LA GARDE SOUS VICHY

Il est extrêmement difficile de séparer les fils entremêlés de l’héroïsme, de la trahison, du bien et du mal. Sous l’Occupation, « tout était compliqué. »

John F. Sweets. Clermont-Ferrand à l’heure allemande.

« Notre expérience de ces années noires nous souffle en effet que, en dehors du refus courageux ou de l’abandon militant au régime de Vichy qui furent l’un et l’autre le fait d’une minorité, il y eut dans une vision plus détaillée, dans le quotidien, toute une palette d’accommodements qu’il importe de préciser et de définir au plus près. »

François Bloch-Lainé et Claude Gruson. Hauts fonctionnaires sous l’Occupation.

« Il ne faut pas confondre, comme on fait trop souvent, d’une part l’obéissance dans l’Armée et d’autre part le loyalisme de l’Armée envers ceux qui conduisent les affaires de l’État. La discipline, pure abstraction de l’esprit, imposée d’ailleurs par la raison d’être du métier militaire, n’a d’autre but que l’efficacité qui vise à remporter la victoire ; tandis que le loyalisme, cette vertu cardinale des soldats, à laquelle les Césars de la Rome antique s’empressaient de dresser des autels, Fides Militum, est souvent influencée par des courants d’idées comme il s’en produit dans les temps de révolution, entraînant des changements de régime et de principes politiques, par des considérations qui deviennent rapidement affectives, sinon passionnelles, au point d’aveugler la raison. »

Alphonse Juin. Trois siècles d’obéissance militaire.

PRÉFACE

La Garde ! Un terme qui depuis Waterloo est pour les Français le symbole de la fidélité comme du courage dans l’adversité.

Aussi ne faut-il pas s’étonner que ce soit sous cette appellation que l’on regroupera après les heures sombres de 1940, les rescapés des combats menés par la Garde républicaine Mobile, qu’ils aient fait partie du 45e Bataillon de Chars de la Gendarmerie, des Groupes de Reconnaissance des Grandes unités, des Régiments de réserve de série B, ou des Pelotons engagés sous leurs couleurs, dans les combats de la dernière chance.

À ces hommes ralliés pour beaucoup par le chef d’escadrons Robelin, un breveté qui avait eu la bonne fortune d’échapper au sort funeste de l’état-major de la 5e armée, s’ajouteront peu à peu des officiers et des sous-officiers d’autres armes, issus pour beaucoup de la 2e Division cuirassée du général Perré.

Cette troupe que la Commission de Wiesbaden a séparée de la Gendarmerie sera dans l’Armée de l’Armistice une des rares forces à être entièrement motorisée. Cette situation particulière en fera, à la fois, le fer de lance, et le plus sûr sanctuaire de l’esprit de défense d’un Pays aux abois. Aussi lorsque surviendra le débarquement allié en Afrique du Nord la Garde sera un des éléments auxquels le commandement fera largement appel, des plages de Fedallah à celles des Andalouses, ou sur la dorsale Tunisienne de Medjez el-Bab lorsqu’il faudra contenir la contre-offensive de Von Arnim.

Pour avoir échappé on ne sait pourquoi, après le sabordage de la Flotte de Toulon, au licenciement général de nos garnisons de la Zone Sud par les Allemands, la Garde ne tardera pas à devenir l’unique conservatoire de nos traditions militaires. C’est vers ses escadrons que le général Frère, désigné par le général Giraud pour commander l’Armée de l’intérieur enverra tous ceux qui, en ces jours de malheur, ont affiché l’intention de ne pas baisser pavillon.

Cette vocation de gardiens du flambeau trouvera une nouvelle consécration en octobre 1943 avec l’École de la Garde, qui accueillera dans son cadre martial de nombreux Saint-cyriens de la Croix de Provence, et de la Veille au drapeau, en plus de ses pelotons de stagiaires et d’élèves gradés.

L’aura de ces soldats de métier, seuls survivants de nos légions, ne peut qu’en faire le point de mire de l’occupant. Il ne leur sera pas plus loisible d’échapper aux convoitises des dernières instances du Gouvernement de Vichy, confrontées en permanence aux affres de la peau de chagrin.

Le rôle de défenseur du donjon ne tardera pas à tourner au dilemme sans issue, lorsque l’apparition des premiers maquis de réfractaires nous conduira progressivement de la neutralité bienveillante à l’affrontement violent.

La fin du parcours sera même une épreuve de funambule après la tragédie des Glières et la mort du capitaine Jung, que suivront à courte échéance l’engagement sans équivoque le 6 juin 1944 de l’école de Guéret, puis le passage à la Résistance des deux escadrons de Vals- les-Bains.

Ce n’est que grâce au savoir faire de quelques personnalités de choix comme le colonel Bretegnier, le lieutenant-colonel Gendrault ou le commandant Raulet, qu’on évitera la chute dans le précipice.

Ils ne pourront cependant toujours nous garder d’être mêlés à quelques bavures de la Milice ou à des initiatives regrettables dont certaines dégénèrent en événements désopilants.

C’est malheureusement ces dérapages involontaires que les Français retiendront mieux, que les efforts accomplis au prix parfois de beaucoup de dévouement pour être encore leur bouclier.

En dépit de toutes ces peines rien ne pourra empêcher la Gestapo d’effectuer le 7 juillet 1944 une descente en force à l’état-major de l’Hôtel Radio. Sur la liste déjà longue de ses méfaits, celui-là nous prive définitivement de nos chefs les plus compétents avant que l’épuration sauvage des mois suivants ne fasse le reste.

C’est comme cela que la disparition sous la torture du lieutenant-colonel Robelin nous interdira au moment crucial toute réaction offensive. Son effet fâcheux sera, on s’en doute, encore accentué par l’envoi en déportation du chef d’escadrons Bouchardon. La mise à l’écart du général Perré, auquel il sera, une fois la tempête passée, facile de reprocher l’abandon des siens, nous retirera notre dernière possibilité d’un rendez-vous en force au carrefour de l’histoire.

Cependant la Garde en troupe cohérente et disciplinée saura se soustraire mieux que d’autres à la tentation de se fondre au coup par coup dans les différents mouvements de Résistance.

La place au combat, que nous attendions depuis longtemps, nous la trouverons, sans que personne ne songe à nous la ravir, dès le 27 août 1944, en barrant la direction de la forêt de Randan au groupement du général Von Brodowski.

Les mêmes hommes feront front à nouveau le 5 septembre à la ferme des Mayençais près de Montbeugny, où le peloton du sous-lieutenant Collet saura se battre et mourir jusqu’au dernier des siens, comme les légionnaires de jadis dans l’hacienda de Camerone.

On retrouvera encore au mois d’octobre 1944 le groupement Thiolet du 2e régiment de la Garde sur les crêtes des Vosges du Thillot, et de Château-Lambert, où l’empoignade ne sera pas moins sanglante.

Quant au groupement Daucourt celui du 4e régiment, il aura l’avantage après avoir rejoint la 1re Division Française Libre, lors de la Libération de Lyon, d’entrer dans Metz avec le XXe Corps U.S. avant de se retrouver à Kilstett aux côtés de la 3e Division d’Infanterie algérienne, et de terminer la campagne en Palatinat.

Aussi le colonel Cazals, bien connu pour son excellent ouvrage sur la Gendarmerie sous l’Occupation était-il particulièrement qualifié pour retracer le drame de ceux, qui pris entre l’honneur et la discipline attendaient surtout le moment d’entrer à nouveau en lice à visage découvert.

La rigueur de cet historien sans concession remettra sans doute à vif quelques cicatrices que l’on avait oubliées. Les acteurs de ce passé cruel ne sauraient cependant le lui reprocher car je continue à penser même avec le recul du temps qu’il était difficile pour des militaires, contraints faute de mieux, à vivre en France occupée, d’agir autrement que nous ne l’avons fait. De plus nul ne se doutait et je l’affirme sans ambages, que les personnes arrêtées et remises le plus souvent à la Gendarmerie, ou à des geôliers officiels, partiraient ensuite pour un univers concentrationnaire, dont elles ne reviendraient pas.

D’autres méthodes que celle de l’exécution au moindre mal auraient sans doute exposé bien du monde à de terribles représailles, dont personne n’avait besoin, même si pour certains extrémistes la Rédemption du pays ne pouvait se concevoir que dans le sang.

L’expérience acquise par ces soldats de l’Ordre aux heures du chagrin et de la pitié ne sera d’ailleurs pas un enseignement sans valeur lorsqu’il faudra s’investir à fond dans des actions aussi controversées que la guerre d’Indochine ou les événements d’Algérie.

Car l’aventure de ces « Vélites » à l’Aigle d’Or ne s’arrêtera pas avec la simple capitulation de l’Allemagne le 8 mai 1945. Pour être passés souvent dans les troupes de mêlée à la faveur de la renaissance de notre armée, beaucoup de ces garçons se retrouveront par la suite dans des postes de haute responsabilité. On verra même en 1980 sortir à la fois de leurs rangs le chef d’État-major de l’armée de Terre et celui des armées.

Pour être de ceux-ci je reste très attaché à la mémoire de cette Garde aux réminiscences impériales que j’ai rejointe par voie de changement d’armes le 16 janvier 1943, à l’instigation du commandant Lioult le chef de l’organe liquidateur du 15e groupe de Transmissions.

Aussi suis-je particulièrement sensible à l’attention du colonel Cazals qui n’a pas craint de me confier la préface de son remarquable travail de documentaliste.

En m’acquittant de cette noble tâche je ne saurais oublier les témoins de mes débuts à l’escadron 4/4 de Montluçon une unité à la réputation bien à elle, où on se « dépensait jusqu’au bout sans jamais faiblir ». Cette devise on l’appliquera sans hésiter le 5 janvier 1945, dans la plaine de Gambsheim, derrière le lieutenant Cambours, le 100e officier de la Gendarmerie à tomber au champ d’honneur depuis la création de son École. D’autres suivront encore cet exemple du Delta du Mékong à celui du Fleuve Rouge, des crêtes de l’Ouarsenis aux Monts du Hodna.

À ceux qui ont disparu sur ces sentiers de la gloire, je dirai comme Victor Hugo en péroraison des Châtiments « Dormez morts héroïques ».

Aux autres qui continuent encore en dépit de l’âge leur parcours du combattant j’adresserai simplement en signe de ralliement le cri bien connu de « Vive la Garde ».

AVANT PROPOS

Général (C.R.) Louis BEAUDONNET. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la garde, composante importante des forces de Vichy, n’a pas capté l’attention des chercheurs. Parmi les dizaines de volumes qui analysent, dissèquent et commentent la période de l’Occupation, aucun ne lui a été consacré. Pourquoi ce désintérêt ? Probablement parce qu’on ne la considère pas, à l’instar d’ailleurs des autres institutions policières, comme un sujet sérieux d’étude.

Pour la découvrir et la connaître, on ne dispose que d’informations incomplètes et dispersées. Quelques livres l’évoquent, mais de façon souvent allusive. Presque toujours, la plupart ne retiennent que le côté négatif de son action. Certes, les articles foisonnent qui fournissent des détails sur son origine, son organisation et quelques facettes de ses activités. Toutefois leur diffusion ne touche qu’un public restreint. Elle se limite au cercle étroit de la gendarmerie d’où la garde est issue et où elle se perpétue à travers la gendarmerie mobile. En l’absence de toute perspective, ces données éparses et orientées ne rendent pas compte de son rôle avec l’objectivité désirable.

De plus, un phénomène que l’on ne saurait sous-estimer doit être signalé qui parasite son image. De novembre 1940, date de sa création, et jusqu’à aujourd’hui, la presse, des historiens et même des autorités la confondent avec d’autres formations des forces dites du maintien de l’ordre, principalement les G.M.R. (groupes mobiles de réserve), quelques fois aussi avec la garde de Paris (actuelle Garde républicaine) ou la garde personnelle du chef de l’État. L’amalgame constaté s’explique par des similitudes dans les uniformes et les sigles qui les désignent.

D’où de nombreuses inexactitudes comme le prouvent divers exemples. Dans un compte rendu établi en avril 1944, la police allemande impute à tort à la garde (ex-garde républicaine mobile) la mort du lieutenant Morel (Tom), chef du maquis des Glières en Haute-Savoie :

« L’action de la police contre les terroristes de Haute-Savoie n’a pu être terminée à cause de l’état de la neige. Une troupe de Gardes Républicains Mobiles a été attaquée par les terroristes le 15 mars à Entremont, deux morts de part et d’autre dont le commandant des G.R.M. et le chef terroriste, mais les 60 G.R.M. se sont rendus ou ont déserté et sont partis avec les terroristes. Les enquêtes du Sicherheitsdient ne sont pas terminées… »

Dans un grand quotidien, un journaliste écrit en 1942 que « les gardes mobiles surveillent les juifs internés au camp de Beaune-la-Rolande ». Or, selon les dispositions édictées par les autorités allemandes, la garde n’était pas autorisée à intervenir en zone nord. Une seule fois, en 1943, le général Oberg a donné son accord pour qu’elle y remplisse une mission, en l’occurrence la protection des lignes de transport de force desservant la région parisienne. Autre information erronée, celle de plusieurs historiens qui attribuent à la garde, en janvier 1944, l’exécution de patriotes à la prison de la Santé. Contrairement à d’autres affirmations, la manifestation organisée le 6 janvier 1943 en gare de Montluçon, pour s’opposer au départ en Allemagne d’une centaine de requis pour le S.T.O. (service du travail obligatoire) n’a pas été réprimée par la garde mais par le G.M.R. Gergovie.

Dans l’index alphabétique de deux ouvrages publiés récemment, un auteur donne au sigle G.M.R. la signification de garde mobile de réserve, définition susceptible de laisser croire que la garde et les groupes mobiles de réserve ne font qu’un. L’autre les assimile à la gendarmerie, en utilisant le terme de compagnies répressives de la gendarmerie. De telles approximations sont de nature à induire en erreur des lecteurs non avertis.

Comme les appellations, l’uniforme est source de malentendus sur l’identité de ces formations. En 1944, les G.M.R. adoptent en opération un équipement analogue à celui des gardes : casque du même modèle et tenue de campagne kaki avec insignes de grade sur les manches. Seul, l’insigne du groupe représentant une tête de lion rugissant avec de part et d’autre un nombre indiquant le numéro de la région et du groupe permet de les distinguer des gardes.

Malgré son format modeste (6 000 hommes), son action limitée dans l’espace (zone sud) et dans le temps (1943-1944), la spécificité de ses missions qui laisse peu d’échappatoires aux exécutants pour se soustraire aux ordres, l’étude de la garde offre des centres d’intérêt. Beaucoup ignorent sa filiation, son rôle, les caractéristiques de son organisation, l’état d’esprit de ses personnels, autant d’éléments qui font son originalité par rapport aux autres forces de police. Rares sont ceux qui savent qu’elle est la seule institution au sein de laquelle, après l’invasion de la zone sud, à l’échelon du commandement supérieur, un plan d’action a été élaboré en vue de la retourner contre l’occupant. Dans le même temps, des personnels, en ordre dispersé, n’obéissant qu’à leur conscience, sous des formes très diverses, des plus modestes aux plus spectaculaires, effectuent un travail de sape en attendant d’engager le combat à visage découvert.

Ce livre se propose, en premier lieu, de pallier à la connaissance lacunaire de ce corps particulier en retraçant son histoire dans la tourmente de l’Occupation. Une histoire, pour plusieurs raisons, difficile à fixer. Les exigences de la sécurité imposaient aux personnels affiliés à des organisations clandestines de ne pas conserver des archives susceptibles de tomber aux mains de la police ou de l’ennemi, d’où la quasi-inexistence de documents écrits sur leurs rapports avec la Résistance. Quant aux archives, qui consignent les actes de l’institution pendant les années noires, toutes ne sont pas encore ouvertes au public. Les plus intéressantes ne le seront qu’après 2004. Certaines semblent même avoir disparu. Ainsi, les recherches entreprises pour retrouver les journaux des marches et opérations des escadrons, établis entre 1943 et la fin du premier semestre 1944, auprès des administrations susceptibles de les détenir, sont restées infructueuses nous privant ainsi de précieuses informations. En effet, ces documents contiennent des éléments précis, enregistrés au jour le jour, qui reflètent l’activité de toutes les unités : mise en route, effectifs, situation de l’encadrement, faits, pertes, récompenses, etc.

Autre écueil, la distanciation qui nous sépare des événements, un peu plus d’un demi-siècle, est à peine suffisante pour pouvoir les dominer réellement et faire la part de l’essentiel et de l’accident.

Des acteurs n’ont pas voulu s’exprimer. Plusieurs raisons motivent leur silence. Pour certains, il y a le souci de ne pas revenir sur une période trop douloureuse qui a provoqué des déchirures encore mal cicatrisées. Pour d’autres, exécutants forcés de missions ingrates, il y a la crainte de ne pas avoir toujours eu le comportement qui convenait. Ces facteurs expliquent les difficultés rencontrées pour mener à bien le travail entrepris forcément incomplet. Des zones d’ombre subsistent que d’autres, un jour, se chargeront peut-être de dissiper.

Sans préjugés, ce livre veut d’autre part tenter de montrer quel usage le régime de Vichy a fait de la garde et comment ses personnels se sont comportés aussi bien les cadres qui tenaient les leviers de commande que les exécutants confrontés aux dures réalités du terrain.

S’il peut aider à dégager des enseignements, pour éviter à l’avenir le renouvellement des faiblesses constatées dans les situations compliquées de l’Occupation, et montrer, ne serait-ce qu’imparfaitement, les peines, les drames, les sacrifices, les servitudes et les gloires de ces hommes engagés au service de la loi, alors il n’aura pas été inutile.

Probablement, des lecteurs ne trouveront pas dans ces pages tout ce qu’ils auraient souhaité y voir. Qu’ils sachent pourtant qu’elles ont été écrites avec le souci permanent de respecter la vérité. À aucun moment, l’auteur n’a voulu froisser des susceptibilités. S’ils relèvent des erreurs dans les faits ou les explications, elles sont involontaires. Leurs critiques, compléments ou amendements, qui trouveront leur utilité, seront accueillis avec intérêt.

Plusieurs éléments ont servi de base à l’élaboration de cet ouvrage. Il se nourrit, d’une part, de faits et d’anecdotes fruits du témoignage d’acteurs et de témoins, de l’autre, d’ouvrages et articles dont on trouvera la bibliographie in fine, enfin, d’archives d’origines diverses.

Sans l’aide apportée à des titres divers, par un grand nombre d’officiers et sous-officiers ayant servi dans la garde, il eût été impossible de le réaliser. Que tous trouvent ici des remerciements sincères.

Plus particulièrement, l’auteur exprime sa vive gratitude au père Alambret, archiviste du diocèse de Clermont-Ferrand, au lieutenant-colonel Aussavy, directeur de l’E.C.P.A., à M. Barbanceys (Marcel), secrétaire général de l’amicale des maquis A.S. de la Haute-Corrèze, au général Bouchardon (André), au colonel Bretegnier (Claude), président de l’amicale des cadets de la garde de Guéret, à l’adjudant-chef Chagot (Gaston), à M. Colle (Georges), retraité de la garde, au colonel Coeurderoy (Vincent), chef du SIRPA Gendarmerie, à M. Denoy (Elie), retraité de la garde, à l’adjudant-chef Duplan (Raymond), chargé de la conservation du musée de la Gendarmerie nationale qui connaît remarquablement l’histoire de son arme, au chef d’escadrons Fanet (Fabrice), du SIR- PA gendarmerie, au colonel Frachet (Charles), historien de l’école de la garde, au général Grange (André), qui a bien voulu lui confier ses souvenirs et ses archives, au général Lévy (Gilles), combattant de l’ombre de la première heure, dont les ouvrages sur la Résistance en Auvergne font autorité, au général Mignot (Pierre), au colonel Poli (Ange), au colonel Prince (Lucien), à Madame Proux (Marcelle), à M. Revise (Jacques) et toute son équipe des Éditions La Musse, au colonel Riehl (Jean), au général Roidot (Georges), vice-président délégué de l’amicale des anciens de l’O.R.A., à M. Rouffet (André), retraité de la garde, au lieutenant-colonel Sevennec, chef du laboratoire photographique central de la gendarmerie, à M. Siffre (Jean), retraité de la garde, au général Tharaux (Louis), au lieutenant-colonel Truchi (Michel).

Enfin, il sait gré au général Beaudonnet (Louis) d’avoir bien voulu relire le manuscrit, faire part de ses remarques et préfacer son livre.

Chapitre 1 - LA RECONSTRUCTION

Contrairement aux groupes mobiles de réserve (G.M.R.), aux gardes des communications ou aux polices spéciales, la garde, composante de l’appareil répressif du régime de Vichy, n’a pas été créée de toutes pièces au lendemain du désastre de 1940. Elle est issue du tronc robuste de la Garde républicaine mobile (G.R.M.) sur lequel on a greffé des éléments de l’armée de l’armistice et des jeunes engagés.

Avant de relater les circonstances et les étapes de sa naissance, il paraît utile de se remémorer son origine car de sa filiation découlent son organisation, sa spécialisation et un esprit de corps développé.

Jusqu’en 1921, la police locale, la gendarmerie, et en dernier recours l’armée, constituent en France le bras armé du pouvoir politique pour faire face à des troubles sociaux. En cas de manifestations, les gendarmes, prélevés dans les brigades et regroupés, sont au premier rang des effectifs employés. La loi du 22 juillet 1921 marque un tournant dans l’organisation et la stratégie des forces de l’ordre. Elle donne naissance aux pelotons mobiles de gendarmerie, rattachés aux compagnies de gendarmerie départementale, qui forment dorénavant une force permanente placée en tout temps à la disposition du Gouvernement pour assurer le maintien de l’ordre. Cette force prend l’appellation de gendarmerie mobile.

La loi de finances du 30 août 1921 alloue au ministère de la Guerre un crédit de 15 millions, en vue d’une augmentation échelonnée sur trois ans des effectifs de la gendarmerie (3 officiers supérieurs, 124 officiers subalternes et 6 051 hommes de troupes) destinés à la mise sur pied des pelotons mobiles.

Un décret du 10 septembre 1926 change l’appellation initiale de gendarmerie mobile en Garde républicaine mobile. L’année suivante, la loi du 16 juillet et le décret du 24 septembre prescrivent le groupement des unités de garde républicaines existantes en légions autonomes formant une subdivision d’arme nouvelle de la gendarmerie.

Sa création répond à plusieurs préoccupations. D’abord, volonté des pouvoirs publics de se doter d’un corps spécialisé capable de faire face aux conflits sociaux, nombreux et de plus en plus violents depuis le début du siècle. En second lieu, soustraire l’armée, trop fréquemment requise, aux exigences du maintien de l’ordre intérieur pour lequel elle n’est pas préparée. L’appel à la troupe a entraîné dans le passé des difficultés. Pour le pouvoir, il est plus facile d’endosser politiquement les bavures d’un corps de police plutôt que celles de militaires du contingent. Il s’agit aussi de compenser les inconvénients du service à court terme qui provoque dans l’armée une pénurie de cadres, officiers et sous-officiers, de nature à perturber la mise sur pied de guerre des forces armées. Pour ce faire, le ministère de la Défense va faire appel aux ressources nouvelles mises à la disposition de la gendarmerie. Enfin, l’idée de libérer les gendarmes départementaux de leurs missions de maintien de l’ordre et de services d’honneur, pour diminuer leurs charges, n’est pas étrangère à cette novation.

Quelles sont les caractéristiques de ce corps spécialisé dans le maintien de l’ordre ? Les unités qui le composent n’ont pas une circonscription territoriale mais simplement des lieux de stationnement. En règle générale, au cours des opérations, les formations élémentaires (la compagnie et par la suite l’escadron), ne sont jamais dissociées. Le cadre d’action de cette composante de la gendarmerie englobe tout le territoire. En ce qui concerne les personnels, ils reçoivent la même formation que les gendarmes départementaux. Sur leur demande, ils peuvent être mutés dans les brigades car, malgré quelques nuances dans l’uniforme, ils sont gendarmes à part entière. Les attributs de grade, de couleur argentée dans la gendarmerie départementale, deviennent dorés pour les officiers et les gradés affectés dans les unités mobiles. Pour les gardes, la bande de képi, dite galon d’élite, prend la couleur rouge.

Les légions forment corps, aux ordres d’un colonel, et portent un numéro d’ordre. Elles comprennent 4 groupes, à trois compagnies chacun, placés respectivement sous l’autorité d’un chef d’escadrons. La compagnie, commandée par un capitaine, s’articule en pelotons à pied ou à cheval ayant à leur tête un lieutenant, sous-lieutenant ou adjudant-chef. L’effectif du peloton s’élève à 40 hommes. Les pelotons montés disposent de 39 chevaux provenant des régiments de cavalerie dissous (cuirassiers, dragons, chasseurs à cheval et hussards).

La montée en puissance de la garde se poursuit jusqu’en 1939. L’effectif budgétaire passe de 6 000 en 1923 à 15 000 en 1928, 20 000 en

1935 pour plafonner à 27 000 en 1939. Pour des raisons techniques, en particulier l’insuffisance d’infrastructures immobilières et de matériel de remonte (60 % des effectifs sont montés), le potentiel n’est pas réalisé à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Sur 200 compagnies figurant au budget, 175 seulement existent en 1939, soit un effectif de 21 000 hommes. L’accroissement des ressources s’accompagne d’une augmentation du nombre des légions : 3 en 1927, 4 en 1930, 7 en 1932, 10 en 1935 et 15 en 1939, dont une en Algérie.

Le 1er avril 1934, vient se greffer sur la 1re légion le Groupe spécial autonome de Versailles-Satory, unité blindée mise sur pied le 15 mai 1932, composée de deux compagnies de chars et d’une compagnie d’automitrailleuses. À partir de 1935, un peloton motocycliste du Groupe spécial assure les escortes du président de la République et des hautes personnalités françaises et étrangères.

De sa création en 1921 jusqu’en 1939, la G.R.M. acquiert une solide expérience du maintien de l’ordre. Pendant cette période, le Gouvernement la met fréquemment à contribution en raison de l’agitation sociale (grèves, occupations d’usines, etc.) et politique (manifestations de février 1934, etc.).

À la déclaration de guerre, le 3 septembre 1939, débute le processus qui va aboutir, quelques mois plus tard, à la séparation de la G.R.M. et de la gendarmerie.

Le 26 août 1939, la gendarmerie adopte son organisation du temps de guerre. La G.R.M. éclate et se disperse. Elle détache deux tiers environ de ses officiers aux armées. Les brevetés, peu nombreux, rejoignent des états-majors (G.Q.G., armée, corps d’armée, division). Les autres exercent des commandements dans des unités mobilisées de réserve (commandants d’escadrons et de pelotons dans la cavalerie, commandants de compagnies et de sections dans l’infanterie). Quelques officiers supérieurs prennent même la tête de bataillons. Le chef d’escadrons Candille commandera au feu le 54e bataillon de mitrailleurs motorisés. Parmi les corps d’affectation, notons les groupes de reconnaissance d’infanterie divisionnaire (G.R.I.D.) et de corps d’armée (G.R.C.A.), éléments montés ou motorisés chargés, avant toute opération d’envergure, de rechercher du renseignement sur zone, les régiments d’infanterie, de cavalerie et de chars, les bataillons de chasseurs de haute-montagne, etc.

Outre les officiers, 7 000 gradés et gardes partent dans les régiments de série B composés de réservistes appartenant à des classes d’âge anciennes et dotés de matériels et d’équipements anachroniques. On les retrouve dans toutes les formations mobilisées de l’armée de Terre : bataillons d’Afrique, bataillons de mitrailleurs, unités de forteresse, etc. Les sous-officiers titulaires des brevets de chef de peloton ou de section, secondent des officiers de réserve en qualité d’adjoint. Des adjudant-chefs promus au grade supérieur, à titre temporaire, commandent des pelotons ou des sections. La responsabilité de groupes de combat échoit aux gardes non brevetés.

La G.R.M. fournit également des personnels dans les détachements prévôtaux mis sur pied par la gendarmerie départementale. Les gardes y sont employés comme conducteurs de véhicules automobiles. Quelques officiers assurent l’encadrement d’unités prévôtales placées auprès des troupes alliées. Le capitaine Seytre commande en janvier

1940 le détachement de liaison n° 12, près de l’armée britannique, (105e prévôt compagny), qui devient en mai 1940 le détachement de gendarmerie n° 2. Autre exemple, celui du lieutenant Drouant désigné pour servir à la prévôté du Levant. Des officiers supérieurs occupent des postes d’adjoints auprès de prévôts des grandes unités (échelons armée, division). Certains rejoignent des postes particuliers comme le colonel Chevenart chargé du commandement de la gendarmerie de l’armée des Alpes.

L’état-major de l’armée place 3 compagnies motocyclistes de la G.R.M., dans les réserves générales, au profit du corps de bataille, en vue de leur emploi pendant les opérations. Une compagnie assure la garde du Grand Quartier général.

Outre le détachement de personnels aux armées, la G.R.M. engage aux frontières, dans le nord-est, des unités constituées renforcées par des auxiliaires. Elle y déploie près de 3000 hommes. Déjà, avant la guerre, des compagnies de la 4e légion étaient chargées en permanence d’assurer la garde de la frontière. En cas de mise sur pied de la couverture, elles devaient occuper les emplacements assignés en attendant l’entrée en ligne des formations de réserve. À la fin du mois d’août, 87 pelotons provenant des 4e, 6e, 7e et 8e légions prennent position, plusieurs kilomètres en avant de la ligne Maginot, dans les intervalles non protégés par cette fortification. 48 de ces pelotons donnent naissance à 16 compagnies de gardes frontaliers, fortes chacune de 120 hommes (40 militaires d’active et 40 réservistes). À la suite de la mise en place de la couverture, le commandement ordonne l’évacuation de toutes les casernes implantées près de la frontière. Les bagages autorisés se limitent à une valise. Tout le mobilier reste sur place. C’est pour les familles le début d’un exode forcé. Pour la plupart, elles ne retrouveront pas leurs biens.

Le 45e bataillon de chars légers de la gendarmerie, mis sur pied à partir du Groupe spécial de Satory, voit le jour le 26 octobre 1939. L’appel à volontaires suscite de nombreuses candidatures parmi les officiers et sous-officiers de la G.R.M. Fin décembre 1939, le bataillon, articulé en trois compagnies de combat et une d’échelon, commence l’entraînement dans la région de Satory malgré des dotations incomplètes en matériel et équipements divers.

Dans la région parisienne, les 21e, 22e et 23e légions de G.R.M. forment l’ossature de la brigade mixte de gendarmerie où s’intègrent la Garde républicaine de Paris, des éléments du Groupe spécial de Satory et 4 pelotons motorisés de gendarmerie départementale. La 11e compagnie de Briey (7e légion) s’y rattache à partir du 17 mai 1940. La brigade mixte, aux ordres du général Gest, reçoit une double mission. Répondre aux besoins du maintien de l’ordre et participer à la défense du secteur de sûreté couvrant l’approche de la capitale.

Le commandement maintient en unités constituées, au sein des légions, le reste du potentiel disponible de la G.R.M. pour remplir des missions de sécurité publique à l’intérieur du territoire. Le nombre très élevé des personnels et unités détachés aux armées ou employés à des missions particulières affaiblit notablement les légions comme le montre l’examen de la situation de celle de Marseille (15e). Le 26 août, elle met en route, vers des centres mobilisateurs, 11 officiers et 141 gradés et gardes. Le 2 septembre, jour de la mobilisation générale, le départ d’un nouveau contingent prive la légion de 5 officiers et 190 sous-officiers. En moins de dix jours, le déficit du corps s’élève à 16 officiers et 331 sous-officiers. Dans les semaines suivantes, 20 officiers et sous-officiers quittent la légion pour d’autres affectations de guerre : prévôtés, sections de dépôt, centre de rassemblement de permissionnaires, etc. Pour compléter les effectifs déficitaires, une circulaire du 31 janvier 1940 autorise le recrutement de gardes auxiliaires, volontaires du service armé, en provenance de toutes armes et appartenant aux classes 1916 à 1930.

Le vendredi 1er septembre, à l’aube, l’armée allemande envahit la Pologne. À 10 h, à l’issue du Conseil des ministres à l’Élysée, le Gouvernement décrète la mobilisation générale. Pour les unités de la G.R.M. déployées dans l’est, le moment arrive des premiers affrontements avec l’ennemi. Après avoir renforcé les blocs frontière, les compagnies occupent leurs postes de combat. Les consignes sont précises. En cas d’attaque brusquée, contenir l’assaillant au moins pendant cinq heures pour permettre aux ouvrages de la ligne Maginot de se mettre en état de défense.

Pour déjouer toute tentative de pénétration ennemie sur le territoire, les pelotons, depuis leurs positions, effectuent des incursions en Allemagne. L’activité déployée par la 2e compagnie (7e légion), aux ordres du capitaine Bouchardon, installée dans le secteur fortifié de Boulay, illustre le rôle joué par la G.R.M. dans la phase initiale de la guerre. Le 7 septembre, à 14 h, sur ordre du commandement, elle pénètre en territoire allemand en vue de « déterminer le contour apparent de l’ennemi entre Launstrof et Merten et, après le contact, d’en rendre compte au plus vite ». Les pelotons s’ébranlent en direction des villages allemands de Bedersdorf, Leining, Ihn, Niedeldorf, Dirigen, Furswiller. Non sans difficultés, ils atteignent leurs objectifs. Lors des reconnaissances, les maisons, truffées de mines, constituent un danger permanent aggravé par les coups de feu des francs-tireurs. La compagnie déplore plusieurs blessés. Ces combats de petits éléments durent plusieurs jours avec prise et reprise de villages. Devant Bedersdorf, le caporal Humbert, des gardes frontaliers, est un des premiers à trouver la mort.

Le retrait des compagnies frontalières de la G.R.M. commence à la mi-septembre et s’achève à la fin du mois de novembre. À partir de cette date, les formations mobilisées de l’armée de Terre prennent en charge la presque totalité des positions tenues par les gardes. La dissolution des dernières unités de gardes auxiliaires intervient le 4 janvier 1940. Par dépêche du 2 octobre 1939, le ministre de la Guerre porte à la connaissance du personnel l’attribution de 14 citations, les premières de la guerre, ainsi que le contenu de l’ordre général n° 35 du général de division Sivot commandant la région fortifiée de Metz :

« Au moment où arrive à son terme la mission dévolue aux pelotons frontières de la G.R.M., le général commandant la R.F.M. leur adresse ses félicitations et ses remerciements.

Chargés à l’extrême avant d’une mission délicate et périlleuse qui pouvait être une mission de sacrifice, ils y ont fait face avec une intelligence et un courage qui ne se sont jamais démentis, gagnant ainsi à leur arme des titres de noblesse incontestables et justifiant la confiance de leurs chefs que cette troupe d’élite aura toujours à cœur de mériter. »

Dégagées de leurs obligations à la frontière, les compagnies de G.R.M. remplissent à l’intérieur, selon les besoins du moment, diverses missions : services de place, police militaire, surveillance de la circulation routière, aide à la gendarmerie départementale, mise en œuvre des plans de garde contre d’éventuels parachutistes, etc.

Fin janvier 1940, le commandement renforce les 1re et 20e légions, situées dans la zone des armées, par des compagnies prélevées sur les 4e, 6e, 7e, 8e et 13e légions.

À partir du déclenchement de l’offensive allemande, le 10 mai 1940, les compagnies de G.R.M. stationnées dans la zone des armées et à l’extérieur sont engagées progressivement sur le champ de bataille. Quelques-unes assurent la sécurité de quartiers généraux (Grand Quartier général, Q.G. d’armées, etc.). D’autres renforcent des prévôtés insuffisamment étoffées pour assurer le bon ordre.

Le 14 mai, le général Huntziger, commandant la IIème armée, met à la disposition de la prévôté d’armée, en vue d’intercepter des déserteurs, la 2e compagnie de la 7e légion stationnée à cette date à Châlons-sur-Marne. Lorsque, dans la soirée du 13, les blindés du général Gudérian franchissent la Meuse, une panique indescriptible se produit sur les arrières de la IIe armée. Traumatisés par cinq heures d’un bombardement intensif, des milliers de fantassins appartenant à la 55e division d’infanterie du général Lafontaine et des artilleurs du 10e corps d’armée, abandonnent leurs positions. Pour s’opposer à cette fuite éperdue, la prévôté d’armée ne dispose que de quelques hommes. Néanmoins, son colonel parvient à canaliser le flot des fuyards en direction de Vouziers, les détournant ainsi des parcs d’armée exposés au pillage. Du 14 au 21 mai, sous les bombardements incessants de l’aviation allemande maîtresse du ciel, la 7e compagnie établit des barrages, stoppe les déserteurs et, après les avoir regroupés, les remet à la prévôté. En plus des nombreuses victimes civiles, deux gardes trouvent la mort au cours de cette mission. Jusqu’au 10 juin, toujours à la disposition de la prévôté, la compagnie effectue des reconnaissances pour renseigner le commandement sur la situation dans la zone de l’avant. Enfin, elle participe au combat retardateur. Les gardes installent des barrages antichars sur les axes de pénétration empruntés par l’ennemi. À la mi-juin, la compagnie n’a plus de contact avec la prévôté. Sur ordre des autorités militaires, elle se replie et, après un périple mouvementé, rejoint Montauban. Pendant la campagne, 45 officiers, gradés et gardes de la 7e compagnie obtiennent la croix de guerre.

Dans le même temps, la plupart des compagnies sont engagées sur le théâtre des opérations qui s’étend au fur et à mesure de l’avance des troupes allemandes. Après avoir participé à la défense des secteurs frontaliers (Bas-Rhin, Haguenau, Maubeuge, Escaut, Vosges, Thionville, Flandres), elles concourent à celle des grandes agglomérations (place de Paris, Amiens, Rouen, etc.). Dans la poche de Dunkerque, on ne retrouve pas moins de 6 compagnies (7/20 Sarreguemines, 6/1 Condé-sur-Escaut, 2/4 Bouzonville, 14/1 Longeville-les-Saint-Avold, 3/3 Bernay et 2/4 Dreux). La compagnie de Condé-sur-Escaut et un peloton de la compagnie de Bernay passent en Angleterre le 4 juin. À leur retour ces formations combattent en Normandie et en Bretagne sous les ordres du général Duffour commandant le secteur de Basse Normandie.

Courant juin, le chef d’escadrons Guillaudot, commandant le groupe de G.R.M. de Vitré (4e légion) reçoit l’ordre de préparer l’organisation du réduit de Bretagne. L’idée de constituer un centre de résistance remonte au début du mois. Les gouvernements anglais et français conviennent d’établir, de la Manche (golfe de Saint-Malo) à l’Atlantique (Rennes), un front défensif à l’abri duquel siégeraient provisoirement les autorités françaises pour qu’elles soient en mesure, le cas échéant, de se replier dans nos possessions outre Méditerranée pour poursuivre le combat. La XXe armée et des éléments du corps expéditionnaire britannique doivent prendre en charge la défense du réduit. Réunis à Briare le 14 juin, les généraux Georges et Broocke ne croient plus à la possibilité de mettre à exécution le plan. La XXe armée ne comprend plus que deux divisions et le groupement Falgade. Quant aux troupes anglaises, en cours de débarquement à Nantes, elles ne représentent pas une force significative. Se conformant aux ordres reçus, le chef d’escadrons Guillaudot installe son P.C. au camp de la Lande d’Ouée, en vue d’y accueillir les troupes annoncées et de les diriger sur leurs positions. Il n’y voit arriver hélas que les pitoyables détachements d’une armée en retraite. Moins de quarante-huit heures après avoir commencé à remplir sa mission, il reçoit de nouvelles instructions. Les troupes arrivées sur place et déployées sur leurs positions doivent prendre la direction du Sud. Le commandement le charge de mettre Vitré en état de défense, pour retarder l’avance des troupes allemandes. À cet effet, il dispose d’un bataillon d’infanterie, d’une compagnie de G.R.M. et de canons antichars. Un contre-ordre arrive dans les heures qui suivent prescrivant le repli des unités en cours d’installation. Mais il ne concerne pas la G.R.M. qui, avec la gendarmerie, doit maintenir l’ordre et empêcher les pillages. Impuissant, le chef d’escadrons Guillaudot voit déferler les blindés allemands qui poursuivent leur avance sans même s’arrêter.

Les unités constituées de G.R.M. connaissent les vicissitudes de la bataille. Le 20 mai, les Allemands capturent deux pelotons de la compagnie de Bernay. Le 17 juin, le 45e bataillon de chars légers de la gendarmerie connaît la même infortune, dans la région de Tavernay où il a été encerclé par une panzerdivision. Dans l’Est, deux pelotons de la compagnie de Stenay, pour échapper aux troupes allemandes, au moment de la retraite, se réfugient le 20 juin en territoire helvétique.

La débâcle entraîne vers le sud, notamment en direction de Bordeaux et Montauban, les débris de l’armée française. La veille de l’arrivée des Allemands dans la capitale, le 13 juin, la compagnie à cheval de Pontivy reçoit en dépôt, pour éviter qu’il ne tombe aux mains de l’ennemi, le drapeau de la G.R.M. Quelques jours plus tard, le précieux emblème remis à la G.R.M. le 14 juillet 1930, par le président de la République, Gaston Doumergue, est en sécurité à Vichy. Dans le flot des convois militaires, pressés par les colonnes motorisées ennemies, soumis à de fréquentes attaques aériennes, se mêlent des formations de la G.R.M. (compagnie de Condé-sur-Escaut (6/1), Abbeville (7/1), Épernay (5/1), peloton d’Altkirch (31/29), d’Héricourt (28/20), compagnie de Bouzonville (2/7), etc.).

Le 25 juin, l’armistice met un terme aux hostilités. La G.R.M. en sort très éprouvée. Pendant la campagne, elle déplore la mort de 377 officiers et sous-officiers sans compter les blessés et les prisonniers au nombre de plusieurs milliers. À titre indicatif, les pertes de la 15e légion s’élèvent à 10 tués, 2 blessés et 79 prisonniers dont 3 officiers. Courage et esprit de sacrifice attestent, pendant les opérations, de sa valeur combative.

Quelques exemples, choisis parmi des centaines, en donnent une idée. Le 11 juin 1940, à la sortie de Châlons-sur-Marne, quatre chars allemands surprennent le garde Marchand, de la 1re légion de G.R.M., chargé avec sa camionnette de récupérer des munitions. Dans l’impossibilité de faire demi-tour, il fonce au milieu d’eux. Bien que grièvement blessé par balles, il continue sa route avec son véhicule en flammes et ne l’abandonne qu’avant l’explosion des munitions qu’il contenait.

Le garde Marcel Piquet, affecté au 28e bataillon d’infanterie légère d’Afrique, reçoit le commandement d’une section de la compagnie d’accompagnement du bataillon. Au combat de Pierrefontaine des Varans, le 18 juin 1940, il va chercher sur le champ de bataille son capitaine blessé et le ramène au poste de secours du bataillon, malgré un feu extrêmement violent de l’ennemi. Puis il retourne au combat et ne cesse, après avoir été lui-même blessé, d’assurer le commandement d’une partie de la compagnie qui n’avait plus d’officiers.

Le 29 mai, après avoir embarqué à la Panne (Dunkerque) son détachement de liaison auprès du 2e corps d’armée britannique, le capitaine Seytre, malgré de violents bombardements aériens, revient sur la plage pour permettre à des soldats français isolés d’obtenir une place qui leur est refusée sur des bateaux anglais. L’affaire réglée, dans la matinée du 30, il gagne à la nage une chaloupe et rejoint un convoi qui vient de quitter Dunkerque. Au cours de la traversée de la Manche, l’aviation allemande coule deux bâtiments. L’officier atteint indemne l’Angleterre. Quelques jours plus tard, débarqué à nouveau sur le sol français, il reprend le combat.

Chargé de défendre une position soumise au feu des armes automatiques ennemies et exposé à un violent bombardement pendant plusieurs heures, le maréchal des logis-chef Joyeux (Paul) remplit résolument la mission qui lui est confiée. Il entraîne ses hommes par son énergie, dirige méthodiquement les tirs de son groupe, maintient les liaisons avec ses chefs, assure l’évacuation des blessés.

Au lendemain du cessez-le-feu, sur les 21 000 hommes qui constituaient la G.R.M. avant la déclaration de guerre, une moitié environ se trouve en territoire non occupé et en Afrique du Nord, l’autre sous la tutelle des Allemands, en zone Nord. La plupart des légions sont disloquées, à l’exception des 21e (Montrouge), 22e (Drancy), 23e (Courbevoie) maintenues sur place, dans la capitale, pour prévenir toute manifestation d’hostilité de la population vis-à-vis de l’armée allemande. La décision incohérente d’évacuer sur Montpellier, avant l’arrivée de l’ennemi, les comptables, majors et trésoriers de ces trois corps, entraîne par la suite de sérieuses difficultés. Pendant plusieurs semaines, les personnels ne seront pas payés.

Après l’éclatement de la G.R.M., la plus grande incertitude plane sur son avenir. La question se pose de savoir quel sort le vainqueur réservera à la gendarmerie rattachée au ministère de la Défense. La convention d’armistice, signée à Rethondes, n’apporte aucun élément d’information sur l’intention des Allemands. L’article 4 prévoit le désarmement et la démobilisation des forces armées françaises sur terre, sur mer et dans les airs, à l’exception des troupes nécessaires au maintien de l’ordre, à charge pour l’Allemagne et l’Italie d’en déterminer les effectifs et les armements.

La réponse à cette interrogation appartient à la commission d’armistice, réunie à Wiesbaden à partir du 29 juin. Les autorités allemandes informent la délégation française qu’elles tolèrent, en métropole, l’existence, d’une armée de transition (ubergangsheer) totalisant un potentiel maximum de 100 000 hommes. Début juillet, le général Huntziger, chef de la délégation française, propose à ses interlocuteurs de ne pas inclure la gendarmerie dans la nouvelle armée dite de l’armistice. Les Allemands entendent régler séparément le sort de la gendarmerie départementale et de la G.R.M. La première, dans les territoires occupés, sera soumise à un statut particulier à négocier à Paris avec le commandement militaire allemand en France. Des perspectives plus sombres s’annoncent pour la seconde. Les autorités allemandes imposent sa dissolution en zone Nord. Certes, elles tolèrent son rattachement à l’armée de l’armistice mais exigent la réduction de son effectif à 6 000 hommes et son extériorisation de la gendarmerie. Conscient de la valeur militaire de la G.R.M., les Allemands cherchent manifestement à l’affaiblir.

En application des clauses de la Convention d’armistice, la loi du 23 juillet 1940 modifiée par le décret-loi du 23 août, arrête la réorganisation de l’appareil militaire autorisé par l’occupant en zone libre. Les rares unités, de la G.R.M. regroupées, forment un des premiers éléments sur lequel s’appuie le commandement pour reconstituer l’armée.

De la fin juin à la mi-novembre 1940, une période de transition s’ouvre pour la G.R.M. pendant laquelle la direction de la gendarmerie du contentieux et de la justice militaire, en liaison avec l’état-major de l’armée, procède par étapes aux opérations fixées par la loi. À savoir, création de trois légions totalisant un effectif de 180 officiers et 5 820 hommes de troupe respectivement implantées à Lyon (légion de l’est), Clermont-Ferrand (légion du centre) et Toulouse (légion du sud) et à leur incorporation dans l’armée de l’armistice où elles donnent naissance à une arme nouvelle, à part entière, au même titre que l’infanterie où l’artillerie.

L’organisation de trois légions, à partir d’une G.R.M. littéralement éclatée au lendemain des hostilités, se heurte à de sérieuses difficultés. Parmi les questions à traiter, une des plus cruciales et urgentes est celle des personnels. La déflation à réaliser porte sur environ 15 000 hommes, officiers, gradés et gardes.

La situation des formations de la garde stationnée dans les territoires occupés exige des décisions rapides car elles sont menacées de dissolution. Le capitaine Sérignan, représentant la gendarmerie auprès du commandement militaire allemand en France, adopte une solution particulièrement risquée. Malgré les instructions de l’occupant, il ordonne le passage en bloc, dans la gendarmerie départementale, des unités constituées de la G.R.M. de la zone Nord. Pour que ce transfert passe inaperçu, on substitue immédiatement sur les uniformes les galons rouges et or de la garde par ceux couleur argent de la gendarmerie départementale, attributs qui différencient les deux subdivisions de la gendarmerie. Les trois légions de G.R.M. de la région parisienne (21e, 22e et 23e) sont ainsi transformées en légions de gendarmerie départementale.

Dans la zone Sud, après la dissolution des formations prévôtales, tous les militaires de la G.R.M., qui à un titre quelconque en faisaient partie, reçoivent une affectation définitive dans la légion de gendarmerie départementale mobilisatrice de la prévôté. La majeure partie du personnel de la G.R.M. en excèdent de l’effectif autorisé (5 820 hommes) est versée dans la gendarmerie départementale qui les utilise pour créer des brigades et pelotons motorisés. La création, en Afrique du Nord, des légions de G.R.M. de Tunisie (6 compagnies), du Maroc (8 compagnies) ainsi que le renforcement de la légion d’Algérie (5 compagnies), permettent d’absorber le reliquat de gardes encore disponibles. Le potentiel de la Garde en A.F.N., de 960 en 1939, passe à 3 000 hommes dans les mois qui suivent l’armistice. Le général Le Bars en précise la composition :

« Dans ses rangs se comptaient des gardes en provenance de toutes les légions de la métropole, la plupart de la zone occupée : des célibataires qu’attirait l’aventure, des mariés en quête pour leur famille démunie de tout, comme des naufragés, d’un havre de paix quel qu’il fût. Un ensemble assez composite, un rassemblement de détresses muettes confiantes en l’hospitalité de la terre africaine. »

Sur plus de 500 officiers que comptait la garde, 180 seulement doivent y être maintenus. Le choix des intéressés suscite quelques divergences entre l’état-major de l’armée et la direction de la gendarmerie. Les autorités militaires voudraient maintenir dans la garde tous les jeunes officiers sortis des écoles (Saint-Cyr, Saint-Maixent, Saumur) et verser dans la gendarmerie les plus âgés issus du rang. Finalement, un accord intervient pour réaliser une répartition conforme à l’intérêt général.

