Le colonel Béringuier, un exemple de méritocratie républicaine (1905-1927)
Honoré Béringuier est né, le 2 mars 1870, près de Rivesaltes dans les Pyrénées-orientales . Fils de boucher, il se marie avec une fille du même milieu social et de sa région. II commence sa carrière au Génie comme appelé, le 13 novembre 1891, au 2e régiment de Montpellier. Nommé colonel de gendarmerie en 1925, il prend sa retraite, pour raisons de santé, deux ans plus tard.
Béringuier ne bénéficie ni des avantages de la naissance, ni d’une fortune personnelle, ni d’une formation à Polytechnique. Il sort du rang par les écoles de sous-officiers et d’élèves-officiers du Génie. Il doit probablement son grade de capitaine à son engagement dans deux campagnes coloniales de sept mois : au Dahomey, en 1892, et à Madagascar, en 1895. Les expéditions de la Troisième République offrent moins de chances d’avancement que les guerres du Second Empire, mais elles n’en sont pas moins appréciées par le haut commandement. Béringuier est d’ailleurs récompensé pour ses actions par une médaille commémorative et un témoignage officiel de satisfaction de ses supérieurs. Il est aussi félicité pour ses » mémoires de campagne « , où il évoque notamment la question d’hygiène dans les colonies.
Béringuier décide probablement de changer d’arme pour devenir rapidement officier supérieur. En effet, dès le grade de capitaine, la promotion au sein du Génie exige un niveau technique très élevé. Béringuier préfère intégrer une gendarmerie qui traverse une crise de recrutement et d’identité, mais qui lui offre le même potentiel de promotion que le Génie en début de carrière. C’est un choix stratégique, sans doute révélateur de son ambition professionnelle. Il entre dans la gendarmerie par concours, sans perdre son ancienneté de grade, conformément à la loi du 22 décembre 1890. Assermenté le 24 mars 1905, Béringuier assure désormais, à Castres, la protection d’une Troisième République malmenée par de nombreuses agitations sociales. Dès le 20 novembre 1906, il est cité à l’ordre de la légion pour ses services dans les inventaires des biens d’Église : » Grâce à son attitude énergique, a pu recourir aux inventaires des biens d’Église sans recours à la force armée (…) Pendant les opérations, le capitaine Béringuier a été contusionné au bras gauche par un coup de pierre » . En juin 1907, il reçoit un autre coup, de bâton cette fois, pendant un service commandé contre des grévistes. A travers son action, on perçoit le rôle difficile et dangereux des gendarmes confrontés aux mouvements sociaux du début du siècle. Béringuier ne s’est pas contenté de vivre ces événements : il a utilisé son expérience au sein de la gendarmerie pour écrire une conférence technique et pédagogique sur » l’emploi de la gendarmerie pour le maintien de l’ordre « .
La Première Guerre mondiale comme lieu de formation
Comme un quart des officiers de gendarmerie, Béringuier participe à la Première Guerre mondiale. Le 10 août 1914, il intègre la prévôté de la 66e division d’infanterie de réserve qui opère sur les Vosges et en Alsace. Celle-ci est chargée de surveiller les trains de ravitaillement et la zone occupée par les troupes. Moins populaire que l’action des soldats sur le front, cette mission n’en demeure pas moins nécessaire au bon déroulement des opérations militaires. Toutes les brigades de gendarmerie furent touchées par la guerre, puisque la majorité des officiers de gendarmerie participèrent, par roulement, aux prévôtés. Ces officiers ont dû fréquemment changer de postes pour compléter les vacances provoquées par les déplacements. Les états de service des campagnes de Béringuier le confirment : en juin 1915, il passe au Quartier Général (QG) de la 7e armée (1er groupe) avant d’être promu, le 10 juillet 1916, chef d’escadron à la prévôté de la 1er armée, où il reste 4 mois avant d’intégrer celle de la 3e armée. Après un rapide séjour au service intérieur, il achève sa mission aux armées, en septembre 1918, à la prévôté du 4e corps d’armée, où il organise la police générale, le contrôle de la circulation et la garde des prisonniers.
Comme ses campagnes coloniales, la Grande Guerre lui apporte une reconnaissance officielle au sein de sa profession. Il est présenté comme un » très bon officier, consciencieux, énergique, très dévoué » et devient chevalier de la légion d’honneur, le 13 juillet 1915 . Le 18 août 1918, il obtient une croix de guerre en bronze pour son action : » soit à la tête de la prévôté d’une division, soit comme prévôt d’un C.A, s’est particulièrement distingué, du 3 au 5 octobre 1914, en effectuant, avec beaucoup de sang-froid, plusieurs enquêtes en avant des lignes dans une région sillonnée par les patrouilles ennemies et fréquemment bombardée « . Enfin, le 10 avril 1919, il reçoit une seconde croix de guerre avec des étoiles vermeilles pour s’être distingué au cours de l’offensive de Champagne en 1918.
Comme plusieurs acteurs du premier conflit mondial, Béringuier a laissé des carnets et des mémoires de guerre, dans lesquels il a répertorié ses missions accomplies dans les prévôtés. Plus qu’un témoignage supplémentaire sur le conflit, ses notes permettent d’enrichir nos connaissances, actuellement modestes, sur le rôle méconnu de la gendarmerie durant cette guerre. Béringuier se distingue également par l’écriture d’un Guide sur l’établissement des procès-verbaux, qu’il élabore pendant son retour provisoire au service intérieur de la 12e légion de gendarmerie, de juin 1917 à septembre 1918. Il écrit cet ouvrage pour aider les nouvelles recrues à élaborer leurs procès-verbaux, car il a constaté que les textes rédigés manquaient généralement de rigueur. Le 11 août 1920, son travail est salué par le général Igert, commandant le 3e secteur de gendarmerie, qui » lui adresse ses félicitations personnelles et demande au ministre de la Guerre de bien vouloir le récompenser en lui décernant une lettre d’éloge « .
Carine SAADA
Revue de la gendarmerie nationale, hors série numéro 2, année 2000