Si, pour beaucoup, l’incarnation du gendarme sur le grand écran se résume aux grimaces du maréchal des logis-chef Cruchot, incarné par Louis de Funès, la présence de cette figure d’autorité est beaucoup plus variée qu’il n’y paraît. Dans son exposition Les gendarmes crèvent l’écran, le musée de la gendarmerie nous invite à découvrir les multiples facettes du soldat de la Loi dans le 7e art.
Invention des frères Lumières en 1895, le cinématographe conquiert très vite un public friand de découvrir de nouvelles histoires animées. Le gendarme ne tarde pas à apparaître dans ces premières œuvres de fiction. Au départ, il s’agit souvent d’un seul plan séquence de quelques minutes, où les acteurs gesticulent en studio devant la caméra, comme Le Gendarme et le Voleur (1897) ou Les Cambrioleurs (1898). Mais, après quelques années, les pionniers du 7e art tournent en extérieur, ce qui donne lieu à de mémorables courses-poursuites, comme dans Le Gendarme a soif (1906).
Des gendarmes muets mais pas manchots
Dans ces films muets, le gendarme n’a pas encore la vedette, mais représente plutôt la caricature de l’autorité, comme dans le théâtre de Guignol. D’ailleurs, lors de ses premières apparitions, il porte toujours son chapeau, sa barbe impériale et ses grandes bottes. Dans plusieurs films, il apparaît en décalage avec le progrès, comme dans La chasse à l’automobiliste (1907) ou dans Y-a-t-il un fantôme dans la maison ? (1908), où des gendarmes déchirent avec leurs sabres une toile de cinéma dressée par erreur devant la fenêtre d’un particulier.
En dehors du genre comique, le Pandore fait aussi quelques apparitions dans des films dramatiques. En 1905, Ferdinand Zecca réalise ainsi Vendetta, qui raconte, après un meurtre, la traque par les gendarmes d’un jeune bandit corse. L’assaut contre son repaire préfigure déjà le cinéma d’action.
Les premiers réalisateurs de l’époque, comme Georges Méliès, ont souvent intégré des gendarmes dans leurs œuvres. Les acteurs de cette époque, quant à eux, sont généralement restés anonymes, hormis quelques exceptions. Avant Max Linder ou Charlie Chaplin, Clément Mégé a ainsi créé l’un des premiers personnages récurrents appelé Calino, dont l’un des épisodes s’appelle Calino gendarme (1911). De même, Marcel Lévesque (1877-1862) a joué dans Le gendarme est sans culotte, du célèbre Louis Feuillade, créateur de l’inoubliable Fantomas, auquel il est d’ailleurs fait référence à la fin du film.
Éternel Guignol ? Quand la comédie se rit de la gendarmerie
La veine comique apparaît comme le ressort principal de l’apparition du gendarme à l’écran. Rosser le gendarme, ou du moins se moquer de son autorité psychorigide, de sa niaiserie, voire de son origine rurale populaire, font partie des poncifs qui irriguent la filmographie gendarmesque. La plupart de ces œuvres n’ont pas laissé de souvenirs impérissables.
En 1935, le moyen métrage Le commissaire est bon enfant, le gendarme est sans pitié est directement inspiré des pièces éponymes de Jacques Becker et de Pierre Prévert.
L’année suivante, dans La Belle Équipe, Julien Duvivier propose une image plus sympathique du gendarme, proche de ses concitoyens. Vrai fils de gendarme, Fernand Charpin (1887-1944) incarne ce brigadier débonnaire, auteur de cette réplique savoureuse : « La loi, c’est la loi ; surtout pour un gendarme ! »
Dans Le Roi Pandore, sorti en 1950, la postérité a surtout retenu la chanson interprétée par Bourvil, La tactique du gendarme.
En 1959, Pierre Richard incarne le brigadier Claudius Binoche dans Le gendarme de Champignol, de Jean Bastia.