La mise sur pied effective des unités constitue une seconde étape délicate dans le processus de transformation de la G.R.M. Plusieurs compagnies, stationnées avant la guerre au nord de la ligne de démarcation et repliées en zone libre à la suite des hostilités, sont reconstituées dans de nouvelles garnisons. La compagnie à cheval de Pontivy devient le 5e escadron de Châteauroux. La 2e compagnie motorisée de Bouzonville (Moselle) se transforme en 4e escadron motorisé de Riom. L’escadron de Montluçon n’est autre que l’ancienne compagnie de Baccarat. La compagnie de Boulogne-sur-Mer donne naissance au 4e escadron porté à Mende. L’escadron de Saint-Amand-Montrond regroupe des personnels de la compagnie de Moulins dissoute et des gardes en provenance du 45e bataillon de chars de combat de la gendarmerie. Des gardes appartenant à des pelotons frontières implantés dans le Haut-Rhin (peloton d’Altkirch notamment) constituent l’escadron de Montbrison (8/4).

La dissolution, le 1er novembre 1940, des régions militaires de la zone libre organisées par décret du 26 juin 1940 et leur remplacement, par huit divisions militaires, entraîne une réorganisation territoriale des légions ainsi qu’un aménagement de leurs effectifs.

Les trois légions existantes (Clermont-Ferrand, Lyon et Toulouse) se dédoublent de manière à former trois nouvelles légions (Limoges, Marseille et Montpellier) qui s’intègrent dans la nouvelle organisation territoriale de l’armée de Terre. Chaque division militaire, dans la métropole, compte en principe une légion de la garde : 1re à Lyon, 2e à Marseille, 3e à Montpellier, 4e à Riom, 5e à Limoges, 6e à Toulouse. Trois légions stationnent en Afrique du Nord, la 7e à Alger, la 8e à Tunis, la 9e à Rabat. La légion, formant corps, totalise un effectif d’un millier d’hommes répartis en 2 groupes de 4 escadrons chacun (1 escadron à cheval, 1 escadron motocycliste, 2 escadrons portés). commandée par un colonel, elle a son étendard et sa fanfare.

L’escadron s’articule en pelotons (1 peloton de commandement, 3 pelotons de fusiliers, 1 peloton de mitrailleuses Hotchkiss) identifiables, jusqu’à l’automne 1943, par un numéro allant de 1 à 36 (pelotons montés), de 101 à 136 (pelotons motorisés) et de 201 à 272 pour les autres. Le personnel de l’escadron comprend 3 officiers et 122 gradés et gardes.

Dans le Midi méditerranéen et la vallée du Rhône, les casernes existantes de la G.R.M. permettent de redéployer des unités sans trop de problèmes. Ailleurs, surtout en Auvergne et dans le Limousin, la recherche d’infrastructures immobilières (bureaux, magasins, garages, écuries) pour accueillir les unités, et de logements pour les familles, nécessite dans ces temps de pénurie de fastidieuses démarches. Les situations varient d’un endroit à l’autre. Ici, des escadrons cohabitent avec des fantassins. Là, avec des cavaliers. Parfois, ils disposent de cantonnements indépendants, souvent vétustes, rarement confortables. L’ancienne compagnie de Baccarat stationne successivement à Villars puis à Montluçon à la caserne Richemont occupée par le 152e R.I. En novembre 1942, l’unité en est chassée par les Allemands et doit se replier dans quelques baraquements du Camp Neuf qu’elle partage avec les travailleurs annamites et le Centre de démobilisation des prisonniers de guerre.

Le décret du 17 novembre 1940, signé par le maréchal Pétain, a un double effet. Non seulement il sépare la G.R.M. de la gendarmerie mais encore il l’incorpore dans l’armée de l’armistice. À compter de cette date, elle devient la garde, une arme nouvelle, à part entière, au même titre que l’infanterie ou l’artillerie. Ce changement d’appellation ne sera officialisé qu’en février 1941. D’ores et déjà, se trouve renouée une tradition vieille de plusieurs siècles. La nouvelle dénomination la relie au plus lointain passé. Elle redevient l’arme la plus vieille de France. Par voie de conséquence, dans le cérémonial militaire, ses éléments prennent rang à la droite de toutes les autres troupes. La G.R.M., du fait de son appartenance à la gendarmerie bénéficiait en fait de cette position privilégiée.

En effet, la loi du 16 février 1791 octroyait, comme une récompense de la nation, cette faveur à la maréchaussée devenue Gendarmerie nationale. Elle se justifiait par le fait que depuis des siècles elle assurait la sécurité à la satisfaction de tous comme s’en faisaient l’écho en 1789 de nombreux cahiers des états généraux.

Dans les faits, comme l’écrit en 1942 le lieutenant-colonel Bretegnier, on ne la reconnaît pas toujours comme telle :

« On a redonné théoriquement à la Garde sa place, à la droite de toutes les troupes. Trop de personnes ignorent ou feignent d’ignorer ce que cela signifie. Cela veut dire non seulement que quand il y a une prise d’armes la Garde défile en tête des troupes à cheval, mais aussi que dans la liste des destinataires d’une pièce, la Garde doit figurer en tête, que lorsqu’on énumère des corps de troupes on doit penser à la Garde en premier lieu, que lorsqu’on fait éditer des tracts de propagande pour l’Armée, il ne faut pas ignorer, que dans les stands des foires-expositions on ne doit pas chercher son nom en vain, que sur une immense carte donnant les différentes garnisons de la France on ne doit pas l’oublier ? Cela veut dire que les services ne doivent pas s’étonner (au bout de deux ans) qu’elle fasse partie de l’Armée de l’Armistice, qu’elle n’est pas une intruse dont on ignore souvent jusqu’à l’existence et que l’on appelle encore la "Garde Mobile", ou la Gendarmerie voire même la "Garde Nationale".

Cela veut dire que même dans le titre de "Direction de la Cavalerie, du Train… et de la Garde" on ne lui a pas donné sa place ! Cela veut dire que les candidats (surtout ceux de la zone occupée) ne doivent pas être surpris en arrivant chez nous, que nous ne soyons plus des gendarmes, et refusent de contracter un engagement.

Cela veut dire que civils et militaires doivent être avertis que la Garde existe et de ce qu’elle doit être. Les réflexes ne sont pas éduqués, quand on parle de l’armée, il faut penser immédiatement qu’à sa tête il y a la Garde. »

Un an avant, le même officier retrace les origines de la garde dans un livre intitulé « Ce que c’est que la Garde » « dernière forme de tous les corps d’élite qui se sont succédé dans l’armée française à travers les siècles ». Ses aïeux les plus directs, les « Gardes-Françaises », qui ont le pas sur toute l’infanterie, naissent en 1561. En 1700 leur succède les

« Gardes-Françaises » et les « Gardes Suisses » (2 200 cavaliers, 5 500 fantassins) corps rattachés à « La Maison du Roi » chargés spécialement de veiller sur la personne du souverain. En 1789, leur nombre passe à 10 000. Jusqu’à la Révolution, ils sont présents sur tous les champs de bataille. Bonaparte organise par la suite la « Garde Consulaire » sur un pied de 7 400 hommes et crée les légendaires grenadiers et chasseurs à pied et à cheval. L’empereur, Napoléon, fait de sa garde un des plus beau joyau militaire de l’histoire (10 000 hommes en 1804, 112 000 en 1814). Sous la conduite de chefs illustres (Duroc, Rapp, Drouot, Bessières, Cambronne, Dorsenne, Lepic, Soult, Mortier), la garde connaît des heures de gloire (Austerlitz, Marengo, Iéna, Wagram, Madrid, etc.), force la victoire parfois hésitante, comme à Eylau, couvre la retraite en Russie en 1812, protège les débris de l’armée en 1813 et mène la campagne de France en 1814. Si elle succombe à Waterloo en 1815, elle sauve l’honneur. La Restauration reconstitue la « Garde Royale » et reprend les traditions des rois précédents. Elle s’illustre à la prise du Trocadéro en 1823, en Espagne. Napoléon III reforme une garde aussi puissante. En 1855, ses grenadiers, voltigeurs, chasseurs à pied, zouaves, reçoivent le baptême du feu en Crimée et participent en 1859 à la campagne d’Italie. Sur son drapeau s’inscrivent les noms de Magenta et de Solférino à côté de celui de Sébastopol. En 1870, la garde ne pourra changer le destin de la France. Elle aura beau se surpasser à Borny, à Rezonville comme à Saint-Privas, la capitulation de Metz la réunira à l’armée vaincue partant pour la captivité.

De cette filiation va naître un esprit d’arme très fortement marqué, entretenu par le commandement et, comme on le verra, symbolisé sur l’uniforme, par l’insigne de l’Aigle de la garde impériale conçu par le chef d’escadrons Bretegnier.

Un arrêté ministériel, en date du 25 novembre 1940, parachève l’insertion de la garde dans l’armée de l’armistice en la rattachant à la direction de la Cavalerie. À l’origine de ce rapprochement, il y a des raisons historiques. Sous la Révolution, la cavalerie administrait les gendarmes alors à cheval. Depuis, la gendarmerie n’a pas cessé d’entretenir des unités montées que ce soit dans les brigades territoriales jusqu’en 1936, la Garde républicaine de Paris ou la Garde républicaine mobile.

Pour sauvegarder l’identité de la garde au sein de la cavalerie, l’état-major de l’armée crée une sous-direction de la garde. La direction de la cavalerie devient la direction de la cavalerie du train et de la garde.

Le décret du 9 février 1941, pris sur proposition du général Huntziger, commandant en chef des forces terrestres et ministre secrétaire d’État à la Guerre, scelle définitivement son organisation et le nouveau statut de ses personnels. Dans le rapport de présentation du projet de décret, le général Huntziger soulignait, à juste titre, qu’avec l’abolition de la République et l’avènement de l’État français, en juillet 1940, l’appellation de Garde républicaine mobile ne correspondait plus à la réalité des institutions et qu’il convenait de lui donner une nouvelle dénomination : la garde. Le décret entérine sa proposition. La garde se substitue à la G.R.M. Cependant, pour la désigner, très souvent la presse et même des autorités utiliseront à tort l’expression de « garde mobile ».

La liaison cavalerie-garde, outre le rattachement à une direction commune, se matérialise par la création d’une inspection unique pour les deux armes et d’une école où la garde dispose d’une division pour la formation de ses officiers (école militaire de la cavalerie, du train et de la garde de Saumur repliée à Tarbes, caserne Soult). En 1941, le chef d’escadrons Ferreboeuf et le capitaine Grange (André), tous deux issus de la G.R.M., assurent l’instruction de promotions de lieutenants et de capitaines appelés à servir dans la garde.

Les officiers, dont le statut a été aménagé par la loi du 2 août 1940, qui a rabaissé les limites d’âges, entraînant un dégagement des cadres qui n’osait pas dire son nom, se recrutent, en partie à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr repliée à Aix-en-Provence, en partie, après examen, parmi les officiers des corps de troupes et les gradés de choix de la garde.

Les gardes, qui ont rang de sous-officiers, sont choisis parmi les militaires et anciens militaires ayant accompli deux ans de service actif dans l’infanterie, la cavalerie, l’artillerie, le génie ou le train. Autres conditions requises des candidats : mesurer 1,66 m, être âgés de moins de 35 ans, justifier d’une excellente manière de servir, d’une parfaite moralité et subir un examen physique et d’instruction générale.

Le décret du 9 février 1941 aligne, à quelques variantes près, le statut du personnel sous-officier de la garde sur celui des militaires de l’armée de l’armistice. L’état de sous-officier de carrière, qui permettait aux gardes de servir jusqu’à 55 ans, disparaît. Désormais, un contrat d’engagement ou de rengagement de 4 ans les lie au service pour une durée maximum de quinze ans. À l’expiration de la quinzième année, ils sont rayés des contrôles. Pour de nombreux gradés et gardes totalisant plus de quinze ans d’ancienneté sonne l’heure de la retraite. Des dispositions transitoires tempèrent la portée des nouvelles mesures. Les sous-officiers désireux de continuer une carrière militaire dans la gendarmerie ont la faculté d’adresser une demande au ministre.

La garde, malgré les apparences, ne rompt pas tous ses liens avec la gendarmerie. Les officiers, sous certaines conditions d’ancienneté de service peuvent, sur leur demande, être admis dans la gendarmerie où on leur réserve annuellement un pourcentage de places par priorité sur ceux des autres armes. Quant aux sous-officiers, ils y passent de plein droit à quinze ans de services. La même possibilité existe pour les gardes.

Pour compléter les transformations entreprises au cours de l’été 1940 concernant l’organisation, le décret n° 2806 du 12 septembre 1942 remplace les légions par des régiments. Leur implantation ne change pas par rapport à celle des légions (1er à Lyon, 2e à Marseille, 3e à Montpellier, 4e à Clermont-Ferrand, 5e à Limoges, 6e à Toulouse). Trois régiments stationnent en Afrique du Nord (7e en Algérie, 8e en Tunisie, 9e au Maroc).

Seuls, quelques détails différencient l’uniforme de la garde de celui de la G.R.M. Les hommes portent en campagne la tenue de sous-officier rengagé : vareuse, pantalon kaki, ceinturon de cuir naturel, houseaux de cavalerie ou courtes guêtres de l’infanterie remplacent progressivement les légendaires legguins, capote kaki à 9 boutons avec col reversé, pattes d’épaules, grenade jaune au collet indiquant à l’intérieur du cartouche le chiffre du régiment et marquée d’un double soutache d’or, casque kaki à grenade de cuivre. La tenue des unités motocyclistes se distingue par le port du casque modèle 1935, à bourrelet, de la cavalerie, une veste de cuir marron et des buffleteries fauves. Une vareuse noire, à col ouvert avec un aigle d’or brodé sur la poche-poitrine, une culotte noire de même tissu constituent la grande tenue qu’on ne verra porter que de façon exceptionnelle.

Les gardes disposent des équipements de l’infanterie de 1939. Seule différence, un étui à pistolet à gauche remplace l’une des 3 cartouchières. L’armement individuel réglementaire comprend le fusil MAS 1936 avec baïonnette dans le fût et le pistolet automatique Ruby de 7,65 longs. Les gradés sont pourvus du pistolet-mitrailleur Thompson 11 m/m43 ou du P.M. MAS 1938 de 7,65 longs 43 un revolver. Il n’existe aucun armement lourd ni engin à tir courbe, en dehors des mitrailleuses Hotckhkiss de 8 m/m. Deux postes ER 22 par escadrons, d’une portée maximum de 8 kilomètres, permettent d’assurer les liaisons en campagne. Ce matériel des transmissions, très encombrant, se répartit en 3 fardeaux. Les commissions d’armistice contingentent armement, matériels et véhicules. À titre indicatif, la dotation en véhicules d’un escadron porté est la suivante : 4 motocyclettes, 4 side-cars, 4 camionnettes et 3 fourgons-cars. Ceux-ci sont du type AGR Renault modèle 1938 ou 1939 avec une puissance de 16 ou 19 chevaux et une capacité de transport de 30 personnels.

Les unités d’Afrique du Nord sont pourvues d’un matériel découvert fort diffèrent dont le colonel Poli donne la description suivante :

« Ces véhicules sont des châssis de tourisme Renault qui ont été aménagés en Torpédo, à capote pliante avec 10 rangées de sièges, un coffre arrière et quelques coffres latéraux pour outils et accessoires. Il y a des portes latérales de chaque côté permettant au personnel de sauter rapidement à terre à l’occasion des services de maintien de l’ordre… Outre leur manque de puissance moteur, ces cars sont peu maniables… »

Le parc des escadrons motocyclistes est constitué de 46 side-cars, 9 motos solos et 4 camions d’échelon. Les cavaliers, outre 2 camions d’allègement, 2 side-cars et 3 fourgons-cars pour un éventuel emploi à pied, disposent de 108 chevaux.

Courant 1941, trois décisions prises par le pouvoir ont une répercussion sur la garde dont on ne doit pas sous-estimer la portée. L’acte constitutionnel n° 8 décide que « nul ne pourra être admis à servir dans l’armée s’il ne prête serment de fidélité au chef de l’État ». Le personnel de la garde, assujetti à cette formalité, n’a pas le choix. Le refus de s’y soumettre entraîne la révocation immédiate. La question de la prestation du serment de fidélité ne soulève pas, du moins apparemment, de problèmes de conscience. Que se passe-t-il en réalité dans les esprits ? Comment les plus courageux conçoivent-ils leur devoir ? Aucun ne s’est exprimé sur ce sujet. Pour bon nombre d’officiers supérieurs, combattants de la Première Guerre mondiale, admirateurs du vainqueur de Verdun, leur engagement les lie de façon irrévocable au maréchal Pétain.

À partir de 1943, le commandement supérieur met à profit toutes les occasions pour sensibiliser la troupe aux exigences du devoir d’obéissance et de fidélité. Dans l’éditorial du premier numéro du Bulletin d’information et de travail pour les cadres de la garde, diffusé en septembre 1943, le rédacteur donne le ton :

« Célébrer le culte des hautes vertus militaires magnifiées par le rappel des plus anciennes traditions de la Garde vivifiées par l’exaltation de son esprit de corps, développer le sens et le goût et la passion de l’honneur, du dévouement et de la fidélité à la parole donnée et au chef, tel est le rôle essentiel que se propose d’assumer le Bulletin de la Garde… »

La loi du 2 mai 1941 confère aux officiers la qualité d’O.P.J. (officier de police judiciaire) et partant de nouvelles prérogatives. Elle laisse augurer d’une utilisation plus intensive de la garde dans les opérations de maintien de l’ordre. Mais surtout, elle a un côté pervers qui n’apparaît qu’en 1943. La loi n° 458 du 17 juillet 1943, dans son article 2 bis, introduit la mixité dans la composition des Sections spéciales, juridictions d’exception créées pour juger « toutes infractions pénales si elles sont commises pour favoriser le terrorisme, le communisme, l’anarchie ou la subversion sociale et nationale ou pour provoquer un soulèvement, un état de rébellion contre l’ordre social légalement établi ». Les officiers, étant O.P.J., vont siéger dans ces juridictions avec les représentants de la gendarmerie et de la Police nationale. À la section spéciale près la cour d'appel de Lyon, le lieutenant C.., du 1er régiment de la garde, siège aux côtés du colonel C.. de la légion de gendarmerie du Lyonnais et du commissaire divisionnaire D..

Troisième décision : le décret du 7 juillet 1941, pris dans le cadre de la réforme sur l’organisation générale des services de police. Pierre Pucheu, secrétaire d’État à l’Intérieur, place auprès des préfets régionaux, pour faciliter la domination du pouvoir central dans les domaines policiers et administratifs, un intendant de police chargé en particulier « de régler avec les autorités compétentes l’utilisation de la gendarmerie, de la garde-mobile et des gardes des communications… ». À l’évidence, le pouvoir entend utiliser la garde à sa convenance pour le maintien de l’ordre, de préférence aux autres composantes de l’armée de l’armistice pourtant chargées de concourir à la sécurité publique.

Comment se situe la garde dans l’appareil militaire reconstruit par l’État français ? Numériquement, elle ne représente qu’une force modeste avec ses 180 officiers et ses 5 820 gradés et gardes par rapport aux 3 678 officiers, 15 072 sous-officiers et 73 360 hommes du rang de l’armée de Terre métropolitaine. Si son effectif ne supporte pas la comparaison avec l’infanterie (53 000 hommes), l’artillerie (12 500 hommes) ou la cavalerie (12 500 hommes), il dépasse celui du Train (1 200 hommes), du Génie (3 200 hommes) et des Transmissions (1 600 hommes). D’un point de vue qualitatif, en revanche, elle constitue un gisement de cadres appréciable puisqu’elle ne compte dans ses rangs que des officiers et des sous-officiers. Elle est le type même de la troupe de carrière, forte par la qualité de son personnel, la cohésion de ses unités et son esprit de discipline. Au plan opérationnel, ses régiments ne sont pas endivisionnés mais placés, comme la cavalerie, en réserve générale dans chaque groupe de subdivision.

Pour l’occupant, la mission de l’armée de l’armistice se limite au maintien de l’ordre. Elle n’a pas d’autre justification. Le haut commandement français ne partage pas le point de vue des autorités allemandes. Il considère qu’elle n’est pas en mesure de remplir ce rôle au quotidien. Selon le général Weygand, sa mission est « de préparer l’encadrement et l’armement de futures unités de combat et plus encore entretenir la flamme de la revanche… ». Le 21 novembre 1940, le général Huntziger précise l’esprit qui doit animer la nouvelle armée :

« Deux principes doivent inspirer cette rénovation : hiérarchie et fraternité. Au sommet de la hiérarchie, une fervente fidélité au maréchal de France, chef de l’État. À tous les échelons, une discipline absolue, une tenue impeccable. Plus d’attitudes négligentes ou négligées, la tiédeur proscrite des consciences, le laisser-aller chassé des esprits. »

Dans les règlements comme dans les discours, même si elle reste assez discrète, on décèle l’influence de la propagande pour la révolution nationale. Pour s’en convaincre, il suffit de lire l’article 3 du service intérieur de la garde, consacré à l’éducation morale, qui souligne en particulier l’action du colonel chef de corps qui doit « faire appel au puissant ressort de l’amour-propre ; fournir des distractions saines et simples au cours desquelles on fortifie l’amour de la patrie, le sens de la supériorité de la race, etc. ».

Tous les efforts tendent à préparer les cadres et la troupe à reprendre le combat lorsque le moment viendra. L’instruction se conçoit dans un esprit nouveau. Elle développe le culte de l’ordre, l’esprit de discipline, la mystique du chef, le goût du cérémonial militaire, le sens de l’effort physique et moral. Le général Beaudonnet en évoque quelques aspects :

« On monte solennellement les couleurs tous les matins et toute inspection d’autorité est une occasion de prise d’armes. On ne revient d’un exercice important que trompette en tête. Chaque régiment à son refrain, toute unité sa devise. Quand par hasard les cuivres font défaut on chante "maréchal nous voilà" et d’autres hymnes plus revanchards. Tout se passe comme dans un camp scout, où chacun a sa tenue de sport timbrée d’un écusson tricolore. La séance d’hébertisme suit le réveil et les compétitions sont en honneur. Chaque escadron a son équipe de cross, de football, de basket et de rugby etc. »

Pour ce qui concerne l’instruction, en métropole la garde relève exclusivement des généraux commandant les divisions militaires. En A.F.N., elle dépend des commandants supérieurs des troupes de Tunisie et du Maroc. L’article 36 de son service intérieur fixe les principes généraux de son organisation :

« L’instruction est donnée conformément aux prescriptions du règlement de la cavalerie, des règlements intéressant cette arme et d’après les instructions spéciales, et les ordres du colonel et du commandant du groupe d’escadron. »

Dans son ensemble, elle participe à l’instruction collective du combat avec la cavalerie, à l’occasion de manœuvres en commun, qui se déroulent en terrain libre ou dans des camps (Rivesaltes, Caylus, le Larzac, La Courtine, Bourg Lastic, etc.). Ses unités, qu’elles soient de type motocycliste, à cheval ou portées, manœuvrent suivant les principes de la cavalerie. Pour ne pas attirer l’attention des commissions de contrôle de l’armistice qui, dès le mois d’août 1940, vérifient sur le terrain l’application des accords de Wiesbaden, les thèmes des exercices se placent dans le cadre du maintien de l’ordre. Ce n’est qu’un vernis fragile destiné à tromper les contrôleurs allemands ou italiens car, en réalité, il s’agit d’un véritable entraînement au combat. Au mois d’août 1942, des unités de la 14e D.M. (Lyon) effectuent des manœuvres en Savoie, dans la région du Revard et des Bauges. En fait de maintien de l’ordre, le directeur de l’exercice envoie un escadron à cheval de la garde, à vive allure, pour tenir le débouché d’un col, menacé par l’incursion d’une compagnie de chasseurs alpins.

L’éducation physique et la pratique des sports tiennent dans la garde une large place, s’adressant à des hommes‚ âgés en moyenne de 28 à 30 ans, triés au moment de leur incorporation parmi les candidats les plus solides. Aux séances journalières de culture physique, auxquelles participent les cadres, s’ajoutent régulièrement des compétitions sportives interarmes (athlétisme, football, rugby, etc.). La garde y obtient d’excellents résultats. En 1941, au challenge du nombre, les escadrons occupent les places d’honneur. Dans la 12e D.M. l’escadron 4/5 se place en 2e position, dans la 13e le 3/4 occupe la 1re et le 8/4 la 2e, dans la 14e le 7/1 se classe 3e, dans la 15e le 4/2 est premier, dans la 17e le 3/6 prend la 3e place.

Outre la préparation au combat et l’entraînement individuel, le commandement se penche sur l’instruction des cadres. Le général de Lattre de Tassigny crée pour les sous-officiers, en dehors même de la troupe, des écoles de formation à Opme près de Clermont-Ferrand et plus tard, sur le même type, à Salambo aux portes de Tunis puis à Carnon à côté de Montpellier. Les gardes participent à ces stages. Affecté en 1941 au 2e escadron motorisé du 8e régiment de la garde, à El Aouina (Tunisie), Georges Collet se souvient :

« Je fus l’un des premiers désignés pour un stage de quatre mois. C’était dur, très dur. Nous étions une soixantaine de pionniers. L’effort physique demandé était important et « le patron », le général de Lattre, était très rude. Il n’hésitait pas à venir incognito à 3 heures du matin nous mettre sur les chantiers éclairés qui consistaient à aménager un terre-plein en terrain de sport et parcours du combattant. Nous avons tout fait à la pioche, à la pelle et à la brouette. Par équipes de trois il fallait sortir 30 brouettes à l’heure de déblais de terrassement.

Au début, tout semblait facile, mais plus on creusait, plus le terrain de déblaiement s’éloignait. Les séances d’hébertisme faisaient également partie du programme ainsi que l’entraînement intensif au combat. »

Elie Denoy, ancien garde au 3e régiment, évoque son passage à l’école des cadres de Carnon :

« En avril 1942, j’ai été désigné par le capitaine Perrot, commandant l’escadron, pour aller effectuer un stage qui a duré 6 mois à l’école des cadres du général de Lattre de Tassigny commandant la division. J’étais le seul garde parmi les sous-officiers et officiers de tous les régiments, 150 environ. Au cours de ce stage à base de sport et d’éducation physique l’étude du combat de guérilla occupait une place importante car le but du général qui était auprès de nous matin et soir était de continuer le combat. Nous étions avec lui quand il a été arrêté du côté de Saint-Pons. »

Enfin, les gardes bénéficient d’une formation technique, de façon à ce que la gendarmerie puisse immédiatement les utiliser lorsqu’ils y sont versés. En complément, une instruction élémentaire (cours et conférences) leur permet de parfaire leurs connaissances générales.

L’armée de l’armistice n’est pas toutefois exemptée de sa mission de maintien de l’ordre. Des charges lui incombent, en particulier sur la ligne de démarcation. Le 151e R.I. assure, par exemple, côté zone libre, le contrôle du secteur compris entre Mont-sous-Vaudray et Champagnol. Les autorités, en règle générale, ne font appel à elle qu’en cas d’absolue nécessité laissant le soin aux forces de police traditionnelles de veiller à la sécurité publique.

La garde, par contre, intervient plus fréquemment pour assurer des services d’ordre et de maintien de l’ordre comme l’atteste un bref panorama de ses activités. Des escadrons effectuent des patrouilles de surveillance à la ligne de démarcation. Yves Duler, en janvier 1941, en compagnie de trois de ses camarades, âgés comme lui de 18 ans, fuit la région bordelaise pour gagner la zone libre. Le passeur, de Langon, les abandonne vers Saint-Pierre-de-Mons, à l’intérieur de la zone occupée, et leur indique le chemin à prendre. Les jeunes gens s’égarent et, finalement, au milieu de la nuit, tombent sur un poste de gardes du 6e régiment. La consigne étant d’interdire tout passage clandestin, ils refoulent les intéressés qui s’estiment heureux de ne pas être remis aux Allemands.

D’octobre 1940 à novembre 1941, un détachement de 15 gardes, du 4e régiment, surveille, à 5 kilomètres de Riom, au château de Bourrassol transformé en établissement pénitentiaire, les chefs militaires et les hommes d’État de la 3e République mis en accusation par Vichy après la défaite de 1940.

En mai 1941, l’escadron 4/3 garde, à Saint-Cyprien (Pyrénées-Orientales), un camp de réfugiés espagnols.

La garde exécute des services dans les prisons militaires. En fin d’année 1941, à Toulon, une unité du 2e régiment assure la sécurité des installations où sont détenus des officiers britanniques. L’évasion d’un colonel anglais se produit, lourde de conséquences pour les gardes qui se sont montrés complaisants. Par ordre de l’amiral de la flotte, ministre secrétaire d’État à la Guerre, le lieutenant C.., commandant le détachement, outre une punition de 15 jours d’arrêts de rigueur, est placé en non-activité de 3 mois par suspension d’emploi.

Fin juin 1941, l’escadron 2/2 garde des internés de nationalité russe dans les Alpes-Maritimes. Le 22 juin, Hitler envahit la Russie. Les Russes vivant en France deviennent immédiatement suspects. Dans tous les départements, la police arrête les Russes blancs et apatrides et perquisitionne à leurs domiciles. Dans les Alpes-Maritimes, les autorités administratives les regroupent à Grasse, à la caserne Kellerman, où l’escadron du capitaine Faurie en assure la surveillance. Dans la première quinzaine de juillet, un ordre émanant de Vichy les astreint à résidence mais ordonne leur libération. Boris Drovski, ancien attaché à l’Agent Militaire Russe à Tokyo, adresse le 6 juillet une lettre au commandant d’escadron pour le remercier du comportement des gardes :

« Je vous prie de vouloir bien accepter mes sincères remerciements pour la parfaite correction dont on a fait preuve à notre égard pendant notre internement à la caserne Kellermann.

Il m’a été permis de constater avec satisfaction le tact et la politesse dont ni vous, ni le commissaire Rousan ne vous êtes départis un instant dans l’accomplissement d’une tâche aussi délicate.

Cette constatation me donnera une raison de plus d’aimer la France, ma nouvelle Patrie. La belle France que j’avais visitée chaque année avec ma pauvre maman depuis 1902 et choisie pour m’installer en 1922. Malgré ma situation actuelle moralement affaiblie par les événements, je crois être l’interprète de tous les Russes mes compatriotes et j’avais à cœur de vous témoigner notre reconnaissance… »

À partir du 9 septembre 1940, les escadrons 1, 2, 5, 7, et 8 du 2e régiment assurent, dans les Alpes-Maritimes, la protection de la zone démilitarisée. À Villeneuve-les-Avignons, depuis le début novembre, un peloton surveille le camp des légionnaires pendant plusieurs semaines. Mis à la disposition du général commandant les camps du sud-est, du 31 juillet au 6 août 1941, un groupe du 2e régiment, sous les ordres du chef d’escadrons Christ, comprenant les escadrons 1, 6, 7 et 8, maintient l’ordre parmi les troupes malgaches regroupées à Fréjus. Du 13 au 17 mars 1942, plusieurs escadrons du 2e régiment interviennent à Alès, à l’occasion d’une grève des mineurs. Les conflits sociaux entraînent des interventions de la garde à Oullins, le 16 octobre 1942. Avec la police d’État, elle disperse des manifestants qui réclament du beurre et des denrées diverses. Le bassin minier de Saint-Étienne est aussi le théâtre d’affrontements entre gardes et manifestants. Les mineurs demandent un meilleur ravitaillement. À Vénitieux, aux usines Sigma et Somua, courant octobre 1942, des escadrons du 1er régiment font face à des grévistes, qui manifestent leur opposition à la relève. Les déplacements du chef de l’État, dans les différentes villes de la zone libre, en 1941 et 1942, mobilisent de nombreux escadrons qui renforcent la police locale. Ainsi, courant 1941, des escadrons du 3e régiment effectuent des services d’ordre à Nérac puis à Aurillac où le maréchal Pétain et son dauphin, Darlan, vont à la rencontre de leurs concitoyens.

En juillet 1942, la garde ne sera pas mêlée au ramassage des Juifs pas plus qu’elle n’assurera, contrairement à ce qui a été parfois écrit, la surveillance des camps de transit. Les instructions données par les autorités préfectorales ne laissent planer aucun doute à cet égard. Le préfet régional de Limoges précise dans une note adressée aux préfets départementaux « qu’en aucun cas l’Armée ne donnera son concours aux opérations de ramassage » sauf dans l’hypothèse où il viendrait « à se produire des troubles importants auxquels les effectifs de police demeurés disponibles ne pourraient faire face, il pourrait être fait appel au concours de l’Armée spécialement à celui de la garde-mobile ». D’autre part, le recours à la garde pour surveiller les camps de regroupement situés en zone libre, après les opérations de ramassage des proscrits, n’est envisagé seulement qu’en cas d’insuffisance des effectifs de police.

Chapitre 2 - LE TOURNANT

De juillet 1940 à novembre 1942, parfaitement incorporée à l’armée de l’armistice, elle traverse la période la plus calme de sa courte histoire. À l’instar des autres militaires, ses personnels attendent confiants l’heure de la revanche. Plutôt qu’on ne le prévoyait, les circonstances se présentent qui offrent à l’armée de l’armistice la possibilité de reprendre le combat dans l’honneur.

Dans la nuit du 7 au 8 novembre 1942, les forces anglo-américaines, en provenance de Gibraltar, s’apprêtent à débarquer en Algérie et au Maroc. Au même moment, selon un plan arrêté antérieurement, des militaires (généraux Mast, Béthouard, de Montsabert, colonel Baril, etc.) et des civils, auxquels l’histoire donnera l’appellation de « groupe des cinq » (Lemaigre-Dubreuil, Rigault, Tarbé de Saint-Hardoin, Henri d’Astier de La Vigerie, le colonel Van Hecke), entrent en action pour prévenir toute riposte des forces de Vichy.

Au Maroc leur action échoue. Le général Béthouard, commandant la division de Casablanca, contrairement à l’action projetée, ne réussit pas à neutraliser le général Noguès résident général de France à Rabat. Dès 23 h 30, l’amiral Michelier informé de la tentative des putschistes met les troupes en alerte. Lorsque le 8 au matin les Américains mettent pied à terre à Safi, Casablanca, Port-Lyautey et Fédala, ils se heurtent à une for- te résistance.

La situation, en Algérie, pendant quarante-huit heures, tourne à la confusion. À Alger, le 7 novembre, peu avant minuit, les conjurés, au nombre d’environ quatre cent, occupent les points stratégiques. Ils isolent une trentaine d’états-majors et directions de services ainsi qu’une dizaine de centraux de transmissions. Les communications vers l’extérieur deviennent impossibles sinon difficiles. Simultanément, ils mettent les autorités civiles et militaires hors d’état d’exercer leurs responsabilités. L’amiral Darlan, commandant en chef des forces françaises, présent à Alger où il s’est rendu au chevet de son fils gravement malade, le général Juin, commandant en chef des forces terrestres, aériennes et maritimes pour toute l’A.F.N., Emmanuel Temple, préfet d’Alger, des généraux, amiraux et hauts fonctionnaires tombent aux mains des dissidents. Dans ce contexte, les Anglo-Américains ne semblent pas devoir rencontrer une forte opposition des forces armées dans le secteur d’Alger.

À Vichy, le Gouvernement, alerté par la marine, transmet à 5 h 30 l’ordre du maréchal Pétain invitant les troupes françaises à se battre contre les Anglo-Américains :

« Nous sommes attaqués, nous nous défendrons ; c’est l’ordre que je donne. »

Comment, au cours de ces graves événements, la garde d’A.F.N., composante de l’armée de l’armistice, réagit-elle ? Son action, en Algérie et au Maroc, s’inscrit initialement dans le cadre du rétablissement de l’ordre.

Le dimanche 8 novembre à 1 h, la baie d’Alger s’illumine soudainement dans le fracas des coups de canons tirés par des navires américains arrivés en vue du port. Aucun objectif précis n’est visé. Il s’agit simplement d’une manœuvre de diversion pour couvrir les opérations de débarquement à Sidi-Ferruch, Cap Matifou et Castiglione.

À la caserne des Tagarins, siège de l’état-major du 7e régiment de la garde, c’est le branle-bas de combat : perception des armes et des munitions, préparation des véhicules, etc. Aux environs de 3 h, le lieutenant-colonel Zwilling, chef de corps, rassemble les escadrons et les informe de la situation en ces termes :

« Les Américains viennent de débarquer à Sidi-Ferruch pour libérer la France. Nous devons les accueillir comme tels. »

Son propos, d’après le témoignage de l’aspirant Truchi, suscite parmi les gardes une véritable ovation. Les unités restent en alerte sur place. À 4 h, nouveau rassemblement. Les gardes écoutent les dernières instructions. L’allégresse fait place à la consternation :

« Les éléments qui débarquent sur nos côtes algériennes, annonce le chef de corps, sont des intrus. Il faut s’opposer à leur débarquement et les rejeter à la mer. »

Ce brusque retournement appelle des explications que donne le rapport confidentiel n° 252/4 du 17 novembre 1942, établi par le lieutenant-colonel Zwilling. Le 8 novembre, à 3 h 55, le chef de corps du 7e régiment de la garde reçoit à la caserne des Tagarins le capitaine André Dorange, chef de cabinet du général Juin. Dans la nuit du 7 au 8, ce dernier, en goguette dans Alger, observe des mouvements inhabituels et apprend que son chef, le général Juin a perdu sa liberté d’action alors que le débarquement est en cours. Avec une barque de pêcheur, il gagne l’amirauté qui n’a pas été investie par les conjurés. Le contre-amiral Leclerc le fait conduire à la caserne des Tagarins où il expose la situation au lieutenant-colonel Zwilling.

Le général Mast, commandant la division d’Alger, est passé à la dissidence. Il a fait distribuer aux troupes un ordre du jour signé de sa main déclarant que les Américains seraient reçus en libérateurs et qu’il n’y aurait pas de combat. Cet ordre, contraire aux décisions du haut commandement ne doit, sous aucun prétexte, être exécuté. Mais surtout, des conjurés armés retiennent le général Juin et l’amiral Darlan à la villa des Oliviers les mettant dans l’impossibilité d’exercer leurs fonctions.

Immédiatement, le lieutenant-colonel Zwilling désigne un peloton du 1er escadron d’Alger pour se rendre à la résidence du général Juin et le libérer. Le reste de l’unité reçoit l’ordre de se porter à la sortie nord d’El-Biar, en direction de Sidi-Ferruch, pour barrer la route aux Américains ! Écoutons l’aspirant Truchi :

« Je fus désigné avec mon peloton pour cette opération. La villa des Oliviers où demeure le général Juin est située à l’entrée d’El-Biar à 1 kilomètre de notre caserne. Nous nous y rendons à pied. Nous n’avons aucun mal à neutraliser les dissidents. »

Le lieutenant-colonel Zwilling pénètre le premier dans la villa pour prendre contact avec le général Juin. Les gardes désarment environ vingt conjurés et les retiennent prisonniers. L’intervention n’a duré que quelques minutes. Pendant la fouille des abords de la résidence, le général Juin intervient « pour qu’aucuns sévices ne soient exercés à l’égard des prisonniers ».

À 5h, Juin et Darlan, escortés par des gardes, rejoignent Fort l’Empereur où ils installent leur P.C. Le lieutenant-colonel Zwilling reçoit pour mission de réduire les îlots de résistance. Vers 6 h 15, il reprend le contrôle du Palais d’Hiver aux mains d’une trentaine de dissidents et délivre des cavaliers du 5e chasseurs qui étaient chargés d’en assurer la garde. Une demi-heure plus tard, au Q.G. de la XIXe région militaire, après avoir longuement parlementé, il obtient la libération du général Koeltz, numéro deux du haut commandement en Algérie, et celle de son adjoint. Il se rend ensuite au commissariat central aux mains des insurgés mais constate rapidement qu’il ne dispose pas des moyens suffisants pour s’en emparer. Il renonce à une action de force. Au milieu de la matinée, il rend compte de la situation au général Juin et à l’amiral Darlan. Ce dernier lui ordonne de reprendre la préfecture. Il s’y rend. Usant tour à tour de la menace et de la persuasion, il obtient de ses interlocuteurs la libération du préfet, Emmanuel Temple, qui reprend immédiatement possession des lieux. Darlan confie une dernière mission au lieutenant-colonel Zwilling : libérer l’amiral Battet détenu au commissariat central.

Pas plus qu’en début de matinée il n’est question d’investir le P.C. du boulevard Baudin. Une vive tension y règne. Les dissidents tiennent des barrages aux alentours. À la suite d’un échange de coups de feu les conjurés viennent de perdre l’un des leurs, le capitaine Pillafort, abattu par un colonel d’artillerie. Vers 13 h 30, profitant du désordre, le lieutenant-colonel Zwilling s’introduit dans le commissariat. Rapidement il localise l’endroit où est retenu l’amiral Battet. Ce dernier recouvre la liberté moins d’une heure plus tard. Le commissariat ne sera repris qu’à 16 h, sans effusion de sang, par des unités de l’armée qui, depuis 4 h, participent, comme la garde, au rétablissement de l’ordre à Alger. En conclusion de son rapport sur les événements, le lieutenant-colonel Zwilling note :

« Le hasard et les circonstances ont été surtout les facteurs du succès des opérations. L’intervention par la force risquait d’amener une riposte sanglante. Le calme et le sang-froid étaient de rigueur d’autant que l’esprit de la populace, composée en grande partie de juifs et d’extrémistes, ne paraissait nullement favorable à l’Armée. »

À Blida, de même qu’à Alger, la garde contribue à rétablir la situation officielle. Le général de Montsabert, commandant la division de Miliana, échoue dans sa tentative pour mettre l’aérodrome de Blida à la disposition de l’aviation américaine. Le colonel Montrelay, commandant la base, alerté par son supérieur d’Alger, le général Mendigal, s’oppose à ses décisions. À Oran, de même qu’à Blida, la conjuration échoue au dernier moment par suite des états d’âme de l’officier à la tête de la subversion, le lieutenant-colonel Tostain, commandant la subdivision. La garde obéit aux ordres. Les atermoiements de Darlan, qui a pris le pouvoir au nom de Pétain, entraînent dans la journée du 8 flottement et confusion. Bon nombre de chefs militaires ne savent pas quelle attitude prendre à l’égard des Alliés. Doivent-ils les considérer comme des agresseurs ou faire preuve de neutralité ?

Les 8 et 9 novembre, le commandement utilise également la garde dans le cadre des opérations militaires engagées pour s’opposer au débarquement. En Algérie comme au Maroc, les escadrons s’intègrent dans le dispositif de défense de l’A.F.N. planifié au début de l’année 1942. La mission est claire. Il faut s’opposer de vive force à toute atteinte à l’intégrité du territoire, quel que soit l’agresseur. Le commandement a prévu, en cas de menace, la mise sur pied, dans chaque division militaire (Alger, Oran, Constantine, Casablanca, etc.), de groupements tactiques toutes armes (artillerie, infanterie, cavalerie, garde, etc.) coiffés par les commandants de subdivision destinés à remplir différentes missions : surveillance des aérodromes, défense de points d’appuis, réserves d’intervention, etc. Pour préparer l’armée à toute éventualité, exercices et manœuvres se succèdent auxquels la garde participe.

Dès la diffusion du message d’alerte chiffré aux divisions militaires, le 8 novembre, les unités se mettent sur pied de guerre. Vers 3 h 30, lorsqu’arrive en clair l’ordre de mise en œuvre des moyens défensifs, les formations rejoignent leurs zones de dispersion et d’emploi. En Algérie, dans le Constantinois, l’escadron motocycliste de Sétif (7e régiment), rattaché au 14e groupement tactique de la 7e brigade, fait mouvement dans la vallée de l’Oued Bou Sellam. Puis il gagne les limites est de l’aérodrome d’Aïn-Arnat, point sensible défendu par le groupement. Avec l’étonnement que l’on devine, en fin d’après-midi, le 8 novembre, les gardes auxquels incombe le contrôle de la piste d’atterrissage voient se poser un avion à croix noire. Ils ne savent même pas s’ils doivent ouvrir le feu. De la carlingue, descendent deux officiers porteurs d’un message que le maréchal Kesserling adresse à l’amiral Darlan. En fait, on le saura plus tard, il s’agit du colonel Giesche et du capitaine Schurmeyer qui viennent se mettre à la disposition de l’amiral Darlan pour assurer la coordination des opérations de la Luftwaffe avec les autorités françaises. Dirigés vers le commandant de la base, celui-ci leur indique qu’à sa connaissance les aérodromes de l’Algérois sont aux mains des Américains. Les deux aviateurs remontent dans leur appareil et repartent vers Tunis. Signe de la confusion qui règne à ce moment-là, le lieutenant-colonel Gesrel, commandant le dispositif, n’a reçu aucune instruction sur l’attitude à adopter à l’égard des Allemands.

Pendant ce temps, les soldats de l’Eastern-Task-Force prennent pied aux environs d’Alger. L’escadron 1/7 d’Alger, qui s’est porté le 8 au petit matin à la sortie nord d’El-Biar, en direction de Sidi-Ferruch, pour barrer la route aux Américains, voit déboucher vers 10 h les premières jeeps. Les véhicules s’arrêtent à la vue du barrage tenu par les gardes qui ne réagissent pas. Le commandant d’escadron rend compte immédiatement à sa hiérarchie. Dans les minutes qui suivent, un officier de l’état-major du général Juin vient parlementer avec les Américains. Pour simuler un baroud d’honneur, de part et d’autre on tire des coups de feu en l’air. Le barrage est levé. C’est le début de la fraternisation.

Cependant, dans toutes les zones de débarquement, au Maroc (Safi, Casablanca, Fort-Lyautey) et en Algérie (Arzew, Sidi-Ferruch, Castiglione, Cap Matifou, Bougie et Bône) d’autres escadrons connaissent des moments difficiles au cours des combats qui mettent aux prises les forces françaises aux troupes américaines et britanniques.

Avec des éléments de cavalerie, un groupement de la garde du 7e régiment, sous les ordres du chef d’escadrons P.., en l’absence de toute liaison avec le commandement, remplit une mission d’action retardatrice contre des unités américaines débarquées dans le secteur de Sidi-Ferruch. Les gardes stoppent leur avance à Châteauneuf, jusqu’aux environs de 14 h le 8 novembre. Pris à partie par des tirs violents d’armes automatiques et de mortiers, ils décrochent. L’artillerie du Fort-l’Empereur stoppe la marche sur Alger du 168e régiment U. S Au cap Matifou, les marins luttent avec détermination jusqu’à 16 h 30. Les opérations se poursuivent jusqu’à la suspension d’armes conclue par Darlan, limitée à la place d’Alger, signée vers 17 h 20 par le général Juin, Murphy et Pendar. Une poche de résistance subsiste toutefois au Fort d’Estrée qui ne consent à se rendre que dans la matinée du 9.

Pour pallier aux difficultés de liaison, dans la soirée du 8, l’aspirant Truchi, de l’escadron 1/7, reçoit pour mission, avec un officier de l’état-major de la XIXe région militaire, de se rendre dans les différents secteurs de la côte ouest d’Alger, jusqu’à Ténès, pour apporter aux unités l’ordre de cesser le feu.

La fin des combats, dans la région d’Alger, ne met pas fin aux hostilités qui se poursuivent à Oran et au Maroc. La division d’Oran, aux ordres du général Boisseau, oppose une vigoureuse résistance aux troupes débarquées. Intégré au dispositif de défense, le 2e groupe d’escadrons, du 7e régiment de la garde, se joint aux fantassins, aux marins, aux cavaliers et aux artilleurs pour refouler l’agresseur.

À 3 h, le 8 novembre, le canon tonne sur la rade du port d’Oran illuminé par l’explosion des obus tirés par les navires de la Central-Task-Force qui s’apprête à débarquer les troupes américaines. À la caserne Saint-Huber, le 2e groupe, composé des escadrons 1/7 et 2/7, placé sous les ordres du chef d’escadrons Degré, se met immédiatement sur pied de guerre. Les messages se succèdent au standard téléphonique. L’agresseur, aux premières nouvelles, ne semble pas clairement identifié. Tantôt il est question de commandos de l’Axe, tantôt d’éléments inconnus. Au fil des minutes, les renseignements se précisent. Les Américains auraient pris pied dans la plaine des Andalouzes et à Arzew.

Après plusieurs heures d’attente, les commandants d’escadrons reçoivent enfin des ordres. L’escadron 2/7 doit occuper la côte 509, sur le djebel Murdjadjo, en vue d’y interdire toute progression de l’ennemi. Ce plateau, de 5 kilomètres sur 2, surplombe la plaine des Andalouzes et le village de Bou Sfer. L’unité quitte le quartier vers 6 h, en direction de son objectif. La présence de brouillard, une route sinueuse, des véhicules mal adaptés au terrain (cars) gênent considérablement la progression. À 8 h, la colonne atteint le plateau et marque une halte. À la reprise du mouvement, aux alentours de 9 h, une patrouille capture deux soldats, un américain et un Canadien. Leur équipement moderne contraste avec l’anachronisme de celui des gardes. Au moment où les gardes ramènent les prisonniers vers l’arrière, une fusillade crépite provenant de la batterie de Bel Horizon encerclée par un commando U.S. L’escadron se porte au secours des artilleurs. Les voltigeurs débarquent à quelques centaines de mètres de la batterie et entreprennent une large manœuvre enveloppante appuyée par un groupe de la section de mitrailleuse. L’accrochage, violent, dure plusieurs heures et coûte une dizaine de tués aux Américains. L’escadron perd les gardes Garnier et Dubois. Les artilleurs déplorent également des victimes. L’obscurité tombe brusquement vers 17 h. L’escadron s’installe en défensive pour passer la nuit sur place, une nuit troublée par des tirs de mortiers et d’artillerie.

