SOCIÉTÉ NATIONALE DE L'HISTOIRE ET DU PATRIMOINE DE LA GENDARMERIE | SOCIÉTÉ DES AMIS DU MUSÉE DE LA GENDARMERIE

Xynthia en Charente-Maritime (2010), Irma aux Antilles (2017), Alex dans les Alpes-Maritimes (2020), Chido à Mayotte aujourd’hui : autant de catastrophes naturelles qui illustrent les conséquences du dérèglement climatique. Face à la multiplication de ces phénomènes, la gendarmerie nationale s’adapte. Retour sur le rôle des gendarmes lors des catastrophes et sur deux siècles d’histoire de gestion de crise.


Urgentistes de la sécurité publique, les gendarmes ont toujours été en première ligne face aux catastrophes, qu’elles soient d’origine naturelle ou humaine. Pourtant, ce n’est qu’à partir du XIXe siècle que leur rôle dans ces situations a été clairement formalisé, avant de s’affiner et de se professionnaliser au fil des décennies. Des crues spectaculaires de la Loire en 1846 au cyclone Chido en 2024, les missions des gendarmes conjuguent trois piliers fondamentaux : prévenir les dangers, secourir les victimes et maintenir l’ordre public.

La gendarmerie réalisait des missions de secours bien avant que celles-ci ne fassent officiellement partie de leurs attributions. Si les textes organiques des débuts du XIXe siècle sont silencieux sur cette fonction, les brigades sont bien en première ligne face aux catastrophes, et ce, depuis la maréchaussée. Le gendarme est même, de loin, le primo-intervenant puisqu’il n’existe pas d’autres services de secours aussi organisés. L’historien Arnaud-Dominique Houte rappelle notamment qu’au milieu du XIXe siècle, les pompiers sont encore peu nombreux, mal formés et mal équipés. Témoin des grandes crues de la Loire en 1846, le général Ornano décrit ainsi des gendarmes isolés au milieu des eaux, assurant seuls la sécurité des populations en détresse. Ces missions allaient de l’évacuation des habitants jusqu’au maintien de l’ordre dans des villages paralysés par l’ampleur des dégâts.

Il faut attendre le décret du 1er mars 1854 pour voir ces pratiques inscrites dans un cadre réglementaire. Ce texte détaille les obligations des gendarmes « dans un moment de danger » : « sauver les individus en danger », « ordonner toutes les mesures d’urgence », « empêcher le pillage » des biens évacués et « enquêter sur les causes du sinistre ».

Le décret de 1854 fait donc officiellement du gendarme l’« homme-orchestre de la sécurité publique », pour reprendre l’expression de l’historien Jean-Noël Luc. Cependant, un pan crucial de l’intervention restait encore dans l’ombre : la prévention. Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle qu’elle trouve sa place, comme en témoignent les instructions données aux brigades de Lozère en 1872, qui leur demandaient d’alerter les habitants et de leur fournir des conseils pratiques en cas d’imminence des crues.

« Dans l’Ariège. Un village sous la neige », Le Petit Parisien, 13 janvier 1907.

L’image du gendarme sauveteur n’échappe pas à la presse. Des journaux, comme le Petit Journal, relaient avec force détails leurs interventions, n’hésitant pas à employer un ton héroïque. Ces récits contribuent à forger l’image d’une institution protectrice et courageuse, loin de l’image essentiellement répressive qui lui était associée à l’époque. Cette médiatisation profite à la hiérarchie, qui y voit un levier pour justifier des augmentations d’effectifs, et à certains gendarmes, parfois tentés d’enjoliver leurs exploits à des fins personnelles.

Professionnalisation des gendarmes sauveteurs

Désormais ancrée dans l’imaginaire collectif et dans le marbre de son corpus réglementaire, l’image du gendarme-sauveteur se renforce tout au long du XXe siècle grâce à la professionnalisation de l’institution et la modernisation de ses moyens.

Le profond mouvement de réforme de la gendarmerie initié sous la Troisième République, plus particulièrement durant l’entre-deux-guerres, renforce son image de police de proximité grâce à son réseau dense de brigades polyvalentes. Mais c’est bien l’évolution des moyens techniques qui transforme la capacité d’action de l’armée. La motorisation des unités, définitivement adoptée par le décret du 7 janvier 1938, le recours progressif aux chiens à partir de 1943 et la création d’un chenil central à Gramat en 1945, l’essor des télécommunications après la Seconde Guerre mondiale, les moyens aériens, permettent aux gendarmes d’intervenir partout, plus vite, et de répondre à des risques toujours plus variés.