En 1964, dans La Cité de l’indicible peur, Jean Poiret joue un gendarme froussard et efféminé, incapable de mener l’enquête conduite par un inspecteur parisien. La même année, Louis de Funès inaugure la série Le gendarme de Saint-Tropez, qui offre enfin au gendarme le statut de personnage à part entière. Dans un premier temps, l’acteur doit subir l’hostilité de l’Institution, peu encline à se voir critiquer. Mais, devant le succès populaire et le capital sympathie qui en découle, la direction de l’époque finit par soutenir le projet, qui se décline en cinq autres films à la valeur inégale : Le Gendarme à New-York (1965), Le Gendarme se marie (1968), Le Gendarme en balade (1970), Le Gendarme et les Extra-terrestres (1979) et Le Gendarme et les Gendarmettes (1982). Le musée de la gendarmerie de Saint-Tropez possède par ailleurs le scénario inédit de Richard Balducci, Le gendarme et l’Empereur, proposant, avant Les Visiteurs, un voyage temporel au cours duquel Cruchot aurait rencontré Napoléon…
En 1980, Sacrés gendarmes, de Bernard Launois, réunit plusieurs acteurs connus de l’époque (Jacques Balutin, Robert Castel, Daniel Prévost, Sim), sans parvenir à rencontrer le succès du Gendarme de Saint-Tropez.
En 1993 et 1998, dans Les Visiteurs 1 et 2, Jean-Paul Muel incarne le maréchal des logis-chef Gibon, malmené par Godefroy de Montmirail, joué par Jean Reno.
En janvier 2016, Le gendarme de Saint-Tropez perd deux de ses derniers interprètes. Michel Galabru, le truculent adjudant Gerber, disparaît le 4 janvier. La gendarmerie nationale a tenu à lui rendre hommage, sur Twitter, en reprenant l’un de ses dialogues savoureux avec Louis de Funès, alias Ludovic Cruchot. Le 6 janvier 2016, Yves Vincent, qui a incarné un superbe et magnanime colonel de gendarmerie, disparaît à son tour.
La veine « comique troupier » ne semble pas devoir se tarir, comme le prouvent des films plus récents. En 2020, dans Papi Sitter, de Philippe Guillard, Gérard Lanvin incarne un retraité de l’Arme psychorigide, chargé de coacher, le temps du bac, sa petite-fille, en duo avec son second grand-père, joué par Olivier Marchal. Dans Terrible Jungle, de David Caviglioli et Hugo Benamozig, une autre comédie, Jonathan Cohen interprète le grotesque lieutenant-colonel Raspaillès, qui déploie toute son incapacité pour tenter d’aider Chantal de Bellabre (Catherine Deneuve) à la recherche de son fils Eliott (Vincent Dedienne), un jeune chercheur disparu en Amazonie.
Histoire de gendarmes ou gendarmes dans l’Histoire
Souvent moquée, la figure du gendarme ne se limite toutefois pas au registre comique. Elle apparaît dans de nombreuses fictions inspirées de la réalité, même si cela reste généralement de la figuration, lors de scènes d’arrestation ou de tribunal. C’est le cas, notamment, dans L’Affaire Dreyfus, de Georges Méliès (1899), ou J’accuse, de Roman Polanski (2019).
Les grandes affaires criminelles ont également attiré les réalisateurs, comme Landru (1963),de Claude Chabrol, ou L’Affaire Dominici (1973), de Claude Bernard-Aubert, avec Jean Gabin et Jack Bérard, dans le rôle du capitaine de gendarmerie. Dans Le Juge et l’Assassin (1976), de Bertrand Tavernier, avec Philippe Noiret, Michel Galabru interprète magistralement le tueur en série des années 1890, Vacher (appelé Bouvier dans le film), qui rencontre les gendarmes à plusieurs reprises. Ce rôle lui vaut d’ailleurs le César du meilleur acteur en 1977.
Cependant, les rôles principaux des films policiers sont longtemps monopolisés par les commissaires et autres détectives, ce qui laisse peu de place aux gendarmes enquêteurs. Une exception notable existe avec Un roi sans divertissement (1963), de François Leterrier, d’après le roman de Jean Giono. Le héros de l’histoire, le capitaine de gendarmerie Langlois, joué par Claude Giraud, vient enquêter en plein hiver 1840 sur le plateau enneigé de Trièves, sur la disparition d’une jeune villageoise.