Le 9 novembre, à 2 h 45, le chef d’escadrons Degré apporte sur place les ordres reçus de la division. En liaison avec un bataillon de zouaves, l’escadron attaquera au lever du jour en direction de la ferme Combier tenue par les G.I. et occupera la côte 509. À 7 h, la progression recommence malgré le brouillard et l’obscurité. Depuis les avant-postes, les soldats américains prennent à partie les gardes qui approchent de l’objectif. Les tirs s’intensifient. La batterie de Bel-Horizon intervient pour appuyer les gardes. À la ferme Combier touchée par des obus fusants, la panique s’empare des soldats américains. Des renforts affluent rapidement à leur profit. Des jeeps et un half-track surgissent et encerclent deux pelotons. Six gardes tombent sous la mitraille (Kerdanet, Aubert, Signard, Cibot, Benezet, Picot). Huit autres sont blessés. Seuls, une dizaine d’hommes échappent à la capture dont le lieutenant Monnot commandant l’escadron. Vers 10 h, le 2/7 très affaibli se regroupe. Rien ne se passe dans l’après-midi, ni dans la nuit du 9 au 10 novembre. La prudence des Américains et les tirs de barrage dirigés contre leurs positions expliquent ce calme relatif.

Le mardi 10 novembre, à 14 h 30, l’amiral Darlan conclut l’armistice définitif avec les Américains. Les heures qui suivent sont particulièrement éprouvantes pour les gardes du lieutenant Monnot. Il y a des vides dans les rangs de l’escadron. Les familles sont dans l’anxiété au quartier Saint-Huber. De retour à Oran, vers 22 h, les cadres doivent s’acquitter d’un triste devoir à l’égard des proches des disparus et des blessés. Dans le seul secteur d’Oran, le bilan des combats est lourd : 337 morts et 340 blessés. La garde totalise 17 tués.

La liesse que provoque l’arrivée des Américains en Afrique du Nord fait passer au second plan la tragédie qui vient de se jouer. Après des obsèques discrètes mais dignes, l’amertume, pour ne pas dire une colère contenue, habite tous ceux qui ont été entraînés dans ce drame imputable aux atermoiements de l’amiral Darlan. Consolation dérisoire, les autorités militaires distinguent les victimes, tués et blessés, par des décorations. À la lecture des libellés qui accompagnent les citations décernées aux combattants, on constate que les ennemis d’un jour, les Américains, sont désignés pudiquement par le terme de « troupes adverses ».

En Tunisie, comme en Algérie et au Maroc, le sort du 8e régiment de la garde est mêlé intimement à celui de l’armée de l’armistice. Pour mettre le territoire de la Régence à l’abri d’une invasion par les Alliés, Hitler décide d’y constituer une tête de pont. Le 8 novembre, le Gouvernement français autorise les forces de l’Axe à utiliser certaines bases aériennes, pour faciliter le bombardement des forces navales anglo-américaines en cours de débarquement sur les côtes du Maroc et de l’Algérie.

Dès le 9, les premiers avions allemands atterrissent sur la base d’El-Aouina. En quelques heures, leur nombre atteint la centaine. Le 10, le ministre de la Guerre autorise un débarquement allemand à Bizerte, pointe avancée sur la Méditerranée.

Ordres et contre-ordres se succèdent à Tunis sur la conduite à tenir. Le 8 novembre, Darlan envoie un télégramme au résident général, l’amiral Estéva, et au général Barré, commandant les troupes de Tunisie, pour leur dire que les Américains ayant envahi l’Afrique du Nord ils sont leurs adversaires et qu’il faut les combattre seuls ou assistés. Le 9, l’amirauté informe l’amiral Estéva que « le chef du Gouvernement de la France a été conduit à accepter l’utilisation des bases aériennes de Tunisie et de Constantine par les forces allemandes ». On assiste le 10 au retournement de l’amiral Darlan. Depuis Alger, il prescrit aux forces françaises de Tunisie d’observer une stricte neutralité à l’égard des Allemands.

Le 11 novembre, le général Barré, estimant que ses forces, 12 000 hommes, disséminées sur toute la Tunisie ne peuvent s’opposer aux Allemands avec des chances de succès, décide de les regrouper sur la ligne Tabarka-Gafsa. Il en informe le général Juin qui lui donne son accord. Dans la nuit du 11 au 12, toutes les garnisons de la côte de la plaine tunisienne reçoivent l’ordre de décrocher. Le regroupement des troupes, sur les positions choisies, s’échelonne sur une période de 8 jours marquée par deux événements. D’une part, l’action retardatrice, d’un caractère particulier, menée par le sous-groupement motorisé du colonel Le Coulteux. De l’autre, par les négociations engagées par le résident général avec les Allemands. L’amiral Estéva semble d’accord avec la décision prise par le général Barré :

« Vous pouvez, lui dit-il, vous replier, c’est bien : moi, je vais gagner le temps qu’il vous faudra pour vous installer sur des positions solides près de la frontière algérienne, et à proximité des Américains que nous attendons. »

D’après le rapport de la commission d’enquête Viard, instituée en

1943 par une ordonnance du comité français de Libération Nationale, pour déterminer les responsabilités encourues par les autorités françaises civiles et militaires à la suite de l’entrée en Tunisie des forces armées de l’Axe, il est clair que l’amiral Estéva a temporisé avec les Allemands, sans doute pour permettre aux troupes de Tunisie de se mettre hors de leur portée. Ce document précise :

« En Tunisie, le général Barré a envoyé un agent de liaison, le commandant Gandoet, à l’amiral Estéva et au général Jurrien, chef des détachements, resté lui aussi à Tunis, pour leur dire qu’il s’agit de durer en évitant d’ouvrir les hostilités afin de donner le temps nécessaire au regroupement des forces de Tunisie et à l’approche des avant-gardes américaines, que le seul chef est le général Juin et que la fiction de la Tunisie disposée à collaborer doit durer jusqu’à ce que les alliés nous aient rejoints.

Le résident général et le chef des détachements de liaison se prêtent à ce jeu et, dans les jours suivants, ils vont négocier avec les Allemands et leur accordent des facilités de transport pour permettre au général Barré de s’installer sur ses positions et d’y tenir dans des conditions telles que les Américains pourront le rejoindre et que de là pourra partir l’offensive contre la Tunisie. »

Comment, sur le terrain, s’enchaînent les événements ? Avec son état-major, le général Barré se porte dans un premier temps à Souk el-Arba. Ses forces, dont les escadrons du 8e régiment de la garde, éparses de Bizerte à Médénine se mettent en route, les unes par voie ferrée, les autres par la route.

Au 8e régiment de la garde, seul le 3e escadron, stationné à Bizerte, ne se joint pas au mouvement. L’amiral Derrien, commandant la base, après avoir désigné l’Allemand comme ennemi et donné l’ordre de résister revient sur sa décision. La garnison de 3 000 hommes, aux ordres du général Dauphin, se laisse désarmer. Sa défection prive le général Barré de 3 bataillons (2 du 43e R.I.C., 1 du 4e zouave) d’un groupe d’artillerie (62e R.A.) et d’un escadron de la garde (3/8).

Dans la soirée du 11, l’état-major du 8e régiment stationné à Tunis, composé d’une trentaine d’hommes (chef de corps, 2 officiers adjoints, 5 adjoints administratifs, 22 sous-officiers et agents des corps de troupes) se porte en véhicule à Souk el-Arba auprès du P.C. du général Barré. Le lendemain, il s’installe à Souk el-Khemis.

Dans chaque subdivision, les escadrons s’intègrent dans les groupements tactiques mis sur pied dans le cadre du plan de défense de la Tunisie. Le colonel Bergeron, commandant la subdivision de Tunis, a sous son autorité un groupement comprenant le 4e R.C.A. et les escadrons 1/8 (Tunis) et 2/8 (La Marsa).

Aux ordres du capitaine Gérard, le 1/8, escadron monté, fait partie du sous-groupement du chef d’escadrons de Lambilly du 4e R.C.A. dont la mission est de défendre le passage de la Medjerda à Medjez el-Bab, premier obstacle naturel avant la frontière algéro-marocaine. À 22 h, le 11 novembre, l’escadron quitte le quartier Bréart à Tunis avec tous ses matériels, équipements et chevaux (100). En une seule étape, il se porte à Medjez el-Bab où il arrive le 12, à 6 h 30. Sur place, les gardes commencent à s’installer en position défensive.

L’escadron motocycliste 2/8, en résidence à la Marsa, commandé par le capitaine Feld, est affecté au détachement du chef de bataillon Michel, du 43e R.I.C., rattaché au groupement motorisé du colonel Le Coulteux, chef de corps du 4e R.C.A. Dans un premier temps, le 11 novembre, il rejoint à Tunis le quartier Forgemol où stationne le sous-groupement motorisé du chef de bataillon Michel. Coloniaux et gardes sont chargés de retarder, en évitant le combat, aussi paradoxal que cela puisse paraître, le déploiement des formations allemandes en cours de débarquement. Leur action vise principalement à permettre l’évacuation du matériel (armement, munitions, carburant, etc.) et des troupes stationnées à Tunis. La mission assignée au chef de bataillon Michel est difficile. À tous moments plane sur ses hommes la menace d’être capturés, sans pouvoir combattre. Le 12, l’escadron fait mouvement vers les jardins du Palais Beilical où il passe la nuit. Le lendemain, un premier bond le conduit jusqu’au carrefour de Sidi-Tablet, à 12 kilomètres de Tunis. Le 15, les Allemands poussent quelques reconnaissances sur les itinéraires desservant la capitale. À 21 h, une compagnie motorisée surgit. Elle encercle l’escadron. Conformément aux ordres, malgré la tension qui est vive, les officiers parlementent. Pendant deux heures, ils réussissent l’exploit de retenir sur place la formation allemande. L’escadron se replie vers minuit sur la coupure de la Medjerda. Le 16, à la tombée de la nuit, il atteint la rive gauche de la rivière, alors que les Allemands font mouvement vers la rive droite. Le 17, à 15 h, deux chasseurs Spitfire de la Royal Air Force le survolent. En signe de reconnaissance, ils battent des ailes. Des éléments portés de l’armée britannique relèvent les gardes le 18. Après ces mouvements, l’escadron s’installe à 3 kilomètres à l’ouest du nœud ferroviaire et routier de Medjez el-Bab.

L’escadron 4/8, stationné au Kef, en manœuvre au nord de Tunis depuis le 23 octobre, reçoit l’ordre, le 7 novembre, de rejoindre sa résidence. Par voie ferrée, il gagne le Kef dans la journée du 8. Jusqu’à la date de son affectation au groupement du général Moreux, le 23 novembre, il reste dans ses quartiers, en alerte. Ultérieurement, il participe aux opérations militaires jusqu’à la fin de la campagne. Le groupement du général Trémeau, commandant la subdivision de Sousse, absorbe l’escadron motocycliste 5/8 du capitaine Oudin. Alerté le 8 au matin, l’escadron passe aux ordres directs du colonel Le Courtier, commandant le sous-groupement motorisé n° 2. Les gardes couvrent son mouvement sur l’itinéraire Sousse-Enfidaville-Pont-du-Fahs. Du 12 au 20, l’escadron garde à Sloughia le pont sur la Medjerda, prêt à mener, le cas échéant, une action retardatrice sur Testour.

L’escadron porté 6/8, en garnison à Gafsa, entre dans la composition du sous-groupement du colonel de Hesdin mis sur pied dans la subdivision de Gabès. Le 16, il éclaire et couvre la marche du sous-groupement de Gafsa à Tebessa puis, jusqu’au 20, bivouaque successivement à Bekkaria, La Meskrana et Youks-les-Bains. À partir du 20, il passe au groupement du colonel Schwartz de la division de Constantine.

Sans combattre, les troupes du général Barré arrivent sur leur ligne de repli le 20 novembre. Pour parer à la menace allemande, le général Barré, investi du commandement supérieur pour la Tunisie, demande au général Welvert, commandant la division de Constantine, d’envoyer un détachement à Souk el-Arba en vue de constituer la réserve du théâtre d’opérations est. Le colonel Lorber, chef de corps du 3e R.T.A., en prend la tête. Son groupement comprend 2 bataillons d’infanterie (3e R.T.A. et 15e R.T.S.), 1 groupe d’artillerie (67e R.A.A.) et l’escadron motorisé de la garde en résidence à Sétif (7e régiment).

Dans les jours qui suivent, quatre escadrons du 7e régiment font mouvement vers la Tunisie : le 9/7 à cheval du capitaine Boulanger, rattaché au groupement tactique du colonel Regnault, commandant le 7e R.T.A., celui de Tlemcen, commandé par le capitaine Delpy, intégré dans le groupement du colonel Touzet du Vigier, et deux autres dont celui d’Hussein-Dey. Au total, au début du mois de décembre 1942, 10 escadrons (5 du 7e régiment et 5 du 8e régiment) sont engagés dans la campagne de Tunisie au sein du détachement d’armée du général Juin.

Les hostilités commencent le 19 novembre à Medjez el-Bab, petite bourgade située sur la Medjerda, au milieu de la plaine qui s’étend entre la grande dorsale et les montagnes côtières, au carrefour des deux grandes routes Bizerte-le Kef et Tunis-Alger.

Le colonel Le Coulteux de Caumont, qui a tenu les Anglais en échec le 16 juin 1941 à Qunaytra (Levant), va subir le premier assaut de la campagne. Son groupement dispose de 500 hommes établis en hérisson à Medjez el-Bab. Le dispositif s’articule en 4 sous-groupements. Le détachement du chef d’escadrons Klobukowski (1 escadron d’A.M., 1 peloton motocycliste, 1 section d’artillerie, 1 compagnie du 43e R.I.) tient une solide barricade, en avant du passage à niveau au nord de la gare, et surveille les rives de la Medjerda entre la station de chemin de fer et l’agglomération. Ses autos-mitrailleuses s’échelonnent de Medjez el-Bab vers le nord, en direction de Tebourba. Le sous-groupement du chef d’escadrons de Lambilly (2 escadrons du 4e R.C.A., l’escadron 1/8 de la garde, 2 pelotons de chars et 3 pièces du 62e R.A.A) défend le pont sur la Medjerda et la rive gauche de la rivière, de part et d’autre de ce passage. Au nord du pont, un groupe de combat du 1/8 occupe un point de franchissement sur un oued affluent de la Medjerda. Au sud du pont, un escadron de chasseurs surveille le long de la rivière. Un deuxième escadron est en position en arrière. Sur la route de Téboursouk s’échelonnent, en réserve, 2 pelotons d’A.M., 1 peloton motocycliste du 4e R.C.A., 1 compagnie du 43e R.I.C. et 1 section du 62e R.A.A. du détachement du capitaine Bouchard.

À 3 kilomètres à l’Ouest de Medjez el-Bab, le sous-groupement du chef de bataillon Michel (2 compagnies du 43e R.I.C., l’escadron 2/8 du capitaine Feld, 1 peloton d’A.M. du 4e R.C.A. et 2 sections du 62e R.A.A.) participe à la défense d’un point d’appui voisin.

Dans la nuit du 18 au 19, le colonel Le Coulteux reçoit le renfort inattendu d’une batterie d’artillerie, servie par des Américains, constituée de 2 pièces antichars, d’une pièce de D.C.A. et deux canons de 75 m/m.

Les Allemands accentuent leur pression. Un bataillon de l’Afrika Korps, de l’artillerie et des éléments antichars prennent position en face du dispositif du colonel Le Coulteux. Le 18, ce dernier reçoit à son P.C. le ministre Mulhausen, envoyé spécial du Haut commandement allemand, accompagné d’officiers français et allemands de la commission d’armistice qui lui enjoignent de se déclarer pour ou contre eux. Un officier parachutiste de l’Afrika Korps se présente même à la barricade installée par le détachement de Lambilly, près de l’église de Medjez el-Bab, et somme son homologue français de le laisser passer. Devant le refus ferme qu’on lui oppose, il rebrousse chemin.

Le 19, vers 8 h, deux Messerchmidt apparaissent au-dessus de Mejez el-Bab. Soudainement, ils piquent sur la partie ouest du village. La D.C.A. américaine ouvre le feu sans les atteindre. Cette riposte irrite les Allemands. À 8 h 45, un lieutenant allemand se présente devant une barricade porteur d’un ultimatum :

« Si à 9 h la garnison de Medjez el-Bab ne s’est pas ralliée, elle sera anéantie. »

Les Français n’obtempèrent pas. À 10 h 30, les Allemands déclenchent l’attaque. Une vingtaine de Stukas surgissent de l’horizon. Simultanément, ils bombardent Medjez el-Bab et mitraillent les positions tenues par les soldats français. L’ouest du village disparaît dans la poussière et la fumée des explosions. L’aviation s’acharne sur les routes et détruit plusieurs véhicules du groupement Le Coulteux. Le garde Fischer, de l’escadron 1/8, ajuste d’une poigne solide le tir de son F.M. vers les avions. Une mitrailleuse allemande a repéré sa pièce. Il est tué sur le coup par un projectile. Cet Alsacien est la première victime française de la campagne de Tunisie. Les Allemands détruisent une pièce de 37 américaine et blessent deux chasseurs. À peine le bombardement aérien est-il terminé que l’artillerie allemande entre en action. Canons de 77 et minenwerfers prennent à partie les unités françaises enterrées en bordure de la Medjerda. Les parachutistes de l’Afrika Korps profitent de cette couverture pour franchir la rivière à guet. À partir des remblais de la berge où ils se sont dissimulés, ils bondissent sur les chasseurs assurant la défense sud du pont. Malgré des tués et des blessés, ces derniers stoppent les assaillants puis les obligent à se replier. Grâce au soutien et à la contre-attaque d’un escadron du 4e R.C.A. et d’une section du 43e R.I.C., les Français repoussent un nouvel assaut des parachutistes mais au prix de sept tués et blessés en quelques minutes.

Dans l’impossibilité de pouvoir s’engager sur la chaussée, les fantassins allemands s’infiltrent sous les arches du pont, progressent et atteignent le carrefour menaçant de couper les gardes du 1/8 du reste du détachement. L’escadron attaque à la grenade et au F.M. Avec l’appui d’un peloton de trois chars D1 et d’une section de coloniaux, il rejette l’ennemi vers la rivière.

En vain, plus au nord, les Allemands essayent de franchir la Medjerda. Chasseurs, coloniaux et gardes les refoulent et restent maîtres du terrain malgré une ultime attaque aérienne aux environs de 16 h 30.

Par trois fois, dans la journée du 19, l’aviation ennemie bombarde l’escadron 2/8, en réserve à l’ouest de Medjez el-Bab. À 11 h 45, 13 Stukas déversent des bombes sur sa position qui entraînent la destruction d’un camion et de trois side-cars. Quelques instants plus tard, le garde Biré tombe à son poste de combat. Les deux autres raids, à 14 h 30 et 16 h 30, ne provoquent ni pertes ni dégâts.

Dans la soirée du 19, le calme s’installe. L’ennemi ne se signale par aucune activité. Pour la journée, le groupement Le Coulteux déplore 13 tués dont 2 gardes, 46 blessés et 6 disparus.

Alors que le gros des forces alliées est encore très éloigné de la Tunisie le 19 novembre, le combat qui vient de se dérouler, peu important en soi, opposant les troupes du général Barré, dépourvues d’aviation, d’armement et d’équipements modernes, aux forces de l’Axe, aguerries, bien armées, revêt cependant une importance symbolique capitale. Il marque la renaissance de l’armée française depuis la défaite de 1940 et l’entrée en lice de l’armée d’Afrique dans le combat libérateur auquel les 7e, 8e et 9e régiments de la garde vont apporter leur concours.

Le 9 novembre au matin, alors qu’on entre dans le second jour du débarquement américain, le général Bridoux, ministre secrétaire d’État à la Guerre, a par message 128 EMA sonné le branle bas de combat parmi les unités de l’armée de l’armistice, déjà en alerte depuis la veille. Les généraux Langlois et Lenclud, commandant respectivement les groupes de divisions militaires d’Avignon et de Royat reçoivent successivement l’ordre et le contre-ordre de rejoindre les zones de repli prévues en cas d’envahissement de la zone sud par les Allemands. Dans les régiments de la garde, les instructions se répercutent jusqu’à l’échelon des escadrons. À Orange, le commandant d’escadron, le capitaine Grange (André) met ses hommes sur pied de guerre et leur annonce un départ imminent pour rejoindre une zone d’attente. Mais aucun ordre nouveau ne lui parvient. Les choses en restent là.

À Montpellier, le général de Lattre de Tassigny, commandant la 16e division militaire, n’a pas l’intention de se conformer aux dernières directives du général Bridoux. Pour pouvoir combattre l’envahisseur, il maintient les ordres préparatoires prescrivant à sa division de rejoindre le Minervois.

Dans la nuit du 10 au 11 novembre, Hitler déclenche le plan « Attila ». Les troupes allemandes, massées depuis quelques jours en limite de la zone occupée, franchissent la ligne de démarcation pour occuper la partie du territoire métropolitain qui n’est pas encore sous leur contrôle. L’armée de l’armistice ne leur oppose aucune résistance. Seul réagit le général de Lattre de Tassigny. Mais trop isolé, son entreprise tourne court. Le 11 novembre à 11 h, il quitte Montpellier avec quelques officiers de son état-major et un détachement de protection, aux ordres du capitaine Quinche, constitué par quatre officiers et 180 hommes de l’école des cadres de Carnon. Parmi eux, le garde Elie Denoix, de l’escadron de Mende. Le général de Lattre, intercepté à Saint-Pons par la gendarmerie, sur ordre du préfet régional de Montpellier, estime la situation sans issue et se laisse arrêter.

En Corse, les Italiens débarquent à Bastia le 11 novembre. Le lendemain, ils occupent Calvi, Ajaccio et Bonifacio. Les quelques troupes stationnées dans l’île de Beauté (1 bataillon d’infanterie, des éléments de la marine et 1 compagnie motocycliste de la garde créée en 1934) assistent impuissantes à leur arrivée.

Du 13 au 15, le général Humbert, commandant la subdivision, visite les unités. Il donne personnellement par écrit au capitaine commandant l’escadron 4/2 l’ordre de détruire tous les matériels, sans autre avis, en cas de menace par les troupes italiennes. Visiblement, l’officier de la garde a bien l’intention d’appliquer à la lettre les instructions reçues.

La zone libre a cessé d’exister. Le 13 novembre, le maréchal Pétain lance un ordre du jour à l’armée de l’armistice, pour appeler au calme, dans l’attente d’ordres qui ne viendront jamais. L’occupant consigne les unités dans leurs quartiers. Le 26 novembre, Hitler adresse un message au chef de l’État pour l’informer de la démobilisation de l’armée :

« J’ai donné l’ordre de démobiliser toutes les unités de l’armée française qui, contre l’ordre des propres autorités françaises, sont excitées par des officiers à une résistance active contre l’Allemagne. »

Le 27 novembre, à l’aube, les troupes d’occupation investissent les casernes et saisissent armes, munitions, matériels, véhicules et équipements. Cependant, l’opération ne vise pas la garde que les Allemands veulent démilitariser et rattacher à la police. Dans plusieurs garnisons, les autorités militaires allemandes interprètent mal les instructions prévues, si bien que des unités de la garde connaissent la même infortune que leurs homologues de l’armée de l’armistice. Le 27 novembre, vers 10 h, un bataillon allemand pénètre dans le quartier de l’escadron de la garde d’Orange et s’empare de tout l’armement. Le capitaine Grange, assisté d’un interprète, se rend immédiatement auprès du commandement local allemand pour en obtenir la restitution. Ses interlocuteurs prétextent une erreur pour expliquer leur intervention. Avec leur accord, l’escadron vient reprendre possession de son bien stocké dans la caserne voisine du 12e cuirassier. Les gardes profitent de l’occasion pour récupérer, à l’insu des Allemands, des armes et du matériel appartenant à cette unité.

À Lyon, les Allemands envahissent la caserne de la Part-Dieu siège de l’état-major du 1er régiment. Le lieutenant-colonel Bretegnier « se refuse à risquer de rester captif entre leurs mains ». Il réussit à quitter les lieux sans se faire remarquer. Avec la dissolution de l’armée de l’armistice, il considère que la garde n’offre plus la perspective de réaliser le rêve de revanche qu’il caresse comme beaucoup d’officiers. Aussi envisage-t-il de retourner dans la vie civile. Avant de prendre une décision, il prend conseil auprès du général Delestraint. Le futur chef de l’armée secrète (A.S.) l’encourage à ne pas quitter la garde :

« Restez à votre place où vous serez susceptible de nous rendre de grands services. Si vous la quittez, vous serez remplacé peut-être par un autre qui n’aura pas vos sentiments. »

Quelques mois plus tard, déplacé pour le maintien de l’ordre dans les Alpes, en qualité d’adjoint du général Le Bars, pour rechercher les bandes de réfractaires, le lieutenant-colonel Bretegnier, qui ne veut pas être amené à combattre contre des Français dont il approuve la conduite, revoit le général Delestraint à Bourg et lui fait part de ses sentiments. Le chef de l’A.S., une nouvelle fois, lui recommande de rester à son poste « pour agir au mieux des intérêts de ceux qu’il pourrait protéger ou épargner alors qu’un autre leur déclarerait peut-être une guerre sans merci ».

En Corse, ce 27 novembre, les Italiens passent eux aussi à l’action. Les troupes françaises appliquent les instructions du commandant de la subdivision. Au quartier du 4/2, les gardes détruisent 60 side-cars, 4 motocyclettes, 3 camionnettes, 1 camion, le stock de pneus et de carburant. Les organes liquidateurs de l’armée se mettent en place dans les différentes armes et corps. Ils renvoient dans leurs foyers les hommes du rang et répartissent dans différentes administrations, les officiers et sous-officiers placés en congé d’armistice. L’entrée de l’Amérique dans la guerre, en Afrique du Nord, suscite, chez tous les patriotes, un immense espoir, car son potentiel est de nature à en modifier le cours. Le traumatisme consécutif à l’occupation de la zone sud est profond. L’armée de l’armistice démobilisée, la question se pose du devenir des 6 régiments de la garde stationnés en métropole.

Chapitre 3 - DANS L’ARMÉE DE L’ORDRE

À la démobilisation de l’armée française, le 27 novembre 1942, le Gouvernement parvient à sauvegarder l’existence en métropole des 6 régiments de la garde. Pourquoi cette arme, récemment créée, est-elle épargnée ? Pour le général Perré, qui en deviendra le directeur, c’est « à cause de son loyalisme éprouvé ».

D’autres affirment que les autorités ont voulu empêcher que quelques milliers d’hommes ne sombrent dans la clandestinité. En fait, son caractère de force spécialisée dans le maintien de l’ordre lui a évité de connaître la fin funeste de l’armée de l’armistice. Fin 1942, la nécessité s’impose à l’État français de renforcer les effectifs de police, pour mieux asseoir son autorité et assurer la sécurité publique mise en péril par la subversion.

Tout danger de suppression de la garde étant écarté, il y a urgence pour les pouvoirs publics, dans l’attente de l’aménagement de son futur statut, à négocier avec l’occupant, d’arrêter les règles de son emploi. Dès le 8 décembre 1942, par circulaire n° 66 S.G./Pol, René Bousquet, secrétaire général à la police, en fixe les grandes lignes. Trois mois plus tard, par dépêche du 8 mars 1943 n° 96 S. G-Pol/M.O., il les rappelle aux préfets régionaux et départementaux. Quelles sont les principales dispositions contenues dans ces textes ? La garde, règle fondamentale, ne peut agir que sur réquisition de l’autorité civile. La réquisition équivaut à une demande, adressée au nom d’une loi, par les autorités dépositaires du pouvoir administratif, de faire agir légalement la force publique. Son emploi, pour le maintien de l’ordre, n’est donc pas du ressort de ses chefs auxquels il appartient seulement de mettre à exécution les réquisitions. Autre particularité, le secrétaire général à la police gère, au niveau central, l’emploi des escadrons laissé antérieurement à l’initiative des préfets :

« Je me réserve, écrit Bousquet, de donner personnellement des ordres en ce qui concerne l’emploi de ces unités et de les mettre éventuellement, sur votre demande, à votre disposition en dehors des cas très graves nécessitant une intervention d’extrême urgence où vous pouvez les requérir directement… »

D’autre part, la garde ne peut agir que dans les limites territoriales de la zone sud (ancienne zone libre). Ensuite, il précise ses missions ainsi qu’une disposition à caractère technique :

« La garde est une formation militaire qui du fait de son organisation et de son armement est spécialement adaptée aux missions de maintien et de rétablissement de l’ordre. Elle ne doit être employée que par escadrons constitués… »

Enfin, une charge nouvelle de service courant lui incombe. À défaut de personnels spécialisés, elle assurera la surveillance des établissements et des prisons militaires.

Laval nourrit un projet ambitieux quant à son organisation future. Avec ses 6 000 cadres et gardes qui en constitueraient le noyau, il envisage de mettre sur pied une nouvelle formation de l’armée de Terre, composée de 50 000 hommes, à vocation opérationnelle intérieure, en clair capable de remplir des missions de maintien de l’ordre.

Le 21 janvier 1943, il adresse son plan, pour approbation, aux autorités allemandes. Or Hitler est hostile à tout ce qui peut devenir le noyau d’une nouvelle armée. Quelques semaines plus tard, le feldmarschall von Rundstedt, commandant en chef à l’ouest, informe le chef du Gouvernement de sa décision :

« Le haut commandement de la Wehrmacht, après examen approfondi du plan, a été amené à se rendre compte que ce projet ne répondant plus à la conception allemande, ne pourra constituer une base appropriée à la mise sur pied des formations de l’armée de Terre française si bien que le plan présenté par le Gouvernement français a dû être rejeté.

Par contre, le haut commandement de la Wehrmacht juge à la fois opportun et nécessaire de la soustraire (la garde) par conséquent à la compétence du secrétariat d’État à la Guerre pour la placer sous l’autorité de monsieur le secrétaire général à la Police.

J’ai l’honneur de porter cette décision à la connaissance du Gouvernement français et de lui demander de faire le nécessaire pour que le transfert de la garde au secrétariat d’État à la Guerre à celui de la Police soit effectué avant le 25 mars au plus tard. »

Les Allemands exigent en fait la démilitarisation de la garde. Or, pour la placer sous l’autorité du secrétaire général à la police, une loi est nécessaire car ce haut fonctionnaire n’est qu’un organe d’exécution dépendant du ministère de l'Intérieur. Il faut donc la rattacher à ce ministère qui pourra alors la mettre pour emploi à la disposition du secrétaire général à la police. C’est chose faite par la loi du 24 mars 1943 qui dispose « qu’à partir du 1er avril 1943 les formations de la garde qui conservent leur structure du moment sont placées sous l’autorité du ministre secrétaire d’État à l’Intérieur ».

À partir du 1er avril, la garde relève directement du secrétariat général à la police dirigé par René Bousquet. Cet organisme, institué par la loi du 16 février 1941, administre et dirige toutes les formations de la police reformée en profondeur par la loi du 23 avril 1941. Sa compétence s’étend à toutes les questions ayant trait au maintien de l’ordre dont le suivi incombe à deux anciens officiers, directement rattachés au cabinet du secrétaire général à la police : le colonel Marty (André) et le capitaine Aviron-Violet, ancien polytechnicien. Dans chaque région administrative, un intendant de police flanque le préfet régional assisté d’un petit état-major opérationnel en liaison avec le cabinet de Bousquet. Le 21 juin 1943, une circulaire transforme cette cellule en service technique régional du maintien de l’ordre qui comprend deux conseillers. L’un s’occupe des questions d’emploi des différentes forces et de l’établissement des plans de maintien de l’ordre, l’autre dit « technique » est chargé des relations avec les services de soutien logistique et des transports.

Au début de l’année 1944, Darnand remplace le colonel Marty par le colonel Dupuy (Charles) qui s’entoure d’une équipe comprenant une quinzaine d’officiers supérieurs et subalternes issus de l’armée de l’armistice. Son service, plus étoffé, devient le service technique du maintien de l’ordre (S.T.M.O.) chargé de mettre à exécution les décisions du ministère de l'Intérieur. Il élabore les études relatives à l’organisation générale et à l’instruction à donner aux forces du M.O. en vue de les adapter à leurs missions. C’est lui aussi qui centralise les renseignements permettant de mettre en œuvre la force publique. L’étude des plans de M.O. et de rétablissement de l’ordre, l’organisation des transports et des ravitaillements de toute nature des unités en opérations sont de son ressort.

Avec la loi du 24 mars, la garde devient partie intégrante de l’appareil policier du régime de Vichy, véritable armée forte de 130 000 hommes répartis dans 8 corps et services (gendarmerie, garde de Paris, G.M.R., corps urbains, gardes des communications, sapeurs pompiers de Paris, Francs-gardes de la Milice, préfecture de Police de Paris). Au sein de cette troupe hétérogène, elle se classe dans la catégorie dite des forces mobiles du M.O. composées des G.M.R (11 600 hommes), des francs-gardes de la Milice (6 695 hommes) et des gardes des communications (7 000 hommes).

D’autres textes législatifs, dans les semaines qui suivent, parachèvent les transformations entreprises. Création le 1er avril d’une direction générale. Le 24 mai, organisation générale de la garde. Le 28, transfert au secrétaire d’État à l’Intérieur de tous les pouvoirs à l’égard des personnels confiés auparavant au secrétaire d’État à la Guerre, disposition qui vise à préserver son caractère militaire auxquels sont très attachés les personnels.

Progressivement s’ébauche la nouvelle physionomie de la garde. Dès le mois de mars, le secrétaire général à la police recherche un directeur général. Il soumet initialement au général Oberg le nom du colonel D.. mais n’obtient pas son agrément. Son choix se porte sur le général Perré (Jean, Paul), un cavalier, né le 27 mars 1893 à Saint-Martin de Tertre (Yonne). Les deux hommes se connaissent. Leur rencontre remonte à l’hiver 1939-1940 à Châlons-sur-Marne. Le colonel Perré, détaché par le Grand Quartier général, y organise le noyau d’où doivent naître les divisions cuirassées. Bousquet occupe le poste de secrétaire général à la préfecture. Le secrétaire d’État à la Guerre, le général Bridoux, consulté par Bousquet, émet un avis favorable à sa nomination. Sa position n’a rien de surprenant. N’est-il pas camarade de promotion à Saint-Cyr et de groupe à l’école de guerre du général Perré.

Avant de rendre sa réponse, le général Perré rencontre successivement le chef du Gouvernement et le maréchal Pétain. Au premier, il pose ses conditions :

« S’il s’agit de transformer la garde en une troupe de policiers, je n’ai pour cela aucune compétence, mais par contre j’entreprendrai volontiers de poursuivre et d’amplifier la rénovation déjà commencée en attirant dans l’arme de bons éléments de l’armée dissoute et des jeunes gens à vocation militaire ; en un mot de créer une petite "Reichswehr" qui, quoiqu’il arrivât, serait précieuse pour les reconstructions futures. »

Au chef de l’État, le général Perré indique également la politique qu’il entend suivre. Pétain lui donne l’ordre d’accepter le poste proposé et l’assure de son appui en cas de difficultés avec l’occupant.

Le général Oberg, en dernier ressort, n’émet aucune objection à la nomination au poste de directeur général du candidat présenté par Bousquet.

Finalement, le décret n° 1033, du 7 avril 1944, porte nomination du directeur général.

De son côté, le secrétariat d’État à la Guerre pressant le chef d’escadrons Robelin (Rémi, Thomas) pour assumer les fonctions de sous-directeur technique. Cet officier, issu de la Garde républicaine mobile, a vu le jour le 4 octobre 1906 à Dijon (Côte-d’Or). Il se trouve en poste à Clermont-Ferrand où il commande le 1er groupe du 4e régiment. Son expérience de chef de bureau, acquise en 1941 et 1942 à la sous-direction de la garde, alliée à de solides qualités foncières, le désigne pour occuper ce poste.

Conseillé par le général Frère, fondateur de l’O.R.A., qui connaît ses capacités et son patriotisme ardent, il accepte d’être affecté à la direction générale. Il n’ignore pas les difficultés qui l’attendent car le général Verneau, pour le compte de l’O.R.A., lui a confié secrètement une triple mission. Ne doit-il pas, en effet, comme le rappellera le général Pfister en 1945 « d’une part, neutraliser l’action du général Perré, d’autre part, canaliser la participation de la garde au maintien de l’ordre et préparer son entrée en action au moment de l’insurrection ».

Le troisième poste de responsabilité, à la direction générale, Bousquet le confie à un M. de Thore, un administrateur civil qui coiffe la sous-direction administrative.

Pour mieux cerner le rôle que vont jouer dans les mois à venir le général Perré et le chef d’escadrons Robelin, principal pilier de son état-major, il semble utile d’évoquer leur passé. En 1917, jeune officier, le futur directeur général de la garde sert au 12e groupe de chars d’assaut où il se distingue. Après la Première Guerre mondiale, il se bat en Pologne contre les bolcheviks et obtient une citation pendant la bataille de Varsovie. Au cours de la campagne de France, après le 13 mai 1940, n’étant que colonel, le commandement de la 2e division cuirassée lui échoit à un moment critique. Le général Buché, son chef, disparaît seulement quelques jours après son engagement. La division disloquée et qui a subi de lourdes pertes cesse pratiquement d’exister en tant que grande unité. Malgré tout, à la tête des éléments rescapés, renforcé par quelques compagnies autonomes de chars, le colonel Perré obtient des succès tangibles. Par ordre n° 172/C. du 23 août 1940 le général commandant en chef des forces terrestres le cite à l’ordre de l’armée pour le motif suivant :

« Perré (Jean), colonel commandant la 2e D.C.C. Depuis le 20 mai 1940, a commandé avec autorité une division cuirassée, grâce à ses qualités de méthode, à son intelligence hors de pair, à son audace raisonnée alliée à une profonde connaissance des possibilités des matériels.

Les 24 et 25 mai, a repris les ponts sud de Péronne par d’audacieuses actions de nuit ; en juin 1940 a forcé l’admiration des Highlanders lors d’une attaque commune, permis à deux corps d’armée durement engagés de se dérober et détruit 300 engins blindés ennemis.

Enfin, étant encerclé au nord de la Loire, s’est frayé de vive force un passage et a réussi à regrouper sa division au sud de ce fleuve en exécution de la mission fixée. »

Sa réputation de spécialiste des chars n’est pas usurpée. Après la Première Guerre mondiale, il écrit plusieurs ouvrages qui font autorité et dirige le service de la section de chars de combat rattaché à la direction de l’infanterie. Même s’il ne suit pas toujours les enseignements du général Estienne, précurseur dans l’emploi de l’arme blindée, il se réclame de lui. On le retrouve en poste au ministère de la Guerre. Pendant quelque temps, il travaille avec la commission de l’armée de la Chambre des députés avant de faire partie de deux cabinets ministériels (Painlevé et Maginot). En 1935, il est proposable au choix pour l’avancement au grade de colonel en même temps que le lieutenant-colonel de Gaulle, son aîné de trois ans. Par la suite, les deux officiers entrent en compétition pour obtenir le commandement d’un régiment de chars de combat. Or seul est disponible le 507e R.C.C. Le duel s’annonce serré. Le poste échoit finalement au colonel de Gaulle. Son malheureux concurrent reçoit le commandement du 8e zouave, régiment au passé glorieux, stationné à Mourmelon. Pour le colonel Perré, c’est la déception. Pourtant, le 8e zouave est à l’époque complètement motorisé. Déjà il s’entraîne en vue de constituer l’embryon d’une future division cuirassée expérimentale. Depuis ce moment, le colonel Perré semble nourrir une certaine rancœur à l’égard de celui qui va devenir le chef de la France Libre et dont il ne partage pas les théories en matière d’emploi des chars. À propos de ce ressentiment, Jean François Perrette, ancien officier de renseignements à la 2e division cuirassée, exprime sans complaisance son point de vue :

« Son antipathie pour de Gaulle s’aggrava cependant de cette compétition ; il ne le cachait pas.

Mauvais conseiller, ce complexe nuancé de haine explique en partie la position essentiellement anti-gaulliste et le déplorable comportement qu’il eut durant l’occupation à l’encontre de la Résistance. »

S’il convient de nuancer son jugement très sévère, il n’en est pas moins vrai qu’il reflète une réalité que l’on ne doit pas sous estimer.

Après l’armistice, le colonel Perré affiche une fidélité inconditionnelle au chef de l’État. De septembre 1940 à mars 1942, il donne des gages de loyalisme au régime de Vichy. Membre du tribunal militaire de la 13e région (Clermont-Ferrand) et de sa section spéciale créée en septembre 1941, il se montre un président intransigeant que ce soit à l’occasion d’affaires mettant en cause des militants communistes, des personnalités (Jean Zay, Mendès France, etc.) ou des dissidents gaullistes (affaires de Dakar, Viènot, de Port-Lyautey, etc.).

En Juin 1942, alors qu’il commande l’infanterie divisionnaire à Clermont-Ferrand, le général Delmotte, sous-secrétaire d’État à la Guerre puis le chef du Gouvernement, le pressentent pour former et prendre le commandement d’une division de volontaires (L.V.F.), genre de Légion étrangère, pour combattre avec les troupes allemandes en Russie ou éventuellement sur le front de Turquie. Malgré des promesses alléchantes (avancement et de grosses indemnités), après un délai de réflexion d’une semaine, il se récuse considérant qu’il s’agit d’une mission impossible à remplir. Son refus ne choque pas le Maréchal. Au contraire.

Courant 1943, en reconnaissance de ses services, le Maréchal lui décernera la Francisque gallique, l’insigne de fidélité. Il sera enregistré sous le numéro 2439. Ses parrains, le docteur Menetrel et le général Campet, justifieront de son passé sans tache et de sa bonne conduite politique, conditions requises pour la recevoir après en avoir fait la demande écrite et signée. Seuls, les meilleurs serviteurs de l’État Français et de la Révolution Nationale en bénéficiaient. Pour fixer les idées, au vu des listes reconstituées par la Haute Cour de justice en 1945, le nombre des titulaires s’élèvera à 2626 personnes. C’est dire que le général Perré appartenait au cercle étroit des fidèles du chef de l’État. À ce titre, il a dû prêter un serment particulier :

« Je fais don de ma personne au maréchal Pétain comme il a fait don de la sienne à la France. Je m’engage à servir ses disciples et à rester fidèle à sa personne et à son œuvre. »

Son subordonné direct, le chef d’escadrons Robelin, est un officier brillant qui a déjà fait ses preuves. En 1925, une vocation impérieuse le pousse à choisir la carrière des armes. Il entre à Saint-Cyr et en sort sous-lieutenant le 1er octobre 1927. Pour sa première affectation, il sert pendant une année en Algérie au 17e régiment de tirailleurs algériens. De retour en France, il effectue un stage au 9e régiment de cuirassiers à Lyon. En 1931, il réussit au concours d’entrée à l’école des officiers de gendarmerie de Versailles. Ensuite, il obtient le commandement d’un peloton à la cavalerie de la Garde républicaine à Paris. Puis, désireux de compléter ses connaissances militaires, il prépare le concours d’admission à l’école supérieure de guerre où il entre en 1935. Deux événements marquent son stage : une promotion au grade de capitaine, au grand choix, en 1936 et, l’année suivante, l’obtention du brevet d’état-major. Le commandant de l’école de guerre, dans les appréciations qu’il porte à son sujet fait ressortir « une intelligence précise et méthodique, un sens de la manœuvre » qui sortent de l’ordinaire. Le général Bourret, membre du conseil supérieur de la guerre, remarque le nouveau breveté en poste à l’état-major de la 1re région militaire. Lorsqu’il prend en 1939 les fonctions d’inspecteur général de la gendarmerie, il fait appel à lui pour servir à son état-major. À la mobilisation, l’inspection générale de la gendarmerie cesse toute activité. Le général Bourret, commandant de la 5e armée, rejoint son P.C. à Saverne. Le capitaine Robelin le suit au 3e bureau. Pour son courage et sa belle conduite au feu, il obtient une citation à l’ordre de l’armée :

« Officier de choix, s’est dépensé sans compter pendant toute la durée des hostilités en accomplissant avec calme et courage toutes les missions qui lui étaient confiées.

Les 13 et 17 juin 1940 n’a pas hésité à franchir les lignes allemandes dans des conditions particulièrement périlleuses pour accomplir une mission de liaison dont il était chargé. À fait preuve des plus belles qualités de courage et de dévouement. »

Après les jours tragiques de mai et juin 1940, on retrouve successivement le capitaine Robelin à Clermont-Ferrand, officier adjoint au général Gilliot chef d’état-major de la 13e division militaire puis à la 2e brigade de la garde où il exerce les mêmes fonctions auprès du général Bois. Il occupe ensuite un poste de chef de bureau à la sous-direction de la cavalerie et de la garde. Entre-temps, il est nommé chef d’escadrons au choix. Sur sa demande, au mois de mars 1942, il obtient le commandement du 1er groupe de la 4e légion.

La défaite n’entame pas la foi invincible que l’officier possède dans les destinées de la France. La rage au cœur, mais non abattu, il ne songe qu’à reprendre le combat, à faire front et à participer à la lutte contre l’occupant. L’occasion lui en est donnée dès 1941. Le capitaine Paillole, son ami et camarade intime de Saint-Cyr, chef adjoint du contre-espionnage, vient de réorganiser son service pour qu’il soit en mesure, malgré la convention d’armistice, de poursuivre efficacement la lutte contre les forces de l’Axe. Il se met à sa disposition et devient « l’un des meilleurs honorables correspondants du contre-espionnage dans la gendarmerie et la garde ».

Lorsqu’il accepte de prendre les fonctions de sous-directeur technique, le chef d’escadrons Robelin considère que la garde constitue une force à maintenir coûte que coûte, malgré les difficultés de l’heure.

Le général Perré estime lui aussi qu’elle représente un potentiel à sauvegarder à tout prix. Tous les efforts doivent tendre à en faire une troupe de cadres, ayant la meilleure valeur possible, capable de reprendre la lutte. D’où la nécessité de soustraire au contrôle et à la convoitise de l’occupant le maximum de ses moyens : armement, munitions, matériels, véhicules, effectifs.

Cependant, les deux hommes ont une vision différente du rôle qu’elle doit jouer dans la perspective de la revanche. Le général Perré se retranche derrière l’autorité du maréchal Pétain auquel il voue légitimement beaucoup d’admiration et un attachement indéfectible. Il partage une idée dominante, commune à beaucoup de hauts fonctionnaires de Vichy, d’après laquelle il faut prioritairement sauvegarder la légitimité du pouvoir du Maréchal pour qu’il puisse en assurer la passation au général de Gaulle. À ses yeux, le chef de l’État incarne la légitimité. Ce n’est que lorsqu’il en donnera le signal, et à ce moment-là seulement, qu’il prescrira à la garde de se retourner contre l’occupant. Le contenu de l’entretien qu’il a en avril 1944 avec le maréchal Pétain confirme sa position :

« Puis il m’expose que l’existence de la garde, à ses yeux, a une importance capitale parce qu’il ne s’agit pas seulement de conserver un noyau de cadres pour les reconstructions futures : "Quand je changerai de politique, il me faudra bien disposer de quelques forces pour le manifester clairement." Je lui demande si je dois comprendre qu’il nous donnera un jour l’ordre de tirer sur les boches. "Oui, répond-il. Est-ce que vos gardes marcheraient ?" Bien sûr, Monsieur le maréchal, avec enthousiasme. "Malheureusement vous n’avez que 6 000 hommes ; ça n’est pas beaucoup, et ils sont souvent dispersés." J’expose alors que j’ai déjà envisagé cette hypothèse et que je me suis assuré le nécessaire pour doubler mes effectifs avec des volontaires qui ne manqueraient pas ; que par ailleurs j’agis autant qu’il est en mon pouvoir contre la dispersion des unités et pour le maintien d’un gros paquet à Vichy et dans les environs. »

Contrairement au directeur général, le chef d’escadrons Robelin veut faire de la garde un outil au service de la Résistance.

Ainsi, en fonction des objectifs qu’ils s’assignent respectivement, l’un et l’autre vont se livrer à un double jeu obligatoire mais qui ne peut forcément se dérouler de la même façon. Le général Perré va toujours agir dans l’optique du maréchal Pétain, alors que le sous-directeur technique se positionne en faveur de la Résistance. De cette situation naissent des ambiguïtés. Dès lors qu’il faut tromper l’occupant, ils conjuguent leurs efforts. Dans d’autres circonstances, le chef d’escadrons Robelin doit s’employer à limiter les conséquences des décisions prises par son supérieur. Naturellement, le général Perré ignore tout de ses relations avec la Résistance et de sa mission secrète. Il entretiendra de bons rapports avec lui jusqu’au 6 juillet 1944, date à laquelle il apprendra avec consternation son action en sous-main.

La création de la direction générale débute par le choix des personnels appelés à y servir. Le sous-directeur technique a toute latitude pour former son équipe. Il s’entoure d’officiers dans lesquels il a entière confiance comme le capitaine Grange (André) commandant l’escadron d’Orange, un Bourguignon lui aussi, qui a servi dans les tirailleurs algériens avec son frère ou le capitaine Bouchardon, son condisciple en 1935 au régiment de cavalerie de la Garde républicaine, etc. Pour le seconder, le général Perré met à sa disposition le commandant Tharaux, de l’état-major du général Frère, récemment admis au concours d’entrée à l’école de guerre. De son côté, le directeur général fait appel à des officiers qui ont servi directement sous ses ordres, tel le chef d’escadrons Chazalmartin, capitaine à l’état-major de la 2e division cuirassée pendant la campagne de France.

Le commandement organise ensuite la direction qui, comme toutes les administrations centrales, s’installe à Vichy. Ses bureaux se trouvent à l’hôtel Radio, grand bâtiment désaffecté de plusieurs étages, réservé dans sa plus grande partie à l’aviation et qui se situe boulevard des États-Unis, près de l’Allier, à proximité de l’Ambassade d’Allemagne.

La direction générale, coiffée par le directeur général, se substitue à l’ancienne sous-direction de la garde rattachée à la cavalerie. Cette structure lui confère, en matière administrative et financière, une plus grande autonomie que par le passé. Des chargés de mission (intendants, chanceliers d’administration, etc.) assistent le directeur général qui dispose d’un secrétariat particulier dirigé par un officier supérieur, le chef d’escadrons Serpeaux.

