent désastreuses : fraternisation avec les manifestants, usage excessif de la violence avec ouverture du feu. Il fallut attendre 1921, pour que, sous l’impulsion du colonel Plique (nommé directeur de la gendarmerie), la création de la G.M., spécialisée dans le M.O., ne devienne réalité. Devenue Garde républicaine mobile (GRM) en 1926, cette formation fut, l’année suivante, détachée de la Gendarmerie départementale (G.D.) pour constituer une subdivision à part entière. Progressivement, elle se militarisa. En 1933, un groupe spécial autonome, muni de chars d’assaut, fut créé à Versailles-Satory, afin de constituer une réserve gouvernementale. Seule force spécialisée, elle développa les principes fondamentaux du M.O. : canalisation des foules, retardement de l’usage de la violence, etc.
Lors des émeutes du 6 février 1934 (37 morts et une centaine de blessés), elle monopolisa cependant le ressentiment de l’opinion publique. Après ces événements, les modalités de participation des forces armées au M.O. furent reprécisées. Ces dernières étant désormais classées en trois catégories : la G.D., la GRM et, en dernier recours, les forces terrestres, maritimes et aériennes. Ces dispositions restèrent en vigueur pour la G.M. jusqu’au rattachement de la gendarmerie au ministère de l’Intérieur, en 2009.
Durant la Seconde Guerre mondiale, les autorités allemandes imposèrent une réorganisation des forces de police au gouvernement de Vichy. La GRM, considérée comme une formation combattante, fut dissoute le 31 octobre 1940 en zone occupée et survécut en zone libre. Rattachée le 9 février 1941 au ministère de l’Intérieur, elle devint la Garde. Ce n’est qu’après la Libération, avec le décret du 14 janvier 1945, que la Garde réeintègre la gendarmerie.
Retrouvant, en 1954, leur appellation originelle de G.M., les unités participèrent aux opérations menées en Indochine et en Algérie, ainsi qu’aux actions de M.O. lors des grèves de 1947 et 1948. Les événements de mai 1968 vont modifier en profondeur les principes et modalités d’intervention des escadrons (doctrine, équipements, formation, etc.) L’adoption des instructions du 13 février 1975 parachèvera cette révolution en modifiant les principes d’emploi des unités. Ces textes enjoignirent les gendarmes d’agir désormais avec calme et humanité et fixèrent des règles déontologiques.
À partir des années 1970, la gendarmerie dut faire face à des mouvements sociaux très diversifiés, à la fois ruraux (comme dans la cave viticole d’Aléria en 1975) et urbains (opposition aux projets nucléaires de Plogoff et de Chooz-B). Ce mouvement contestataire connut un premier pic lors des émeutes de 2005, qui embrasèrent plus de 274 communes.
Dans les années 1980-1990, le bouclier ovoïde, les bâtons à double poignée latérale ou encore des lance-grenades performants vinrent compléter l’arsenal des G.M. pour s’adapter à ces évolutions. Plus généralement, les équipements furent sans cesse améliorés depuis les années 1970 jusqu’au début du XXIe siècle, afin notamment de renforcer les moyens non létaux de dissuasion.
En France, la doctrine d’emploi du M.O. se fonde actuellement sur la cohésion, la discipline des troupes et l’altération des sens des manifestants, visant à limiter l’intensité des affrontements. Ce M.O. « raisonné » a été mis en œuvre très lentement à partir des lendemains de la Commune et plus efficacement à partir des années 1920. Selon Patrick Bruneteaux, l’avènement de la G.M. a non seulement favorisé un mouvement de réflexion orienté vers l’amélioration des savoir faire, mais il a aussi initié un processus de modération et de conceptualisation de la violence publique.
Depuis la loi du 3 août 2009, qui place la gendarmerie sous l’autorité du ministre de l’Intérieur, les réflexions et les évolutions liées à l’organisation du M.O.permettent des ajustements réguliers dans l’expérimentation des matériels et dans les modes d’action.Restée longtemps l’une des seules formations, avec la légion étrangère, interdites aux femmes (seuls les emplois d’officiers leur étaient ouverts), la G.M. a su se féminiser. Après une phase expérimentale menée en 2015, la direction générale de la gendarmerie nationale a décidé, dès l’année suivante, de généraliser l’intégration de sous-officiers féminins aux escadrons de G.M.
(Avec l’aimable autorisation du SIRPA/gend)