Le gendarme devient un expert à la télévision
C’est à la télévision que le gendarme deviendra vraiment un expert judiciaire, à travers plusieurs séries : L’homme au képi noir (1987), Une femme d’honneur (1996-2008), Section de recherches (depuis 2006), Meurtres à… (depuis 2013).
Plus récemment, dans Paul Sanchez est revenu (2018), de Patricia Mazuy, Zita Hanrot prête ses traits à la jeune gendarme Marion, qui fait preuve d’une belle ténacité dans son enquête. Comme sur le petit écran, la femme gendarme s’est imposée dans un milieu masculin, ce qui représente un sérieux progrès depuis les « gendarmettes » de 1982.
Malgré une histoire remontant à la maréchaussée du Moyen Âge, la gendarmerie n’a pas fait l’objet de films explorant son passé lointain. Tout au plus, Walter Kingsford a incarné le prévôt des maréchaux Tristan L’Hermite, dans Le Roi des Gueux (1938). Sinon, il faut se contenter de quelques apparitions furtives dans les films de cape et d’épée ou ceux sur le Premier Empire. La prévôté durant la Première Guerre mondiale n’est guère plus évoquée, sauf dans Capitaine Conan (1996), de Bertrand Tavernier.
En revanche, le rôle des forces de l’ordre sous l’Occupation a été mieux traité à travers des films comme Les Guichets du Louvre (1974), Monsieur Batignole (2002) et LaRafle (2010). En 2020, le film d’animation franco-hispano-belge Josep, d’Aurel, retrace le parcours de Josep Bartoli, un caricaturiste barcelonais qui, fuyant l’Espagne en février 1939, a été interné dans l’un des camps gardés par des gardes républicains mobiles.
Le GIGN superstar au cinéma
Unité emblématique, le Groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN) a souvent été représenté au cinéma à travers des fictions retraçant son histoire. Certaines œuvres permettent de voir les événements précurseurs qui ont conduit à sa création, comme le téléfilm Fait d’hiver (1999), de Robert Enrico, inspiré de la dramatique prise d’otages de Cestas (1969), ou le film Munich (2005), de Steven Spielberg, consacré à la prise d’otages lors des Jeux olympiques d’été de 1972.
Peur sur la ville (1975), de Henri Verneuil, marque la première apparition du GIGN sur les écrans, avec une scène d’anthologie, où de vrais membres du GIGN investissent par les airs, au côté de Jean-Paul Belmondo, un appartement de la tour Avant-Seine, à Paris. En 1984, Jean-Claude Dreyfus et Henri Guibet commandent le GIGN dans Canicule, d’Yves Boisset.
D’autres films ont mis en lumière les principaux événements marquants du GIGN. En 2011, Mathieu Kassovitz réalise L’Ordre et la Morale, dans lequel il campe le capitaine du GIGN Philippe Legorjus, dans son interprétation de la prise en otage, en 1988, de plusieurs gendarmes dans la grotte d’Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie. La même année, dans L’Assaut, de Julien Leclercq, Vincent Elbaz interprète le rôle du premier gendarme du GIGN entré dans l’avion lors de la prise d’otages de Marignane, en décembre 1994, tandis que Grégori Dérangère prête ses traits au commandant Denis Favier, futur directeur général de la gendarmerie nationale. Le réalisateur montre aussi le point de vue des familles du GIGN, confrontées à cette crise.
En 2019, L’intervention (dont le sous-titre est : Naissance du GIGN), de Fred Grivois, s’inspire très librement de la prise en otage d’enfants, survenue en 1976 à Loyada, près de Djibouti. Alban Lenoir interprète le rôle d’André Gerval, alias Christian Prouteau, concepteur du tir simultané, permettant, par un seul tir groupé, de neutraliser plusieurs terroristes à la fois. Cet exploit est à l’origine de la renommée mondiale du GIGN.
(Avec l’aimable autorisation du SIRPA/gend)