Dans ses grandes lignes, la structure de la direction générale est analogue à celle d’un état-major militaire. Elle s’articule en deux sous-directions. Une sous-direction technique en constitue l’élément moteur. Aux ordres d’un officier supérieur, le sous-directeur technique, elle comprend trois services. Un bureau instruction/emploi (1 officier supérieur en même temps adjoint du sous-directeur technique), un bureau organisation/matériel (1 officier supérieur), un service auto (1 officier supérieur). Une sous-direction administrative, dirigée par un administrateur civil assisté de quelques officiers, comprend en majeure partie des employés civils. Toutes les questions de gestion et de logistique lui incombent.

Malgré la nouvelle orientation prise par la garde, ses effectifs ne changent pas. Son plafond reste fixé à 6 000 hommes conformément aux clauses de la convention d’armistice. Jusqu’en novembre 1942, les divers ministres de la Guerre qui se sont succédé ont rajeuni l’encadrement en y affectant de jeunes officiers de cavalerie. Le général Perré, non sans difficultés, parvient à porter leur nombre de 180 à 240. Pour cela, il fait appel à des volontaires de l’armée dissoute. En 1943, la garde devient un corps d’accueil pour beaucoup d’officiers issus de la cavalerie. D’autres, appartenant à l’infanterie, y trouvent aussi leur place. Avant de recevoir une affectation définitive, les officiers subalternes, sous-lieutenants, lieutenants et capitaines effectuent un stage, pendant au moins 6 mois, dans les différents types d’escadrons (motorisés, portés, montés). La plupart des chefs de corps qui se succèdent entre 1943 et 1944, à l’exception des colonels Pratx, Bretegnier, Throude, Ramel et Courtois issus de la G.R.M., proviennent des corps de troupes (colonels Favier, Mahuet, Gombaud de Séréville, de Gouvello, Valo, de Fauville, Cailloux et Bertrand). À la tête des deux brigades, les généraux Bois et Le Bars sont des vétérans de la G.R.M où ils ont servi à partir des années 20. En application des dispositions de la dépêche n° 571.0.C.A/1 du 16 décembre 1942, la garde absorbe un certain nombre de sous-officiers des corps de troupes des grades d’aspirant, adjudant-chef, sergent-major, maréchal des logis-major.

L’amalgame entre les cadres provenant de la G.R.M. et ceux de l’armée de l’armistice réussit, même si quelques officiers et gradés reclassés dans la garde se retrouvent parfois complètement dépaysés par une troupe qu’ils connaissent mal ou sont déroutés par un service qu’ils appréhendent.

Leur admission s’accompagne de l’élimination implacable des éléments vieillis ou peu aptes. Le général Perré poursuit la diversification des ressources par le recrutement, au milieu de l’année 1943, de jeunes gens n’ayant pas satisfait à leurs obligations militaires.

Au plan des structures, on relève très peu de changements. Les 6 régiments se répartissent comme par le passé en deux brigades. L’état-major de la 1re, sous les ordres du général Le Bars, est à Royat. Entrent dans sa composition les 1er, 2e, et 3e régiments respectivement stationnés à Lyon, Marseille et Montpellier. L’état-major de la 2e, aux ordres du général Bois, implanté à Chamalières, comprend les 4e, 5e et 6e régiments en garnison à Riom, Limoges et Toulouse.

Coiffé par un état-major, le régiment engerbe 8 escadrons (2 escadrons motocyclistes, 4 escadrons portés et 2 escadrons à cheval) répartis en deux groupes. Des personnels civils, régis par les lois des 25 août et 15 septembre 1940, servent toujours dans les unités. Les tableaux d’effectifs fixent leur nombre à 311 par régiment. Ils se répartissent à tous les échelons : état-major régiments, groupes, escadrons. Les fonctions qu’ils exercent, ouvriers, employés, maîtres-ouvriers, agents du service de santé, du service du matériel, des corps de troupes, adjoints administratifs, etc., donnent un aperçu sur la diversité de leur qualification.

À partir de 1943, ces « compagnons courageux », comme les appelle le général Le Bars, partagent les vicissitudes des escadrons déplacés. Le commandant de la 1re brigade fait ainsi leur éloge :

« Le plus étrange, c’est que ceux qui se déplacent ainsi au milieu d’accrochages toujours possibles ne comprennent pas que des soldats. Il se trouve parmi eux un groupe de civils suivant le plus naturellement du monde cet arroi guerrier. L’élément féminin n’en est même pas exclu puisque voici une jeune blonde placée dans la cabine du conducteur. On peut en être surpris. Mais de quoi s’étonneraient ces modestes auxiliaires qui partagent depuis des mois la vie de l’escadron, ses misères et ses risques ? Secrétaires, gérants, cuisiniers, dactylos, ils nous soulagent des soucis de la paperasse et du manger. Ils sont les anges gardiens de nos foyers nomades et, en cela, perpétuent, sous une forme nouvelle la tradition des vivandiers et des vivandières. »

Au cours du premier semestre de l’année 1943, la direction générale crée le groupement de la garde de Vichy, constitué d’une douzaine d’escadrons déplacés dans la capitale de l’État français pour des périodes de 45 jours. Cette formation, rattachée à la 1re brigade, reçoit une double mission. D’une part, maintenir l’ordre, de l’autre, faire échec à toute tentative d’insurrection. Le commandement en incombe à un officier supérieur spécialement affecté à cet emploi. Successivement, les chefs d’escadrons Maillot et Bouchardon occupent ce poste.

Autre novation, la création à la même époque d’un commandement de la garde de la région de Vichy installé à l’hôtel du Palais. Le service de place entre dans ses attributions. Le lieutenant-colonel Godalliez puis le colonel Bertrand en assurent le commandement.

Dès le mois de mai 1943, le général Perré se préoccupe de la formation des officiers et sous-officiers nécessaires à l’encadrement des unités et de l’instruction de quelques spécialistes assurés au moment de la démobilisation de l’armée de transition par une section particulière de l’école de la cavalerie, du train et de la garde à Tarbes. La suppression de l’école impose à la garde de prendre à son compte cette charge car il faut maintenir sa valeur et améliorer la qualité de ses effectifs.

Il écarte rapidement l’idée d’effectuer la formation dans les escadrons, en raison de leur dispersion et de leurs déplacements continuels qui rendraient inopérant tout essai d’instruction suivie. Le rétablissement, le plus tôt possible, d’une école de la garde, placée sous le contrôle du ministère de l'Intérieur, lui paraît plus efficace. Par lettre n° 39/D.G.G./ Inst., sous le timbre du bureau technique, en date du 22 mai 1943, le secrétaire général pour la police adresse au général Oberg, pour approbation, le projet établi à la direction générale.

Quelles en sont les grandes lignes ? La création de l’école répond à un triple but. Former les officiers, les sous-officiers et les élèves-gardes de façon à combler les déficits des effectifs dans les unités, au fur et à mesure qu’ils se produisent. Afin d’en faciliter le contrôle, Bousquet demande à ce qu’elle fonctionne à proximité du ministère de l'Intérieur. Autre besoin exprimé : pour que son organisation, bien que simple, soit d’un rendement maximum immédiat, il souhaite disposer d’une installation matérielle suffisante. Le casernement doit comprendre au maximum, 1 manège, des écuries pour 150 chevaux, des locaux pour les services, des logements pour abriter 90 élèves-officiers et officiers-élèves ainsi que 500 gradés et gardes, un espace couvert de 1 200 mètres carrés pour les garages et le matériel d’instruction automobile. À cet effet, il propose l’affectation des casernements d’Issoire, à défaut ceux de Riom. Il considère la deuxième solution comme un pis-aller. Quant au matériel nécessaire à son fonctionnement, il préconise de récupérer à Tarbes celui de l’ancienne école sous contrôle allemand (matériel automobile, hippomobile, armement, matériel de transmission, d’intendance, chevaux, harnachements). Pour encadrer l’école, l’estimation de l’effectif s’élève à 66 militaires et personnels civils. Le projet prévoit enfin l’organisation de 4 cours (élèves-officiers, officiers-élèves, gradés, élèves-gardes, chefs d’ateliers automobile).

Plusieurs mois vont s’écouler avant que le chef de la police allemande en France ne rende sa réponse. Il ne donnera pas son agrément concernant les casernements initialement proposés. Quant aux tableaux d’effectifs et de matériels, ils devront être révisés à la baisse.

Fin août 1943, la direction générale obtient l’autorisation d’installer son école de formation à Guéret, à la caserne des Augustines. Au lendemain de l’armistice, les installations ont abrité le 78e R.I. et, après sa dissolution, le dépôt central de la L.V.F. (Légion des volontaires français). Le 10 août 1942, Benoist-Méchin et le général Galy y passent en revue les recrues en instance de départ pour le front de l’est. Sept mois plus tard, le 3 mars 1944, le général Perré, entouré du lieutenant-colonel Robelin et de M. de Thoré, sous-directeur administratif, présidera une prise d’armes suivie d’une remise de décorations, la première de cette importance depuis la création de l’école.

Au début du mois de septembre 1943, la direction générale envoie sur place l’escadron 2/5 de Bellac pour remettre les lieux en état. Les bâtiments, vétustes, datent du XVe siècle. Moins de deux mois plus tard, les travaux de réfection s’achèvent.

L’école de la garde voit le jour par décision n° I074/D.G.G./ Inst. du 29 octobre 1943 du secrétaire d’État à l’Intérieur. Elle ouvre ses portes le 1er novembre. Le premier stage débute le 24.

À la tête de l’école, le lieutenant-colonel Favier, secondé par un ad- joint, le chef d’escadrons G.., et un directeur des études, le chef d’escadrons Corberand. Le chef d’escadrons D.. commande le groupe d’escadrons d’élèves-gardes tandis que le lieutenant-colonel Marty coiffe l’instruction technique (transmissions, chars, etc.). Les officiers instructeurs proviennent pour la plupart de l’Armée de l’armistice et appartiennent à toutes les armes (cavaliers, marsouins, etc.).

L’école reçoit de jeunes recrus engagés volontaires qui souscrivent un contrat de 3 ans. Beaucoup sont issus des enfants de troupe ou des classes de Corniches préparatoires à Saint-Cyr. À la suite de la fermeture de l’école militaire d’Aix-en-Provence, l’O.R.A., dans les différentes régions, donne comme consigne aux candidats à Saint-Cyr de passer coûte que coûte leur concours, et à défaut de trouver une voie efficace pour se former et se retrouver si possible officier au moment où s’engagera la lutte ouverte contre l’occupant. À la demande du chef d’escadrons Huet de l’O.R.A., futur chef militaire du Vercors, le général Perré accepte de les accueillir, soit à Guéret, soit dans les centres d’instruction des régiments. Après la guerre, on retrouvera dans l’armée et la gendarmerie, à tous les niveaux de responsabilité, jusqu’aux plus élevés de la hiérarchie (chef d’état-major des armées, chef d’état-major de l’armée de Terre, généraux de l’armée de Terre et de gendarmerie), plusieurs dizaines d’anciens élèves-gardes.

Quatre cours fonctionnent séparément. Le premier, d’une durée de 10 mois, groupe dans le 1er escadron, une quarantaine de stagiaires. Les officiers-élèves (aspirants) reçus à l’école de Tarbes en 1942 et qui n’ont effectué que 2 mois de stage et les élèves-officiers (gardes reçus en 1943 au concours d’entrée à l’école de Guéret et des Saint-cyriens de la promotion Croix de Provence admis à Aix en 1942). Le second, pendant 4 mois, forme 120 élèves-gradés choisis parmi les gardes inscrits au tableau d’avancement pour le grade de chef, non encore promus. Il constitue le 2e escadron d’élèves-gradés. Le troisième assure pendant 6 mois la formation de 300 élèves-gardes destinés aux unités montées, motorisées et portées. Le groupe d’escadrons d’élèves-gardes comprend les 3e escadron monté et les 4e et 5e escadrons portés. Le dernier cours forme des chefs d’atelier automobile.

Les stagiaires subissent à l’école un entraînement militaire intensif, comme l’explique le colonel Frachet ancien élève-garde :

« Confiant dans nos possibilités, le chef de corps nous impose une formation de combattant d’élite, apte très tôt aux commandements élémentaires. Armement très technique, tirs à toutes les armes, tirs de précision, cours de topographie de Saint-Cyr appliqués jour et nuit, comme l’école du combattant, le combat de nuit, le commandement du groupe F.V. etc. Mais priorité absolue est donnée à l’initiative individuelle et surtout à l’entraînement physique intense privilégiant la résistance et l’endurance. »

Le premier cours, réservé aux élèves-gradés, prend fin le 21 février 1944. Malgré les difficultés inhérentes aux pénuries et à la mauvaise saison, le bilan des résultats est satisfaisant. Sur 120 stagiaires, 76 sont jugés aptes au brevet de chef de section ou de peloton. À l’issue de leur stage, courant mai 1944, les 200 élèves des 3e et 4e escadrons quittent l’école et reçoivent une affectation dans les régiments. Leurs successeurs, à peine incorporés, rejoindront la Résistance le 6 juin avec un 5e escadron constitué en début d’année 1944.

L’école, avec ses cinq cents hommes, constitue une force redoutable. Comme elle se cantonne dans son rôle de formation des personnels, les maquisards ne manifestent pas d’hostilité à son égard. Si le 8 janvier

1944, un peloton du 4e escadron, du capitaine Séchaud, en manœuvre au lieu-dit « Le Mas », sur la commune de Brionne, essuie quelques coups de feu tirés par un groupe d’une dizaine d’hommes, cet incident tout à fait exceptionnel n’entraîne aucune réaction. Quelques cérémonies permettent à l’école de participer à la vie de la cité. Lors de la prise d’armes du 4 mars 1944, les escadrons défilent en ville et la musique du 4e régiment donne un concert sur le parvis de l’hôtel de ville.

Dans les régiments, des centres d’instruction assurent la formation des recrues en attente d’incorporation. À Cusset, le centre du 4e régiment, sous les ordres du capitaine Dupont, assisté des lieutenants Herlem, Serpeaux et Perré forme trois pelotons d’élèves-gardes. De même, à Vals-les-Bains, au 2e régiment, le lieutenant Ausseur dirige l’instruction de deux pelotons, l’un à pied, l’autre à cheval.

En juin 1943, la 1re brigade ouvre à Pont-Saint-Esprit (Gard) un centre de perfectionnement des gradés, placé sous l’autorité d’un chef d’escadrons et encadré par 4 officiers et 6 sous-officiers. Une quarantaine de stagiaires, sélectionnés dans les régiments, y subissent un entraînement poussé, volontairement dur.

Malgré le rythme très élevé des déplacements, le commandement reste très attentif à la formation physique des personnels Des gardes suivent des stages au Centre d’éducation physique et sportive de la Police nationale à Périgueux, dirigés par un chef de bataillon des sapeurs-pompiers de Paris, en vue d’obtenir le diplôme de moniteur d’éducation physique. Aux côtés d’agents des G.M.R. et de la police urbaine, 23 gardes effectuent un stage du 19 octobre 1943 au 28 janvier 1944. Un centre régimentaire de natation fonctionne à Bergerac, au cours de l’été 1943. Le but du centre est de former dans chaque escadron un noyau de bons maîtres-nageurs et un fort groupe de bons nageurs classés. Un chef de centre et 6 moniteurs dispensent l’instruction. Le commandement développe la pratique des sports collectifs (mise sur pied de sections football, rugby, basket etc. dans les escadrons et à l’école de la garde) et organise des compétitions (coupes, championnats régimentaires de cross, football, basket, concours hippiques.). Le 8 août 1943, la coupe d’athlétisme de la garde se déroule à Clermont-Ferrand en présence de nombreux spectateurs. René Bousquet préside la manifestation, entouré du général Perré, du préfet régional, du commissaire général aux sports, du général commissaire régional à la défense. Honneurs militaires, envoi des couleurs, exécution de sonneries de fanfares, défilé des athlètes, donnent un éclat tout particulier à cette journée sportive.

Au prix de grandes difficultés, le directeur général s’efforce de renforcer le potentiel de la garde. D’un point de vue qualitatif, la formation chaque année à l’école de Guéret de 40 jeunes officiers (35 Saint-cyriens, 5 sous-officiers, élèves-officiers) et de 240 gradés, préparés au brevet de chef de peloton, contribue à la valorisation de l’encadrement. De même, l’incorporation annuelle de 600 engagés entraîne un rajeunissement de la troupe. De plus, en 1943, par divers subterfuges, à l’insu de l’occupant, il parvient à accroître les moyens matériels ainsi qu’il le précise lui-même :

«…je m’assurai un armement suffisant pour doubler les effectifs, l’équipement nécessaire à leur détriplement, un important stock d’essence et 1 500 bicyclettes… »

Les armes dont fait état le général Perré proviennent de stocks de l’armée détenus par le ministère de l'Intérieur. Le sous-directeur technique joue un rôle de premier plan, dans cette action qui contourne l’interdit allemand limitant les dotations d’armes et de matériels. Le 30 juillet 1948, lors de son procès devant la Haute Cour de justice, René Bousquet cite plusieurs fois son nom. À sa demande, l’officier aurait remis des armes à des organisations de Résistance « qui m’avaient été représentées, dira Bousquet, comme donnant toutes les garanties nécessaires ». Bousquet indique aussi que « les armes de guerre furent confiées à la Garde et particulièrement au colonel Robelin ».

Lorsque Darnand succède à Bousquet, il entreprend des démarches auprès du général Oberg pour améliorer l’efficacité de la garde. Il veut en faire le fer de lance de la répression contre le maquis. Dans les propositions qu’il lui adresse le 8 février 1944, il prévoit de l’étoffer de façon substantielle en portant son effectif de 6 000 à 10 500 hommes. L’augmentation préconisée doit permettre de créer une troisième brigade et de porter à 3 le nombre de groupes par régiments. Corrélativement, il demande au chef de la police allemande en France un armement et des moyens automobiles mieux adaptés à la situation et aux missions. Pour accroître la puissance de feu, il présente un catalogue impressionnant d’armes : 36 canons d’accompagnement, 108 mitrailleuses, 34 mortiers de 81 m/m et 36 de 60 m/m, 36 lance-flammes, 162 lance-grenades, 2 104 fusils, 3 420 pistolets automatiques, 1 179 pistolets-mitrailleurs. La recherche d’une plus grande mobilité nécessite un parc automobile diversifié. Dans ce but, il sollicite l’attribution de 528 motos, 482 side-cars, 78 voitures de liaison, 21 voitures sanitaires, 231 camions, 108 fourgons-cars, 6 camions ateliers, 36 roulantes tractées. Oberg ne se laisse pas infléchir. Toujours méfiant, il ne consent à débloquer, en tout et pour tout, que quelques armes légères.

Tout au long de l’année 1943, les mesures se succèdent en vue d’adapter la garde à ses missions et maintenir le niveau du moral de ses personnels. Pour mieux marquer son caractère militaire et souligner sa spécificité au sein des forces du maintien de l’ordre, le général Perré décide en juillet 1943 de restaurer les traditions. Sans aucun doute veut-il aussi, en se référant au passé, mieux faire accepter au personnel sa subordination aux autorités civiles. La garde, comme il le rappelle dans une allocution en 1944, se reconnaît dans les troupes qui, tout au long de l’histoire, sous le nom de « corps privilégiés », ont servi l’État :

« En France, dans tous les temps, il a existé une troupe de métier particulièrement fidèle à l’État et au Gouvernement qui en est l’expression, une troupe qui était le suprême rempart de l’ordre intérieur. En raison des hautes vertus militaires exigées pour une telle mission, la garde a, durant les périodes guerrières de notre histoire tout naturellement constitué une troupe d’élite dans l’Armée. C’est ainsi que les gardes françaises et les gardes suisses créées pour protéger la personne du roi ont, sous l’ancien régime, écrit cent pages de gloire : c’est ainsi que la petite garde des Consuls est devenue la grande et immortelle Garde impériale. Voilà de qui vous êtes les descendants. Noblesse oblige ! La garde autant… ».

Dans cette optique, les régiments s’inspirent des anciennes troupes d’élite. La circulaire du 10 juillet 1943 les dote d’un nouvel étendard portant à l’avers, en lettres d’or capitales, les mots « La France » « Xe régiment de la Garde », au revers l’inscription « Honneur et Patrie » et en dessous les noms des batailles au cours desquelles se sont illustrés leurs devanciers. Le document précise ensuite la filiation de chacun des 6 régiments. Ainsi, le 5e reprend les traditions des Mousquetaires (1634) et du 2e régiment de grenadiers à pied (1807-1871) qui se sont illustrés à Maestricht (1673), Fonteny (1745), Eylau (1807), Wagram (1809), Trocadéro (1823), Magenta (1859).

Fin 1943, les étendards et les fanions destinés aux 6 régiments sont réalisés. La cérémonie prévue pour les leur remettre, différée une première fois, n’aura finalement jamais lieu. La gravité de la situation en 1944 ne permettait plus de distraire les escadrons de leur mission de maintien et de rétablissement de l’ordre.

L’école de la garde possède seulement un fanion. Il est frappé à l’avers de l’inscription « école de la Garde » et porte en son centre l’insigne de la garde, l’aigle doré de la première Garde impériale (1804) tenant dans ses serres une couronne d’or. Ses couleurs - taillé de bleu roi, à dextre et de cramoisi à sénestre - sont celles de la Maison du Roi et des deux Gardes impériales jusqu’en 1870. Au revers est inscrite la devise « Praeterite fides Exemplum que Futuri » (La foi d’autrefois est un exemple pour l’avenir).

De 1943 au 6 juin 1944, l’école conserve en dépôt le drapeau de la G.R.M. acheminé en zone sud le 13 juin 1940. À partir de cette date, qui coïncide avec le passage de l’école au maquis, un civil accepte de le cacher. Le maître de manège, M. Descomp, le récupère par la suite et le dissimule en lieu sûr. Deux miliciens et des militaires allemands perquisitionnent en vain à son domicile. Le drapeau réapparaît en public, à la tête d’un détachement de la garde, courant septembre 1944, lors du premier défilé organisé dans Limoges libérée.

Pour qu’un lien puissant unisse entre eux tous les personnels, à un moment où le pays traverse une période difficile, le général Perré, au cours du deuxième semestre de l’année 1943, crée une revue interne. Cette publication, intitulée « La Garde » et sous-titrée « Bulletin d’Information et de Travail pour les cadres de la Garde », doit accueillir, selon son promoteur, les idées de doctrine, des récits historiques, des informations sociales et sportives sans oublier les échos se rapportant à la vie des unités et de leurs personnels. La direction n’en impose pas la maquette mais organise un concours pour la réaliser. Le jury retient trois projets respectivement présentés par l’adjudant-chef Devillers, le lieutenant Jullien et le lieutenant-colonel Bretegnier. La direction fait une synthèse des deux premiers. Du troisième, trop coûteux, elle retient seulement la phrase empruntée au maréchal Pétain « Son passé répond de l’avenir » qui sera mise en exergue sur la page de couverture.

La direction confie à l’imprimerie Charles Lavauzelle, à Limoges, la réalisation du mensuel. Bien que réservée initialement en priorité à ses personnels, elle étend sa diffusion aux particuliers et aux collectivités désireux de souscrire un abonnement. Le numéro 1 paraît au mois de septembre 1943. Par suite des difficultés dues aux circonstances du moment, au mois de mai 1943 le commandement prend la décision de ne la faire paraître que tous les deux mois. En fait, elle ne survivra pas au mois de mai 1944.

Plus que le retour aux traditions, la création par le général Perré d’un bureau du service social recueille un écho favorable parmi les personnels. Ce service, dirigé par le Chancelier en chef (colonel) Simon, a dans ses attributions l’octroi des secours, l’assistance aux familles en difficultés et le suivi des œuvres diverses. En même temps, il coordonne l’action des chefs de corps dans ce domaine. Toutefois, le Service social de l’armée, qui a survécu à la démobilisation de nos forces, continue à apporter à la garde le concours de ses adjointes sociales ainsi que l’aide matérielle et morale de ses diverses organisations : colonies de vacances, mutuelles, etc.

Au moment de la création du service social, le général Perré en souligne l’importance et la finalité :

« Le service social dans la garde, écrit-il, ne doit pas limiter son action à une distribution de secours en deniers pas plus qu’au fonctionnement automatique d’une organisation impersonnelle et froide. La garde a toujours été une grande famille dans laquelle aucune détresse ne doit rester ignorée, sans appui, sans conseil, sans soulagement.

Il importe avant tout de maintenir dans l’Arme cet élan de solidarité et d’entraide mutuelle qui, remettant à sa vraie place la vertu du dévouement, permettra avec des moyens financiers réduits d’obtenir des résultats plus étendus et plus profonds. »

Ce texte, de même tonalité que celui diffusé dans la gendarmerie par le général Martin, aura un impact indéniable. En maintes circonstances, les militaires de la garde feront preuve de générosité et de solidarité. Les collectes, effectuées dans les régiments en faveur des enfants, des veuves et des gardes tués en service commandé ou décédés des suites de maladies ou de blessures accidentelles, produiront chaque fois des sommes importantes. Face à l’extension du « terrorisme » qui met en péril la sécurité des membres des forces de l’ordre - il ne se passe pas de jour, depuis le début de l’année 1943, sans que des gardes ne soient désarmés, des policiers, des gendarmes et des magistrats victimes d’attentats ou d’agressions - le commandement prend des dispositions pour le tenir en échec. La direction prescrit, par note n° 1174 D.G.G./ Mat du 4 novembre 1943, le port du pistolet à tous les personnels en déplacement à l’extérieur des casernes et des cantonnements.

Un mois plus tôt, pour combattre plus efficacement « les hors-la-loi », le Gouvernement aménage les dispositions en vigueur relatives à l’usage des armes par la garde. En juillet 1943, la gendarmerie a vu ses prérogatives accrues quant à l’emploi des armes. Il en est de même en septembre, pour les personnels de la police en uniforme et en civil. La loi n° 570 du 11 octobre 1943 donne à la garde le droit de tirer sans sommations, pour maintenir ou rétablir l’ordre intérieur, quand elle se trouve en présence de bandes ou d’individus armés. L’usage des armes se justifie également chaque fois que la mission à accomplir l’exige.

Au moment de son départ du poste de secrétaire général à la police, fin décembre 1943, René Bousquet exprime sa satisfaction au général Perré pour le travail accompli par la garde sous son autorité :

« Mon général,

Au moment où je quitte les fonctions qui m’avaient été confiées par le Gouvernement, je tiens à vous exprimer mes remerciements pour la collaboration si utile et si dévouée que vous m’avez apportée depuis le rattachement de la garde au ministère de l'Intérieur.

Je vous demande d’être mon interprète auprès des officiers généraux, des officiers supérieurs, officiers, sous-officiers et hommes de la garde pour leur exprimer, avec ma gratitude, l’expression de ma fidèle confiance.

Croyez, mon général, à l’assurance de mes sentiments cordialement dévoués. »

L’arrivée de Darnand au secrétariat général au maintien de l’ordre modifie radicalement les rapports qui existaient antérieurement entre le directeur de la garde et le représentant du ministère de l'Intérieur.

L’ingérence de la Milice et de l’occupant dans le service entravent son bon fonctionnement et affecte le moral des personnels. Le décret du 10 janvier 1944 qui habilite Darnand à signer tous les actes, arrêtés ou décisions relatifs à l’organisation, l’administration ou l’emploi de l’ensemble des forces de police, corps et services, soumet la garde sans limitation à ses ordres et à son contrôle. Il en résulte de graves problèmes.

En février 1944, le secrétaire général au maintien de l’ordre décide de faire participer la garde et les G.M.R. aux exécutions capitales consécutives aux verdicts prononcés par les Cours martiales créées par la loi n° 38 du 28 janvier 1944. Au début du mois, lorsque l’ordre arrive dans les régiments de constituer les premiers pelotons d’exécution pour fusiller les condamnés par les cours martiales, la nouvelle provoque une véritable stupeur et suscite des réactions. Plusieurs chefs de corps en réfèrent immédiatement à la direction générale à Vichy, pour tenter de soustraire leurs subordonnés au rôle odieux qu’on veut leur faire jouer. Le général Perré leur donne l’ordre formel d’obéir sans discuter. À Lyon, le lieutenant-colonel Bretegnier, en accord avec le colonel Throude, commandant le 1er régiment, proteste auprès de l’intendant régional du maintien de l’ordre en faisant valoir combien ces exécutions répugnent aux gardes dont ce n’est pas le métier. Les démarches entreprises restent négatives.

À la même époque, Darnand prescrit la mise sur pied de groupes francs, dans les unités, pour exploiter, sans réquisition préalable, des renseignements ponctuels concernant les « terroristes ».

Du début de l’année 1944 jusqu’à la libération, les heurts se multiplient entre miliciens et personnels au cours des opérations de police. L’entourage de Darnand lui-même exerce des pressions auprès de l’état-major de la garde. Plusieurs fois, son directeur de cabinet, Clémoz, exige le déplacement de certains officiers. Pour obtenir satisfaction, il use de chantage en menaçant de faire intervenir les autorités allemandes. Dans ce climat, les relations entre le directeur général et Darnand se détériorent. Les motifs de dissentiments ne manquent pas. Au mois de juin, la tension est telle que le général Perré à l’intention de cesser ses fonctions. Il en fait part au maréchal Pétain qui l’en dissuade. Quelques semaines plus tard, le conflit atteint son paroxysme. Comme son homologue de la gendarmerie, il adresse des représentations écrites au secrétaire général au maintien de l’ordre :

« La collaboration de la garde, troupe régulière, avec la Milice devient impossible tant celle-ci agit en marge des lois. Les mesures qui nous sont intimées comme on commande à un commis d’ordre sans même être signées par vous, Monsieur le secrétaire d’État, sont telles qu’on ne peut les imaginer. La garde vit désormais dans une atmosphère de défensive policière bien qu’elle participe aux opérations du Limousin et de la Haute-Savoie. La Milice s’attaque aux militaires qui participent avec elle au maintien de l’ordre. C’est incroyable… »

De son côté, l’occupant fait peser sur l’institution de fortes pressions. Le commandement est tenu d’adresser périodiquement aux services d’Oberg les états sur la situation des unités en déplacement, les effectifs, les dotations diverses (armement, véhicules, etc.). Police allemande, Feldgendarmerie, commissions de contrôle de l’armistice procèdent à des inspections inopinées. L’escadron 5/1, déplacé à Annecy le 20 janvier 1943, fait l’objet, dix jours plus tard, d’un contrôle très strict du capitaine Ortolani de la 5e section italienne de la commission d’armistice installée à l’hôtel d’Angleterre à Annecy. Tout se passe bien. Le 30 décembre 1943, ainsi que le relate le général Beaudonnet, les feldgendarmes contrôlent sur le terrain l’escadron 4/4 déplacé en Bourgogne pour surveiller les lignes de transport de force. Au début de l’année 1944, la Gestapo suspecte des unités du 5e régiment, à Limoges, de camoufler du matériel appartenant à des formations dissoutes de l’armée de l’armistice. Elle effectue une perquisition au cantonnement des 1er et 3e escadrons ainsi que dans les bureaux de l’état-major installés à la caserne de la Visitation. D’autres escadrons connaissent la même humiliation. Toujours au mois de janvier, un détachement blindé encercle le cantonnement de l’escadron 4/3 déplacé en Corrèze. Les Allemands soupçonnent l’unité de collusion avec le maquis. À titre de sanction, les troupes d’opérations saisissent tout son armement à l’exception des armes de poing.

Des escadrons participent à des opérations répressives combinées, sur injonction des autorités allemandes. Cette pratique exceptionnelle, à laquelle les intendants du maintien de l’ordre donnent leur aval, a cours principalement dans les mois qui précèdent et suivent le débarquement. Déplacé depuis le 13 mai 1944 pour le maintien de l’ordre à Clermont-Ferrand, l’escadron 6/6 de Montauban, sous les ordres du capitaine B.., participe du 25 au 28 avec une unité de la feldgendarmerie, une trentaine de la Milice, des inspecteurs de police français à une opération de recherche de renseignements au nord et à l’est de la Margeride. Le raid débute à Massiac par l’arrestation de trois suspects. Il continue le lendemain en Haute-Loire dans les villages de Lubilhac, Vernières, La Chapelle Saint-Laurent. Le 27, trois nouvelles interpellations marquent le passage à Lastic de la colonne. L’expédition se termine le 28 par la fouille de plusieurs hameaux : Vieillespesse, Montchamp, Ladignat de Saint-Just. De retour à Clermont-Ferrand, l’escadron y reste déplacé jusqu’au 5 octobre. Après la libération de la capitale de l’Auvergne, les nouvelles autorités l’utilisent dans des missions de service d’ordre. Le 26 juin 1944, le milicien de Bernonville, directeur des forces du maintien de l’ordre à Lyon, engage plusieurs escadrons du 1er régiment, malgré l’opposition du chef de corps, aux côtés de miliciens, de G.M.R., de gendarmes et de troupes d’occupation pour mener une action sur Annonay occupée par les F.F.I. Un officier de gendarmerie, le lieutenant-colonel C.. commande les forces du maintien de l’ordre. L’affaire se termine sans effusion de sang, mais les maquisards capturent un capitaine, un aspirant et 5 gardes. Une nouvelle fois, le 12 juillet 1944, les Allemands exigent la participation de la garde à une opération d’envergure entreprise par leurs troupes dans le département de l’Ain. Un groupement à 4 escadrons, aux ordres du chef d’escadrons M.., y assiste. L’officier entre en contact avec des chefs F.F.I. pour prévenir tout affrontement. À l’occasion de cette opération, les gardes apportent leur concours à la population :

« Au milieu des horreurs qui y sévirent l’action de la garde s’y fit sentir si apaisante, si bienfaisante qu’elle conquit d’emblée l’estime et l’affection des populations. Éteignant les incendies, soignant les blessés, consolant toutes les souffrances, libérant des prisonniers, protégeant les faibles, les gardes se dépensèrent sans compter recueillant l’universelle bénédiction. »

La garde doit se plier à d’autres exigences de l’occupant Allemand ou Italien. À la suite d’incidents opposant des gardes de l’escadron 4/2 d’Ajaccio aux troupes italiennes d’occupation, l’unité est expulsée de Corse le 26 janvier 1943. À bord du paquebot S/S « Ville d’Ajaccio » l’escadron rejoint Nice puis s’installe fin février à la caserne Saint-Claude à Grasse.

Dans le sud de la France, pour garantir sur leurs arrières la sécurité des troupes d’opérations en cas de débarquement des Alliés, craignant un possible retournement de la garde, le commandement militaire allemand ordonne le retrait de 12 escadrons implantés dans la zone méditerranéenne. Les délais impartis sont brefs. Le repli concerne les unités avec tout leur matériel et les chevaux pour les escadrons montés. Il nécessite, par ailleurs, l’évacuation des familles. Autre difficulté, et non la moindre, aucun cantonnement de remplacement n’est prévu. Et puis, les escadrons touchés par cette mesure sont presque tous en déplacement dans les Alpes ou le Limousin. Il est hors de question de les distraire de leur mission. Au total, il s’agit donc d’une opération délicate à réaliser.

Le samedi 21 août 1943, le colonel de Gouvello, à peine arrivé à Marseille pour prendre le commandement du 2e régiment implanté dans la région, reçoit l’ordre de transférer son unité dans le Vivarais. Pour effectuer le mouvement, il dispose d’un délai maximum d’une semaine. Dès le dimanche matin et pendant cinq jours, des équipes de gardes en side-cars sillonnent le département de l’Ardèche à la recherche de cantonnements et de logements (état-major, 6 escadrons, 400 familles).

Le 28 août, en présence du général Le Bars, une dernière prise d’armes se déroule au quartier Beauvau au cours de laquelle le nouveau chef de corps prend officiellement son commandement. Le lendemain, c’est le départ pour l’Ardèche. Les installations ne répondent que de très loin aux besoins et aux conditions d’un confort minimum. Il faudra construire, aménager, réparer, parfois déménager pour occuper des locaux mieux adaptés. L’état-major du régiment établit finalement ses quartiers à Vals-les-Bains. Les escadrons s’implantent à Aubenas (1er), Langogne (5e), Villeneuve-de-Berg (2e), Joyeuse (6e), Pont-Saint-Esprit (7e), Largentières (8e). Un mois après son arrivée à Aubenas, le 1er escadron est obligé d’abandonner son cantonnement à une formation sanitaire allemande.

À son tour, le 10 février 1944, le 3e régiment reçoit l’ordre de replier sa portion centrale et 5 escadrons dans le Massif central. L’hiver, particulièrement rigoureux, perturbe le mouvement pourtant réalisé dans les délais impartis. Les escadrons transportent le mobilier des familles jusque dans les gares les plus proches de leurs résidences respectives à bord de camions réquisitionnés. Les gardes et leurs proches rejoignent leurs nouvelles destinations par trains militaires non chauffés et non éclairés. L’état-major du régiment, en provenance de Montpellier, s’installe à Rodez. Les escadrons repliés se répartissent à Marvejols (1/3), Rodez (2/3), Saint-Flour (3/3), Mende (4/3), Vic-sur-Cère (6/3).

Chapitre 4 - LA BATAILLE POUR L’ORDRE

Depuis leur rattachement au ministère de l'Intérieur, pendant que le commandement adapte au mieux l’organisation de la garde à son nouvel état, les unités, constamment déplacées, ne connaissent pas le repos. Sans perdre de temps, le pouvoir les engage dans « la bataille pour l’ordre français ».

À partir de l’année 1943, une période d’activité intense s’ouvre pour les unités de la garde qui ne prendra fin qu’à la Libération, vingt et un mois plus tard. Les Allemands et leurs alliés Italiens occupent depuis le mois de novembre 1942 la totalité du territoire. À la paix civile succède insensiblement, attisée par la Milice, une guerre civile larvée. Le pouvoir engage « la bataille pour l’ordre français » à laquelle participe la garde.

De toutes les missions qui lui incombent, les opérations de rétablissement de l’ordre sont de loin les plus redoutables. À tous moments elles risquent de mettre ses formations en présence de groupes armés et d’entraîner des combats meurtriers. À l’origine de ces éléments armés, il y a, inspiré et stimulé par le général de Gaulle, le réflexe patriotique consécutif à l’occupation étrangère et l’institution du S.T.O. L’un et l’autre conduisent à la désobéissance civile puis à des actions illégales.

La loi du 16 février 1943, véritable conscription au profit de la machine de guerre allemande, entraîne dans la clandestinité des milliers de jeunes requis. Pour ne pas partir outre-Rhin, ils se cachent dans les campagnes et rejoignent dans leurs refuges tous les proscrits (Juifs, étrangers, communistes, gaullistes, etc.) menacés par l’occupant et le pouvoir. Les réfractaires au S.T.O., pour se soustraire au travail obligatoire, se dissimulent initialement dans des camps. La plupart de ces structures d’accueil se transforment en maquis. Malgré un armement désuet, encadrés par une poignée de patriotes contraints de vivre dans la clandestinité, ils ne tardent pas à passer à l’action. Pour survivre, ces « hors-la-loi » ont besoin d’argent, de vivres, d’équipements, de matériels divers. Ils se procurent des fonds dans les caisses publiques (postes, perceptions, banques). Les dépôts des chantiers de jeunesse constituent pour eux une autre cible privilégiée car abondamment pourvus en vêtements, chaussures, couvertures, etc. Dans les mairies, ils s’emparent de tickets d’alimentation, de cachets et documents administratifs pour établir de faux papiers.

L’examen de quelques statistiques donne une image saisissante sur l’état d’insécurité qui règne à travers tout le pays. Au cours des mois de septembre, octobre et novembre 1943, les autorités préfectorales comptabilisent en Corrèze 284 agressions et attentats répartis comme suit : 86 attaques contre des bureaux de tabac, 26 contre des mairies, 80 vols (denrées, chaussures, essence, etc.), 27 sabotages contre des voies ferrées, 17 contre des pylônes et lignes à haute tension, 8 contre des batteuses et des botteleuses, 4 contre des objectifs divers, 10 attentats contre des personnes, 25 contre des maisons de particuliers.

Au cours de l’automne 1943, le lieutenant-colonel commandant la légion de gendarmerie du Limousin évalue à une dizaine le nombre de bandes armées opérant dans la région :

«- bande « Molina », sous le commandement d’un espagnol, composée d’une cinquantaine d’individus, dans la région de Lonzac, canton de Treignac, vient d’échapper à une opération montée le 27 novembre. À commis de nombreux attentats dans les cantons de Treignac et de Seilhac,

- bande « Pierre » sous le commandement d’un garde déserteur opérerait dans la région d’Ussel et signalée récemment à Port-Dieu, près de la limite des départements de la Corrèze et du Puy-de-Dôme,

- bande « Jo » opérant dans la région de Lapleau,

- plusieurs bandes se terrent dans les gorges de la Diège,

- bande « X » non identifiée, signalée en dernier lieu dans la commune de Lanteuil, canton de Beynat,

- bande « X » non identifiée, opérant dans le triangle Lubersac, Vigeois et Juillac pouvant se réfugier dans la vallée de la Vézère,

- bande « X » non identifiée, signalée entre Égletons et Corrèze,

- deux bandes non identifiées signalées en dernier lieu l’une, sur le ruisseau d’Orgues et du Leyroux, l’autre au sud-est du hameau de la Pouvélarie, canton de Mercœur,

- bande « X » non identifiée, dont le chef pourrait être Guingouin opérant dans le canton de Saint-Sulpice-Laurière dont le refuge peut se situer à la limite de la Haute-Vienne et de la Creuse. »

La situation empire de jour en jour pour atteindre des proportions inimaginables. Au mois d’avril 1944, les services préfectoraux du département de la Dordogne répertorient 479 sabotages et agressions diverses imputables à des groupes armés. En mai, ce chiffre culmine à 820. Après le débarquement, les autorités renoncent à inventorier ces atteintes à l’ordre public.

L’insécurité ne se limite pas au département de la Corrèze. Elle s’étend à d’autres régions de la zone sud : Limousin, Alpes, Auvergne, Lyonnais, etc.

Pour juguler les éléments du désordre, les préfets prennent des dispositions préventives. Par arrêté, ils réglementent l’accès, la circulation et le séjour des personnes dans les zones troublées. Un sauf-conduit est nécessaire, pour ceux qui n’y possèdent pas leur domicile habituel. Sa délivrance entraîne l’ouverture d’une enquête. Les préfets de la région administrative de Limoges restreignent, le 7 octobre 1943, la circulation des individus dans la Creuse (8 cantons), la Corrèze (ensemble du département), la Dordogne (4 cantons), la Haute-Vienne (11 cantons). De son côté, le secrétaire général à la police met à la disposition des préfets régionaux (intendants de police) des forces du maintien de l’ordre.

Jusqu’à la Libération, la direction supérieure du maintien de l’ordre, sous l’autorité de Bousquet puis de Darnand, engage en zone sud la presque totalité de ses moyens, notamment les forces mobiles, garde et G.M.R., pour tenter d’assainir la situation. L’objectif est de mettre hors d’état de nuire les groupements illégaux qualifiés encore de bandes armées, de réfractaires, terroristes, rebelles, hors-la-loi, maquisards.

Une vue générale des forces engagées nous renseigne sur la volonté du pouvoir de rétablir la sécurité publique et les zones les plus affectées par la subversion. Début mai 1943, une dizaine d’escadrons des 5e et 4e régiments ratissent le plateau de Millevaches sans grand résultat. À partir du 8 et jusqu’au mois de septembre, 5 escadrons (6/6, 5/6, 1/4, 6/2, 5/5), 2 G.M.R., 34 commissaires et inspecteurs de police quadrillent le département de la Corrèze. Un lieutenant-colonel de gendarmerie, assisté par le chef d’escadrons C.., du 6e régiment, coiffe le dispositif policier. Le 1er octobre, toute la région du Limousin est placée sous haute surveillance. Convergent vers Limoges, 15 escadrons (3 du 1er régiment, 2 du 4e, 6 du 3e et 4 du 5e) ainsi que 12 G.M.R. (Languedoc, Albigeois, Gascogne, Quercy, Camargue, Roussillon, Bitterois, Berry, Périgord, Marche, Limousin, Bas-Limousin) et 14 pelotons supplétifs de gendarmerie départementale. Le général Bois, commandant la 2e brigade, prend le commandement de l’ensemble. En Corrèze, un autre officier de la garde, le lieutenant-colonel B.., a sous sa coupe les forces de l’ordre déployées dans le département.

Dans les Alpes, du 1er au 15 mars 1943, le général Le Bars, commandant la 1re brigade, coiffe le dispositif des forces du maintien de l’ordre (garde, G.M.R., pelotons de gendarmerie) mis en place pour rechercher, en particulier dans la région de Thonon-Cluses, les premiers groupes de réfractaires ayant pris le maquis. À partir du 6 juin, le secrétaire général à la police quadrille à nouveau le secteur des Alpes placé encore sous l’autorité du général Le Bars jusqu’au 27 juillet. À cette date, on note la création d’un groupement des Alpes, composé de 8 escadrons et de pelotons de gendarmerie de réserve territoriale, dont l’action s’exerce sur les départements de la Haute-Savoie, de la Savoie et de l’Isère. Le lieutenant-colonel Bretegnier commande l’ensemble. Le colonel Pratx, commandant le 6e régiment, lui succède fin décembre 1943 Un document vichyssois fait état d’un effectif de 3 000 hommes en Haute-Savoie en mars 1944 « ne permettant pas une occupation totale du pays dont l’aspect n’est pas moins celui de la guerre. Le P.C. du colonel Lelong est entouré, en plein Annecy, de barbelés et défendu par des armes automatiques. Il faut donner le mot pour passer la chicane d’entrée… »

Pour améliorer l’efficacité des forces du maintien de l’ordre, Darnand ordonne en février 1944 la mise sur pied de corps francs mixtes (gendarmerie, G.M.R.) et de groupes francs (garde, G.M.R.). En outre, il renforce leur potentiel offensif par des unités de la Milice (franc-garde).

En avril 1944, dans le Limousin, il crée le groupe des forces de Limoges (G.F.L.) à la tête duquel il place le colonel Mahuet, chef de corps du 3e régiment. Le G.F.L. s’articule en 5 groupements identifiés par les lettres A, B, C, D, E. Une majorité de gardes et une minorité de miliciens de la franc-garde constituent les groupements A, B, C, respectivement commandés par les lieutenants-colonels Hachette (3e régiment), Besson (5e régiment), Bouvet (2e régiment). Des G.M.R., renforcés par des miliciens, forment le groupement D aux ordres du commandant Thomas (G.M.R.). Le groupement E, commandé par un milicien, le capitaine de Bourmont, comprend une cohorte de la Milice (300 hommes) et un G.M.R. Pour certains, l’amalgame réalisé par Darnand répond au souci d’éviter tout débordement des miliciens enclins au pillage et excès de toutes sortes. En réalité, leur intégration au sein des forces de l’ordre a un double but. D’une part, exercer sur elles un contrôle car, aux yeux du secrétaire général au maintien de l’ordre, elles manquent de pugnacité dans l’action répressive. De l’autre, les compromettre aux yeux de la population et ainsi se les attacher pour mener une répression vigoureuse. Darnand enfin tente de mettre en œuvre une stratégie plus efficace pour combattre les bandes armées.

À partir de janvier 1944, il ne se contente plus de quadriller les régions troublées. En fonction des renseignements recueillis, il concentre des forces importantes pour « nettoyer » les secteurs où la résistance intensifie ses actions.

Sous l’autorité de René Bousquet, de janvier à août 1943, on constate une période d’intense activité opérationnelle caractérisée par l’arrestation de nombreux réfractaires. Les groupements illégaux, pour la plupart en voie de formation et mal armés, évitent le contact avec les forces de l’ordre. Comme le souligne le directeur de la garde, il n’y a pas encore de « maquis » agissant. De l’état de réfractaire à celui de maquisards, la distinction n’est pas très nette.

Le secrétaire général à la police affine sa stratégie. Dans son entourage et auprès des responsables des forces du maintien de l’ordre, il accrédite l’idée qu’il y a de « bons » et de « mauvais » maquis. Sans doute veut-il donner bonne conscience aux uns et aux autres et n’avoir personnellement rien à se reprocher. Lors de son procès, après la Libération, il affirmera n’avoir agi que contre les seconds. Dans la première catégorie, il range les groupements illégaux de réfractaires mais aussi les membres de l’armée secrète. La police, selon lui, doit les ignorer voire les conseiller. La deuxième catégorie ne comporte à ses yeux qu’un ramassis de truands et de repris de justice qui s’en prennent aux caisses publiques, pillent les stocks de denrées, les dépôts des chantiers de jeunesse, attaquent l’armée allemande dans le dos et n’hésitent pas à prendre pour cible des particuliers. Tout doit être mis en œuvre pour mettre ces individus hors d’état de nuire.

En vérité, sur le terrain, les forces du maintien de l’ordre reçoivent explicitement pour mission, comme le confirment de nombreux ordres d’opérations « de capturer les défaillants, réfractaires, insoumis ainsi que les bandes armées » sans distinction d’aucune sorte.

D’après le général Perré, en phase avec le secrétaire général à la police, on fait dans la garde « une discrimination très nette entre le "bon maquis" et les éléments du désordre qui gravitent en marge : les escadrons de la garde s’acquittent de leurs missions avec leur fidélité, leur dévouement et leur modération habituels ; ils reçoivent même, souvent, des formations de "l’armée secrète", des renseignements sur les bandes de "truands" qui s’attaquent aux personnes et aux biens. »

Lorsque Darnand prend la direction des opérations en janvier 1944, contrairement à son prédécesseur, il ne fait pas de différence entre les uns et les autres. Au lendemain d’un accrochage meurtrier avec le maquis, s’adressant aux G.M.R. et aux gardes stationnés à Treignac (Corrèze), il déclare :

« Je viens pour vous dire que j’ai choisi la Corrèze comme théâtre d’opérations massives contre le maquis. Je compte sur vous comme vous pouvez compter sur moi pour vous donner les renforts voulus. On affirme qu’en Corrèze il y a deux sortes de maquis : le bon et le mauvais. Pour moi tous sont des hors-la-loi et doivent être traités comme tels. On m’affirme aussi que la population est solidaire du maquis. Eh bien je veux la mater ! Vous n’hésiterez pas à mettre le feu aux fermes. »

Son discours crée un malaise dans la garde où les personnels redoutent de se voir opposer à des hommes qu’ils tiennent pour des patriotes. Les affrontements inévitables qui vont se produire ainsi que la multiplication des heurts entre les escadrons et les formations miliciennes amplifient leurs craintes.