Illustration video : Annonay : un gendarme sauve une passante avec une pelleteuse

En 2010, que ce soit lors de la tempête Xynthia ou lors des inondations dans le Var, les hélicoptères de la gendarmerie se sont adaptés à des missions qui leur étaient inhabituelles jusqu’alors. Cela leur a permis d’apporter une aide déterminante aux autorités dans la phase initiale des secours. Outre des missions d’assistance et de sauvetage des populations sinistrées, les hélicoptères ont permis de renseigner sur l’étendue des dégâts et de surveiller, notamment de nuit, les zones dévastées.

Avec la création du plan ORSEC (Organisation de la réponse de sécurité civile) en 1952, révisé en 1987 et 2004, les missions de secours de la gendarmerie se structurent davantage tout en se recentrant sur les aspects policiers. Intégrés désormais à un écosystème de sécurité civile, les gendarmes doivent alerter les autorités sur l’étendue des dégâts, protéger les lieux et les biens, notamment avec le soutien de la gendarmerie mobile, réorganiser la circulation pour faciliter l’intervention des secours, prendre les mesures d’urgence pour venir en aide aux victimes et diligenter les enquêtes judiciaires pour établir les causes des sinistres.

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La spécificité du statut militaire

Mais la vraie spécificité de la gendarmerie est son statut militaire, atout majeur dans un territoire partagé entre métropole et outre-mer. La gendarmerie peut notamment compter sur sa composante mobile pour intervenir rapidement sur des théâtres très dégradés en renfort des militaires présents au quotidien. En septembre 2017, lorsque l’ouragan Irma frappe de plein fouet les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, la gendarmerie déploie des moyens considérables pour faire face à l’ampleur de la catastrophe. Grâce à une bascule de ses forces, elle projette rapidement des effectifs et du matériel à partir de la métropole, mais également des autres territoires ultramarins. Le général Debarge évoque ainsi le pont aérien mis en œuvre à cette occasion, le plus important depuis la Seconde Guerre mondiale, qui a permis de mobiliser 780 gendarmes.

Elle possède en outre une véritable expertise de la gestion de crise, avec un centre de planification et de gestion de crises (CPGC), unité consacrée à la préparation et à la conduite des grands événements ou des crises majeures, qui existe depuis 2007. Organisé comme un état-major de type OTAN, le CPGC s’illustre notamment lors du passage de l’ouragan Irma à Saint-Martin, en permettant aux différents échelons de commandement de traiter cette crise majeure de façon optimale au vu du contexte. En 2021, face à la multiplication des crises de haute intensité, un centre national des opérations (CNO) a pris le relais en intégrant l’ensemble des composantes de la gestion de crise, qu’il s’agisse de la veille opérationnelle ou de la planification et conduite.

Illustration video : Les gendarmes rétablissent les communications à Mayotte !

En deux siècles, la gendarmerie s’est imposée comme une actrice incontournable de la gestion des crises, grâce à sa présence sur près de 90 % du territoire national, son adaptabilité permanente et la résilience de ses militaires. Les moyens humains et matériels déployés à Mayotte en sont une nouvelle illustration. Aux 800 gendarmes déjà présents sur l’île se sont ajoutés des renforts en provenance de La Réunion voisine, mais également de la métropole, sur le modèle des compagnies de marche mises sur pied lors des Jeux olympiques de Paris, sans oublier deux escadrons de gendarmerie mobile supplémentaires. En une semaine, les effectifs de la gendarmerie de Mayotte ont ainsi augmenté de 40 %.

Du côté des moyens techniques, la gendarmerie a pu s’appuyer sur son système de cartographie de crise pour évaluer l’étendue des dégâts et orienter ainsi l’intervention de l’ensemble des services de l’État. Des moyens mobiles, tels que des véhicules blindés et des camions toutes roues motrices (TRM), ont également été acheminés afin de faciliter la sécurisation de l’île de Mayotte et l’acheminement des vivres et des moyens. Cependant, en dépit de tous ces moyens techniques, les interventions en milieu dégradé restent risquées. Le décès du capitaine Florian Monnier, le 20 décembre 2024, lors d’une opération de maintenance des systèmes d’information et de communication dans les conditions climatiques et topographiques difficiles de Mayotte en est la tragique illustration.

Luc Demarconnay, Docteur en histoire, Sorbonne Université

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.