Dans le contexte qui vient d’être rappelé, sur quels principes reposent l’action de la garde et quel rôle joue-t-elle effectivement ? D’abord, comme l’explique le général Perré, elle n’intervient pas d’initiative :

« L’emploi de la garde pour le maintien de l’ordre n’était point de mon ressort puisque, comme toute autre formation militaire, ses unités agissaient, dans ce cas, sur réquisition de l’autorité civile, mais il m’appartenait de me tenir au courant des opérations, d’intervenir lorsqu’elles me semblaient malencontreuses et surtout de suivre leurs répercussions sur le moral de ma troupe. »

À la police et à la gendarmerie incombe la recherche des renseignements. Il revient aux préfets de les centraliser et de décider s’il y a lieu ou non de monter des opérations pour les exploiter. Dès lors qu’il y a intervention, les officiers de la garde exercent le commandement et sont seuls responsables de l’emploi de la force armée.

D’autre part, la thèse selon laquelle la garde, pendant l’occupation, n’a agi avec fermeté que contre les maquis dits « mauvais » résiste-t-elle à l’examen des faits ? Plusieurs officiers, après la libération, accréditent ce point de vue. C’est le cas, en 1946, du colonel Besson qui écrit :

« En général les unités n’ont jamais eu de difficultés avec le vrai maquis, ce n’est que lorsqu’elles ont été prises à parti par des éléments louches se réclamant de la Résistance que quelques incidents se sont produits… »

En 1950, le colonel Raulet prend la même position :

« Son caractère de force militaire ne lui a pas toujours permis de s’entendre avec ceux qui dans le maquis ne songeaient qu’à défendre des intérêts plus ou moins particuliers et satisfaire des vengeances. Il en est résulté des conflits aigus quelquefois tragiques… »

À plusieurs reprises, comme l’attestent des témoignages, en accord avec la Résistance, des unités interviennent d’initiative pour mettre fin aux agissements de malfaiteurs de droit commun se faisant passer pour des maquisards. Dans l’Ardèche, en octobre 1943, l’escadron 8/2, capture trois individus d’un « faux maquis ». On enregistre des réactions analogues dans le Limousin et dans les Alpes.

En règle générale, les gardes participent à contrecœur aux opérations de police. Fréquemment, ils traînent les pieds, ne manifestent pas de zèle et, comme l’écrit le général Beaudonnet, « brouillent plus de pistes qu’ils n’en exploitent ». Cependant, et malgré la consigne donnée confidentiellement par le sous-directeur technique d’éviter par tous les moyens des heurts avec les résistants, des accrochages se produisent qui entraînent des pertes de part et d’autre. Si certains résultent de rencontres fortuites, quelques-uns sont imputables à des cadres trop zélés. Quoi qu’il en soit, on ne peut les passer sous silence car, comme l’écrit Albert Memmi, « si la vérité n’était pas entière, ombres et lumières, elle s’en trouverait gauchie donc faussée ». L’examen de quelques confrontations majeures, qui ont opposé, courant 1943 et 1944, gardes et maquisards, fournit d’utiles indications sur leurs causes, leurs circonstances et leurs conséquences, propres à éclairer le lecteur.

Le 15 août 1943, un groupement mixte des forces du maintien de l’ordre, aux ordres d’un officier de gendarmerie, le capitaine P.., comprenant 1 peloton de gendarmerie départementale, 1 section du G.M.R. Navarre et l’escadron 6/2 de Nice, effectue, sur renseignements, un coup de main contre un camp occupé par une bande armée, à Chamalot (Corrèze), regroupant une centaine d’hommes. Les gardes neutralisent plusieurs guetteurs et donnent l’assaut. Au cours de l’action, on dénombre 4 blessés du côté des illégaux. Les assaillants en comptent un seul, l’adjudant-chef P.., de la garde, touché à la gorge. L’opération se solde par l’arrestation de 23 maquisards et la saisie d’un butin varié :

« Un F.M., 11 mitraillettes, 5 fusils dont 3 de guerre, 1 caisse de grenades, de nombreuses munitions et explosifs, 6 bidons en tôle de 0m40 de diamètre, 0m50 de hauteur pleins de grenades et d’explosifs, quantité de vivres, sucre, café, beurre, 150 kilos de pain et viande (1 bœuf, 1 mouton) couvertures et matériels divers de cuisine de campement et de couchage. Un nombre considérable de bons, titres et feuilles de rationnement dont certains portants des cachets de différentes autorités ont été saisis ainsi que de nombreux tracts et brochures à tendance extrémiste… »

Cette opération, la première en Corrèze à porter un coup sérieux à un maquis, entraînera la comparution des prisonniers devant la section spéciale de la cour d'appel de Limoges et leur condamnation. Tous seront déportés en mai 1944 après avoir été internés à Eysses.

S’agissait-il d’un mauvais maquis composé de repris de justice ou de malfaiteurs ? D’après l’historique des unités combattantes de la Résistance, le maquis F.T.P. de Chamalot, aux ordres de Léon Lanot, a été homologué à la Libération. Hormis sa participation à l’intervention, l’escadron 6/2 n’a joué aucun rôle dans le recueil du renseignement initial, le montage de l’opération et l’exploitation des résultats.

À cette occasion, pour encourager et récompenser les personnels les plus méritants, comme le prévoit le service intérieur de la garde dans son article 47, le commandement distingue par une citation à l’ordre du régiment le chef M..., les gardes A..., T..., F..., V... pour le motif suivant :

« Le 15 août 1943, au cours d’une opération dirigée contre une bande de terroristes, a secondé efficacement son chef de groupe en se portant avec lui sous un feu nourri, à l’assaut d’un centre de résistance. À ainsi contribué à l’arrestation de 17 terroristes et à la saisie d’un important butin. »

Le blessé, l’adjudant-chef T.., cité également, reçoit en plus une gratification de 8 000 francs :

« Au cours d’une opération de police, a arrêté et désarmé trois guetteurs. Bien que blessé à la gorge, a participé à l’assaut du camp, à l’arrestation de 17 rebelles et à la saisie d’un important butin. Le surlendemain a procédé volontairement à la récupération d’explosifs éclatant à retardement. »

Dans le département de la Creuse, le 19 août 1943, un détachement mixte, commandé par le lieutenant D.. de la garde, composé de l’escadron 8/5 de Pellevoisin et du G.M.R. de la Marche, reçoit l’ordre d’agir contre un camp de réfractaires d’une quarantaine d’hommes localisé dans le bois de Montraute, entre Fromental et Saint-Maurice, à la limite de la Haute-Vienne et de la Creuse.

À 5 h, le jour commence à poindre. Gardes et G.M.R. profitant d’un épais brouillard encerclent le camp. Un élément avancé de l’escadron 8/5 se heurte à une sentinelle qui ouvre le feu. Le garde P.., blessé au bras droit, réussi à se replier avec son groupe. La fusillade retentit de tous les côtés. Les réfractaires ripostent. L’escadron compte un nouveau blessé, le garde D.. touché à un pied. La vigueur de l’assaut oblige le chef des réfractaires, dont une vingtaine seulement dispose d’armes, à donner l’ordre de repli. Les forces de l’ordre restent maître du terrain. Au cours de leur retraite, 6 maquisards sont capturés. Deux femmes, découvertes dans le voisinage, n’échappent pas à l’arrestation.

Le ratissage du camp et la fouille des prisonniers, selon le rapport d’opération, amènent la découverte d’armes et de documents permettant d’établir « la collusion de Moscou, Londres et Washington avec les terroristes ». La composition de la bande, qui comprend un commissaire politique, révèle à coup sûr son caractère communiste. Avant de quitter les lieux, le détachement des forces de l’ordre incendie les installations (baraques, abris, etc.) construites par les maquisards.

Par ordre général n° 6, en date du 14 septembre 1943, le général commandant la 2e brigade cite à l’ordre de la brigade le lieutenant D.., un chef et les deux gardes blessés. Dans le libellé de ces citations, ressortent les termes « d’opérations contre des terroristes armés », « d’opérations de rétablissement de l’ordre » qui montrent à l’évidence la gravité de la situation. Sous la mitraille, cadres et gardes réagissent en militaires, à l’image du lieutenant D... :

« Officier plein d’allant, a fait preuve de beaucoup de sang-froid, d’abnégation et de mépris du danger au cours de l’opération qu’il a dirigée avec à propos. Malgré les feux de mousqueterie et deux gardes blessés à ses côtés, s’est porté résolument en avant et a été un des premiers à aborder et occuper le camp des terroristes. A participé à l’arrestation de deux d’entre eux armés. »

Que deviennent les « terroristes » arrêtés le 19 août ? Le 12 octobre, la section spéciale près de la cour d'appel de Limoges condamne les 6 prisonniers à des peines de 5 à 7 ans de travaux forcés, pour rébellion et détention d’armes. Ils purgent leur peine à la maison centrale d’Eysses (Lot-et-Garonne). Début mai 1944, ils sont déportés à Dachau. Deux d’entre eux y trouveront la mort.

La garde intervient en Ariège, en septembre 1943, dans des conditions différentes de celles précédemment évoquées. Le 18, un groupe armé attaque par surprise, dans la région de Lavelanet (Ariège), un poste de guet allemand tenu par trois soldats. Ces derniers, grièvement blessés, repoussent néanmoins les agresseurs qui laissent un tué et un blessé sur le terrain. L’enquête, menée par la Feldgendarmerie et une brigade de la section de gendarmerie de Foix, permet de localiser le refuge des maquisards près de Montségur et des gorges de l’Affrau. Le préfet de l’Ariège, en liaison avec son homologue de l’Aude, décide d’organiser une opération de nettoyage dans le secteur considéré qui jouxte les deux départements. Il requiert le 4e escadron du 6e régiment, en résidence à Foix, pour effectuer un ratissage.

Le capitaine M.., commandant l’unité, a l’intention de fouiller, avec deux pelotons, la grotte de la forêt de l’Embeyre à 1 800 mètres d’altitude, au sud-est du village de Montségur, pendant que le troisième investira le hameau de Pélail situé à l’entrée des gorges. L’escadron quitte Foix le 20 septembre à 5 h du matin. Les deux pelotons chargés de fouiller la grotte arrivent à Montségur à 7 h. À cet endroit, ils trouvent le commandant de section de Foix et des gendarmes de la brigade de Balesta chargés de les guider. En colonne par un, les pelotons prennent la direction de l’objectif. Vers 9 h, les éléments de tête arrivent sur place. Des coups de fusils et de mitraillettes les accueillent. Le brouillard brusquement masque l’entrée de la grotte alors que F.M. et pistolets-mitrailleurs des gardes entrent en action. Les maquisards répliquent. Suit une accalmie au cours de laquelle les assiégés entonnent le chant du départ. Le brouillard s’épaissit. Les armes se taisent.

Le commandant d’escadron met à profit ce répit pour réorganiser son dispositif. En raison des difficultés du terrain, le mouvement prend un certain temps. En fin de matinée, le ciel s’éclaircit. Nouvel échange de coups de feu. Vers 11 h 30, le lieutenant Massa, commandant le deuxième peloton, touché d’une balle au cœur, s’écroule mortellement blessé. Un projectile atteint le garde Legru à l’épaule gauche. L’évacuation vers Montségur du blessé et du corps de l’officier nécessite plusieurs heures d’efforts. Avant que la nuit ne tombe, pour renforcer l’escadron, le troisième peloton quitte Pelail à destination de la grotte d’Embeyre.

L’intendant de police de Toulouse, informé par le préfet de l’Ariège, dirige dans la soirée des renforts sur les lieux de l’accrochage : 2 escadrons en provenance de Toulouse et de Saint-Gaudens, 2 sections de G.M.R. de Toulouse et 1 G.M.R. de Montpellier. Le chef d’escadrons B.., commandant le 1er groupe du 6e régiment, prend le commandement de l’ensemble.

Dès le lever du jour, le 21 septembre, les opérations reprennent. Une quinzaine de maquisards occupent une crête au-dessus de la grotte. Les autres sont retranchés à l’intérieur. Quelques isolés occupent des positions ici et là. Le combat rapidement tourne à l’avantage des forces du maintien de l’ordre. Elles obtiennent la reddition de sept maquisards réfugiés dans la grotte. Ceux qui en assuraient la protection, à l’extérieur, réussissent à s’enfuir.

La brigade régionale de police de sûreté de Toulouse conduit les prisonniers en lieu sûr pour les interroger. Dans la journée, deux individus armés attaquent le garde P.. qui effectue dans le secteur une liaison à motocyclette. Ils lui laissent la vie sauve mais détruisent la moto.

La fouille des lieux amène la découverte de huit mousquetons, de vivres, de munitions, de tracts « à caractère gaulliste ». Le 22, les gardes poursuivent leurs recherches et mettent à jour une cache contenant huit fusils, des couvertures et des stocks alimentaires.

Le bilan de l’intervention laisse à tous un goût d’amertume et de tristesse. Pour la première fois depuis son rattachement au ministère de l'Intérieur, la garde perd l’un des siens au cours d’une opération de rétablissement de l’ordre. Sorti de Saint-Cyr en mars 1940, le lieutenant Max Massa est âgé de 23 ans lorsqu’il décide de servir dans la garde. Le disparu laisse une veuve et un enfant en bas âge. Le jour de ses obsèques, ses chefs épinglent sur son cercueil la croix de la Légion d’honneur. Destin cruel lorsqu’on sait, par le lieutenant-colonel Gendrault, que le jeune officier, depuis le mois de juillet 1943, appartenait au nombre de ceux qui, dans la garde, avaient accepté, sous l’égide du lieutenant-colonel Robelin, de retourner, au signal donné, leurs armes contre l’occupant. Sa disparition donne lieu à des commentaires qui traduisent bien l’atmosphère du moment et laissent augurer de lendemains difficiles :

« Le 20 septembre 1943, au cours d’une opération contre des terroristes, le lieutenant Max Massa, du 4e escadron du 6e régiment de la garde, est tombé sous les balles d’une bande de jeunes dévoyés, entraînés par une poignée d’agitateurs étrangers… Quelle leçon pour les égarés qui se refusent à accepter les dures nécessités créées par la défaite. Les jeunes criminels qui l’ont abattu se croyaient sans doute plus patriotes que lui. Poussés par la propagande de l’étranger, ils ont pensé que le patriotisme le plus pur voulait qu’ils désobéissent aux ordres du maréchal, que l’esprit de sacrifice exigeait qu’ils se dérobassent aux contraintes cependant légères que le service du pays leur impose à cette heure où la France saigne par tant de plaies mortelles. Entre ces dévoyés que des conseils impies ont engagés dans les voies de la désertion et le jeune officier tombé sous leurs coups sur la route droite du Devoir et de l’honneur, les Français clairvoyants ont choisi. »

Le chef des maquisards, Raymond Broucksaux, traduit devant le tribunal spécial et la section spéciale de Toulouse se voit infliger une condamnation à 20 ans de travaux forcés pour meurtre et tentative ainsi qu’à 2 ans de prison (confusion avec la peine de 20 ans) pour activité subversive, détention d’armes et de munitions. Jusqu’en avril 1944, il est détenu à la maison d’arrêt de Toulouse. Le 18 mai, les autorités le transfèrent à la maison centrale d’Eysses.

En Corrèze, les 14 et 15 octobre 1943, une nouvelle confrontation oppose gardes et maquisards. L’initiative d’un officier en est à l’origine. Dans la soirée du 14, l’escadron 2/3 stationné à Lapleau est informé de la présence probable d’un chef de maquis au village de Vergne. Le capitaine D.., commandant l’unité, décide d’effectuer une perquisition au domicile d’un suspect. Après avoir bouclé l’habitation, l’officier se fait ouvrir. Les gardes perquisitionnent dans toute la maison. Finalement, ils découvrent l’individu recherché dissimulé dans la cave. Avant de suivre les gardes, le jeune homme demande l’autorisation d’embrasser sa fiancée. Il s’approche d’elle puis brusquement bondit vers la porte. Le commandant d’escadron donne à ses hommes l’ordre d’ouvrir le feu. Le fuyard, gravement touché à la poitrine, réussit à s’éloigner dans la nuit. Il se traîne jusqu’à l’orée d’un bois tout proche. Une patrouille le découvre à la pointe du jour.

Le 15 au matin, ses camarades décident de passer à l’attaque pour le libérer. Ils tendent une embuscade à quelques kilomètres au nord-est du bourg de Lafage, sur le chemin d’intérêt communal n° 17. Vers 8 h 15, les gardes hissent le blessé sur une camionnette pour le conduire à l’hôpital. Un adjudant et six gardes prennent place à bord du véhicule qui, quelques minutes après, se trouve dans le champ de tir des F.T.P.. En quelques secondes, sous le feu concentré de leurs armes, le détachement perd trois hommes : les gardes Robert, Grancola et Vazeille. Le garde Massol, grièvement atteint, est dans l’incapacité d’esquisser le moindre geste de défense. Une nouvelle blessure aggrave l’état du maquisard transféré par la garde. Pendant ce temps, l’adjudant G.. et le garde L.. échappent miraculeusement aux tirs nourris des maquisards. Une première balle troue le casque du gradé et une seconde son pantalon. De même, un projectile traverse le manteau du garde L… Les deux hommes, à court de munitions, se rendent.

Au bruit de la fusillade, le capitaine D.. envoie immédiatement sur les lieux un peloton sous les ordres du lieutenant L.. Les gardes mettent en fuite les F.T.P. qui essayent d’amener avec eux leur camarade blessé. Ce dernier, mal commode à transporter à travers bois en raison de son état, ralentit leur retraite. Le malheureux, n’en pouvant plus, demande à ce qu’on l’abandonne sur place. À nouveau, le voici aux mains des forces de l’ordre traumatisées par les lourdes pertes qu’elles viennent de subir. Deux jours plus tard, il meurt à l’hôpital de Tulle, après une lente agonie. Lors de ses obsèques à Lafage, ses compagnons, dissimulés aux abords du cimetière, font le serment de le venger. Le capitaine D.., presque un an jour pour jour après ce drame qui endeuille la garde et les maquisards, tombera sous les balles d’un peloton d’exécution.

Toujours en 1943, à la mi-octobre, le préfet de la Dordogne, Popineau, apprend l’existence de camps de réfractaires à Cendrieux et à Saint-Alvère. Il requiert la garde pour les démanteler. Dans la matinée du 20, une colonne motorisée comprenant les escadrons 6/6, 7/6, 8/6 et le G.M.R. Périgord, sous les ordres du chef d’escadrons C.. quitte Périgueux en direction de Cendrieux. Cinq kilomètres après Landouze, un camion conduit par un gendarme et transportant cinq personnes croise les forces de l’ordre. Les gardes contrôlent le véhicule dont les passagers sont en situation irrégulière. Le conducteur n’est évidemment pas un gendarme. Tous viennent du camp de Cendrieux. Les gardes les retiennent et poursuivent leur progression. La colonne arrive en vue du hameau de Lagerthe, à l’est de l’objectif. Les gardes débarquent, prennent les dispositions de combat et encagent le secteur. Des coups de feu partent d’une des façades d’une ferme rapidement conquise par le 6e escadron.

Bilan de l’action : 13 arrestations, saisie d’armes, de matériels et de documents parmi lesquels une étude dactylographiée intitulée « le maquis » contenant l’organigramme de « l’armée secrète de libération » avec les noms de tous les responsables départementaux. Grâce à ces renseignements, les autorités connaissent la structure de la Résistance dans le secteur. À sa tête, « un juif d’origine tchèque nommé Goldman se faisant appeler Mireil » Il a sous son autorité plusieurs groupes stationnés dans le Périgord. Son P.C. se trouve dans la région de Saint-Alvère. Les maquisards, au nombre d’une cinquantaine dont quelques Géorgiens, disposent de plusieurs voitures et d’une armurerie. Pour exploiter ces renseignements, le préfet organise une réunion le 22 octobre avec les responsables des forces de l’ordre. Le chef d’escadrons C... émet des réserves concernant la poursuite de l’opération. Le carburant fait défaut. Les effectifs ne lui paraissent pas suffisants. Le préfet se range à son avis et diffère l’expédition. Les maquisards ont déjà quitté Saint-Alvère pour se regrouper aux environs de Saint-Vincent-de-Connezac.

Le sous-groupement du chef d’escadrons C... est une nouvelle fois mis à contribution. Il doit ratisser la région de Le Maine-du-Puy. En arrivant à ce lieu-dit, les gardes surprennent quatre maquisards qui s’affairent dans le voisinage du camp. Leur chef, le lieutenant Lebon, veut éviter l’affrontement. Son groupe comprend une quarantaine d’hommes bien armés. Il trouve inutile un combat entre Français et demande à parler au chef de la troupe. Le camp est déjà investi. Des coups de feu claquent de tous côtés. Le combat fait rage pendant une vingtaine de minutes. Deux gardes sont blessés. Les maquisards ont un mort, trois blessés et 32 prisonniers dont 5 Géorgiens. Les suites de cette opération de police sont tragiques. Le 10 décembre 1943, les Allemands passent par les armes les 5 étrangers et déportent les autres prisonniers.

D’autres facteurs entraînent l’engagement de la garde dans des opérations de rétablissement de l’ordre. La gendarmerie, faute de moyens suffisants pour mener à bien des actions offensives, demande le concours des forces mobiles déplacées dans sa zone de compétence. De préférence, chaque fois que possible, elle privilégie le recours à la garde. Au début du mois de décembre 1943, la section d’Ussel (Corrèze), informée de la présence d’individus armés au nord de Bugeaux, organise une reconnaissance discrète du terrain. Le lieutenant H.. et le chef L.. se rendent sur les lieux. Dans la région de Malleret, ils tombent sur une maison isolée qui paraît, à première vue, abandonnée. Après une observation attentive, ils acquièrent la certitude qu’elle est occupée.

À la demande du commandant de section, le chef d’escadrons D..., commandant le 1er groupe du 3e régiment déplacé dans la région d’Ussel, envoie immédiatement sur place l’escadron 6/3. Son chef, le capitaine C.., prend en compte l’intervention à laquelle participe un peloton de gendarmerie. L’officier, pour éviter un combat fratricide, somme les occupants de la maison de se rendre. Il obtient leur reddition. L’escadron arrête au total 12 individus, tous recherchés, parmi lesquels souligne le rapport d’opération « 2 Russes, 1 Belge et 1 juif étranger ». Leur capture s’accompagne de la découverte d’armes, de munitions diverses d’origine étrangère et d’équipements dérobés aux chantiers de jeunesse.

Le 5 décembre, le chef d’escadrons D... exprime sa satisfaction au capitaine C... :

« J’ai l’honneur de vous féliciter pour votre belle action pendant l’opération effectuée le 4 décembre au cours de laquelle 12 terroristes puissamment armés ont été capturés.

J’estime que votre exemple a fortement contribué à l’heureuse issue de l’opération en imposant le calme à vos hommes et que votre attitude et vos sommations énergiques ont été pour beaucoup dans la reddition sans combattre des individus recherchés. »

En achevant sa mission en Limousin, le général Bois, commandant les forces du maintien de l’ordre de la région de Limoges, s’adressant au commandant de la légion de gendarmerie, par lettre en date du 7 décembre, évoque le succès obtenu, fruit d’une excellente coopération entre la garde et la gendarmerie :

« Je dois faire, écrit-il, particulièrement mention du lieutenant L.. commandant la section d’Ussel qui a apporté au colonel commandant le groupement des forces mobiles d’Ussel une collaboration de tous les instants qui s’est traduite par la réussite de plusieurs opérations en particulier celle de Malleret du 4 décembre (arrestation de 12 terroristes). »

La garde intervient encore dans des situations d’urgence, pour venir en aide à des unités attaquées par des bandes armées. Les combats qui en résultent prennent parfois une tournure dramatique. L’exemple le plus connu a pour théâtre la Corrèze. À la fin de l’année 1943, l’intendant de police de Limoges déploie, dans la région de Treignac, quasiment sous le contrôle du maquis, un groupement des forces de l’ordre comprenant des escadrons de la garde et plusieurs G.M.R. Le lieutenant-colonel Médard, du 2e régiment, coiffe l’ensemble.

Le 29 janvier 1944, en début de matinée, un sous-groupement constitué du G.M.R. Bourbonnais, aux ordres du commandant Bastide, et de l’escadron 6/3 du capitaine P.. effectue une opération de police aux environs de Lonzac en vue « d’y rechercher des éléments subversifs ». Trois maquisards tombent aux mains des forces de l’ordre : le lieutenant Besse de l’A.S., l’adjudant-chef Bertin et Jouanet un garde déserteur. Les G.M.R. récupèrent 6 véhicules, des armes et des munitions. En outre, ils appréhendent 3 jeunes gens aux fins de contrôle.

À l’issue de l’opération, vers 16 h, gardes et G.M.R. reprennent la route pour rejoindre leur cantonnement à Treignac. En tête de la colonne se trouvent les camions des G.M.R., au milieu les véhicules saisis, en serre-file l’escadron de la garde.

Pour libérer les prisonniers, maquisards de l’A.S. et F.T.P., de concert, au nombre d’une quarantaine, s’installent en embuscade dans la côte de Balême, à environ 1 500 mètres de Treignac. À l’arrivée du convoi, un coup de revolver donne le signal du déclenchement de l’attaque. Un déluge de feu, tirs de F.M., de fusils et de grenades s’abat sur les G.M.R. qui perdent 10 hommes (3 tués et 7 blessés). Dès le début de la fusillade, G.M.R. et gardes mettent pied à terre. L’escadron manœuvre et prend à revers les maquisards contraints de se replier. Ces derniers laissent sur le terrain 4 tués et 6 blessés.

Après l’embuscade, pour empêcher tout retour en force des maquisards dans Treignac, le commandant de groupement dispose des barrages aux abords de l’agglomération. L’un d’eux, tenus par les G.M.R., crible de balles une voiture qui se dirige vers le contrôle. Trois personnes de Treignac, dont une jeune femme sortant de l’hôpital de Tulle, qui se trouvent à bord sont mortellement blessées. La situation, après cette bavure, devient explosive dans la petite cité. La population conspue les G.M.R. Les gardes s’interposent pour éviter des incidents.

Dans la soirée, les G.M.R. transfèrent les prisonniers à Limoges. Sur le chemin du retour, le détachement subit des tirs de harcèlement à La Celle, 12 kilomètres au nord de Treignac. Des troncs d’arbres, disposés en travers de la route, ralentissent sa progression. L’arrivée de renforts lui permet d’atteindre sa base sans dommage.

Le lendemain, à 16 h 30, un attroupement de 150 personnes se forme à Treignac devant le cantonnement des G.M.R. La population réclame leur départ puis, en chantant la Marseillaise, elle se rend au domicile d’une des victimes pour lui rendre hommage. La dispersion s’effectue sans incident.

À la suite de ces événements, Darnand se rend sur place pour exprimer sa satisfaction aux G.M.R. et à la garde. Il les incite à agir sans faiblesse contre les « hors-la-loi ». Le 2 février, de retour à Vichy, en présence des directeurs généraux de la garde, de la gendarmerie et des G.M.R., il préside les obsèques solennelles des fonctionnaires de police victimes de l’embuscade. Dans les jours suivants, il adresse au commandement des G.M.R. et de la garde le télégramme ci-après :

« Secrétaire général au maintien de l’ordre adresse ses félicitations aux officiers, gradés, gardiens et gardes du G.M.R. Bourbonnais et de l’escadron 6/3 de la garde pour la vigueur et le courage remarquables dont ils ont fait preuve dans la lutte qu’ils ont menée le 29 janvier 1944 contre des éléments terroristes à Treignac. Au nom du chef du Gouvernement et en mon nom personnel je les remercie du magnifique exemple de loyauté, d’esprit de sacrifice et de discipline qu’ils ont donné à l’occasion de cet engagement. »

Quelques commandants d’escadrons se montrent résolument offensifs dans la répression, n’hésitant pas à prendre des initiatives préjudiciables à la Résistance. Le capitaine Jean, commandant l’escadron 4/5 de Bergerac, en fournit un triste exemple, le plus typique. Par trois fois, entre les mois de décembre 1943 et d’avril 1944, il porte de rudes coups à des maquis du Limousin. Le 19 décembre, dans la région de Coussa (Haute-Vienne), « il met hors d’état de nuire plusieurs terroristes » comme en fait mention le témoignage de satisfaction que lui accorde le chef du Gouvernement.

Le 3 mars, à la suite de l’attaque de la perception de Bergerac, l’officier installe, dans l’après-midi du lendemain, un poste de contrôle sur la route de Périgueux, en haut de la côte de Pont-Saint-Mamet, au lieu-dit « Cantalouette ». Un camion se présente à bord duquel se trouvent une dizaine de jeunes gens. À une quarantaine de mètres du dispositif, à la vue des gardes, le véhicule stoppe. Un des passagers met pied à terre et s’avance dans leur direction sans manifester de signes d’hostilité. Soudain, le capitaine dégaine son pistolet et, à deux reprises, ouvre le feu sur l’inconnu dont le pantalon est percé par une balle. Simultanément, un F.M. entre en action contre le camion. Les occupants abandonnent le véhicule et se replient en tirant. Au cours de ce mitraillage, deux maquisards s’écroulent mortellement touchés. Un troisième, gravement blessé, échappe à la capture grâce à l’aide de ses camarades. Le groupe rejoint sa base à la ferme de la Régasse. Le chef du maquis décide de changer de cantonnement mais seulement lorsque le blessé aura reçu les soins nécessaires.

Pendant ce temps, le capitaine Jean ne reste pas inactif. Au lever du jour, le dimanche 5, il revient en civil aux alentours de Pont-Saint-Mamet pour essayer de localiser le refuge des fuyards. Il déclare à plusieurs habitants qu’il est médecin et vient soigner le jeune homme blessé la veille par les gardes. Ne sachant pas où se trouve l’intéressé, il insiste pour qu’on lui indique son refuge. En fin d’après-midi, il réussit à obtenir le renseignement recherché. Les événements se précipitent. À 20 h 30, l’officier se rend à la sous-préfecture de Bergerac et informe l’autorité administrative. Dans le rapport confidentiel qu’il adresse le 8 au préfet de la Dordogne, le sous-préfet Callard note :

«… le capitaine Jean est venu me rendre compte que les renseignements qu’il avait recueillis depuis la veille à la suite de l’attentat contre la recette des finances de Bergerac se précisaient et qu’il croyait pouvoir trouver la bande de terroristes dans la nuit. Comme son opération s’effectuait sans qu’il en ait reçu l’ordre d’aucune autorité supérieure, et indépendamment de l’action générale menée dans le département par le commandant Thomas, il venait me demander de le couvrir en lui donnant les autorisations et ordres nécessaires. Devant les précisions qui m’étaient données, j’ai fait confiance au capitaine Jean. »

À 3 h du matin, à la tête d’un détachement, le commandant d’escadron encercle la ferme où stationnent les maquisards. Après avoir neutralisé les guetteurs, il donne le signal de l’assaut. Le groupe F.T.P. Valmy est mis pratiquement hors de combat. Aux trois tués, s’ajoutent 9 prisonniers dont un blessé grave qui décédera à l’hôpital de Bergerac dans l’après-midi. Seuls, cinq F.T.P. en mission au moment de l’attaque échappent aux recherches. Dans son rapport, le sous-préfet expose en détail les résultats de l’opération :

« En plus des personnes dont le nom a été indiqué plus haut a été capturé un pilote américain tombé du côté d’Angoulême et qui se trouvait rattaché à cette bande on ne sait trop comment… Dans les papiers qui ont été saisis par le capitaine Jean, j’ai vu un lot important de cartes d’alimentation et toute une série de circulaires et de tracts signés du parti communiste français. En outre une somme de 26 000 francs a été trouvée… »

Le 12 mars, le préfet de la Dordogne propose au préfet régional à Limoges « de déférer le plus rapidement possible ces individus devant la cour martiale » car un exemple s’impose. L’affaire ne traîne pas en longueur. Devant la cour martiale de Limoges, Marcel Legendre, chef du groupe, se déclare seul responsable. Le tribunal de Darnand le condamne à la peine capitale. Le 18 mars, à la prison de Limoges, il tombe sous les balles d’un peloton d’exécution. Il venait d’avoir 21 ans.

Le capitaine Jean ne laisse aucun répit aux résistants. Le 15 mars, il active son groupe franc composé de volontaires parmi lesquels un officier d’un escadron du 2e régiment déplacé en Dordogne. À 5 h, le lendemain matin, il attaque un détachement des F.T.P. au lieu-dit Le Canadier, commune de Veyrines-de-Domme. Du groupe de cinq hommes commandé par Sanchez Florès, un seul réussit à s’enfuir. Trois sont tués et un quatrième capturé. Au cours de l’engagement, trois hommes du groupe franc sont blessés : le capitaine Jean, le lieutenant T... et le garde C… Les deux premiers font l’objet d’une proposition pour la Légion d’honneur. Le garde et un gradé sont proposés pour la médaille militaire. Le préfet Popineau, dans un rapport du 3 avril, adressé au préfet régional, note en conclusion qu’il « serait souhaitable que ces propositions aboutissent le plus rapidement possible ». Par arrêté du 22 avril, le Chef du Gouvernement, ministre de l'Intérieur, décerne la médaille d’or pour actes de courage et de dévouement au capitaine Jean :

« Une opération de police ayant été décidée pour cerner un repaire de terroristes à Veyrines (Dordogne) a fait preuve d’un esprit de décision, de courage et de sang-froid en faisant le premier les sommations. A été blessé au cours de l’action. »

Le 25 mars, l’officier occupe encore le devant de la scène. Avec son escadron, il neutralise, après un raid surprise, l’école des cadres de l’interrégion F.T.P. L’état-major régional F.T.P. de Limoges a créé cette école en 1943, d’une part, pour combler les vides que les premiers combats avaient creusés parmi les chefs de l’organisation, de l’autre, pour instruire les réfractaires au S.T.O. qui les rejoignaient. Un commissaire aux effectifs, chargé du moral, de l’instruction civique et politique, dirige l’école. Trois anciens officiers de l’armée républicaine espagnole dispensent l’instruction militaire : le commandant Doye, le capitaine Diégo Garcia et le lieutenant Ortiz. 25 à 30 hommes en provenance de la Dordogne et des départements de l’interrégion (Corrèze, Lot, Haute-Vienne, Indre, Creuse) participent à chaque stage d’une durée moyenne de trois semaines. Cinq Soviétiques, anciens militaires de l’armée rouge, évadés d’un camp de prisonniers, gardent le camp.

Une brigade de la section de gendarmerie de Sarlat apprend le 24 mars, par l’intermédiaire d’un agent de renseignements, la présence à la ferme Radegonde, sur le canton de Carlux, d’une trentaine d’hommes fortement armés comprenant des Français et des étrangers placés sous le commandement d’un Russe. Toujours selon l’informateur, la bande s’approvisionne en pain à la boulangerie de Carsac. Autour de la ferme où elle stationne, située dans une région boisée, en bordure d’un petit chemin, quelques guetteurs assurent une garde vigilante.

Le capitaine R.., commandant la section de Sarlat, selon les instructions en vigueur, informe par message chiffré sa hiérarchie et les autorités administratives : préfet de la Dordogne, intendant du maintien de l’ordre à Limoges. Pour tous les responsables, il y a intérêt à intervenir dans un délai aussi rapproché que possible car la bande est susceptible de quitter les lieux.

Les autorités chargent le capitaine Jean de l’intervention. Dans la soirée du 24, l’adjudant C.., sur instruction du capitaine Jean, effectue une reconnaissance en civil pour repérer l’objectif. Sans trop de difficultés, il le localise avec exactitude à quelques kilomètres au nord-ouest de Calviac, entre les hameaux de Bospe et de Pebret. Le 25, au lever du jour, les gardes prennent position autour de la ferme. Un guetteur donne l’alerte. Plusieurs maquisards gagnent immédiatement les bois voisins. Pendant une vingtaine de minutes, les armes crépitent. Quatre individus tentent de sortir de l’habitation sans succès. Des gardes leur coupent la retraite et finalement les interceptent. Des cris et une grande agitation succèdent au vacarme de la fusillade. Après la fouille, les gardes font les comptes.

Parmi les prisonniers, il y a trois Français à peine âgés de 20 ans, tous originaires de la Dordogne : André Dumas, Robert Solas et Serge Bouy. Le quatrième, Yvan Golowin, est un ancien officier russe évadé d’Allemagne. Le 4 avril, à Limoges, une cour martiale le condamne à mort en même temps que Serge Bouy. Aussitôt après la sentence, un peloton d’exécution fusille les deux résistants dans la cour de la maison d’arrêt.

Les gardes saisissent un matériel impressionnant : une camionnette faussement immatriculée, un poste émetteur, 4 fusils, des revolvers, des grenades, plusieurs dizaines de kilos d’explosifs, et des feuilles de tickets de pain portant le cachet d’une mairie de la région volés fin février. Parmi les documents découverts, des lettres et des états divers permettent d’établir « que ce groupe constituait une école technique militaire où les hommes venaient faire un stage de quelques jours et placé sous les ordres d’un capitaine espagnol nommé Don Gracias Giménez et d’un nommé Hortis ». D’après une brochure trouvée dans les papiers des partisans, tout indique précise les enquêteurs « que les méthodes enseignées dans cette école technique étaient fortement imprégnées de communisme ».

Une fois de plus, le capitaine Jean et plusieurs de ses subordonnés, le lieutenant M..., l’adjudant C..., les chefs B... et S... obtiennent des félicitations écrites du colonel Mahuet commandant le groupement des forces du maintien de l’ordre dans la région de Limoges.

Le coup de main effectué par l’escadron de Bergerac, sous la conduite de son chef, donnera lieu après la guerre à des récits erronés. S’appuyant sur la relation des faits exposée par l’historien soviétique Guennadi Netchaev, considéré en France comme le spécialiste le mieux documenté sur la participation des Soviétiques à la résistance intérieure française, plusieurs auteurs, tels Henri Noguères, Guy Penaud, etc., reprennent sa version des faits. Le témoin qui l’a inspirée n’est autre que Alexeenko, un des défenseurs du camp, qui a réussi à prendre la fuite lors de l’arrivée des gardes.

« Brusquement, rapporte-t-il à Netchaev, nous fûmes tirés de notre sommeil par le cri de la sentinelle suivi d’un bruit de chute. Pendant que nous dormions, plus de cent fascistes avaient encerclé la ferme. Un fasciste s’était glissé derrière la sentinelle, il avait enfoncé sa baïonnette dans le dos. La sentinelle avait poussé un cri de douleur laissé tomber sa mitraillette qui heurta une pierre. L’Allemand essaya d’ouvrir la porte mais nous l’avions fermée de l’intérieur. Plusieurs autres hitlériens accoururent. L’un d’eux cria quelque chose. Yvan Pilipenko traduisit : les fascistes nous offraient de nous rendre. Et aussitôt il tira une rafale à travers la porte et la fenêtre. »

«…Trente-six fascistes furent tués dans ce combat d’une heure et demie. Nous trois seulement parmi les partisans étions restés en vie. Deux de nos camarades grièvement blessés tombèrent aux mains des fascistes dont Yvan Pilipenko. »

En janvier 1972, la Revue d’Histoire de la Seconde Guerre mondiale, dans un article intitulé « Partisans russes et soviétiques en France » sous la signature de F. Conte reprend cette version des événements :

« Le 24 mars, l’école subit pourtant une attaque de grande envergure alors qu’elle se trouvait à côté de Prat-de-Carlux (région de Sarlat) Yvan Pilipenko fut grièvement blessé alors qu’il essayait de retarder l’avance des éléments ennemis pour permettre le décrochage. Il fut fait prisonnier par les Allemands avec le jeune français Bouy et tous les deux furent fusillés le 4 avril à la prison de Limoges. »

Un rapport officiel prouve que le combat du 24 mars a opposé exclusivement gardes et partisans. Sur le terrain, il n’a entraîné, de part et d’autre, aucune perte en vies humaines. Quant à l’effectif mis en ligne par la garde, il n’excédait pas une soixantaine d’hommes.

À la Libération, le comité d’épuration de la Dordogne se saisira du cas du capitaine commandant l’escadron de Bergerac et des autorités impliquées en amont dans l’opération du 25 mars.

Le combat meurtrier qui oppose le 19 mars 1944, dans la région de Panassières (Loire), un maquis F.T.P. à un détachement comprenant une trentaine de la Milice, un peloton de gendarmerie et un escadron du 1er régiment, se termine par la mort des gardes Lesage et Gradeler, celle de 5 F.T.P. et l’arrestation de 5 autres. Parmi les prisonniers, un blessé grave. Son hospitalisation, suivie de l’amputation d’un membre, lui sauve la vie. Ses camarades, incarcérés à Lyon puis jugés par une cour martiale, tombent quelques jours après sous les balles d’un peloton d’exécution.

L’opération de Panassières, ordonnée par l’intendant du maintien de l’ordre de Lyon, ne résulte pas d’une initiative de l’officier de la garde contraint d’obtempérer à une réquisition. Un renseignement, dont on présume qu’il émane de la gendarmerie de Montbrison, en serait à l’origine. La suite des événements, comme le pensent des résistants, tend à le prouver. Les 28 et 30 mai, à quarante-huit heures d’intervalle, le chef Gérardin, commandant la brigade de Monbrison et le chef d’escadrons Arthaud, commandant la compagnie, tombent respectivement sous les balles de tireurs non identifiés.

Au début du second trimestre de l’année 1944, Darnand met en place dans les régions administratives les plus sensibles (Alpes, Limousin, Massif Central, etc.) un directeur des opérations du maintien de l’ordre. Le poste échoit à des miliciens qui deviennent les chefs des forces mobiles du maintien de l’ordre (garde, G.M.R., forces supplétives de gendarmerie, gardes des voies de communication, francs-gardes de la Milice). Pour tenir en main leur troupe, ils disposent en matière disciplinaire de larges pouvoirs comme celui de punir ou de récompenser. Dans le Limousin, De Vaugelas, précédemment chef des francs-gardes, à sous sa coupe plusieurs milliers de gardes, G.M.R., policiers et gendarmes. Le 24 avril, s’adressant à des miliciens, il leur fait part de ses intentions pour rétablir l’ordre :

« Ayant participé aux opérations de Haute-Savoie, je puis vous affirmer qu’il n’y a aucune distinction à faire entre bon et mauvais maquis. Nous n’accorderons pas de quartier à ceux qui délibérément bravent l’autorité… »

Les ratissages et embuscades se succèdent à un rythme jamais atteint. La hargne des miliciens se heurte à la farouche détermination des maquisards. Les accrochages redoublent d’intensité. Des cadres et exécutants, pris dans cet engrenage, se soumettent aux ordres, les uns par peur de la Milice, les autres par esprit de discipline, une minorité par conviction. Quoi qu’il en soit, les pertes en vies humaines augmentent dans les deux camps.

Dans la nuit du 12 au 13 mai, un groupe de gardes en embuscade près de Bridiers (Creuse) tire plusieurs rafales de fusil-mitrailleur sur deux individus. L’un est tué sur le coup. L’autre a le bassin fracassé par plusieurs balles et n’est secouru qu’après plusieurs heures. Les deux hommes, membre d’un groupe des F.T.P., transportaient des draps pour l’infirmerie du maquis.

Le 17 mai, en Dordogne, deux escadrons et une trentaine de francs-gardes, appartenant au groupe des forces de Limoges, accrochent, dans la région de Cognac-sur-l’Isle, un groupe de F.T.P. Le contact est très violent. On dénombre trois tués parmi les maquisards et dix prisonniers. Un milicien et le garde Jean C.., du 6e régiment, trouvent également la mort. Leurs obsèques se déroulent à Périgueux, le 20 mai, devant une foule nombreuse, en présence des autorités civiles et religieuses.

Ce même mercredi 17, exploitant les renseignements fournis par un traître, le lieutenant-colonel B.., du 5e régiment, avec un groupement mixte (G.M.R., gardes, francs-gardes), cerne le bois de la Bonnelle (Creuse) à mi-distance entre Saint-Maurice et La Souterraine. Une compagnie de F.T.P., traquée depuis plusieurs jours, à la suite de sabotages et attentats commis dans la région, vient de s’y installer. À la suite d’un coup de feu prématuré d’un maquisard à l’affût, les forces de l’ordre partent d’un bloc à l’assaut. Coups de sifflets stridents, sommations, hurlements, détonations, accompagnent leur mouvement. Le bilan est lourd. 3 F.T.P. tués, 18 prisonniers. Il y a 2 gardes blessés du côté des forces de l’ordre.

Avec les chefs miliciens, le lieutenant-colonel B... interroge les prisonniers. Veut-il faire illusion à leurs yeux ? Toujours est-il qu’il leur tient des propos menaçants :

« Y a-t-il des Espagnols là-dedans ? Si vous ne le dites pas, vous serez tous fusillés ! »

Quelques jours plus tard, l’officier autorise l’enterrement des maquisards tués le 17, au cimetière de Saint-Maurice, pour une sépulture provisoire. Tout cortège est interdit. La population passe outre. Le 20 mai, une foule évaluée à 3 000 personnes assistera à leurs obsèques.

Au cours d’une mission de police à Saint-Boil (Saône-et-Loire), le 31 mai 1944, le sous-lieutenant W..., du 2e régiment, trouve la mort.

En marge des opérations, les escadrons déplacés dans les zones troublées s’exposent, dans leurs cantonnements et sur les axes, à des actions des maquisards. À Seilhac (Corrèze), début décembre 1943, au cours d’un déplacement, la voiture du lieutenant-colonel B.., commandant les forces d’opérations dans le département, subit des tirs d’armes automatiques. Le conducteur, le garde L..., du 6e régiment, franchit sans dommage la zone dangereuse. Le 17 mai 1944, alors qu’il se transporte avec un détachement à Marcillac-la-Croisille, petite localité investie par une bande de maquisards, le lieutenant D.. tombe dans une embuscade à l’est de Clergoux. Il est gravement blessé. Transporté à l’hôpital de Tulle il décède dans la soirée.

Tous les maquisards n’affichent pas de l’hostilité à l’égard des gardes isolés, quand bien même le rapport de force leur est favorable.

Dans les premiers jours de décembre 1943, revêtus de la tenue des chantiers de jeunesse, ils immobilisent le train Tulle-Lapleau à environ un kilomètre de la station de Lafage-sur-Sombre. Parmi les voyageurs, il y a deux gardes en uniforme, du 3e régiment, qui reviennent de permission. Les assaillants fouillent le train et invitent les deux militaires à descendre sur le ballast. Une fois leurs investigations terminées, ils les laissent remonter dans le wagon. Les gardes rejoignent sans encombre leur unité.

Les maquisards ne se montrent pas agressifs, le 10 mars 1944, lorsqu’ils neutralisent des gardes en mission de ravitaillement. Trois gardes, de l’escadron 8/2 stationné à Neuvic (Corrèze), transportent en camionnette du carburant pour un escadron déplacé dans le secteur. Au lieu-dit « La Croix de Boveix », ils tombent sur un barrage tenu par une cinquantaine d’hommes. Les deux gardes d’escorte et le conducteur obéissent à leurs injonctions. Les maquisards s’emparent du précieux chargement. Cependant, ils libèrent les gardes autorisés à repartir avec leur véhicule. Dans le rapport, consécutif à ce coup de main, établi par le commandant d’escadron, celui-ci suspecte un garde déserteur d’être à l’origine de l’attaque. Sans doute, la présence d’un des leurs dans les rangs des maquisards explique-t-elle leur modération.

Comme le prouve l’aventure qui a failli mal tourner, survenue au capitaine P.., de l’escadron 6/3, on frôle parfois l’irréparable. Le 26 mars 1944, l’officier, cantonné à Tulle avec son unité, effectue une liaison de service, par voie terrestre, à destination de Limoges, accompagné de deux gardes. À la sortie de Pierre-Buffière (Haute-Vienne), 6 individus armés interceptent les trois hommes et s’emparent de leurs armes. Toutefois, ils les laissent poursuivre leur route en direction de Limoges. Sur le chemin du retour, en fin d’après-midi, aux environs de la Nouailles (Dordogne), les gardes tombent sur un nouveau barrage. L’attitude des maquisards du Périgord contraste avec celle de leurs voisins du département de la Haute-Vienne. Ils obligent l’officier et les deux sous-officiers à les suivre. Leur disparition, pendant trois jours, fait grand bruit. La presse relate l’événement. Alors qu’ils sont sur le point d’être fusillés, les trois hommes mettent hors d’état de nuire leurs geôliers et s’enfuient. À la Libération, la commission d’épuration et de réintégration des personnels militaires, statuant sur leur cas, ne retiendra pas contre eux ce chef d’inculpation considérant qu’ils se trouvaient en état de légitime défense.

En mars 1944, un détachement d’une trentaine d’hommes attaque à Tulle le cantonnement des escadrons déplacés au chef-lieu de la Corrèze. Il n’y a pas de victimes. Les gardes repoussent les agresseurs.

Outre les opérations de rétablissement de l’ordre dirigées contre les bandes armées, qu’orchestrent à tour de rôle Bousquet et Darnand, sur fond d’anticommunisme et d’opposition au général de Gaulle, les unités de la garde exécutent d’autres missions dont l’occupant tire profit.

Ainsi participent-elles à la protection de certains sites sensibles, cibles faciles des saboteurs. Une partie de la production d’électricité des Alpes et du Massif central est acheminée vers Paris pour alimenter les usines travaillant au profit de l’industrie allemande. Aussi, dès la fin de l’année 1942, pour affaiblir la machine de guerre des nazis, la Résistance s’attaque aux lignes de transport du courant électrique à haute tension et aux sites hydroélectriques. Elle multiplie les sabotages de pylônes et les coupures. En Corrèze, dans l’Indre, le Cantal, le Puy-de-Dôme, etc., les destructions se succèdent à un rythme régulier. Les travaux de remise en état exigent des délais plus ou moins longs préjudiciables aux intérêts de l’occupant.

Devant cette situation, les autorités allemandes réagissent. Elles obtiennent du Gouvernement français l’assurance que la sécurité des installations sera assurée efficacement. Bousquet est autorisé à utiliser la garde en zone nord pour participer à la surveillance du réseau électrique. Ce service impose la mise en place d’un dispositif permanent très étoffé. Un groupement de la garde baptisé « A », (P.C. Châteauroux), comprenant 8 escadrons dont 2 remplissent la mission en zone nord, soit l’effectif d’un régiment, sous les ordres d’un colonel, est constitué en novembre 1943 pour garder la ligne de transport de force Rueyres-Paris qui traverse les régions de Clermont-Ferrand, Limoges, Orléans et Versailles. Le système de protection repose sur des postes fixes, installés auprès de chaque pylône, et l’exécution de patrouilles, dans les intervalles, sur des itinéraires déterminés. Les différents échelons du groupement se tiennent en liaison permanente avec les autorités administratives (intendants de police, préfets, etc.) ainsi qu’avec les organismes de renseignements (police, brigades de gendarmerie, renseignements généraux, etc.) correspondant à leur implantation. Le 26 avril 1944, le 1er régiment de France relève la garde, à l’exception de deux escadrons maintenus en zone nord. Le colonel Berlon, commandant la Force armée gouvernementale, prend le commandement du groupement. Entre le 26 avril et le 2 mai, le lieutenant-colonel Hachette du 2e régiment reste sur place avec un officier et un gradé par escadron pour lui passer les consignes.

Parmi les escadrons assurant ce service, on trouve au sous-groupement n° 2 du chef d’escadrons Cann, celui de Montluçon (4/4), aux ordres du capitaine Lavalard, déplacé du 29 février au 25 avril 1944 sur le site hydroélectrique d’Éguzon où il surveille des lignes à haute tension à Chambon, Sainte-Croix et Naillat.

Dans des conditions semblables, 3 escadrons intégrés dans un groupement « C », commandé par le chef d’escadrons Series, (P.C. à la préfecture de Dijon), surveillent la ligne de transport de force du seuil de Bourgogne.

L’escadron 4/4, de Montluçon, fait partie de ce groupement du 13 décembre 1943 au 2 février 1944 date à laquelle un escadron motocycliste du 2e régiment le relève. Le général Beaudonnet, qui a servi dans cette unité, en relate l’activité :

« Le P.C. de l’escadron va s’établir avec le peloton Michel à Darcey une bourgade crottée à 5 kilomètres de Montbard où on doit garder les pylônes 227 et 228. De la même façon le peloton Lannes est envoyé à Saint-Germain-sur-Couche et à Romilly-en-Montagne. Le peloton Cuenot à Coulmier-le-Sec et à Saint-Thibault. Partout il faut se trouver un gîte. Ce ne sera possible que lorsque les villageois auront compris que nous ne sommes ni les G.M.R. ni la Milice. Après on voudra bien se serrer autour du feu et nous prêter des instruments de cuisine pour faire popote…

La protection des pylônes est par contre une affaire fastidieuse. Le bon sens voudrait qu’on installe sur chaque site une sorte de bordj permettant à la fois d’assurer le guet et de se défendre. La rareté de l’outillage et des matériaux en rendrait cependant la construction difficile. Certains craignent aussi qu’une telle organisation du terrain soit mal appréciée du commandant Bernard, le chef des maquis de la contrée connu comme le loup blanc. Aussi faut-il se contenter de deux sentinelles paisibles qu’on relève toutes les quatre heures au prix d’une marche malaisée au travers des taillis… »

Les services statiques n’empêchent pas des accrochages avec le maquis. Des postes tenus par la garde doivent parfois faire face à des attaques en règle ou à des tirs de harcèlement. Ces affrontements, qui tournent tantôt à l’avantage des assiégés, tantôt à celui des assaillants, ne sont pas sans conséquences. Le 3 avril 1944, le chef du Gouvernement accorde un témoignage de satisfaction à l’adjudant G.., du 1er régiment, dont la réaction à permis de prévenir une attaque :

« À, par sa perspicacité, décelé un rassemblement de terroristes à proximité de la ligne à haute tension placée sous la surveillance de son unité ; a fait irruption le premier sur ces individus à la tête d’une patrouille et, malgré le feu nourri d’une arme automatique, a réussi à en faire capturer deux et à mettre les autres en fuite. »

En Corrèze, le 8 mars 1944, au milieu de la nuit, un peloton de l’escadron 4/3, assurant la surveillance de la sous-station électrique de Brascadou (commune d’Uzerches), met en fuite une bande armée qui s’apprêtait à attaquer le site.

Parfois, les gardes réagissent mollement et se laissent désarmer, tel ce poste de l’escadron 8/3 installé à Viermont (canton d’Ussel) chargé de protéger la ligne à haute tension de 220 000 volts de la Mole à Éguzon. Le 10 mars 1944, vers une heure du matin, un groupe de 9 hommes du maquis de Neuvic entreprend une opération pour récupérer les armes du peloton installé au pylône 36. Transportés en camion à un kilomètre de l’objectif, les maquisards progressent ensuite en rampant jusqu’aux abords du poste. Les gardes disposent d’un chien mais celui-ci ne réagit pas à l’approche du commando. Au dernier moment, une sentinelle donne l’alarme et ouvre le feu. Les maquisards ripostent et criblent de balles le baraquement occupé par les gardes. L’adjudant-chef, commandant le poste, tente d’organiser la défense. À la vue du guetteur blessé, il renonce finalement à résister. L’action a duré moins de dix minutes. Les résistants s’emparent de 5 fusils Mle 1936, 7 pistolets, un fusil-mitrailleur, 2 pistolets-mitrailleurs Thompson, une caisse de grenades, une caisse de cartouches, des sacs et des équipements. Après avoir soigné le blessé, les maquisards quittent les lieux mais emmènent avec eux deux gardes qu’ils libèrent au lever du jour. L’un des militaires du peloton a reconnu, parmi les agresseurs, le garde D... déserteur de l’escadron quelques jours auparavant !

À la demande des préfets, des formations de la garde remplissent des missions de protection au profit des Chantiers de jeunesse très vulnérables aux coups de main effectués par les maquisards. Ces missions, comme les précédentes, entraînent des incidents. Le plus grave se produit au cours du dernier trimestre de l’année 1943. Le 6 octobre, sur réquisition du préfet de la Corrèze, le chef d’escadrons B..., du 6e régiment, commandant le groupement des forces supplétives déplacées en Corrèze, fournit un peloton de l’escadron 3/4 (1 officier, 24 gardes et gradés) pour escorter un convoi de 150 jeunes des Chantiers de jeunesse de retour des vendanges dans le Midi. Le mouvement s’effectue de Tulle à Lapleau par le chemin de fer départemental. Vers 9 h, au départ de Tulle, le commandant de peloton prend les mesures de sécurité en vue d’assurer la défense du train. Les hommes disposent de leur armement individuel et de 3 fusils-mitrailleurs. Après un arrêt de vingt minutes en gare de Le Mortier, le convoi reprend sa marche vers Lapleau. En arrivant à la station de Chemineaux, le conducteur aperçoit soudain à hauteur de l’aiguillage des traverses placées en travers de la voie. Il stoppe le train. À l’endroit où celui-ci s’immobilise, des piles de bois entourent les wagons. Soudain, des maquisards surgissent. Beaucoup portent l’uniforme des jeunes des Chantiers de jeunesse. C’est la confusion totale. Menacés de toute part, gênés par l’affolement des passagers, les gardes ne réagissent pas. En quelques minutes, les assaillants neutralisent l’escorte. Ils regroupent le détachement et s’emparent de ses armes. Simultanément, ils invitent les jeunes à se déshabiller pour pouvoir récupérer leurs effets. Tout à coup une fusillade éclate. Un élément des G.M.R. envoyé à la rencontre du train arrive sur les lieux et ouvre le feu sur les agresseurs. Quelques gardes réagissent aussitôt et parviennent à récupérer une partie de leur armement entassé dans un wagon. Les maquisards décrochent rapidement poursuivis par les G.M.R. qui interceptent quatre hommes dont un blessé.

À la suite de cette affaire, le commandement prend des sanctions. En particulier, il raye des contrôles de la garde le lieutenant V.. Pour le général Perré, c’est une sanction modérée, car « une troupe qui se fait désarmer, c’est au moins le tribunal militaire », dira-t-il pour sa défense, lorsqu’on lui fera grief d’avoir éliminé cet officier.

Comme la gendarmerie et les G.M.R., la garde participe, sur réquisition, au transfèrement d’internés administratifs d’un camp à un autre. Dans ce type de mission de durée limitée, elle assure la défense des convois. À la gendarmerie incombe la surveillance des détenus.

Le 23 octobre 1943, l’intendant de police de Toulouse requiert l’escadron 3/6 pour assurer la protection d’un convoi de 108 détenus politiques acheminés du camp d’internement de Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn) vers la maison centrale d’Eysses (Lot-et-Garonne). Le 8 décembre, l’escadron 2/6 est requis pour transférer 117 détenus de la maison centrale d’Eysses au camp de Voves (Eure-et-Loir). L’opération, on le verra, sera annulé au dernier moment à la suite d’une mutinerie. Un autre escadron assure le 20 décembre la sécurité d’un convoi de 160 internés dirigé du camp de Carrère (Lot-et-Garonne) sur celui de Sisteron (Basses-Alpes).

Si, à partir du début de l’année 1944, Darnand décharge pratiquement la garde de ces missions d’accompagnement, en revanche, il l’utilise pour la défense extérieure de camps d’internements et de maisons centrales particulièrement sensibles. À titre d’exemple, notons qu’un escadron du 5e régiment veille à la sécurité externe du camp de Saint-Paul d’Eyjeaux (Haute-Vienne). Les défenseurs ne sont pas à l’abri de surprises. Le 11 juin 1944, à la tombée de la nuit, plusieurs centaines de maquisards revêtus d’uniformes de miliciens et de G.M.R. investissent les lieux. Les sentinelles se laissent approcher sans méfiance pendant que d’autres éléments brisent les clôtures pour faciliter l’évasion des détenus. Sur environ 400 internés, 250 seulement prennent la fuite. Les autres restent sur place. L’attaque ne suscite aucune réaction des gardes ni des gendarmes départementaux. Les uns et les autres se laissent désarmer et plusieurs dizaines d’entre eux rallient les maquisards.

À Limoges, la Milice transforme des gardes du 5e régiment en geôliers pour surveiller la centaine de patriotes incarcérés à la caserne du Petit séminaire où stationnent les formations permanentes de la Milice. Ce service prend fin le 6 juin. Ce jour-là, les miliciens transfèrent tous les détenus à la maison d’arrêt de Limoges.

La participation de la garde à la défense d’établissements pénitentiaires n’absorbe qu’un faible effectif. À la centrale d’Eysses (Lot-et-Garonne), un escadron à tour de rôle assure le service. La mission n’exclut pas des drames comme le démontrent les événements.

À la mi-octobre 1943, un mois après la promulgation de la loi n° 475 du 15 septembre qui place l’administration pénitentiaire sous la coupe du secrétaire général à la police, Bousquet décide de regrouper à la centrale d’Eysses, près de Villeneuve-sur-Lot, les quelque 1 200 détenus, condamnés par les sections spéciales et le tribunal d’État de Lyon, répartis dans diverses prisons en zone sud (Castres, Montauban, Nice, Toulon, Montpellier, Nîmes, Marseille, Lyon, Saint-Étienne, Riom, Tarbes, Aix). À cet effectif s’ajoute, début décembre, une centaine de détenus provenant respectivement de la maison d’arrêt de Douai et de Lyon et, en fin de mois, des internés administratifs extraits des camps de Nexon, Saint-Paul-d’Eyjaux (Haute-Vienne) et Saint-Sulpice-la-Pointe (Tarn). À la fin de l’année, la population de la centrale s’élève à 1 800 détenus parmi lesquels 1 200 politiques et 600 droits communs.

La mesure prise par Bousquet a un double effet. Elle permet à l’administration pénitentiaire d’améliorer les conditions de surveillance des détenus politiques. Mais surtout, les autorités disposent d’une réserve d’otages dans laquelle elles pourront puiser pour répondre aux demandes de l’occupant.

Fin novembre 1943, l’administration pénitentiaire demande un renforcement du dispositif de sécurité de la centrale. Pour justifier sa démarche, elle invoque, d’une part, l’augmentation du nombre des détenus, de l’autre, la menace d’une action terroriste. D’après une information recueillie par les renseignements généraux, les F.T.P. préparent un coup de main pour délivrer des résistants communistes. Le S.T.M.O. déplace un escadron de la garde à Eysses, pour les besoins de la sécurité externe.

Dès lors, chaque fois que des événements graves se produisent à la centrale, la garde se trouve en première ligne. La présence à la tête de l’établissement d’un directeur ami personnel de Darnand, le milicien Schivo, assisté par son épouse, Elizabeth Schneiderhorn, ancienne membre des jeunesses hitlériennes, et de deux condamnés de droit commun, complique singulièrement sa mission.

Les 9 et 10 décembre 1943, un premier incident se produit à Eysses. Il entraîne l’intervention de l’escadron. À l’origine, la décision de transférer en zone nord, au camp de Voves (Eure-et-Loir), 117 internés politiques qualifiés d’irréductibles. Le 8 décembre, dans la matinée, la direction informe ces détenus de leur départ imminent pour une destination inconnue. Deux pelotons de réserve territoriale (gendarmerie départementale) et l’escadron 2/6 de La Réole, chargés de l’escorte, se rendent à la gare de Villeneuve-sur-Lot lieu de prise en charge des prisonniers. À 14 h, l’administration pénitentiaire transporte les internés à Villeneuve-sur-Lot et les remet aux forces de l’ordre. L’embarquement commence à bord de wagons de voyageurs. Or la S.N.C.F. n’a pas mis en place le nombre de voitures nécessaires pour permettre le transport de l’escorte. Le préfet alerté reporte le mouvement au lendemain. De 20 h à 23 h, l’administration pénitentiaire, avec des voitures cellulaires, réintègre les détenus à la centrale.

Le collectif d’Eysses, organisation clandestine représentée par cinq détenus (un chrétien, un gaulliste, un communiste et deux sans étiquette), apprend dans la nuit le faux départ. Dès le lendemain, il prend des dispositions pour s’opposer au transfèrement. Effectivement, lorsque les gendarmes se présentent à la centrale, le 9, à 14 h, pour escorter les internés à la gare, le sous-directeur, très nerveux, leur annonce qu’ils refusent de partir. Pour eux, la signification de ce départ est claire. L’administration les livre aux autorités allemandes. La direction de la centrale alerte la préfecture régionale à Toulouse. Hornus, l’intendant du maintien de l’ordre, se transporte immédiatement sur place. Après la réunion qui regroupe à la sous-préfecture de Villeneuve-sur-Lot, Hornus, le sous-préfet, le sous-directeur de la centrale et le capitaine S..., commandant la section de gendarmerie, l’intendant décide d’agir par la force pour contraindre les internés à se soumettre à l’ordre de mouvement. Le 10 décembre, à 6 h 30, trois pelotons de gendarmerie, l’escadron de la garde et une section de G.M.R. du groupe Gascogne reçoivent l’ordre d’investir le quartier des internés.

L’opération se déroule en présence des autorités. Les détenus appelés à quitter la centrale ont barricadé les portes donnant accès au quartier où ils ont passé la nuit. Les forces de l’ordre utilisent des grenades fumigènes pour prendre possession des lieux. À ce moment-là, les internés politiques, au nombre de 800 environ, forcent la porte de leur dortoir et gagnent la cour de la prison. D’un bloc, ils se dirigent vers les locaux où leurs camarades se sont retranchés. Un barrage, constitué par la garde, sur lequel ils se heurtent, fait monter la tension. Leurs délégués se présentent au capitaine B... qui commande le dispositif. Plus en arrière, le sous-préfet, le capitaine S..., commandant la section de gendarmerie de Villeneuve-sur-Lot et le sous-directeur. Les mutins signifient aux autorités qu’ils s’opposeront, même par la violence, au départ de leurs camarades que l’on veut remettre à l’occupant. La situation est explosive. Le préfet régional décide finalement de surseoir au mouvement prévu.

Évoquant le face-à-face des mutins et des forces de l’ordre, Jacques

Souchal, membre du collectif d’Eysses, écrit :

« Ce fut le moment le plus pathétique de l’émeute : d’un côté des prisonniers décidés à se battre mais désarmés ; de l’autre des gendarmes armés jusqu’aux dents. Ce fut à cet instant qu’un prisonnier se détacha du groupe et entonna la Marseillaise en offrant sa poitrine aux balles. Alors tous les prisonniers se mirent à chanter l’hymne national. Les gendarmes étaient médusés… Aucun d’eux n’osa tirer… »

Aussitôt après, les internés réintègrent leur quartier. Les forces de l’ordre se retirent. Le retour au calme n’est qu’apparent.

Le 3 janvier 1944, l’escadron 8/6 de Mirande assure la surveillance externe de la maison centrale. En fin d’après-midi, vers 18 h 30, grâce à la complicité de deux gardiens et de quelques résistants d’Agen et de Villeneuve-sur-Lot, 54 condamnés politiques s’évadent. Malgré les injonctions du directeur de la prison, le lieutenant Cloiseau, commandant le détachement en service, refuse d’intervenir et de poursuivre les fuyards. Au moment où les prisonniers prennent le large, le garde Maret, en faction dans une tourelle qui surplombe la porte de la centrale, malgré les consignes strictes prescrivant de faire usage des armes, reste passif. La réaction de Darnand ne tarde pas. Par arrêté du 21 janvier 1944, il place le lieutenant Cloiseau en non-activité par retrait d’emploi. Motif invoqué, l’officier « par son refus d’obéir à un ordre du directeur de la centrale d’Eysses a permis l’évasion de 54 détenus gaullistes. » De même, le garde Maret est rayé des contrôles.

Le 19 février, les événements prennent une tournure dramatique. Au cours d’une mutinerie, les forces de l’ordre et les détenus s’affrontent violemment. Ce jour-là, aux environs de 17 h, l’inspecteur général de l’administration pénitentiaire Breton, accompagné du directeur Schivo et de plusieurs surveillants, effectue une visite à l’intérieur de la centrale. Par surprise, les détenus réussissent à les neutraliser puis ils les ligotent et les déshabillent. Tous les surveillants en service à l’intérieur du quartier subissent le même sort. Quelques détenus, armés de mitraillettes, revêtent l’uniforme de leurs gardiens et attaquent la porte du quartier pénitentiaire qu’ils franchissent sans difficulté. De là, ils se rendent vers le poste des surveillants et les bureaux. Pour pouvoir y accéder, ils font des brèches dans les murs et trouent les plafonds. L’émeute surprend dans son bureau le capitaine G..., commandant l’escadron, chargé de la sécurité externe. Il donne l’ordre à ses hommes de tirer. Sans succès, il tente de rejoindre sa troupe. Une balle l’atteint à la cheville. Des tirs ajustés l’empêchent de se déplacer. Par la ligne téléphonique directe qui relie la centrale à la gendarmerie de Villeneuve-sur-Lot, il donne l’alerte. Pendant que les insurgés, depuis la cour intérieure qu’ils occupent maintenant, battent par le feu la porte de la centrale et les fenêtres du bâtiment occupé par la garde, l’intendant du maintien de l’ordre de Toulouse envoie des renforts (gendarmes départementaux, pelotons de gendarmerie de réserve territoriale, six sections de G.M.R).

À l’extérieur, le lieutenant F.., de la garde, reçoit l’ordre de repousser par le feu les détenus qui tenteraient de franchir le mur d’enceinte. Outre le renforcement des miradors, pour prévenir une éventuelle attaque, la gendarmerie met en place deux postes sur les chemins desservant l’établissement. À 21 h, la Gestapo et quatre camions de troupes allemandes arrivent à la centrale. Le chef de détachement fait savoir au préfet qu’il va intervenir.

Les échanges de coups de feu se poursuivent à l’intérieur où les prisonniers haranguent les forces de l’ordre. On installe des projecteurs. Le 20, à 1 h, le commandant G..., fonctionnaire de police à l’Intendance régionale du maintien de l’ordre de Toulouse, arrive à Eysses et prend le commandement de l’ensemble des forces. Des tractations s’engagent par téléphone avec les mutins. À 5 h, ultimatum d’un colonel allemand. Il donne 10 minutes au commandant G... pour faire cesser le feu et obtenir la reddition des détenus. Ces derniers, après avoir reçu l’assurance qu’aucune sanction ne serait prise contre eux, acceptent de cesser le combat. Confiants dans la parole donnée par les autorités, et notamment le directeur de la prison, ils livrent leurs armes et libèrent les otages.

À 8 h 30, le 20 février, Darnand qui a quitté Vichy dans la soirée arrive à Eysses. C’est le moment du bilan. Du côté des forces de l’ordre, il y a un tué (commis aux écritures) et quatre blessés (un surveillant, le capitaine G.., un gradé de l’escadron 8/6, un gradé du G.M.R. Gascogne). Chez les détenus, on dénombre un mort et six blessés. La fouille des locaux amène la découverte de 11 mitraillettes, 28 chargeurs, 7 grenades, 78 fusils Mle 1874 et 19 fusils Mle 86-93.

De redoutables moments attendent les prisonniers. Darnand ordonne que des otages soient fusillés. Alors commencent les investigations pour découvrir les meneurs. La brigade spéciale antiterroriste de Limoges, chargée de l’enquête avec la 8e brigade de police de sûreté de Toulouse, conduit avec brutalité les interrogatoires. Appels interminables, fouilles, scènes de brutalité se succèdent. Darnand repart pour Vichy. Il obtient du Conseil des ministres, réuni à sa demande, l’autorisation de constituer une cour martiale pour juger 12 détenus choisis parmi 50 otages.

Le 23, à 4 h, la cour martiale se réunit à la centrale pour examiner le dossier de quatorze détenus. À 7 h, elle prononce 12 condamnations à mort et demande un supplément d’information pour deux des accusés déférés au parquet.

Quelques heures après cette parodie de justice, en milieu de matinée, un peloton d’exécution constitué de gardes et de policiers, commandé par le lieutenant M.., des G.M.R., volontaire pour remplir cette besogne, passe par les armes les 12 patriotes. Les salves meurtrières étouffent brutalement l’écho de l’hymne national qu’ils venaient d’entonner.

Cet épisode dramatique ne met pas fin au séjour de la garde à Eysses. Quelques semaines après la mutinerie, à la suite de l’évasion d’un membre de la Résistance, le secrétariat général au maintien de l’ordre réagit vivement contre l’escadron chargé de la surveillance. Il saisit le général Perré. Ce dernier désigne le général Bois pour effectuer d’urgence une enquête. Accompagné du capitaine Grange, du bureau technique, le représentant du directeur se rend à Eysses. Le rapport établi sur place dégage la responsabilité du commandant d’escadron. De retour à Vichy, le général Bois apprend avec stupéfaction que le cabinet de Darnand, sans avoir pris connaissance du dossier, vient d’ordonner la radiation des cadres du capitaine G... et du lieutenant T... Le général Bois, choqué par la décision imposée par Darnand, cesse ses fonctions dans les semaines qui suivent.

Le 30 mai, le Gouvernement livre aux Allemands la majeure partie des condamnés politiques détenus à la centrale. Les gardes assistent, entre 15 et 20 h, au douloureux spectacle de leur départ à pied, sous la conduite des SS, en direction de la gare de Penne d’Agenais, ultime étape avant leur transport vers le camp de Dachau.

Les gardes continuent d’assurer la défense de la centrale où se trouvent les condamnés de droit commun et une poignée de politiques internés postérieurement au 30 mai. Le 19 juillet, une centaine de maquisards, à l’aide d’un camion de cinq tonnes, enfoncent la porte d’entrée et délivrent une trentaine de détenus sans rencontrer la moindre opposition. Quelques jours plus tard, le 25, plusieurs groupes fortement armés cernent l’établissement, neutralisent et désarment les gardes puis pénètrent en force à l’intérieur. L’escadron 8/6 éclate. Une partie se rallie aux maquisards, l’autre décide de rejoindre ses quartiers.

Le pouvoir utilise la garde pour disperser des manifestations hostiles à la politique de collaboration. L’histoire en retient au moins un exemple, largement commenté par la presse de l’époque. Dans la Drôme, le 9 mars 1943, les responsables de deux organisations clandestines de militants ouvriers, la jeunesse communiste et la jeunesse ouvrière catholique, apprennent qu’un train spécial, en provenance de Grenoble, doit convoyer, le lendemain, à destination de l’Allemagne, 300 ouvriers requis pour le service du travail obligatoire. Ces dirigeants appellent à manifester, au moment de l’arrivée du train à Romans prévue à 12 h 40.

Le samedi 10, depuis le milieu de la matinée, hommes et femmes convergent vers la gare dont l’entrée est interdite par un barrage tenu par des stagiaires de l’école de gendarmerie de Romans. La passivité des futurs gendarmes, certes peu aguerris mais complaisants vis-à-vis des manifestants, conduit les autorités à requérir à la hâte, un escadron du 1er régiment rapidement sur place. Malgré le bouclage des lieux et l’opposition des gardes qui réagissent vigoureusement, des manifestants traversent le dispositif, pénètrent dans la gare, envahissent les voies. Pierres et projectiles divers s’abattent sur le service d’ordre stationné près du convoi. Le chauffeur et le mécanicien, pris à partie, refusent de quitter la locomotive. Des femmes se couchent sur la voie. Autour du train, complètement bloqué, règne un grand désordre. Le convoi, immobilisé par les incidents, quitte la gare de Romans avec quatre heures de retard et un contingent notablement réduit de requis. Il n’en reste que 30, les autres se sont évanouis dans la nature.

Autre utilisation de la garde que l’on ne peut passer sous silence, il s’agit de son engagement dans l’opération de police, d’une ampleur sans précédent en France, organisée à Marseille, du 22 au 24 janvier 1943, par le général Oberg, en liaison avec Bousquet, pour assainir et détruire le quartier du Vieux-Port. L’action entreprise a pour but, dans un premier temps, d’évacuer vers le camp de Compiègne tous les suspects, en particulier les étrangers, puis de fouiller les lieux avec la police allemande. La destruction à la dynamite de tous les immeubles de la zone doit, dans un deuxième temps, clore l’intervention.

Dès le 22, avec le 10e régiment de police SS, policiers, gendarmes, G.M.R., gardes des 2e, 3e et 6e régiments, au total près de 12 000 hommes, bouclent les alentours du quartier du Vieux-Port. Les vérifications d’identités, visites domiciliaires, arrestations des individus fichés (étrangers suspects et Juifs), commencent le 23. Le témoignage de Roxame Matalon donne a posteriori une idée sur la gravité de la situation :

« J’habitais le quartier de l’Opéra (proche du Vieux-Port). Le bruit courait que des rafles se préparaient. Mon père a dit : « Ne craignez rien, nous sommes Français, je paie mes impôts. » On a frappé à la porte et deux gardes mobiles se sont présentés pour une vérification d’identité. Ils ont demandé à mon père de les suivre. Nous ne l’avons jamais revu. Ma mère a été raflée cinq mois plus tard. »

Le ratissage du Vieux-Port et l’évacuation de ses habitants se poursuivent le 24. Sur 6 000 personnes interpellées, 1949 dont 780 Juifs rescapés des rafles de 1942 tombent dans le filet et prennent, via Compiègne, le chemin de la déportation.

Les forces de l’ordre gardent à vue des milliers d’habitants des quartiers évacués, avant de les transférer au camp de Caïs, près de Fréjus, transformé en centre de triage. Le lundi 25, les Allemands exigent que les abords du camp soient surveillés militairement par la garde pendant tout le temps où va fonctionner la commission allemande de criblage. Du 27 janvier au 2 février, les gardes assurent la surveillance du camp d’où partira pour la déportation un nouveau convoi de 600 personnes.

Dans l’impitoyable guérilla franco-française qui oppose, depuis le début de l’année 1943 et jusqu’à la libération, les forces du maintien de l’ordre et les résistants, il est difficile, à première vue, de discerner la part prise par la garde. Un inventaire approfondi de son action tend à prouver qu’à l’exception de quelques unités, entraînées par des cadres hostiles aux maquisards, dans l’ensemble, les escadrons ont agi avec modération. Un indicateur relativement fiable nous donne d’ailleurs un aperçu sur la combativité de ses personnels.

Lorsqu’un agent de la force publique, qu’il soit militaire ou civil, se distingue dans l’exercice de ses fonctions par un acte de courage ou de dévouement, les règlements habilitent son chef à établir un rapport circonstancié pour lui faire attribuer une récompense (gratification, lettre de félicitations) ou une distinction honorifique (décoration). Après la Libération, par décret du 2 janvier 1946, le Gouvernement a annulé toutes les médailles, y compris à titre posthume, accordées par le ministère de l'Intérieur aux gendarmes, gardes, policiers, G.M.R., gardes voies des communications, qui s’étaient distingués dans l’exercice de leur fonction entre le 17 mars 1942 et le 16 juillet 1944. La mesure prise a entraîné la suppression de 202 médailles décernées à la Police nationale (121 aux G.M.R. et 81 aux sûretés urbaines et à la préfecture de police), 78 à la gendarmerie, 57 à la garde et 6 aux gardes voies des communications. À la lecture de ces chiffres, il ressort clairement que la garde figure en dernière position au palmarès de l’efficacité.

Chapitre 5 - DU DOUBLE JEU À LA DISSIDENCE

Le tableau très sombre qui vient d’être brossé sur les diverses missions dévolues à la garde et les conditions de son action, montre à quelles fins elle a été utilisée par le pouvoir et comment ont réagi ses personnels dans des circonstances dont souvent à l’évidence il n’étaient pas maîtres.

La garde, dans son ensemble, n’a pas été hostile à la Résistance, comme l’affirment quelques idéologues. Nier les dommages parfois irréparables qu’elle a provoqués (pertes infligées aux maquisards au cours d’accrochages, participation à des exécutions capitales, arrestations de patriotes), serait contraire à la vérité. Cette réalité ne doit pas masquer l’attitude de ceux qui, peu nombreux initialement mais dont le nombre a progressivement augmenté, n’ont pas accepté la compromission. Même si l’évolution de la guerre a pesé sur les comportements, qui n’ont pas été les mêmes avant et après Stalingrad, le débarquement des Alliés en A.F.N. puis en Normandie, leur choix n’en reste pas moins exemplaire.

Les motifs de soumission, généraux ou particuliers, ne manquent pas dont beaucoup sont légitimes. La légalité du Gouvernement né de la défaite impose naturellement aux membres des forces de l’ordre de se conformer aux lois et règlements. Y déroger ne va pas de soi et relève d’un exercice périlleux. Comment, dans un pays sous la botte étrangère dont les gouvernants conduisent une politique de collaboration, concilier devoir d’état et convictions patriotiques, sans prendre de risques ?

Le sacro-saint devoir de discipline, considéré comme un dogme, annihile chez beaucoup toute velléité de résistance. En septembre 1943, sous couvert d’un article intitulé « Méditations sur les servitudes et grandeurs militaires », le général Le Bars développe un discours rassurant sur l’obéissance :

« Le soldat n’a donc pas à chercher dans sa conscience la légitimité des motifs de son action. Il n’a qu’une certitude morale à acquérir, celle que l’effort et le sacrifice qui lui sont demandés sont conformes à l’intérêt supérieur du pays. D’où l’absolue confiance qu’il doit avoir dans ses chefs. Même s’il se trompait il aurait pour l’absoudre la loi de l’obéissance. Pour lui ne se pose jamais de cas de conscience et naturellement il n’a pas à choisir ses adversaires. L’ennemi d’aujourd’hui sera peut-être l’allié de demain et inversement. Ce n’est pas à lui d’en décider, il n’a qu’à obéir. Il ira ainsi vers son destin "l’âme reposée et soulagée du poids énorme de la responsabilité". »

La durée et la fréquence des déplacements rendent difficile l’établissement de contacts avec la Résistance. La circulaire n°477 SG-Pol/S.T.M.O. du 12 décembre 1943, adressée par Bousquet aux préfets, mentionne que « de nombreuses formations des forces de l’ordre sont absentes de leurs résidences depuis plus de six mois », c’est dire le nomadisme imposé aux unités de la garde. Éloignés de leurs bases, repliés sur eux-mêmes, face à une population méfiante qu’ils connaissent mal, les gardes ne jouissent pas d’une grande liberté d’action.

L’attitude du commandement, selon qu’il affiche de l’hostilité ou de la sympathie à l’égard de la Résistance, influe encore sur le comportement des subordonnés. Force est de constater aussi qu’il n’y a pas unité de vues dans les escadrons sur la ligne à suivre. En novembre 1943, l’escadron 8/2 est déplacé en Corrèze, dans la région de Neuvic, pour garder les lignes électriques de transport à haute tension. Pendant son séjour, deux membres de l’A.S. du secteur sondent l’état d’esprit des personnels. Celui-ci révèle que « quelques gardes paraissent acquis aux idées de la Résistance et fournissent même des renseignements sur le passé de l’escadron et soulignent l’attitude hostile de leur ancien commandant d’escadron, le capitaine S.., aux maquisards à l’occasion d’un déplacement en Haute-Savoie. Le nouveau commandant d’escadron semble beaucoup plus conciliant… ». Ils en arrivent à la conclusion que les gardes sont anti-allemands mais légitimement partagés entre la crainte de la Gestapo et celle des attaques des maquis.

À côté de ces considérations générales, d’autres, plus terre à terre, freinent l’engagement des personnels aux côtés de la Résistance. Les exécutants, en service, n’agissent jamais seuls mais toujours en unités constituées, escadrons et exceptionnellement pelotons. Comment, dès lors, peuvent-ils prendre des initiatives sans se faire remarquer ? La constitution, sur le terrain, de groupements opérationnels mixtes (garde, G.M.R., gendarmerie, francs-gardes de la Milice et parfois troupes d’occupation), sous commandement unique, les empêche d’aider ouvertement les maquisards pourchassés.

La crainte que leurs familles ne soient prises en otage, pendant qu’ils sont en déplacement, en dissuade beaucoup de transgresser les ordres. Parmi les facteurs personnels qui, au premier chef, conditionnent les comportements, il y a principalement l’obligation personnelle de continuer à gagner sa vie alliée au souci de sauvegarder son avenir.

Malgré toutes ces entraves et les dangers encourus, des personnels décident d’apporter leur contribution, aussi modeste soit-elle, à la lutte contre l’occupant. Les actions qu’ils conduisent séparément, impossibles à lier les unes aux autres, revêtent des formes diverses. Sans doute, donnent-elles, à juste titre, une impression d’incohérence. Elles n’en méritent pas moins d’être évoquées.

Dès la fin de l’année 1940, la plupart des escadrons prennent des dispositions pour soustraire aux commissions d’armistice, tant allemandes qu’italiennes, armement, munitions, équipements, véhicules et matériels. Les gestionnaires, à tous les échelons (régiments, escadrons), tiennent souvent une double comptabilité. L’une, destinée à être présentée aux contrôleurs, correspond aux dotations fixées par l’occupant. L’autre, secrète, permet de connaître exactement la situation réelle et les points de stockage. Grâce à ce système de dissimulation, on détourne des armes. Certaines serviront à équiper des maquis.

En octobre 1943, le lieutenant Molia, commandant l’escadron 8/2, camoufle, dans une ferme en Ardèche, 30 000 cartouches et 100 grenades qu’il met à la disposition du capitaine Lecuyer, alias Sapin de l’O.R.A. À Toulouse, au 6e régiment, le capitaine Mignot, chef du service du matériel, maquille toutes les écritures administratives (comptabilité essence, artillerie, etc.) soumises au contrôle régulier de l’occupant et les lui adresse avec un retard constant d’un mois. Avec les excédents, il approvisionne le groupe « Siroco » du lieutenant-colonel Lique.

Au lendemain de l’armistice, animés par l’esprit de revanche, quelques officiers acceptent d’être détachés dans les services spéciaux. Le capitaine Delmas (Jean), affecté le 5 août 1941 au 2e bureau de la 17e division militaire à Toulouse, poursuit sa mission dans la clandestinité, après l’invasion de la zone libre, à la tête du poste T.R.117 (contre-espionnage clandestin du colonel Paillote). Sur le point d’être arrêté, au mois de mai 1943, il cesse son activité et réintègre la garde. De même, le capitaine Hugon (André), alias Hurel, dirige le poste de contre-espionnage clandestin T.R.114 de Lyon. Son réseau couvre la région occupée du nord-est de la France, l’Allemagne et la Suisse. En fin d’année 1941, son service démasque un agent de l’Abwehr, Henri Devillers. Le traître, fusillé à Lyon, au fort Montluc, la veille du jour du retour de Laval au pouvoir, était à l’origine de l’arrestation de plusieurs membres du mouvement Combat. Au mois d’avril 1943, le capitaine Hugon est officiellement en congé d’armistice. À la suite d’une demande de renseignements, faite par le directeur général de la garde au ministère de l'Intérieur sur son activité secrète, la police perquisitionne à son domicile et la Gestapo s’intéresse à lui. Pendant quelque temps, il interrompt son activité. L’orage passé, il continue à recueillir et à transmettre des renseignements sur l’ennemi. Au mois de septembre 1944, détaché à la sécurité militaire, il concourt pendant plusieurs mois à la recherche des traîtres et collaborateurs puis réintègre la gendarmerie.

Avant d’être démissionné d’office de la garde, par arrêté en date du 13 février 1942, en application de la loi du 11 août 1941 sur les sociétés secrètes, le lieutenant-colonel Boiseaux, du 2e régiment, en poste à Nice, recherche des contacts pour pouvoir continuer le combat. Il retrouve un de ses camarades des corps de troupes, le colonel Vincent alias Vény, qui partage les mêmes idées. Tous deux se mettent en rapport avec le chancelier du consulat des États-Unis à Nice dans l’espoir de trouver une aide. En même temps, ils regroupent un petit noyau de patriotes parmi lesquels des militaires démobilisés, comme le père Jenatton, capitaine des chasseurs alpins. Dès 1941, ce petit réseau recherche des terrains d’atterrissage et collecte des informations. Une fois radié de la garde, le lieutenant-colonel Boiseaux se retire à Marseille. Là, il entre en liaison avec un réseau de renseignements, le groupe Froment. Il continue son activité clandestine jusqu’à la Libération. Par la suite, il reprend du service à la 14e légion bis de gendarmerie départementale, mais pour peu de temps. Le 25 mai 1945, il est tué en service commandé.

Quelques officiers, après l’invasion de la zone libre, quittent volontairement la garde. Le désir d’échapper aux difficultés de l’heure en motive quelques-uns. D’autres s’y résolvent parce qu’ils réprouvent les missions assignées par le régime aux forces du maintien de l’ordre. Dès leur retour dans la vie civile, certains s’engagent dans l’action clandestine. À la Libération, les commissions d’épuration et de réintégration des personnels militaires ne s’opposeront pas à leur retour en activité.

En août 1943, le chef d’escadrons Daniel, commandant de groupe au 6e régiment, demande à bénéficier de la loi sur le dégagement des cadres. Valeureux soldat de la guerre 1914-1918, gravement blessé, six fois cité, il se met à la disposition des services spéciaux et remplit à Perpignan, Montpellier et sur la côte Atlantique d’Hendaye à la Rochelle, différentes missions (liaisons, recueil de renseignements, recrutement d’agents, etc.). Plusieurs fois, il évite de justesse d’être arrêté par la police allemande.

Au mois d’avril 1944, le lieutenant-colonel Candille, en contact avec l’O.R.A. depuis plusieurs mois, demande sa mise à la retraite. Officiellement, il se reconvertit dans l’agriculture à l’Ille-sur-Têt (Pyrénées-Orientales). Membre du réseau « Maurice », il s’implique dans l’organisation de filières de passage en Espagne. Au début de l’automne 1945, il endosse à nouveau l’uniforme et sert, en qualité de commandant en second, à la 17e légion bis de gendarmerie à Montauban.

À l’occasion de déplacements pour le maintien de l’ordre, des cadres et des gardes n’hésitent pas à faire preuve de passivité dans l’exécution de leurs missions, à répondre favorablement à des sollicitations de résistants ou à établir, d’initiative, des contacts avec eux. Désigné le 27 juillet 1943 pour prendre le commandement du groupement des Alpes, le lieutenant-colonel Bretegnier, officier adjoint au 1er régiment, met tout en œuvre, dès sa prise de fonction, pour éviter les heurts avec les groupes de réfractaires qui, désobéissant aux lois sur le Service du travail obligatoire, se cachent pour échapper aux forces de l’ordre lancées à leurs trousses. On verra dans quelles conditions il réussit à mener à bien cette entreprise très risquée. Relevé de son commandement, à la demande du préfet régional, pour insuffisance de résultats, il reprend ses fonctions d’adjoint à Lyon. Jusqu’à ce qu’il prenne la tête du 1er régiment, début mai 1944, il maintient le contact avec des membres de la Résistance (colonel de Lanoyerie, responsable dans le secteur de Grenoble du réseau Gallia rattaché au B.C.R.A., M. Joubert à Lyon auprès duquel il a été accrédité par le colonel de Lanoyerie) et leur communique tout ce qui peut les intéresser aussi bien sur l’armée allemande que sur les opérations projetées contre les maquis de la région lyonnaise. En février 1944 il reçoit le capitaine Hardy, récemment parachuté en France en provenance de l’Afrique du Nord et s’entretient avec lui sur la situation et le rôle de la garde à l’heure « H ». À la même époque, il accueille, venu d’Alger, le capitaine de gendarmerie Demettre, envoyé en mission secrète en France, par les services spéciaux, pour évaluer les moyens de la gendarmerie et de la garde et les actions à engager au moment de la libération du territoire (lutte contre les éléments locaux de l’armée allemande, mainmise sur les bureaux et organisations de la Gestapo, maintien de l’ordre dans les localités où des éléments suspects viendraient à le troubler, participation à la poursuite de l’armée occupante en retraite). Il fournit à son interlocuteur tous les renseignements en sa possession pour qu’il puisse compléter sa documentation avant son retour à Alger le 1er avril 1944. À partir du 1er mai, le colonel Bretegnier, en liaison depuis plusieurs mois avec le lieutenant-colonel Robelin, prépare le passage de son régiment à la Résistance.

D’autres officiers, à tous les échelons, mais aussi des gradés, établissent des contacts avec des chefs de maquis. C’est le cas, en Haute-Savoie, du chef d’escadrons Raulet, des capitaines Perrolaz, Mallaret, Jung, Receveau, du lieutenant Honorat, des adjudants Ducos, Narbonnaud, etc.

A la mi janvier 1944, l’enlèvement à La Roche-sur-Foron de 9 policiers du service de répression des menées antinationales (S.R.M.A.N.) déplacés en Haute-Savoie, pour préparer une action d’envergure contre la Résistance, défraye la chronique. L’événement a d’autant plus de retentissement que, cinq jours auparavant, à Bonneville, 10 policiers du même service ont disparu dans des circonstances analogues. Personne n’imagine alors que l’opération, conduite par une compagnie de F.T.P., a bénéficié de l’aide bénévole de la garde.

En 1995, Louis Saillet, chef de la 8e compagnie F.T.P. qui a capturé « les canadiennes », surnom attribué aux policiers de Darnand revêtus de ces effets, a révélé le rôle joué à cette occasion par un officier de la garde. Quand sa compagnie reçoit l’ordre d’agir contre le groupe des policiers stationné à la Roche-sur-Foron, un peloton de la garde cantonne dans l’agglomération à l’hôtel du Château. Louis Saillet n’écarte pas le risque d’une intervention des forces de l’ordre, susceptible de contrecarrer son action et d’entraîner des pertes. En effet, le coup de main est prévu aux alentours de midi, moment le plus propice pour surprendre les policiers, généralement à table à ce moment-là.

Le mercredi 12 janvier, Louis Saillet accoste imprudemment un garde qui se dirige comme lui vers la gare. À brûle-pourpoint, il lui demande si son chef est bien. Le garde lui demande alors s’il désire le voir. Il répond par l’affirmative. Son interlocuteur l’invite à patienter un moment, pendant qu’il se rend auprès de l’officier. Le garde ne tarde pas à revenir et emmène le maquisard à l’hôtel du Château où a lieu la rencontre.

Un dialogue délicat s’engage entre les deux hommes. D’emblée, le chef des F.T.P. dévoile sa qualité. Pour gagner la confiance de l’officier, il l’invite à téléphoner à la gendarmerie avec laquelle il est en relation sous le nom de Martin. La communication lève le dernier obstacle à la poursuite de la conversation. Ayant la certitude qu’il a devant lui un chef de la Résistance, le commandant de peloton le questionne pour savoir où les maquisards veulent en venir à la suite de l’enlèvement des inspecteurs à Bonneville. Louis Saillet en vient aux faits et expose sans détour l’action prévue contre les policiers. À tout prix, il tient à éviter un accrochage avec la garde car il estime qu’elle n’a rien à voir avec les policiers de Darnand, proches de la Milice et de la Gestapo. Prévenu du jour et du moment de l’opération, l’officier s’engage à ne pas intervenir. Il fixe à midi quinze la limite où tout doit être terminé. Après en effet, l’alerte sera donnée qui l’obligera à intervenir. Dans l’hypothèse où quelqu’un préviendrait la garde avant la fin de l’opération, une sonnerie de clairon annoncera que le peloton se transporte sur place. Le lendemain, 13 janvier, tout se passe selon les prévisions établies. Les maquisards s’emparent des policiers et les ramènent en camionnette, au lieu-dit le Planet, au-dessus de Saint-Laurent.

Concernant cet accord, Constant Paisant écrit avec pertinence :

« Voilà deux hommes qui ne s’étaient jamais vus, qui ne se connaissaient pas, et qui, en quelques minutes, prennent un engagement réciproque qui peut leur coûter la vie. Louis avait mis sa vie en jeu depuis déjà un certain temps, le Garde Mobile risquait la sienne dans cette affaire, si la milice ou la Gestapo avaient été informées de son attitude. »

Par suite du mouvement continuel des escadrons, ce rapprochement n’aura pas de lendemain. Louis Saillet ignore jusqu’au nom de l’officier qui a accepté, au prix de risques calculés, de lui apporter son aide.

Faute de pouvoir utiliser les policiers kidnappés les 8 et 13 janvier 1944 comme monnaie d’échange avec des patriotes emprisonnés, les F.T.P. les passent par les armes. Après la découverte des victimes, les services de la propagande de Vichy, pour bien désigner les coupables, Moscou, Staline, les communistes et leur armée les F.T.P., publient une brochure intitulée « un Katyn français ».

Dans l’Ain, après le défilé au grand jour, dans la rue principale d’Oyonnax, le 11 novembre 1943, des maquisards du colonel Romans-Petit, la riposte de Bousquet ne se fait pas attendre. Le 18, il envoie 2 G.M.R. à l’assaut du camp des Granges où sont retranchés 80 maquisards. Depuis leur position dominante, les maquisards les accueillent par des rafales d’armes automatiques. Les forces du maintien de l’ordre se replient. Le secrétaire général à la police dirige sur place des renforts (G.M.R. et garde). Au total près d’un millier d’hommes se préparent à l’attaque.

Sans en informer le préfet régional Angéli et l’intendant de police Cussonnac, le capitaine Vincent (Charles), du 1er régiment, chargé de l’action initiale, conclut un accord avec le colonel Romans-Petit. Les gardes n’investiront les lieux, qu’après le départ des maquisards. Pour laisser croire aux autorités françaises et allemandes que l’opération s’est déroulée normalement, comme convenu, les résistants abandonnent sur place une arme en mauvais état. Ce trophée servira de justification.

Pendant un déplacement en Corrèze, du début octobre à la fin décembre 1943, le chef d’escadrons B..., du 6e régiment, commande un groupement de la garde. Quelques semaines après son arrivée à Tulle, il entre en contact avec le capitaine commandant l’A.S. du secteur de Brive. Ce dernier lui donne l’emplacement des camps du maquis, de sorte qu’il puisse les alerter en cas d’opération. Les rapports confiants qu’il entretient avec le préfet Lecornu, favorable aux résistants, facilitent sa tâche. À Toulouse, six mois plus tard, le même officier commande le groupement mixte des forces de police chargé du maintien de l’ordre au lendemain du débarquement en Normandie. À l’occasion des contacts de service qu’il a avec l’intendant du maintien de l’ordre, Pierre Marty, il recueille des renseignements confidentiels sur les opérations en préparation par les Allemands et la Milice. Par l’intermédiaire du capitaine Du Lorier, commandant la section de gendarmerie de Saint-Gaudens, qui a rejoint le maquis avec une partie de ses gendarmes, il prévient les chefs des maquis d’Aspet et d’Arbas sur les intentions de l’ennemi.

Dans le sud-ouest, en Armagnac, la brigade Miler, du corps franc Pommiès, met sur pied en mai 1944 un service de renseignements. Huit correspondants, appartenant à divers services de l’État, désignés par l’indicatif « A », en constituent la cheville ouvrière. Dans la liste qu’en donne le général Céroni, figure un officier supérieur de la garde :

« A.7 : M. Laborde, dont les activités professionnelles se situent à Agen, devient chef du secteur du Lot-et-Garonne, A.8 : un commandant de la Garde (nom inconnu) chargé de communiquer les renseignements sur la police de Vichy et la Milice. »

Début février 1944, dans le Limousin, le lieutenant-colonel Médard, du 3e régiment, et le chef d’escadrons Gerbault du 4e, cantonnés avec leurs formations dans la région de Treignac, acceptent, par l’entremise de M. Antonietti, émissaire de la Résistance, un « modus vivendi » avec les maquisards. Après cet accord, lors des ratissages et autres opérations de maintien de l’ordre, il n’y aura pas d’incidents.

Les arrangements qui interviennent revêtent un caractère hasardeux et parfois illusoire. Ils n’engagent que la bonne foi de quelques hommes. Malheureusement, comme le prouvent les faits, des circonstances fortuites viennent les rompre qui entraînent des drames, d’un côté comme de l’autre.

L’aide à la Résistance prend des aspects inattendus comme celui relaté par France Hamelin :

« Un jour, en Dordogne où nous allons récupérer des armes, nous sommes tombés en pleine nuit dans une région encerclée par les Allemands partis à la recherche de résistants et de caches d’armes. Vichy les avait renforcés par des escadrons de gardes mobiles qui, lorsque nous les avons rencontrés, nous ont indiqué l’itinéraire pour sortir de l’encerclement… »

Émile Gachet, ancien garde, explique comment, au cours d’opérations de ratissage, son escadron agit pour donner l’alerte aux maquisards :

« Pendant l’occupation des unités de la garde, des G.M.R. et la Milice participaient à des opérations contre le maquis. Mon escadron effectuait des séjours de trois mois, soit en Corrèze, soit à Vichy pour la garde des ministères.

Comment alerter le maquis ? Naturellement la tension montait entre la Milice et nous mais aussi avec les Allemands qui décidèrent, un peu plus tard de nous accompagner mais sans nous prévenir. Une opération montée par eux eut lieu dans une forêt assez importante. À l’heure fixée nous arrivâmes sur la base de départ de nos quatre escadrons. Alors que nous étions rassemblés en colonne par trois sur la route avec, comme d’habitude une trompette par escadron, trois officiers allemands descendirent d’une voiture de tourisme arrivée peu après nous. Ils étaient seuls et avaient pour mission de nous accompagner. Aussitôt et prudemment les commandants d’escadrons donnèrent l’ordre de laisser les trompettes dans les véhicules… Comment allions nous faire pour prévenir les maquisards puisque notre tactique habituelle était de sonner le départ, les arrêts et la fin ? Les quatre escadrons se mirent en ligne et, à l’heure "H", en avant ! La marche sous bois s’effectua lentement. Les officiers allemands et les nôtres marchaient au centre du dispositif et en retrait à une cinquantaine de mètres. Après avoir parcouru cinq cents mètres environ, pour donner l’alerte un garde tira quatre ou cinq cartouches. Arrêt des unités et arrivée au pas gymnastique des officiers. Que se passe-t-il ? Alors je répondis - "Untel a vu un homme partir en courant dans telle direction - (à l’extérieur du dispositif)". Évidemment il n’y avait rien et nous repartîmes tranquilles. Puis vingt minutes plus tard, deux ou trois rafales à l’aile droite. Nouvelle course des officiers pour s’entendre dire - "Untel a vu un homme sauter d’un arbre et s’enfuir dans telle direction" - L’opération se termina sans incident mais la colère se lisait sur le visage des officiers allemands. »

Les miliciens n’apprécient guère les coups de feu intempestifs déclenchés par les gardes pour signaler leur présence, aussi réagissent-ils brutalement comme le rapporte le même témoin :

« Il s’agissait de cerner des maquisards installés dans une ferme située sur un coteau. Étant sous les ordres de la Milice, nous avions mission de monter sur ce coteau afin de surprendre les maquisards à la première heure. Les miliciens installés à la lisière d’un bois qui surplombait notre évolution devaient nous soutenir le cas échéant. La distance à parcourir était d’environ 350 à 400 mètres. Afin de donner l’alerte, l’un de nous a tiré un coup de fusil à 200 mètres du départ mais aussitôt les miliciens sentant l’astuce se mirent à tirer sur nous. Surpris, nous nous arrêtâmes et notre officier donna l’ordre du repli sur le bois. Là, nous eûmes une vive altercation avec les miliciens… »

Le capitaine Millon, commandant l’escadron 5/4 de Saint-Étienne, fait échouer début juillet 1944 une importante opération de police dans la région d’Annonay (Ardèche). Pour justifier le retard de son escadron lors de la mise en place des forces, il invoque une soi-disant erreur d’itinéraire. Sa désinvolture apparente provoque l’irritation des officiers allemands et des chefs miliciens.

En Haute-Savoie, le capitaine Jolivet, commandant l’escadron 8/5, arrive lui aussi délibérément en retard, par deux fois, sur les lieux d’opérations pour les faire échouer. Le chef de la Milice le menace d’internement. Dans le même département, le capitaine Receveau (escadron 7/5), donne l’ordre en mars 1944 de relâcher des maquisards armés interceptés à un barrage. Des rumeurs parviennent à la Milice qui demande la relève immédiate de son unité.

Dans l’Ain, en janvier 1944, un sous-groupement mixte (1 escadron et 1 G.M.R.), aux ordres d’un capitaine de la garde, quitte Nantua à destination de Brénod pour rechercher des renseignements sur le maquis. En arrivant au chef-lieu de canton, le commandant du sous-groupement se rend à la gendarmerie. Seul à seul, il parle au commandant de brigade, le chef Pfirsch. Sachant pertinemment que ce gradé est en liaison avec les maquisards du colonel Romans-Petit, il lui demande dans quel secteur stationnent les intéressés, afin d’éviter tout contact. Renseigné sur leur position, il rejoint sa troupe et dirige les G.M.R. dans une direction opposée à celle des résistants. Avec son escadron, il prospecte un secteur dans lequel il est sûr de ne trouver personne.

À tous les échelons, des personnels communiquent des renseignements à la Résistance. Le capitaine Perrolaz, à l’escadron 6/1 de Chambéry, fait régulièrement acheminer sur Lyon, par un subordonné en qui il a toute confiance, des courriers destinés à des organisations clandestines. Officiellement, le garde Favre transporte des films, prêtés à l’escadron par la cinémathèque installée près du pont Lafayette.

À Mende, l’adjudant-chef Lambège, de l’escadron 6/3, fournit à M. Martin, responsable du noyautage des administrations publiques, des informations concernant les forces de l’ordre.

Toujours dans le domaine du renseignement, le capitaine Vincent (Paul) rend des services exceptionnels. En fin d’année 1943, alors qu’il commande l’escadron 1/3, il est pressenti pour être détaché comme officier de liaison auprès du S.T.M.O. à Vichy. L’intéressé envisage sérieusement de démissionner, plutôt que de coopérer avec un service chargé d’organiser la répression contre les maquis. Il fait part de son intention au capitaine Rouyer, un de ses camarades, affecté à la direction des services de l’armistice à Vichy qui, sous cette couverture, dirige le poste clandestin T.R. 113, « Violette » des services spéciaux. Celui-ci lui conseille de ne pas repousser immédiatement cette offre et de demander un délai de réflexion d’au moins 48 heures. Ne pourrait-il pas en effet, s’il acceptait ce poste, recueillir des renseignements de première importance pour la Résistance. Hésitations du capitaine Vincent. Il redoute de jouer un double jeu aussi dangereux qui peut se retourner contre lui à la Libération. Le capitaine Rouyer le rassure et prend les dispositions nécessaires pour garantir son impunité, lorsque Darnand et son équipe devront rendre des comptes. Finalement, le capitaine Vincent accepte de remplir la fonction d’officier de liaison.

Il devient honorable correspondant du poste clandestin T.R. 113. Comme convenu, sous le pseudonyme de Karl, il alimente régulièrement le service du capitaine Rouyer et le lieutenant-colonel Robelin de tout ce qui se prépare dans les services de Darnand : actions contre les maquis, dépôts d’armes, P.C. de la Résistance, dispositifs des postes de contrôles et de barrages, ordres d’arrestations de patriotes. Courant janvier, au cours d’une conversation entendue au cabinet de Darnand, il apprend qu’une opération imminente se prépare en Haute-Savoie, contre le maquis des Glières. Immédiatement, il achemine le renseignement. Par suite d’une mauvaise traduction phonétique, il écrit dans son courrier maquis d’Aiguillère, au lieu de maquis des Glières. Le destinataire recherche en vain, au service géographique de l’armée replié à Vichy, sur une carte de la région d’Annecy, l’endroit indiqué. En raison de l’urgence, le poste Violette répercute le message à Londres en faisant simplement état d’une action en préparation contre un maquis de Haute-Savoie.

Le 2 février 1944, dans l’émission « Les Français parlent aux Français » Maurice Schumann lance un premier appel aux maquisards pour les mettre en garde :

« Alerte au maquis ! Alerte à la Haute-Savoie ! Allô, allô, maquis de Haute-Savoie, S.O.S., S.O.S. L’oberführer Darnand a décidé de déclencher demain 3 février, je répète : demain matin 3 février une attaque massive contre les réfractaires et patriotes retranchés dans les montagnes de Haute-Savoie… »

Dans les jours qui suivent, le capitaine Vincent précise les renseignements initialement fournis. Il désigne explicitement le plateau des Glières, donne le volume et la composition des forces rassemblées et fournit même une copie de l’ordre d’opération. Chaque fois qu’il a connaissance d’actions projetées contre des résistants de l’Allier, le capitaine Vincent donne l’alerte. La Résistance bourbonnaise le considère comme un collaborateur de qualité. En 1945, une citation à l’ordre de l’armée, signée par le général de Gaulle, le récompense pour « l’efficacité de son action au profit des services de renseignements ».

Le sous-lieutenant Durand (Gaston), membre du réseau Eleuthère depuis 1942, dès son affectation à l’escadron de Grenoble, le 26 avril 1944, se met en rapport avec Eugène Chavant, (Clément), chef civil du Vercors. Il le tient au courant des mouvements de la Milice et des opérations envisagées (ratissages, barrages, perquisitions, etc.).

À sa demande, début juin 1944, l’officier effectue en uniforme, avec un de ses gradés, un transport très risqué. Il s’agit d’acheminer, 6 maquisards récemment blessés, des armes et des munitions (40 fusils, 6 fusils-mitrailleurs, 3 caisses de grenades et de cartouches), du remonte-pente des « Cochettes » au P.C. du capitaine Durieux, dans les gorges de la Bourne. Au cours du trajet, son véhicule croise des patrouilles allemandes. Aucune n’a la curiosité de le contrôler. Au soulagement de tous, le déplacement se termine sans incident. Les allées et venues suspectes de l’officier attirent l’attention de collaborateurs. Vraisemblablement à la suite d’une dénonciation, à la mi-juin, la Gestapo se présente tôt, un matin vers 5 h, à son domicile. Sans explication, il se retrouve au siège de la police allemande, pour un interrogatoire. Malgré les menaces, les insultes, on le traite de sale « terroriste », il se défend pied à pied, nie tout en bloc, argue de sa bonne foi. Les Allemands le relâchent mais l’alerte a été chaude. Cela ne l’empêche pas de continuer inlassablement, jusqu’à la Libération, son activité en faveur des F.F.I. Ainsi, au début du mois de juillet, en déplacement dans l’Ain, il renseigne le chef de l’A.S. de Nantua et assure des liaisons au profit de ses groupes.

À l’intérieur de Limoges tenue par les Allemands et la Milice, de la fin juin 1944 à la Libération, en liaison avec l’A.S. et les F.T.P., des gardes, appartenant aux escadrons intégrés dans le dispositif de défense de la ville, effectuent avec succès plusieurs coups de main. Fin juin, au cœur de l’agglomération où l’on ne peut pénétrer qu’avec un laissez-passer spécial, à la demande du commandant Denay de l’A.S. (camp de Grammont), les gardes Petit et Perrochon, de l’escadron 7/5, enlèvent des lots de vêtements et d’équipements dans les magasins de la Milice. L’opération réussit. Gros émoi chez les miliciens qui vitupèrent contre le maquis.

Un détachement de l’escadron 5/5, du capitaine Courtois, avec un groupe de F.T.P., s’empare de 3 500 litres d’essence stockés par les Allemands à l’usine Gnôme et Rhône. Le général commandant l’état-major principal de liaison de Limoges se rend sur les lieux pour faire activer les recherches entreprises en vue de découvrir les auteurs.

En juillet, les services de la sécurité militaire d’Alger recherchent l’espion Peters. Le capitaine David (camp de Cussac), confie au lieutenant-colonel Raulet le soin de le faire intercepter. Les chefs Moncouet et Boyer, assistés des gardes Gambini et Lecussan de l’escadron 1/6, localisent le traître. Le 13 août, vers 5 h, au centre de la ville, près du Pont-Neuf, sur les bords de la Vienne, le commando intervient. Devant quelques pêcheurs éberlués, les gardes embarquent Peters à bord d’une voiture et le livrent au capitaine David. Sa capture entraîne la découverte d’une liste d’une quarantaine d’agents opérant dans la région parisienne pour le compte de la Gestapo.

Le lendemain, quatre gardes de l’escadron 6/3, du capitaine Fouillard, agissant sur instruction de M. Plantin, délégué du D.M.R.5, passent à l’action pour se saisir de Holtz, policier du SD de Limoges. Le chef Benelli, les gardes Calvet, Lindet et Beck, assistés de M. Prieur, membre de la Résistance, échouent dans leur tentative. Après un échange de coups de feu, M. Prieur, atteint d’une balle au foie, s’effondre. Les gardes réussissent à le mettre en sécurité, alors que les Allemands et des miliciens, alertés par les détonations, envahissent la rue Maupas où viennent de se dérouler les faits.

Naturellement, les personnels soupçonnés d’état d’esprit « dissident », ou qui manquent d’ardeur dans la répression, en payent chèrement le prix. La police allemande arrête le colonel Throude qui commande le 1er régiment. En service à Vichy avec son escadron, le capitaine Dupont (René) a des démêlés avec la Milice. Au cours d’une opération, il refuse d’obtempérer aux injonctions d’un chef milicien. Le 7 juillet, la Gestapo l’arrête et l’incarcère pendant quarante-sept jours à la prison du 92e R.I. à Clermont-Ferrand.

Le 24 juin 1944, à la suite d’une dénonciation, la Gestapo suspecte le chef Vidalo, de l’escadron 8/6 d’Aire-sur-Adour, de complicité avec le maquis. L’intéressé reste interné à Bordeaux, au fort du Hâ, jusqu’à la Libération. De mai 1943 à mai 1944, le cabinet de Darnand fait radier des cadres de la garde plus d’une dizaine d’officiers dont on retrouve les noms dans le journal officiel (capitaines Berland, Paroche, etc., lieutenants Cloiseau, Masson, etc.).

Des ralliements à la Résistance commencent à se produire à partir du début de l’année 1943. Leur nombre, jusqu’au débarquement, va croître insensiblement de mois en mois. Cependant, si l’on se réfère à un recensement très partiel, il n’excédera pas quelques dizaines d’hommes. Évoquer leur cas, c’est indirectement aborder la question de l’obéissance. Aussi a-t-on toujours été discret à leur sujet. Pourtant, dans ces circonstances, leur engagement représente une forme d’action particulièrement méritoire.

Quelques motivations les expliquent : impatience d’en découdre avec l’occupant, se soustraire à une menace imminente d’arrestation, refuser d’exécuter des missions que la conscience réprouve (exécution de patriotes, etc.). Recherchés par toutes les polices, passibles jusqu’en juin 1944 du tribunal militaire et, postérieurement à cette date, des tribunaux du maintien de l’ordre ou des cours martiales, privés de solde, séparés de leurs familles chassées de leurs logements, tel est le lot des fugitifs confrontés à d’innombrables difficultés.

Le garde Leroy (Gustave), du 2e régiment, admis en 1930 dans la Garde républicaine mobile, est un des premiers à quitter son poste. À la mobilisation, en 1939, ce sous-officier est nommé adjudant, à titre temporaire, pour la durée de la guerre, au 54e bataillon de mitrailleurs motorisés. Après l’armistice, il reprend son service à la 2e légion. C’est là qu’il décide de rallier la France Libre via l’Espagne. Le 28 novembre 1942, il s’évade de France par la frontière des Basses-Pyrénées. Il lui a fallu rechercher une filière de passage, puis franchir la montagne, étroitement surveillée. Entreprise dangereuse. D’après une statistique de l’administration, avant 1943, les forces de Vichy arrêtent 652 candidats au passage.

La frontière passée, d’autres difficultés surgissent. Lorsqu’il atteint l’Espagne, le 1er février 1943, la police l’arrête et l’interne dans un camp de regroupement en Catalogne. De là, les autorités espagnoles le placent en résidence surveillée à Barcelone, d’où il sort clandestinement, le 9 juin 1943, pour tenter de rallier l’A.F.N via le Portugal. La malchance le poursuit. La police portugaise l’intercepte le 10 juin et l’emprisonne jusqu’au 18 août. Après sa libération, avec d’autres évadés de France, de Lisbonne il embarque sur un navire à destination de Casablanca. Dès son arrivée au Maroc, le 22 août, les autorités militaires le dirigent vers le camp de triage de Médiouna. Là, chaque évadé de France doit se déterminer. Le chef Leroy opte pour le 5e régiment de tirailleurs marocains. Des gardes des régiments d’A.F.N. y servent déjà. En janvier 1944, avec son régiment rattaché à la 2e D.I.M. (division d’infanterie marocaine), il prend part aux premiers combats du corps expéditionnaire français en Italie. Après avoir été blessé le 21, quelques jours après, il trouve la mort à la tête de sa section à Santa Maria di Olivetto Campobassa. Le libellé de la citation à l’ordre de l’armée qui lui est décernée à titre posthume résume son action :

« Sous-officier de premier ordre, évadé de France, volontaire pour combattre en Italie, s’est révélé dès les premiers combats un chef de section de valeur, courageux, ayant beaucoup d’autorité, a montré beaucoup d’allant lors de l’attaque de la cote 1129 le 21 janvier 1944. Blessé à l’arrivée sur l’objectif, n’a pris que le temps de se faire panser et a rejoint sa section sur le champ. A été mortellement blessé le 24 janvier 1944 alors qu’il se dépensait pour installer un solide point d’appui sous le feu de mitrailleuses ennemies. »

Un juste hommage doit être rendu à la mémoire de ce sous-officier, probablement le seul évadé de France de tous les régiments de la garde.

Le garde Dumarché, déplacé en Corrèze avec son escadron, rejoint courant octobre 1943 l’A.S. du secteur de Neuvic et prend le commandement d’une compagnie. À la même époque, on enregistre la désertion du garde Jouanet de l’escadron 4/4 de Montluçon. Il tombe aux mains des G.M.R., le 29 janvier, dans la région de Treignac. Dans la Haute-Vienne, le garde Coujard se rallie aux F.T.P. En juin 1944, dans la région d’Eymoutiers, il prend la tête d’un bataillon F.T.P. de la 1re brigade de marche du Limousin. Le garde Vadot (Georges), de l’escadron de Mirande, déplacé en Haute-Savoie en janvier 1944, se joint aux combattants des Glières, après l’accrochage du Petit-Bornand entre gardes et maquisards. Dans la nuit du 18 février, deux sous-officiers, de l’escadron 4/2 de Vals-les-Bains, suivent son exemple. L’un d’eux, le garde S.., à la suite d’un accrochage avec les forces de l’ordre, repassera dans leur camp et se fera dénonciateur. Comble de l’infortune, il sera fusillé par l’ennemi le 13 juin 1944. Au début du mois d’avril 1944 le garde Jules Pol, de l’escadron 8/6 d’Aire-sur-Adour, en service à Limoges, abandonne son unité à la suite de sa désignation pour entrer dans la composition d’un peloton d’exécution. À son départ, il emporte avec lui un fusil et un revolver. Deux mois plus tard, ce sous-officier commande une section du corps franc Pommiès avec lequel il participe à la Libération du sud-ouest. Le 2 mai, l’élève-garde Belugeon (André) quitte à cheval la caserne des Augustines à Guéret et gagne le maquis. Quelques jours après, un de ses camarades, l’élève-garde Sablier, entre à son tour dans l’illégalité. Sous le nom de capitaine Lebrun, il instruit des F.T.P. puis prend le commandement des 1re et 2e compagnies du 6e bataillon F.T.P.. Le 5, un premier groupe de gradés et de gardes du 1er régiment rallie le maquis avec armes et bagages. À la fin du mois de mai, Joseph Orsini, garde à l’escadron 7/3 déplacé à Limoges, quitte son unité pour rejoindre l’Ariège. De retour à Saverdun, son village natal, où vivent ses parents, il entre dans un groupe de l’O.R.A. placé sous l’autorité du commandant Daumenc dont fait partie le gendarme Saint-Martin, de la brigade de gendarmerie locale. À la suite d’une dénonciation, les Allemands investissent par surprise, le 26 juin à l’aube, le gîte du détachement près du château de Justinien. Le garde Orsini, le gendarme Saint-Martin et son épouse qui l’avait accompagné au maquis après avoir confié ses enfants à des proches, sont sauvagement abattus. A Montluçon, le garde Le Guillou, de l’escadron 4/4, abandonne le 6 juin ses camarades chargés de la garde du dépôt pour rallier le maquis du camp du 14 juillet en forêt de Tronçais. On lui confie le commandement d’une section avec laquelle, pendant deux mois, il participe dans l’Allier aux actions de harcèlement contre les troupes allemandes. Le 20 août, sa section combat pour la libération de Montluçon. Le lendemain, au cours d’un accrochage, une balle l’atteint de plein fouet à la tête. Transporté à l’hôpital de la ville, il rend le dernier soupir le 31.

Des officiers, à partir de l’année 1944, entrent également dans l’illégalité. Le chef d’escadrons Le Magny, de la direction générale de la garde, est affecté le 25 janvier 1944 au 6e régiment à Toulouse. Ancien collaborateur du général Verneau, à l’état-major de l’armée, il est partisan de l’action immédiate. En liaison avec le groupe Morhange, il devient suspect aux yeux de certains de ses chefs. Le général Perré, informé de son état d’esprit le convoque à Vichy, fin février, pour le mettre en garde contre toute activité séditieuse. Il s’y rend.

Le 28, sur le chemin du retour, dans la région de Volvic, il tombe sur une opération de police dirigée par la Gestapo qui l’arrête. Considéré comme suspect, elle le garde à vue et l’emprisonne pendant quinze jours à Clermont-Ferrand. Après plusieurs interrogatoires, il recouvre la liberté.

À Toulouse, en son absence, la police allemande perquisitionne dans son logement. L’attention que l’on porte sur sa personne le décide à rentrer dans la clandestinité. Il se met en rapport avec le colonel Pfister qui le dirige vers le corps franc du capitaine Pommiès. Au mois de mai, ce dernier le charge de l’inspection des groupements nord, en attendant l’ouverture des opérations. Le 10 juin 1944, il prend le commandement du groupement ouest. Trois jours après, à la tête de son bataillon, il se heurte aux miliciens et aux Allemands, dans la région d’Astaffort. Le combat dure plusieurs heures et entraîne de part et d’autre des pertes sérieuses.

Dans le cadre du regroupement des unités du corps franc, le chef d’escadrons Le Magny (Derines) quitte le Lot-et-Garonne. Il passe dans le Gers et prend la tête d’une demi-brigade (deux bataillons). Le 22 août, il rejoint la frontière espagnole pour renforcer le dispositif mis en place en vue d’interdire le passage en Espagne d’unités allemandes et de miliciens en fuite.

Le lieutenant Delorme (André), avant qu’il ne serve dans la garde, début 1943, se distingue au cours de la campagne de France dans les rangs du 7e bataillon de chars de combat. Sa bravoure lui vaut deux citations à l’ordre de l’armée. Après l’armistice, promu capitaine, il est nommé professeur à l’école de Saint-Cyr repliée à Aix-en-Provence jusqu’à sa dissolution en novembre 1942. Affecté à Guéret, en qualité d’instructeur, il commande le 5e escadron d’élèves-gardes. Lorsque le 3 mars 1944, le général Perré, au cours d’une prise d’armes au quartier des Augustines, le décore de la Légion d’honneur pour faits de guerre, il a déjà pris la décision de se joindre à la Résistance.

Quelques semaines plus tard, informé par son beau-père, proche des responsables de la Résistance dans le Cantal, que le maquis d’Auvergne est en voie de formation dans les monts de la Margeride, il abandonne son poste pour s’y rendre. Après sa promotion, le 1er juin, au grade de commandant des F.F.I., le colonel Garcie, chef militaire du réduit du Mont-Mouchet, lui confie le commandement du 2e bataillon. Il prend le pseudonyme de Masséna. Après les combats des 3 et 10 juin, dans la journée du 11, son bataillon stoppe pendant plusieurs heures, au carrefour de Paulhac au Malzieu, une colonne du 1000e régiment motorisé de sécurité. Du 20 et 22, il poursuit le combat dans le réduit de La Truyère. Les compagnies du colonel Gaspard, encerclées par la brigade du général Jesser, reçoivent l’ordre de dispersion. Avec trois autres maquisards, dont son beau-père, le commandant Delorme quitte le réduit pour gagner le point de ralliement fixé à Saint-Georges. Le dimanche 25 juin, aux environs de 11 h, après avoir franchi les postes d’interception tenus par les troupes d’opérations, il emprunte un des sentiers qui dévalent du plateau de la Chaumette en direction de la ville basse de Saint-Flour où il a vu le jour. Soudain, un crépitement d’armes automatiques. Il est tué sur le coup par les tirs d’un poste allemand dissimulé dans les environs. À ses côtés, son beau-père, Léon Malfreyt, instituteur, capitaine d’infanterie, qui commandait la compagnie des pionniers au Mont Mouchet, est grièvement blessé. Il décède dans la soirée du 26. Les obsèques du capitaine Delorme se déroulent le 27. Seule sa famille est autorisée à accompagner sa dépouille mortelle au cimetière. Le jeudi 28 septembre 1944, toute la population de Saint-Flour lui rendra un hommage solennel, au cours d’un office religieux à la cathédrale suivi d’une cérémonie au cimetière devant sa tombe.

À cette occasion, Monseigneur de La Vaissières, Évêque de Saint-Flour, évoque sa mémoire :

« André Delorme n’avait que 32 ans. Il était officier de carrière. Sa conduite, lors des événements de juin 1940 lui avait valu une magnifique citation qui comportait la croix de guerre à deux palmes. Très jeune, il s’était fait apprécier par sa valeur militaire, si bien que ses chefs l’avaient désigné comme professeur à Saint-Cyr en cette période de transition, où l’armée française n’avait qu’une vie embryonnaire. Nommé depuis peu à l’école de la Garde de Guéret, il avait fait preuve d’un tel patriotisme et d’une telle confiance dans les destinées de la France que tout son groupe était passé avec lui au maquis… »

Sur les pentes du coteau de la Chaumette, une stèle marque l’endroit de sa mort. Autre hommage rendu à sa mémoire : la municipalité de Saint-Flour donnera son nom à l’une des rues de la cité.

Dès son arrivée au commandement de l’escadron motorisé 5/4 de Saint-Étienne, où il a été affecté le 27 février 1944, le lieutenant Millon (Roland) entre en contact avec le capitaine Marey, chef de l’A.S. dans la Loire. Ce dernier le met à la disposition de Henri Jeanblanc (Navarre), chef du secteur de Saint-Étienne. Début juillet 1944, lorsque la Milice le convoque, il flaire un danger. De fortes présomptions de complicité avec la Résistance pèsent sur lui. Trois mutations, en moins de quinze mois, motivées par de la mauvaise volonté dans l’exécution des ordres d’opération n’ont pas ébranlé ses convictions.

Pour éviter de se présenter au siège de la Milice, il se fait excuser par le lieutenant Sanvoisin, qu’il connaît bien, officier adjoint à la compagnie de gendarmerie de la Loire. Explication fournie : le commandant d’escadron est soi-disant parti en mission à Vichy pour y préparer le déplacement de son unité fixé au 8 juillet. Le 7, avec une partie de ses hommes, armes et matériel, il rejoint, comme convenu avec l’A.S., le maquis de Bouthéon. Le 8 juillet, par message radio, le Gouvernement d’Alger le nomme au grade de capitaine. Le 31, le commandant Marey lui confie la direction des formations armées de l’A.S. cantonnées dans la région montagneuse dominant Montbrison et la plaine du Forez (maquis Cassino, Rhin et Moselle, groupe franc Jean Thomas, peloton motorisé Ferréol). Avec les gardes du 5/4 qui l’ont suivi, « le terroriste aux yeux bleus », comme le surnomme la Milice, forme le groupe mobile Strasbourg.

Le 7 août, son groupe vient à la rescousse du maquis F.T.P.F. « Lucien Sampaix » attaqué à Lérigneux par une trentaine de la Milice, des G.M.R. et un escadron de la garde, appuyés par une section de la Feldgendarmerie, un détachement de la Kriegsmarine et un groupe de la Flack. Une contre-attaque met en déroute les forces de l’ordre supervisées sur place par le colonel Witkind, commandant la garnison allemande de Saint-Étienne. L’escadron de marche engagé dans cette opération, ironie du sort, comprenait pour moitié des gardes de l’escadron 5/4 qui n’avaient pas rallié le maquis et d’autres d’un escadron de Lyon en sous-effectifs à la suite de désertions. Les gardes, placés en réserve, n’interviendront pas au cours du combat. Le 21 août, à Estivarelles (Loire), le groupement Millon (Maygal) obtient la reddition de trois compagnies slaves et concourt à la neutralisation de la colonne de 800 hommes, en provenance du Puy-en-Velay, commandée par le colonel Metger.

Après le 6 juin, le passage des gardes au maquis s’accélère. Soit isolément, soit en groupes, soit en unités constituées, les personnels s’intègrent dans les F.F.I. pour combattre l’occupant. Le bataillon Céroni, du corps franc Pommiès, en accueille un grand nombre (gardes Poisson, Robert, Colombani, Garmendia des escadrons de Mirande et de Saint-Gaudens, etc.). Dans la première semaine de juin, on dénombre 53 gradés et gardes dans le corps franc de la Montagne Noire. Le 9, 12 gardes, de l’escadron 7/1 déplacé à Saint-Mesmin, répondent à l’appel lancé par le chef départemental des F.F.I. de l’Aube, le commandant Algiraude (Montcal) et se rendent à son P.C., au château de Poligny, avec un car, des armes et des munitions. Dans la nuit du 12 au 13 juin, les élèves-gardes Marchon, Dapot, Alomar, Neveu, Lange de l’escadron 1/2 d’Aubenas, en service à Vichy depuis le 1er mai, abandonnent leur cantonnement à Puy-Guillaume pour rallier un maquis de la région. Leur départ, connu de leurs camarades, entraîne une vive réaction du commandement. Le chef de corps, le colonel Valo, se rend sur place dès le lendemain matin, suivi par le général Le Bars, commandant la 1re brigade. Tous deux rappellent les règles de la discipline et les sanctions auxquelles s’exposent les déserteurs. Puis, ils interrogent les gardes. L’un d’eux écrit :

« Nous jouons les surpris car nous ne pouvons ignorer leur départ puisque cette nuit j’ai eu à défendre mes armes individuelles contre Marchon mon voisin de chambrée qui en partant voulait me les voler. »

À la fin du mois, une partie de l’état-major du 2e régiment avec des éléments de la fanfare, un peloton d’élèves-gardes et le lieutenant Ausseur suivi de l’escadron 7/2, se mêlent aux volontaires civils qui gagnent les zones de rassemblement fixées par la Résistance. À partir du 9 août, des symptômes de détérioration de l’état d’esprit, qui en disent long sur les sentiments des gardes, se font jour au dépôt de l’escadron de Montluçon. On constate dans les locaux de l’unité, en plus du dérangement du téléphone, une lacération intentionnelle du portrait du maréchal Pétain. Ces manifestations coïncident avec le départ au maquis de l’escouade des hommes restés au camp Neuf.

Quelques semaines plus tard, le 17 août, de nouvelles défections se produisent à l’escadron 1/2 stationné au camp des Calabres, à trois kilomètres de Vichy. Quinze gardes s’emparent d’un car et d’armes (5 F.M. et 3 P.M.) puis partent dans la région de Puy-Guillaume, pour s’intégrer dans une formation des F.F.I.

Dans cet escadron, selon le témoignage de Louis Estaque, beaucoup de gardes sont d’accord pour aller au maquis mais à condition de s’y rendre en unité constituée. À défaut d’unanimité et de coordonnateur, seuls quelques-uns passent aux actes. Dans ses souvenirs, le garde Flandin expose les raisons qui l’ont conduit à ne pas déserter :

«…Un soir, revenant du pansage, mon copain Monnier me demande brutalement "Veux-tu partir au maquis ? Plusieurs de notre chambre vont partir sous les ordres de Spit, ex-sous-officier de l’armée du nord, du 2e peloton".

Cette question soulève en moi un sérieux dilemme. Je suis chef de famille et ma mère, seule avec ma sœur et mon frère, attend cette moitié de ma solde que je lui envoie tous les mois.

Ensuite j’ai confiance dans l’esprit patriotique de nos jeunes capitaines et lieutenants. Enfin je ne connais personne dans ces maquis. Sont-ils des F.F.I. ou des F.T.P. ?

D’autre part, ces départs individuels me surprennent, me choquent un peu.

J’ai le sentiment que ces gars veulent plutôt fuir leur responsabilité de garde. Or la discipline impose un choix (grandeur et servitude du métier militaire). Je pense que pour certains, influençables, il s’agit de vivre une aventure ou d’avoir plus vite des galons ! Je décide de faire confiance à mes chefs. »

À travers son propos, marqué du sceau de la sincérité, on mesure combien est fort le sentiment du devoir d’état et l’exigence d’obéissance qui en inclinent beaucoup à ne pas transgresser les règles de la discipline.

Du 6 juin à la fin août 1944, des unités constituées, à l’initiative de leurs chefs ou sous la pression de circonstances particulières, passent à la dissidence en ordre dispersé. L’école de Guéret, dès le 7 juin, entraînée par le directeur des études, le chef d’escadrons Corberand, donne l’exemple la première.

Cet officier, qu’anime un esprit de revanche très fort, a vu le jour le 8 février 1906, à Dun-sur-Meuse (Meuse). Il entre en service en septembre

1926. Formé à Saint-Cyr, il sert dans l’infanterie avant d’être admis dans la gendarmerie en juin 1932. Successivement, on le trouve en poste à Baccarat (4e légion de G.R.M.) puis à Oran (légion de G.R.M. d’Algérie). En octobre 1941, il échappe miraculeusement à la mort au moment où il rejoint en métropole sa nouvelle affectation (1er régiment de la garde). Le vieux paquebot Lamoricière, en route pour Port-Vendres, à bord duquel il effectue la traversée de la Méditerranée, sombre corps et bien au large des côtes d’Espagne pendant une violente tempête. Dans une mer déchaînée, il réussit à s’accrocher à une poutre avant de perdre connaissance. Les sauveteurs le repêchent, totalement inconscient et inerte. Peu à peu, il revient à la vie. Au début de l’automne 1943, le capitaine Corberand reçoit une affectation à l’école de la garde. Ses solides qualités professionnelles et foncières lui valent le 25 février 1944, une promotion au choix au grade de chef d’escadrons.

Depuis le mois de février 1944, les chefs de la Résistance du département de la Creuse n’ignorent pas, à la suite de différents contacts, que des cadres de l’école sont prêts à se ranger de leur côté. Mais rien ne leur permet de prévoir quel sera le comportement de l’ensemble. À l’annonce du débarquement, le commandant Fossey, chef départemental des F.F.I., décide d’attaquer, en liaison avec les F.T.P., la garnison allemande de Guéret. L’école de la garde ne risque-t-elle pas de prêter main-forte à la Milice et aux troupes d’occupation ?

À la caserne des Augustines, dès la sonnerie du réveil, à 6 h 30 le 6 juin, le commandement, informé du débarquement, met les unités en état d’alerte. Dans les heures qui suivent, le lieutenant-colonel Favier réunit les officiers dans son bureau. Il annonce la mise en application du plan dit de M.O., codifié sous l’appellation de plan « P1 Bis ». Les escadrons en état de combattre quittent le quartier pour aller assurer la sécurité éloignée de la ville et en même temps éviter que l’école ne soit enfermée et désarmée. À 10 h arrive la confirmation de l’arrivée des Alliés en Normandie. C’est une explosion de joie, parmi les stagiaires qui en ont connaissance.

Le 2e escadron (capitaine Faurie) sort de Guéret aux alentours de 16h, pour rejoindre La Valette de Saint-Vaudry, à l’ouest de l’agglomération. Il s’installe dans les locaux de l’école d’agriculture. À 18 h, le dispositif est en place dans ce secteur. Le 5e escadron (lieutenant Georges) prend position, à l’est de la ville, à Jarnages. Les autres escadrons restent sur place, pour établir des barrages aux entrées des routes menant à Guéret. Tous ne sont pas présents à l’école, le 6 juin au matin. Le colonel Favier rappelle le 1er escadron (élèves officiers) en manœuvre dans la région. Il ne sera de retour que dans la soirée. Depuis le 5 juin, le 3e escadron (capitaine Fourreau) effectue une marche-manœuvre à cheval prévue pour une durée de trois jours. Le 6, à 8 h, il se trouve près d’Aubusson, au château de Blessac, où il cantonne. Le capitaine reçoit l’ordre de rentrer d’urgence, le plus vite possible. L’unité revient au quartier vers 15 h.

Selon l’élève-garde Paraingaux, de l’escadron à cheval du capitaine Fourreau, le peloton auquel il appartenait n’a pas rejoint Guéret mais s’est porté, en plusieurs étapes, à Cusset où il a été rattaché au centre d’instruction du 4e régiment. Peut-être, ce mouvement, dont aucun journal de marche consulté ne fait état, explique-t-il que l’escadron Fourreau ne comprenait que deux pelotons le soir du 6 juin et les jours suivants ? Dès 18 h, conformément au plan, le capitaine installe des postes de contrôle sur chacune des routes d’accès à Guéret.

Le lieutenant Page, commandant le 2e peloton, a déjà choisi son camp. N’ayant reçu aucun ordre précis, il interdit à ses hommes de tirer. En début de soirée, le chef d’escadrons D..., commandant le groupe d’escadron d’élèves-gardes, inspecte les postes et leur donne trois consignes précises. D’abord, vérifier l’identité de toutes les personnes entrant ou sortant de la ville. Ensuite, à partir de 21 h, tirer sans préavis sur tout individu suspect n’obtempérant pas aux injonctions. En troisième lieu, combattre par le feu et tenir, si le groupe attaquant est inférieur à dix hommes. S’il est supérieur à ce chiffre, combattre en se repliant sur l’école. Au cours d’une ronde, à 3 h du matin, le lieutenant Page informé des dernières instructions, ordonne aux élèves-gardes de son peloton « d’éviter tout incident et toute effusion de sang. N’oubliez pas, leur dit-il, que nous sommes français. Prévenir l’école s’il arrive quoi que ce soit ».

Pour mettre tous les atouts de son côté, avant d’attaquer la garnison allemande, le commandant François, accompagné du capitaine Rose (Piron), se rend discrètement le 6 juin à 21 h à l’école et demande à être reçu par le colonel Favier. Au cours d’une brève entrevue, il l’invite à rallier la Résistance. Le chef de corps refuse, en se retranchant derrière le serment qui le lie au Maréchal. Il indique aux visiteurs qu’il pourrait les faire arrêter. Le commandant François réplique en sortant de sa poche deux grenades et en disant :

« J’ai prévu cette éventualité ; dans ce cas nous sauterons tous les deux ! »

Le chef départemental de la Milice, qui attend d’être reçu par le colonel Favier, aperçoit le commandant François et le capitaine Rose au moment où ils sortent du bureau. Il fera grief au commandant de l’école de ne pas avoir fait arrêter les deux chefs de l’A.S. Darnand sera informé de son comportement. La sanction ne tarde pas à tomber. Un arrêté en date du 16 juin 1944, par mesure de discipline, place le colonel Favier, en non-activité par retrait d’emploi.

Dès son arrivée à Saint-Vaury, dans la soirée du 6 juin, le capitaine Faurie téléphone au chef d’escadrons Corberand qu’il sait acquis à la Résistance. À mots couverts, il lui dit qu’à son avis le moment est venu de se joindre au maquis. Le directeur des études lui répond que dans la nuit, l’escadron aura la visite de ses chefs. Effectivement, vers 3 h 30, deux hommes, dont le capitaine Rose se présentent à Saint-Vaury au peloton de garde commandé par l’adjudant-chef Coirier. Ce gradé, avec lequel ils ont déjà eu des contacts, les reçoit. D’emblée, il accepte de faire cause commune avec le maquis. Les émissaires de la Résistance, accompagnés par l’adjudant-chef, rejoignent le P.C. du commandant d’escadron à La Valette. Ils demandent au capitaine Faurie de se rendre immédiatement auprès des postes tenus par les élèves-gardes, aux issues de la ville, pour leur donner l’ordre de laisser passer tous les individus qui se présenteraient en formulant le mot de passe « Bara ou Félix 233 ». À l’aube, le 7 juin, sous les ordres du lieutenant T.., le 2e escadron prend la route de Guéret devancé par le capitaine Faurie porteur de nouvelles consignes pour les postes en position autour de la ville. Déjà, les premiers éléments des F.F.I. commencent à investir le chef-lieu du département.

Vers 5 h 45, le clairon sonne l’alerte dans le quartier. Aux alentours de 6 h, accompagné d’une section d’escorte, le commandant François entre à la caserne par la porte donnant avenue de Laure. Malgré les consignes, le garde de faction lui ouvre le passage. L’irruption dans la cour du chef des F.F.I. provoque surprise, curiosité, agitation et coïncide presque avec l’arrivée du capitaine Faurie qui trouve « le commandant François au milieu de la cour, haranguant les unités au nom du général de Gaulle pour se joindre à lui ». À la fin de son intervention, le commandant François invite la garde à se joindre à ses troupes, pour participer à la délivrance de Guéret.

Le colonel Favier réunit ses cadres, dans le bureau du commandant en second, pour leur exposer la situation. Il propose à ceux qui ont l’intention de rester fidèles à la parole donnée au Maréchal de se ranger derrière lui. Une minorité d’entre eux, parmi lesquels les chefs d’escadron D. et G… approuvent sa position. En déliant les autres de leur serment, il les laisse obéir à leur conscience. Les premiers rejoignent Vichy. Par la suite, le chef d’escadrons D… prend à Montluçon le commandement d’un groupement. La plupart des officiers se joignent au chef d’escadrons Corberand qui prend nettement position en faveur des F.F.I.. En fin de matinée, après information de toutes les unités - certaines se trouvaient en mission à l’extérieur au moment où le commandant François s’est présenté au quartier - cadres et élèves-gardes, à 95 %, se rangent aux côtés de la Résistance.

Le capitaine Jouan, commandant l’escadron 1/5 de Limoges, déplacé à l’école pour les servitudes, se met à la disposition du chef d’escadrons Corberand. Dans la soirée, l’escadron 2/5 de Bellac (capitaine Termet) en opération dans le canton de Grand Bourg, vient grossir l’effectif. Le 8 juin à 4 h, un troisième escadron, le 7/8 de Pellevoisin (capitaine Receveau), renforce le dispositif.

Après la défection massive de l’école, le secrétariat général au maintien de l’ordre, par arrêté en date du 16 juin, place en position de non-activité, par retrait d’emploi et par mesure de discipline, tous les officiers déserteurs (chef d’escadrons Corberand, capitaines Faurie, Fourreau, Richard, Séchaud, Cantoni, les lieutenants Le Guillou, Duval, Doison, Raveney, Georges, Guillot, Page, etc.).

Sanctions et menaces ne mettent pas un terme à l’hémorragie qui affecte le potentiel de la garde. Après l’école de Guéret, les défections d’unités continuent, étalées dans le temps. Dans l’après-midi du 10 juin, l’escadron 6/2 (capitaine Goué), déplacé en Saône-et-Loire, gagne le maquis de Louhans. Depuis leur arrivée dans la région, les gardes ne manifestent guère d’enthousiasme pour exécuter les missions qu’on leur confie. Ils ne cachent par leur sympathie pour le maquis. Le lieutenant Giguet, chef du district F.F.I. mais aussi commandant la section de gendarmerie, a pris des contacts avec le capitaine. Un gradé, le chef Nau, a déjà rejoint les maquisards. Le lieutenant Giguet décide « d’enlever » l’escadron, scénario organisé à la demande des gardes. Ils craignent que leurs familles, regroupées en caserne, ne soient prises en otage. Tout est paré pour le départ de l’escadron fixé au 10. Or, dans la matinée du 10, arrive à Louhans, en provenance de Châlons-sur-Saône, un escadron de la garde (capitaine C..) porteur d’un ordre de l’intendant régional du maintien de l’ordre prescrivant à l’escadron 6/2 et au détachement de G.M.R. déplacé dans le secteur de se replier sur Châlons. Au 6/2, avec l’aide des gardes de l’escadron du capitaine C.. envoyé en protection, on s’affaire pour charger les véhicules. Avisé de la situation, et bien que le rapport de force lui soit défavorable, le lieutenant Giguet, avec une dizaine d’hommes, dont le chef Nau, se rend au cantonnement où les préparatifs de départ s’accélèrent. Sans détour, il demande au capitaine C.. de se joindre avec son escadron à la Résistance. Le capitaine lui oppose un refus ferme. Comme quelques autres, il se retranche derrière le serment de fidélité prêté au chef de l’État. Les points de vue sont inconciliables. Cependant la sagesse prévaut. Il n’y aura pas d’affrontement. Sans l’escadron 6/2 mais aussi sans les G.M.R., le capitaine C.. reprend la route de Châlons-sur-Saône. Avant d’entrer dans la dissidence, avec les maquisards et les G.M.R., l’escadron 6/2 participe à une brève prise d’armes devant le monument aux morts de Louhans.

Le 14 juin, dans l’Ardèche, l’escadron 8/2 (lieutenant Molia), se place sous les ordres du groupement « D » de l’A.S. du capitaine Faveau où il retrouve des gardes du 2e régiment, en particulier le lieutenant Ausseur à la tête du 7/2. Au 8/2, seuls les adjudant-chefs T... et D... ainsi que les gardes B... et V... refusent de partir avec leurs camarades.

Dans la première quinzaine d’août, deux autres escadrons changent de camp. Le 5, à la demande pressante faite par des chefs des F.F.I. qui l’incitent à se joindre à eux, le lieutenant Ribault, commandant l’escadron 2/1 (Vaux-en-Velins), déplacé dans la région de Pont d’Ain, se joint aux hommes du colonel Romans-Petit. À l’exemple du 2/1, le 15 août, jour du débarquement sur les côtes de Provence, l’escadron 6/1 de Chambéry (capitaine Perrolaz) rallie à son tour le maquis dans les Bauges. La veille, les Allemands se sont présentés à l’entrée de la caserne à Chambéry pour le désarmer. L’officier, qui a eu vent de l’opération, a pris la précaution, avec la complicité de son personnel, de mettre en sécurité une bonne partie de ses armes, de ses munitions et de ses véhicules. Malgré une perquisition en règle, les Allemands ne trouvent rien. Dans la nuit du 14 au 15, 121 gardes et leurs cadres, guidés par un membre de la Résistance savoyarde, s’acheminent vers Garins, dans les Bauges. Le lendemain, l’escadron récupère ses armes et son matériel transportés au maquis, dans des charrettes, dissimulés sous du fumier.

Chapitre 6 - JOURS NOIRS EN HAUTE-SAVOIE

Défections individuelles et collectives entament le potentiel de la garde. Au lendemain du débarquement de Provence, elle continue néanmoins, sans beaucoup d’enthousiasme il est vrai, à remplir ses missions. Dans les escadrons regroupés autour de Vichy et de Limoges, des tractations s’engagent, d’une manière assez anarchique, avec les organisations de résistance en vue d’arrêter les modalités de leur ralliement. Celui-ci, comme on le verra, n’interviendra que peu de temps avant la chute du régime.

L’examen de l’évolution des comportements de 1943 à la fin août 1944, date de l’effondrement de l’État français, fait apparaître que les sanctions, menaces, risques d’arrestation et de déportation, ne parviennent pas à détourner de leurs convictions les personnels qui refusent de se soumettre à l’occupant et à ses satellites. À côté des initiatives individuelles et collectives, sans lien les unes avec les autres, qui viennent d’être relatées, se développe parallèlement, à partir du printemps 1943, une action secrète pour engager dans la Résistance, au moment propice, l’ensemble de garde.

En Haute-Savoie où une occupation chasse l’autre, les Allemands succèdent aux Italiens à partir du 8 septembre 1943. Dans ce département, des ententes le plus souvent tacites s’établissent entre la Résistance et la garde. L’appartenance de cette dernière à l’ancienne armée de l’armistice et la présence dans les rangs des maquisards de nombreux militaires démobilisés du 27e B.C.A. favorisent ces rapprochements.

Depuis le 27 juillet 1943, mis sur pied pour « épurer » la région, le groupement des Alpes, composé de 8 escadrons de la garde et de pelotons de gendarmerie de réserve territoriale, placé sous l’autorité du lieutenant-colonel Bretegnier, un Alsacien animé par l’esprit de revanche, proche du chef d’escadrons Robelin, ne se montre pas très ardent dans la recherche des bandes de réfractaires de plus en plus actives dans les deux Savoies. Aux commandants d’unités, il donne des instructions simples mais efficaces : n’agir jamais de leur propre initiative, effectuer le moins d’opérations possible, les faire avec le minimum de risques pour le maquis et pour la garde, ne jamais ouvrir le feu sans son ordre. Le peu de résultats obtenus lui vaut rapidement des observations du préfet régional et de la direction du service technique du maintien de l’ordre à Vichy.

À la direction de la garde, le chef d’escadrons Robelin se charge de le défendre devant les autorités, principalement le S.T.M.O., sur la base des rapports justificatifs qu’il lui adresse. De ces échecs, les autorités tirent la conclusion que la garde n’est plus bonne à rien. Leur défiance s’accroît lorsque, dans la nuit du 12 août 1943, une vingtaine d’hommes armés attaque à Bonneville le cantonnement d’un peloton de l’escadron 8/2. Leur tentative pour s’emparer de l’armement échoue mais le garde Duchatel est sérieusement blessé. Quelques jours plus tard, le 24, à Thorens, le maquis désarme un peloton de gendarmerie. Gros émoi à Vichy et à la préfecture régionale.

Pour éviter que les rapports ne s’enveniment entre la garde et le maquis, le lieutenant-colonel Bretegnier cherche à joindre un représentant qualifié de la Résistance en vue de s’entendre sur la conduite à tenir par les uns et par les autres. Il entre en contact avec le colonel de Lanoyerie :

« Je lui expliquai que, laissant le maquis tranquille, j’entendais qu’il agit de même envers nous par réciprocité. Le colonel me fit remarquer que tels étaient bien les ordres donnés, mais qu’ils n’étaient pas toujours respectés par certains jeunes chefs qui désiraient agir à leur tête. Il me promit cependant d’intervenir dans le sens que je lui indiquais. À partir de ce moment, j’eus des entrevues fréquentes avec le colonel dont le bon sens, la loyauté et la bonne camaraderie ne se démentirent pas un seul instant… »

Grâce au colonel de Lanoyerie, un vieil Alsacien patriote, M. Nussbaum, va assurer la liaison entre le lieutenant-colonel Bretegnier et le maquis. La plupart des commandants d’escadron, dans leurs secteurs respectifs, se mettent en rapport avec les chefs locaux. Dans la région de Chambéry, le capitaine Gerbeau, de l’escadron 6/1, sert de relais avec le commandant du groupement. Les nombreuses connaissances qu’il a dans les maquis de la Savoie facilitent sa tâche.

Le lieutenant-colonel Bretegnier, pendant son séjour dans les Alpes, prend le maximum de précautions pour empêcher des affrontements avec le maquis. Lorsque les autorités décident de monter des opérations, il s’emploie à donner l’alerte à temps. Surtout, il s’efforce de réduire leur nombre en invoquant des impossibilités matérielles : manque de carburant, de véhicules, fatigue des hommes etc. Les rappels à l’ordre se multiplient. À plusieurs reprises, il doit répondre à des convocations en provenance de Lyon (préfet régional) et de Vichy (S.T.M.O. et direction de la garde). En octobre 1943, un incident se produit qui lui attire d’amères remontrances. Lorsque l’instruction arrive d’ouvrir le feu sur tout réfractaire armé, en exécution de la loi du 11 octobre 1943, il en retarde la diffusion sous divers prétextes. Le préfet régional lui reproche son inertie et lui fait donner l’ordre impérieux par le général Perré d’exécuter les directives reçues. En transmettant l’instruction à ses subordonnés, il leur fait remarquer « que tout le monde n’est pas forcé d’être un tireur d’élite qu’on pouvait fort honorablement manquer son but » appréciation facilement décryptée par tous. Sur ces entre-faits, les autorités administratives cherchent des ennuis au lieutenant Masson, de l’escadron 5/1, qui n’a pas ouvert le feu sur des réfractaires armés rencontrés au cours du ratissage consécutif à l’attaque perpétrée contre le capitaine V.., commandant la section de gendarmerie d’Annecy, abattu par la Résistance début octobre. Le commandant de peloton incriminé, convoqué à la direction à Vichy, s’y rend avec le rapport détaillé établi par le lieutenant-colonel Bretegnier approuvant sa conduite. Le chef d’escadrons Robelin réussit à aplanir les difficultés. L’affaire, finalement, n’entraîne pas de sanctions.

Dans l’éventualité d’un débarquement dont on parle sérieusement à l’époque, en harmonie avec les intentions du sous-directeur technique, il se prépare à prendre le maquis avec ses escadrons en attendant l’arrivée des libérateurs à l’intérieur du pays. D’accord avec ses adjoints, il effectue des reconnaissances sur les centres de regroupement susceptibles d’être choisis, Abondance (Haute-Savoie) ou Beaufort (Savoie).

Les attentats se multiplient dans le secteur dont il a la charge. Quelques semaines plus tard, irrité de constater l’absence de résultats tangibles dans la lutte contre la subversion, le préfet régional demande son rappel et son remplacement. L’officier, relevé le 20 décembre 1943, reprend ses fonctions d’adjoint auprès du colonel Throude, commandant le 1er régiment à Lyon.

Pendant son séjour dans les Alpes, grâce à ses initiatives et aux liaisons établies avec des membres de la Résistance, aucun combat ne se produit entre les maquisards et ses hommes. Après son départ, malgré des exceptions, les commandants d’unités qui se succèdent dans la région en 1944 adoptent, vis-à-vis du maquis, la même ligne de conduite que lui.

Le colonel Pratx, commandant le 6e régiment, lui succède. Dans les escadrons, des personnels continuent de pactiser avec les maquisards. Le 5 janvier 1944, le capitaine Perrolaz, commandant l’escadron 6/1 de Chambéry arrive à Thones. L’unité cantonne à l’hôtel du Nord. La mission consiste à renforcer les contrôles et la surveillance dans le canton.

Dès le lendemain, première opération d’initiative pour rechercher des réfractaires. Sans le moindre souci tactique, le capitaine fait ratisser volontairement une zone à l’opposé du lieu de refuge des maquisards. Quelques jours plus tard, il se met en rapport avec le lieutenant Bastian, chef de l’A.S. du canton. Les deux hommes conviennent de faire en sorte que garde et maquisards s’ignorent.

Un autre accord intervient à Thorens entre le capitaine Millot (escadron 7/6) et les maquisards de François Servant. Les gardes laissent circuler librement ses hommes, à condition qu’ils ne portent pas d’armes apparentes. Leur connivence dépasse cette simple convention. Au début janvier, le peloton de l’adjudant Narbonnaud intercepte lors d’un contrôle de la circulation, sur l’axe Thorens-La Roche, François Servant, alias lieutenant Simon, qui vient d’enlever à Thorens, avec son groupe, 3 000 litres d’essence. Il s’entretient avec lui et le laisse passer. À la même époque, l’adjudant Ducos du même escadron transporte le lieutenant Lalande dit Lamothe, ancien du 27e B.C.A., à son P.C. à Moussy et à Bonneville. Avec un détachement, il assure, au café de la gare de Bonneville, la protection d’une réunion à laquelle participent son commandant de peloton, le lieutenant Honorat, des chefs de l’A.S. et un officier anglais.

Le lieutenant Honorat jouit de l’estime des résistants auxquels il rend de nombreux services. Le chef d’escadrons Raulet brosse de lui un portrait qui en dit long sur sa fougue :

« J’avais eu sous mes ordres ce grand fou sympathique et original pendant quelques semaines à Chambéry, aussi je ne fus pas étonné d’apprendre à mon arrivée à Annecy qu’Honorat, avec sa discrétion habituelle, avait soulevé le premier conflit grave entre la milice et la Garde. À mon passage à la Roche-sur-Foron, je l’avais affectueusement grondé et raillé sur sa maladresse avec d’autant plus de verve et d’ironie qu’il m’arrive quelquefois pareils avatars. »

La présence à La Roche-sur-Foron, en janvier et février 1944, du peloton du lieutenant Honorat, cantonné à l’hôtel du Château, information recoupée par plusieurs sources, autorise à penser que selon toutes probabilités, c’est lui qui a accepté de rencontrer le 12 janvier, Louis Saillet, chef de la 8e compagnie F.T.P. chargé d’enlever 10 inspecteurs de police dont le quartier général était installé à l’hôtel Mino en plein centre de l’agglomération. Comme prévu, aucun accrochage ne s’était produit entre les F.T.P. et le peloton de la garde.

De graves incidents viennent pourtant compromettre cette coexistence pacifique, entre forces de l’ordre et patriotes, voulue par des hommes de bonne volonté, soucieux d’éviter des affrontements entre Français.

Dans la région de Frangy-Éloïse, le 23 janvier 1943, le lieutenant Simon, chef du corps franc de l’A.S., est grièvement blessé au cours d’une opération exécutée par trois escadrons de la garde. Le capitaine Socié, commandant la section de gendarmerie de Saint-Julien-en-Génevoix, expose les circonstances de l’affaire dans un rapport adressé à sa hiérarchie :

« Le 23 janvier, une opération de police a été effectuée par la garde contre une bande armée dans la région d’Usinens-Beaumont. Le chef de bande se faisant appeler lieutenant Simon a été grièvement blessé et un individu a été arrêté.

Aucun blessé du côté des forces de police. La bande a réussi à s’échapper. Six voitures ont été saisies et un camion. Un stock de vivres et de matériel a été saisi. Le lieutenant Simon a été reconnu par les gendarmes M... et P... comme l’un des individus qui les a désarmés le 19 janvier. Le repaire de cette bande a été découvert par la gendarmerie et des gendarmes servant de guides ont été mis à la disposition de la garde pour cette opération. Une opération de nettoyage d’ensemble doit être envisagée si l’on veut mettre fin à tous ces attentats contre les personnes et les biens. »

De plus amples explications permettent d’en comprendre l’épilogue. Le dimanche 23 janvier, le capitaine Socié demande à la brigade de Frangy de se tenir prête à partir en service avec des unités de la garde chargées de rechercher les auteurs de l’agression commise la veille contre le sous-préfet de Bonneville au pont de la Caille. Le gendarme Legentil de cette résidence, agent de renseignements du maquis, informé de la présence à Éloïse du lieutenant Simon, le fait prévenir de l’imminence d’une opération de police dans le secteur. En apprenant la nouvelle, qui lui parvient par deux sources différentes, le lieutenant Simon ne s’inquiète pas outre mesure. Le gendarme Legentil a fait savoir que le capitaine Mallaret, de l’escadron 5/1, commande le dispositif. Le chef du corps franc a eu l’occasion de le rencontrer et sait qu’il peut compter sur lui. Sa confiance est telle qu’il déclare « si c’est lui, on n’a pas de souci à se faire. Il donnera un coup d’œil en gros et fera un rapport disant qu’il n’a vu personne ».

Le lieutenant Morel (Théodose), chef des maquisards des Glières, quelques jours avant sa mort, au cours d’un entretien avec le chef d’escadrons Raulet porte témoignage du patriotisme et de la sincérité du capitaine Mallaret. Il le range dans la catégorie des « types épatants qui servent dans la garde et la gendarmerie à côté de quelques salauds » ajoutant « il nous a rendu d’énormes services ».

Les escadrons se déploient sur le terrain. Le 5/1 du capitaine Mallaret se dirige vers Éloïse, celui du 7/6, du capitaine B.., se porte vers Tirecu, en empruntant le chemin de Cusinens. Un peloton commandé par l’adjudant B.. s’installe près du hameau de Frenay. Vers 7 h 30, accompagné par un de ses hommes, le lieutenant Simon, avisé de l’arrivée dans la région d’une colonne allemande en provenance de Bellegarde, se porte en voiture dans la direction indiquée et, d’un point haut, observe le terrain. Ne voyant rien venir, il décide de revenir à sa base. Sur le chemin du retour, il tombe sur le poste de l’adjudant B.. Tranquille, en toute confiance, le jeune chef du corps franc descend de son véhicule, l’arme à la main, pour parlementer. Or le chef de poste ignore tout des arrangements passés par le capitaine Mallaret avec les maquisards. Il tire. Son vis-à-vis, atteint d’une rafale à l’abdomen, s’effondre. Au cours de la fusillade, le chauffeur du lieutenant Simon est légèrement blessé. Le gendarme Legentil, chargé de guider la garde, fait alerter discrètement les hommes de Simon. Du côté du capitaine Mallaret, c’est la consternation. Rapidement, il ordonne l’évacuation des deux maquisards vers l’hôpital d’Annecy. Le lieutenant Simon, dans un état critique, subit une longue intervention chirurgicale. Les autorités mettent en place un dispositif étoffé pour le garder : 1 gradé et 8 gendarmes départementaux renforcés par 9 gardes de l’escadron 3/2 et 6 policiers en civils. Le 24 janvier, en milieu d’après-midi, les Allemands prennent de vitesse le commando qui s’apprêtait à l’amener en lieu sûr. Ils enlèvent le blessé que l’on ne retrouvera jamais.

Un deuxième incident oppose gardes et maquisards, quelques jours plus tard. Le lundi 7 février, une rencontre entre un groupe de ravitailleurs du maquis et une patrouille de la garde se termine mal pour les premiers. L’un d’entre eux, Lucien Missilier, évoque les faits :

« On savait que les gardes mobiles devaient monter. On y va. Dans la montée, on voit un barrage à deux cents mètres. On avait des armes et du ravitaillement. On n’a pas eu le temps de rebrousser chemin. Ils nous ont tirés dessus. Roger Broizat, un copain, une balle explosive a brûlé sa chemise et la carotide. Il y en a eu de pris. J’avais un téléphone de campagne, un pétard, j’ai tout balancé. »

Effectivement, un détachement de la garde en surveillance à La Puya, repère ce jour-là cinq jeunes gens qui poussent leur véhicule près du pont du Borne à l’Essert. Le chef de poste, un aspirant, intrigué par leur attitude, envoie une reconnaissance pour les identifier. À l’approche des gardes, les suspects prennent la fuite. Le responsable du dispositif ordonne d’ouvrir le feu sur les fuyards. Deux, dont un blessé, échappent à leurs poursuivants mais les trois autres restent entre leurs mains. Pour le commandant du sous-groupement du Petit Bornand, « l’aspirant, venu des corps de troupes, ignorant de l’état d’esprit de la garde, impatient de passer officier, a cherché, sans réfléchir, une action d’éclat pour atteindre son but ».

La remise aux autorités des trois prisonniers soulève la réprobation du lieutenant Morel. Jusqu’à présent, la garde s’était montrée conciliante. De son côté, il avait donné la consigne à ses hommes de ne pas tirer sur elle mais de toujours parlementer. L’intervention malheureuse de quelques gardes, au pont de l’Essert, laisse présager des lendemains difficiles.

Depuis le 24 janvier 1944, à la suite de la recrudescence des attentats, sabotages et attaques contre les forces de l’ordre et les troupes d’opérations, le Gouvernement met le département de la Haute-Savoie en état de siège. Darnand renforce les effectifs policiers. Au début février, le colonel Lelong, nommé intendant de police et directeur des opérations de maintien de l’ordre, dispose de 12 escadrons de la garde, 5 G.M.R., 19 pelotons de gendarmerie et 250 miliciens de la franc-garde pour rétablir l’ordre. S’y ajoute la brigade spéciale de répression des menées antinationales du commandant de police Detmar, soit une soixantaine d’hommes spécialisés dans la lutte antiterroriste.

La Milice et la brigade Detmar forment les corps francs de la répression alors que la garde, les G.M.R. et la gendarmerie occupent les points stratégiques.

Le couvre-feu, instauré à Annecy le 18 décembre 1943, à la requête des autorités allemandes, s’étend à tout le département, de 20 h à 6 h, à partir du 2 février. Contrôles des axes routiers, vérifications d’identité, recherche des suspects, perquisitions, embuscades s’intensifient.

Pour parer aux menaces qui pèsent sur les maquisards, disséminés en petits groupes, les chefs régionaux de l’A.S. et la mission interalliée Musc, dans le cadre d’une nouvelle stratégie et en accord avec Londres, décident de les regrouper sur le plateau des Glières. Ce quadrilatère, de dix kilomètres sur dix, situé au centre d’un massif montagneux, encadré par les vallées du Borne, de Thorens et de Thônes, constitue un véritable bastion naturel facile à défendre. Aucune route n’y conduit. Seuls existent quelques sentiers étroits et tortueux.

Dans la soirée du 29 janvier 1944, cent vingt maquisards de Haute-Savoie, sous les ordres d’un jeune lieutenant de 28 ans, Théodose Morel, du 27e B.C.A., montent vers le plateau et commencent à le mettre en état de défense. Dans les jours et semaines qui suivent, l’effectif augmente avec l’arrivée de F.T.P. et d’anciens combattants de l’armée républicaine espagnole. À partir du 26 mars, ils seront quatre cent soixante-cinq, pour livrer le premier grand combat contre l’occupant et les forces de Vichy.

Le 2 février, vers 20 h, par la voix du porte-parole de la France-Libre, Maurice Schumann, la B.B.C. annonce l’imminence d’une action d’envergure contre les maquis de Haute-Savoie et place les responsables des forces de l’ordre devant leurs responsabilités :

« Intendant de police Lelong, colonel Prat (Pratx), colonel Candille, colonel Bertrand, contrôleur général Delgay vous êtes désormais les otages de la France ! Chaque goutte de sang qui peut-être demain par votre faute coulera dans les ravins et les gorges de notre Haute-Savoie retombera sur vos têtes… »

« Mais vous, soldats de la Garde mobile, vous soldats des Groupes mobiles de réserve et vous aussi policiers allez-vous donc tuer, blesser d’autres soldats réguliers et volontaires de l’armée française sur l’ordre d’un soldat régulier et volontaire de l’armée allemande ? »

Entre le 2 et le 8 février, Lelong accélère les préparatifs en vue d’une attaque massive des Glières. L’activité des patrouilles s’intensifie, de jour comme de nuit, sur les voies d’accès conduisant au plateau. Partout, les forces de police renforcent les postes de garde et de contrôle. Les miliciens multiplient rafles et perquisitions, pour recueillir des renseignements.

Le 10 février, l’haupsturmführer Jeewe, chef de la Gestapo d’Annecy, adresse au commandant régional des SS à Lyon le plan d’action arrêté par Lelong pour réduire les maquisards retranchés sur le plateau :

« D’après les informations obtenues au cours d’opérations préliminaires, il est évident que des groupes de l’Armée Secrète se sont retirés sur le plateau des Glières, au sud-est de Thorens, au sud-ouest de Petit-Bornand et au nord de Thônes. Le colonel Lelong a décidé d’attaquer le plateau en l’encerclant. Les préparatifs ont commencé ce soir à 18 heures. Il engage trois groupes, A, B et C englobant neuf escadrons de la garde mobile, trois de la garde mobile de réserve et deux cents hommes de la Milice. Le groupe A, aux ordres des chefs d’escadrons Colomb et Raulet, marchera sur Petit-Bornand et Bonneville, au sud. Le groupe B, aux ordres du commandant Brenod, de la G.M.R., avancera vers l’est en partant de Thorens. Le groupe C, aux ordres du capitaine Ney, de la Milice, montera au nord de Faverges, vers le plateau des Glières.

Cette avance n’a pas, pour le moment, de caractère offensif ; elle vise simplement à effectuer des reconnaissances et à réaliser l’encerclement. Les trois groupes ont l’ordre de sceller la région et de la soumettre à un contrôle très strict. En outre, ils installeront des bases près des accès du plateau en vue de l’attaque générale dont la date reste à fixer… »

Le 10 février, Lelong convoque pour 12 h, à son P.C., le colonel Pratx, commandant le groupement de la garde déplacé en Haute-Savoie, pour lui donner ses directives. L’officier s’y rend accompagné du lieutenant Lepoivre, du 4e régiment, détaché à son état-major. Assistent à la réunion, le lieutenant de la garde désigné en qualité d’officier de liaison auprès de Lelong, le capitaine Coumes, commandant les pelotons motorisés, deux officiers des G.M.R., le commandant de Monzié et le capitaine Lemoine.

Le directeur des opérations de maintien de l’ordre commente son ordre numéro 58/0. Il insiste notamment sur le fait que les opérations préliminaires ne doivent pas excéder une durée de 36 à 48 h au maximum. Il en fixe impérativement le début le 12 au matin. Le colonel Pratx appelle son attention sur le fait que l’adversaire peut interdire à sa guise, avec quelques armes automatiques, les deux étroits sentiers desservant le plateau, seuls itinéraires utilisables par les unités obligées de progresser en colonne par un, sans aucune possibilité de manœuvre. Dans ces conditions, un accrochage risque de mettre les escadrons dans une situation d’impuissance.

Dans l’après-midi, le commandant du groupement convoque à son état-major les chefs d’escadrons Raulet (groupe 1/6) et Colomb (groupe 2/6), respectivement désignés comme commandant des sous-groupements du Petit-Bornand et de Bonneville. Le lieutenant-colonel Candille leur expose la situation. Selon les derniers renseignements, un groupement de 280 maquisards dotés de pistolets-mitrailleurs, fusils-mitrailleurs et même mortiers occupe le plateau. La prudence s’impose car les maquisards bénéficient de l’avantage du terrain. L’officier regrette que l’opération n’ait pas été différée et s’en explique :

« Étant donné les difficultés connues de l’opération, il semblait qu’il eut été normal de demander de suspendre l’expédition jusqu’aux beaux jours. Cette demande était impossible à formuler car, depuis le commencement des opérations en Haute-Savoie, les officiers de la garde se trouvaient dans une situation de contrainte morale et menacés de sanctions. Fautes, remarques ou suggestions auraient amené des sanctions inédites ou des poursuites pour complicité. »

Après la réunion, vers 19 h, le chef d’escadrons Raulet repart pour son P.C. à Cluses. Sur le trajet du retour, il s’arrête à Marignier où cantonne l’escadron 5/5 de Châteauroux, commandé par le capitaine Yung. Il compte sur lui pour régler les problèmes qui pourraient se poser. Son subordonné, en effet, a noué des liaisons avec le lieutenant Lalande de l’A.S. ainsi qu’avec un lieutenant F.T.P. opérant dans le secteur de la Roche-sur-Foron. Il lui donne rendez-vous le lendemain, en début d’après-midi, au P.C. du groupement, à Bonneville, pour lui donner sa mission. De retour à Cluses, il se rend auprès du capitaine Montané, commandant l’escadron de Foix. Très avant dans la nuit, les deux officiers discutent de la conduite à tenir.

Le 11 février, les escadrons du sous-groupement Raulet font mouvement vers le Petit Bornand. Le 5/5 s’installe à l’Essert, l’escadron de Foix (capitaine Montané), à Lignières, de l’autre côté de la vallée du Borne, les escadrons de Vals-les-Bains (capitaine Gonneaud) et de Mirande (capitaine Baquias) cantonnent à Levillard. L’escadron 3/6 de Saint-Gaudens (capitaine Rabaséda) doit renforcer dans la journée le sous-groupement. Son détachement précurseur, constitué par le peloton motocycliste du lieutenant Froehly, rejoint l’Essert. À 18 h, le chef d’escadrons Raulet réunit les commandants d’escadrons à son P.C. pour leur donner lecture de l’ordre 58/0 de l’intendant de police Lelong, les instructions du colonel Pratx et son intention. La mission consiste à reconnaître, sans esprit offensif, les abords du plateau. Premiers objectifs désignés, les secteurs de la Revoue et de Grobelin. L’escadron 5/5, de Châteauroux (capitaine Yung), renforcé par 2 sections du G.M.R. « Cévennes » se portera à la Revoue. Une deuxième colonne, aux ordres du lieutenant Beller, de l’escadron de Foix, rejoindra Grobelin. Une fois arrivées sur place, les unités s’installeront et ne reprendront la progression que sur ordre. À la demande du chef d’escadrons Raulet, le capitaine Yung prend les dispositions nécessaires pour prévenir le chef du maquis des Glières des intentions pacifiques de la garde.

Un bûcheron de la région, nommé Kumph, de nationalité Suisse, accepte, sur sa demande, de monter au plateau pour transmettre son message.

Le drame se noue dans la soirée du 11 au 12 février. L’émissaire de la garde s’enivre et reste chez lui. Aux Glières, dans le même temps, mais par d’autres voies, le lieutenant Morel a connaissance de l’opération prévue le lendemain. Rendu méfiant par l’incident du 7 février, ignorant la position adoptée par la garde, il envoie très tôt, le 12 au matin, un agent de liaison au P.C. de la section « Lorraine ». Sur un petit feuillet rose, détaché d’un carnet de poche, il a inscrit l’ordre suivant remis au chef de section :

« Un détachement de gardes mobiles monte ce matin de l’Essert pour une reconnaissance sur le plateau. Leur tendre une embuscade. »

À 8 h, le détachement du capitaine Yung s’engage sur le sentier qui conduit à la Revoue (1 480 m). Avant son départ, vers 7 h 45, l’officier laisse un message laconique au P.C., destiné au chef d’escadrons Raulet :

« Lessert, 7 h. 30.

Le messager n’est pas revenu. Je pars quand même. Faites-moi confiance, mon commandant. »

Pour réserver à son escadron la deuxième partie du parcours, la plus délicate, le capitaine Yung place en tête les G.M.R. Sous la neige qui ne cesse de tomber, la colonne s’ébranle et s’étire. Les hommes peinent, courbés sous un volumineux et pesant sac tyrolien contenant deux jours de vivres et des couvertures. Vers 8 h 45, les éléments de tête atteignent le chalet de la Louvetière. Les G.M.R. s’arrêtent. Les gardes reprennent la progression en tête de la colonne. L’escadron, largement échelonné sur deux ou trois cents mètres de profondeur, avance sur un sentier de plus en plus abrupt.

Vers 9 h 40, le groupe de tête repère un individu dissimulé derrière un arbre. Le capitaine Yung s’avance et observe à la jumelle. Au même moment, une sommation rompt le silence « Rendez-vous ! » « Avancez un par un ».

Le lieutenant Maurel, commandant le peloton, crie : « Qui êtes-vous ? » Nouvelle injonction : « Rendez-vous ! » « Avancez par un ». Une rafale de fusil-mitrailleur passe haut dans les arbres. Le capitaine Yung hurle alors : « Vous êtes fous ! Ne tirez pas ! Ne faites pas les c… » Il est déjà trop tard. Le garde Cariou s’effondre mortellement blessé. Son camarade Raphenaud qui lui porte secours tombe à son tour. Le passage est étroit, surplombé de rochers et de bois. Le capitaine Yung ordonne le repli du groupe de tête. Par bonds individuels, sous un feu nourri, les gardes décrochent. Le feu se déchaîne sur leur gauche. Un groupe de maquisards bondit à l’assaut. Le garde Lansalot est tué. Plusieurs blessés gisent sur le sol : le capitaine Yung, le lieutenant Maurel, le chef Roustain, les gardes Couty et Gabon. À gauche un ravin, à droite la montagne à pic, partout la neige. L’escadron ne peut manœuvrer. Le capitaine fait cesser le feu aux éléments de tête et donne l’ordre au lieutenant Courret, commandant le deuxième peloton, de rester sur place avec ses hommes. Des maquisards, dégringolant de la montagne, assaillent brusquement les trois groupes de tête et les désarment.

Pour permettre l’évacuation des victimes, le lieutenant Courret parlemente afin d’obtenir une suspension d’armes. Le chef des maquisards n’accepte qu’avec réticence. On emporte les blessés graves sur des brancards improvisés. Ils reçoivent les premiers soins au chalet de la Louvatière où sont arrivés les médecins de la garde et des G.M.R. Un traîneau évacue les morts en direction de Bonneville. Le peloton Courret, resté sur place, se replie vers l’Essert.

L’escadron laisse aux mains des maquisards trois prisonniers (le chef Rivallain, les gardes Ramazelles et Hellec) avec la plupart des armes du premier peloton. Deux blessés vont succomber à leurs blessures. Dans la soirée, un coup de téléphone de l’état-major d’Annecy annonce au chef d’escadrons Raulet la mort du capitaine Yung, à 19 h, sur la table d’opération. Un nouvel appel, à 22 h, signale le décès, à l’hôpital de Bonneville, du garde Couty.

Dans un camp comme dans l’autre, la journée s’achève dans la tristesse générale. René Dechamboux évoque l’état d’esprit des maquisards :

« Nous avons été fortement touchés par ce premier contact avec la mort. La vue des morts et des blessés nous a fortement impressionnés et nous restons étendus, les yeux dans le vague, en pensant à la bêtise de la guerre… »

La consternation règne du côté des gardes, durement éprouvés, comme l’écrira plus tard le colonel Raulet :

« Sur la route de l’Essert, l’adjudant Cariou pleure son frère tué. Il est entouré de plusieurs de ses hommes en proie à la plus vive émotion. »

Le 16 février, à 10 h, les obsèques des victimes se déroulent à Annecy, en présence d’une assistance nombreuse et des autorités. Aux côtés de l’intendant de police Lelong, le préfet de la Haute-Savoie, Marion, le chef départemental de la Légion des combattants, les principaux chefs miliciens, de Vaugelas en tête, un colonel, un capitaine et un lieutenant de la Wehrmacht représentant la Kommandantur, des délégations des forces du maintien de l’ordre. Le général Le Bars, commandant la 1re brigade, le colonel Pratx, le colonel Bertrand, chef de corps du 5e régiment auquel appartenaient les victimes, des officiers et gardes des unités déplacées dans le département.

À la fin de l’office religieux, en l’église Saint-Maurice, des gardes portent les cercueils, couverts de drapeaux tricolores, sur la place de l’hôtel de ville, devant le monument aux morts de Jeanne d’Arc. Gardes et G.M.R., sous les armes, forment le carré pour rendre un ultime hommage aux disparus. Les officiers allemands n’assistent pas à la prise d’armes au cours de laquelle le général Le Bars épingle la Légion d’honneur sur le cercueil du capitaine Yung et la médaille militaire sur ceux des gardes Cariou, Couty et Lansalot.

Au Petit-Bornand, le curé Truffy célèbre une messe à la mémoire des disparus. Les Savoyards y assistent dans le recueillement. Au cours de l’homélie, le prêtre exalte la mémoire de « ceux qui étaient tombés sous des balles françaises, en soldats regardant en face et leur devoir et la mort ». Le montant de la quête (30 000 francs) destinée aux familles témoigne de la compassion de la population, émue par les événements qui viennent de se produire.

Tous les protagonistes de l’affrontement du 12 février s’accordent sur les moyens mis en œuvre par les forces en présence. Personne ne conteste l’effectif de l’escadron du capitaine Yung fort de 70 hommes. Le nombre des assaillants, d’après le témoignage de René Dechamboux, s’élève à une douzaine de maquisards de la section « Savoie-Lorraine » auxquels se sont joints deux Espagnols de la section « Ebro ». Armés de deux ou trois fusils dépareillés, de quelques mitraillettes Sten, de grenades et de deux fusils-mitrailleurs, ils tenaient une position, dissimulée par un mur de neige, à partir de laquelle ils contrôlaient le sentier qui descend vers la vallée.

Le chef de la Gestapo d’Annecy, Jeewe, évalue à une centaine le nombre des maquisards. Cette surestimation répond naturellement à un but de propagande, pour justifier une intervention massive.

Les témoignages divergent, au sujet du déclenchement de la fusillade. Le chef d’escadrons Raulet, dans son rapport 52/2 D du 14 février, impute l’ouverture du feu aux maquisards. Avant qu’on ne l’évacue sur l’hôpital d’Annecy, le capitaine Yung, allongé sur une civière, enveloppé de couvertures, affaibli par un brancardage pénible de plusieurs heures, a tout juste la force de dire quelques mots au commandant du sous-groupement qui essaye de le rassurer :

«- Mon commandant, y a-t-il des morts ?… il y a des blessés.

- Ah ! quand même… nous avoir tiré dessus… à nous… sans prévenir… Ah !

les s… »

Un communiqué de l’intendant de police, publié dans la soirée du 13, confirme les propos tenus par le commandant d’escadron :

« À un détour du sentier, les deux gardes de tête aperçurent un fortin de neige. Ils crièrent "Qui est là ?" Une rafale leur répondit. Le capitaine fit mettre le F.M. en batterie. Les armes ne fonctionnèrent pas, la graisse étant gelée. Devant l’inutilité de ses efforts, le capitaine blessé fit mettre bas les armes devant les rebelles qui s’en emparèrent. »

René Dechamboux, chef de Sizaine, attribue aux gardes le coup de feu initial :

« Il y a eu les G.M.R. qui sont arrivés les premiers et qui ont occupé le chalet des Bossons que nous voyions depuis l’endroit où nous étions. Il a brûlé à la suite de ça. Il y a eu une vingtaine de G.M.R. en noir qui sont montés pour occuper le chalet. Les gardes mobiles sont arrivés après. Depuis le chalet ils ont continué à monter. On leur a dit de se rendre. Ils ne l’ont pas fait et il y en a un qui a tiré un coup de fusil, ce qui a déclenché le tir. »

Dans l’ouvrage Glières-Haute-Savoie, Louis Jourdan, Julien Helfgott et Pierre Golliet exposent la même version :

« Les gardes mobiles avaient été battus par une poignée de maquisards qui les attendaient sur le chemin des Esserts, mais qui n’en avaient pas profité pour tirer les premiers. Leur commandant, mortellement blessé, avait déclaré sur son lit de mort "on nous a trompés, ce n’est pas eux qui sont dans l’erreur, c’est nous !" »

Dans ses mémoires, l’abbé Truffy explique dans le détail le déroulement des faits. Pour lui, il ne fait aucun doute que le chef du maquis des Glières, très monté contre la garde après sa réaction du 7 février, a donné l’ordre de ne pas la laisser passer et même de tirer sur ses hommes.

Un premier élément corrobore son analyse. Dans la soirée du 12 février, Tom Morel rend visite aux hommes de la section Savoie-Lorraine pour les féliciter :

« Je déplore, leur dit-il, les pertes qu’ont subies les gardes mobiles mais cela leur servira de leçon. Nous ne sommes pas allés les provoquer. Ils n’avaient donc rien à faire ici… Vous, vous avez fait votre devoir. C’est bien les gars. »

Second élément d’appréciation, le 17 février, le lieutenant Morel reproche de vive voix au chef d’escadrons Raulet l’agressivité dont la garde a fait preuve, aussi bien contre ses ravitailleurs, le 7 février, que contre le lieutenant Simon le 23 janvier. Somme toute, il semble bien que les maquisards ne croyaient pas à la sincérité de la manœuvre de la garde, d’où leur réaction.

L’épreuve de force du 12 février entraîne des répercussions. Quelques heures à peine après l’accrochage, aux environs de 16 h, Lelong accompagné du colonel Pratx, du lieutenant-colonel Candille, du chef d’escadrons Colomb et du milicien de Vaugelas arrivent au P.C. du chef d’escadrons Raulet. Pour le directeur des opérations, la reconnaissance de la matinée a été mal montée. Suit une algarade avec le commandant du sous-groupement du Petit-Bornand. Avant de repartir, Lelong ordonne d’expulser tous les étrangers du village et de mettre l’abbé Truffy en résidence forcée à la cure.

Le 16, en tournée d’inspection à Annecy, Darnand convoque le colonel Pratx et lui reproche le manque d’efficacité de la garde lors de l’opération du 12. Le commandant du groupement de la garde en Haute-Savoie récuse énergiquement son propos.

Afin de contrôler la situation, Lelong va tenter de fractionner maquisards de l’A.S. et F.T.P. Pour arriver à ses fins, il a recours au chef d’escadrons Raulet et au curé Truffy de Petit-Bornand. Par leur intermédiaire, il propose au lieutenant Morel de trouver un terrain d’entente pour éviter l’effusion de sang entre Français. Il promet l’impunité aux maquisards de l’A.S., s’ils se rallient au Maréchal et se dispersent. Ces garanties ne s’appliquent pas aux F.T.P. d’obédience communiste. Les tractations entreprises aboutissent à une impasse. Les chefs de la Résistance considèrent inacceptable cette proposition. L’ultime tentative du chef d’escadrons Raulet, pour concilier les points de vue, ne rencontre aucun écho. L’officier proposait « que les maquisards des Glières disparaissent pendant une journée du plateau afin de pouvoir y passer ses escadrons et dire aux Allemands qu’il n’avait rien trouvé ».

Même si pour arriver à ses fins Lelong s’en remet au chef d’escadrons Raulet, il n’en éprouve pas moins de la défiance à l’égard de la garde. Le compte rendu qu’adresse le 15 février le chef de la Gestapo d’Annecy à son supérieur à Lyon exprime bien la position du représentant de Darnand :

« Lelong, écrit-il, a la certitude qu’il existe une liaison entre diverses unités de la garde et l’A.S. puisque l’A.S. était complètement au courant d’une attaque devant avoir lieu le lendemain

En ce qui concerne l’attitude des forces engagées, Lelong dit que seule l’attitude des chefs est décisive et que celle-ci est très différente auprès de divers détachements. À part la Milice, il s’exprime en termes très élogieux au sujet des G.M.R… Il est moins emballé par la garde… »

Lelong n’est pas le seul à nourrir de la suspicion vis-à-vis de la garde. À la mi-février, un officier du S.T.M.O. effectue une visite au P.C. du chef d’escadrons Raulet. Au cours de la conversation, il déplore le manque de détermination dont la garde a fait preuve et lance un avertissement :

« La garde ! Attention ! Vous êtes surveillés… À Vichy, ce ne sont que récriminations continuelles et désobéissances successives des détachements… Ici vous me dites que le moral est mauvais… que vous ne voulez pas monter, enfin ancien, il faudrait faire comprendre à vos hommes qu’ils pourraient être prisonniers, loin de leurs familles, qu’ils sont là pour obéir… »

L’extrait d’une lettre du 19 mars, retrouvée aux Glières sur le chef milicien Piriou de Kersalaun, adressée à un de ses amis, le colonel Mengin, atteste du mépris qu’éprouvent les hommes de Darnand pour la garde :

« C’est au Petit-Bornand que la garde mobile, troupe peu sûre et incapable, s’est laissée surprendre et a subi des pertes en tués et prisonniers… »

Aux yeux de toutes les autorités, la garde devient suspecte. A la demande de Darnand, le 27 février, alors que les préparatifs en vue de l’attaque du plateau se précisent, les Allemands en ont fixé la date limite au 10 mars, Lelong la décharge de toute mission offensive. Il lui confie la protection et les barrages en arrière du dispositif. Toutefois, elle doit fournir une section de mitrailleuses pour renforcer une formation de la Milice constituée de six trentaines et d’une section de mortiers.

Le 5 mars, le colonel Pratx, commandant le groupement de la garde en Haute-Savoie, quitte brusquement Annecy. La direction générale de la garde préfère l’éloigner de la région car les Allemands le menacent d’arrestation, pour avoir déjeuné à la table d’un chef du maquis. En fait, il s’agissait du curé Truffy. Le colonel de Foville, commandant le 1er régiment, lui succède.

Le 7, la direction relève le sous-groupement du chef d’escadrons Raulet dirigé sur Évian. Le sous-groupement du chef d’escadrons Colomb, auquel on n’a rien à reprocher, reste sur place à Bonneville.

De leur côté, les Allemands réagissent aux événements du 12 février. Sur place, deux de leurs observateurs, le lieutenant Bock, officier de liaison auprès de l’état-major de Lelong, et Jeewe, le chef de la Gestapo d’Annecy, suivent de près le comportement des forces de l’ordre et l’évolution de la situation. Le Kommandeur du SiPo-SD de Lyon, le docteur Knab, coordonne l’action et centralise les informations.

À la fin du mois de mars, ses services établissent que le ravitaillement du plateau des Glières n’est possible qu’en raison de l’attitude de la garde qui tolère les livraisons de ravitaillement aux « terroristes ». Les mouvements s’effectuent là où précisément elle a en charge la surveillance des barrages contrôlant l’accès du plateau. Knab demande à Lelong, qui n’y donnera aucune suite, de faire arrêter les officiers de la garde qui sont de connivence avec les maquisards et de les traduire devant la cour martiale.

Le chef d’escadrons Raulet estime que si les officiers incriminés n’ont pas été inquiétés, ils le doivent à Lelong. Peut-être ce dernier n’a-t-il pas oublié le lien qui l’attachait à la Garde républicaine mobile où il avait été admis en 1921. En 1931, chef d’escadrons, il commande à Belfort un groupe de la 8e légion. Après l’armistice, il quitte la gendarmerie pour se mettre au service de Vichy dont il partage l’idéologie. Successivement, on le retrouve directeur de l’école de police d’Aincourt en Seine-et-Oise et à la tête de l’école des officiers de paix à Périgueux, avant de devenir intendant de police et directeur des opérations de maintien de l’ordre en Haute-Savoie.

L’accrochage du 12 février entraîne chez les exécutants un réel malaise. Plusieurs sous-officiers désertent et rejoignent le maquis. Deux gardes, de l’escadron 4/2 de Vals-les-Bains, quittent leur cantonnement le 18 février vers 23 h. Trois autres, de l’escadron de Mirande, abandonnent également leur poste pour rallier les Glières. Les rapports établis par les commandants d’unités, à la suite de ces défaillances, mettent deux points en évidence. En premier lieu, les gardes perdent confiance dans les autorités qui les emploient. D’autre part, leur sympathie va dorénavant vers les « réfractaires » qui symbolisent l’idéal patriotique.

Malgré le traumatisme provoqué par l’affrontement du 12 février, les gardes ne coupent pas les ponts avec les maquisards des Glières. Le chef d’escadrons Raulet, plusieurs fois avant son départ, rencontre des membres de l’A.S. : le lieutenant Bastian (Barrat), dans la soirée du 12, le lieutenant Morel les 16, 18 et 19 février, le capitaine Clair, commandant l’A.S. du département, le 20 février, le capitaine Anjot (Bayard) le 13 février. Le 15, les maquisards libèrent les 3 gardes tombés entre leurs mains et restituent l’armement pris à l’escadron de Châteauroux.

Des arrangements interviennent avec les gardes pour faciliter le ravitaillement du plateau dont le blocus est effectif depuis le 13. La plupart des barrages tenus par la garde, sur les itinéraires menant au nord des Glières, sont de véritables passoires.

Les gardes délivrent des laissez-passer aux sédentaires de la résistance qui approvisionnent les assiégés. Ils ferment les yeux sur les allées et venues suspectes. Le chauffeur du lieutenant Morel, interpellé à un poste de contrôle, se fait connaître. Les gardes l’invitent alors à circuler. Quelques jours après, d’autres gardes le retiennent à un barrage pour qu’il ne tombe pas, quelques kilomètres plus loin, sur un élément commandé par un officier hostile au maquis.

Le 20 février, le lieutenant Honorat, (escadron 7/6), fournit un uniforme de garde à Pierre Barillot, chef de l’A.S. de la vallée du Giffre, pour qu’il puisse se rendre à Annecy dans les meilleures conditions de sécurité. L’officier l’accompagne dans une voiture de service. Le chef Gaubil (escadron 6/6), en mission avec un groupe aux environs d’Argonneix, facilite la fuite de maquisards traqués par les Allemands et la Milice. Dénoncé, il fait l’objet d’un blâme de Darnand. Le capitaine Receveau (escadron 7/5) relâche des maquisards arrêtés lors d’un contrôle. Les Allemands et la Milice le suspectent de complicité et demandent la relève de l’unité. À la suite du grand parachutage du 11 mars sur le plateau des Glières, un des bombardiers largue plusieurs containers en dehors de la zone de réception, dans la vallée de Luaz, contrôlée par les forces de Vichy. La garde les récupère. Dans les jours qui suivent, ravitaillement et munitions (400 kilos de cartouches) sont remis à leur destinataire. Malicieusement, un témoin rapporte que « les gardes mobiles ont gardé les cigarettes, le chocolat, les biscuits, le beef ».

Chapitre 7 - L’ENTREPRISE DE RETOURNEMENT

L’examen des événements qui se déroulent en Haute-Savoie, début 1944, montre que le double jeu auquel se livrent certains éléments de la garde n’est pas simple à mener. Il les place au carrefour de tous les dangers.

Si l’objectivité commande de relativiser la portée du combat du 12 février, comparativement à la bataille qui va entraîner quelques semaines plus tard l’anéantissement du maquis des Glières par les troupes allemandes et la Milice, il convenait néanmoins d’en relater les grandes lignes car il va marquer la garde d’une empreinte profonde.

Selon Henri Longuechaud, « le retournement contre l’ennemi au moment opportun et dans les meilleures conditions de réussite » aurait pu être pensé et préparé à l’échelon des commandements supérieurs de la gendarmerie, de la garde, des G.M.R. et de la Police nationale. En ne l’organisant pas, ils ont, estime-t-il, laissé passé une chance historique de faire participer leurs formations, en tant que telles, à la Libération.

On ignore, généralement, qu’à l’échelon de la direction générale de la garde, le cas est d’ailleurs unique parmi les corps constitués de l’appareil policier, dès 1943, le chef d’escadrons Robelin, sous-directeur technique, prépare secrètement son engagement aux côtés de la Résistance.

De nombreuses interrogations subsistent concernant son entreprise vouée à l’échec à la suite d’un coup de filet de la police allemande. Martyrisé puis sauvagement assassiné dans les geôles de la Gestapo, sa disparition nous prive d’une source d’information essentielle. Cependant, à travers les témoignages de ses chefs dans la Résistance mais aussi de ses proches collaborateurs, il est possible de cerner les grandes lignes de son action.

En acceptant, comme le lui a proposé le général Verneau, de prendre la tête de la garde pour l’entraîner dans la Résistance, le chef d’escadrons Robelin relève un défi osé et plein de risques.

Dans la garde, à l’image du pays, Pétain à ses partisans et ses détracteurs si bien qu’il n’y a pas unité de vues. Les chefs, à tous les échelons de la hiérarchie, sont eux-mêmes partagés. Malgré une cohésion apparente, la direction constitue un ensemble assez hétérogène. Des civils (secrétaires, rédacteurs, comptables, administrateurs) et des militaires d’origines diverses (officiers et sous-officiers issus de l’ex-G.R.M. et de l’armée de l’armistice) s’y côtoient sans adhérer obligatoirement aux mêmes valeurs. Rien ne garantit la discrétion des uns et des autres.

Le général Perré, homme de caractère, exerce pleinement son autorité sur son état-major et sa troupe qu’il veut efficace au maintien de l’ordre et fidèle au devoir militaire. Il le proclame clairement, en mars 1944, devant les élèves de l’école de la garde à Guéret :

« À l’époque douloureuse que nous vivons, alors que la France a tout perdu : son empire, sa flotte, son armée, un seul bien lui reste : l’existence d’un Gouvernement légitime, celui désigné par le chef légitime de l’État français : le maréchal de France, Philippe Pétain. Un jour il faudra liquider cette guerre dont nous sommes sortis après notre défaite et qui donc parlerait alors au nom de la France s’il n’y avait plus d’État français ? Or l’existence de cet État est maintenant menacée non par l’adversaire d’hier, mais par la révolte intérieure soudoyée par l’étranger. À l’heure actuelle, la défense de l’ordre français c’est la défense de nos dernières chances ; c’est la défense même de la France.

Nous de la Garde qui comptons parmi les derniers soldats du maréchal, notre premier, notre plus urgent devoir, c’est d’être sous le commandement du secrétaire général au maintien de l’ordre des soldats de l’ordre et notre passé exige que dans la lutte engagée nous nous conduisions comme une troupe d’Élite. »

La dispersion des unités, constamment déplacées, n’est pas propice à l’organisation d’un front commun contre l’occupant. Autre difficulté, les Allemands et la Milice représentent un danger permanent. L’origine militaire de la garde ne leur inspire que méfiance. Quelques faits le prouvent. À la solde de la Gestapo, un Français, chargé de l’entretien de l’hôtel Radio, épiait l’état-major. D’autres agents surveillaient les déplacements, à Vichy et aux alentours, des officiers de la direction générale. Au moment de son arrestation, le commandant Tharaux reconnaîtra l’un d’entre eux :

« Je connaissais d’ailleurs l’un d’eux pour l’avoir vu assez souvent dans la rue lorsque j’entrais dans mon bureau ou en sortais. J’avais eu sa photo et son nom par nos services de renseignements avec la mention qu’il était particulièrement chargé de connaître mes habitudes et de me surveiller… »

Dans un tel environnement, le chef d’escadrons Robelin ne dispose que d’une marge de manœuvre très faible pour agir dans le sens souhaité par le chef de l’O.R.A. Aussi, va-t-il devoir jouer un double jeu dangereux. Il sait qu’il peut compter sur ses collaborateurs. Ne les a-t-il pas choisis pour la plupart ? Tous lui sont dévoués et partagent ses convictions, persuadés que l’occupant n’a pas la partie gagnée. Ils sont donc prêts à le suivre dans tout ce qu’il pourrait leur ordonner pour combattre l’ennemi.

Avec la prudence qu’exige son rôle du moment, dans un souci de sécurité, pour ne pas compromettre ses subordonnés, le chef d’escadrons Robelin, sauf s’il y a nécessité, ne les informe pas dans le détail de ses intentions. Sans être dans le secret de ses projets et de ses contacts avec la Résistance, tous s’en doutent qui, à un moment ou à un autre, se voient chargés de missions de confiance. Courant 1944, le capitaine Grange transporte un courrier secret à Lyon, avec un véhicule de service. Il en ignore le contenu et n’en sait pas davantage sur les fonctions du destinataire. Le capitaine Morand sert d’agent de liaison avec le délégué militaire de la région 6, Courson de La Villeneuve alias « Pyramide ». Le capitaine Bouchardon établit le contact avec le Front National et maintient la liaison avec lui. Le sous-directeur associe son adjoint, le commandant Tharaux, à ses actions. Les uns et les autres le renseignent sur l’état d’esprit des cadres et des escadrons déplacés, à tour de rôle, à Vichy.

En prenant ses fonctions, le chef d’escadrons Robelin a déjà pris moralement ses distances avec le général Perré. Son entreprise souterraine recouvre schématiquement trois aspects. Dans le droit fil de ses activités antérieures, il continue d’apporter son concours aux services spéciaux. La position qu’il occupe lui permet de recueillir et de transmettre une moisson de renseignements au C.E. clandestin dirigé en France par le lieutenant-colonel Lafont dit Verneuil. Le poste de Vichy (T.R.113 puis Violette), dirigé successivement par le commandant Johannès et le capitaine Rouyer, trouve auprès de lui un de ses plus efficaces soutiens. Grâce aux informations qu’il fournit, des résistants et des maquis échappent aux dangers qui les menacent. Averti du projet d’évasion du général de Lattre de Tassigny, il met en place, dans la nuit du 2 au 3 septembre 1943, un élément de reconnaissance pour détecter les postes de contrôle susceptibles de se trouver sur son itinéraire de fuite. Le garde Consigny remplit cette mission avec un side-car. Au début de l’année 1944, de façon à pouvoir être renseigné sur tous les projets d’opérations préparés par les services de Darnand, il propose et appuie le détachement au S.T.M.O., en qualité d’officier de liaison, du capitaine Vincent (Paul) dont il connaît les sentiments patriotiques.

Second volet de son action, de mai 1943 à juillet 1944, tout jouant son rôle d’honorable correspondant des services spéciaux, le sous-directeur technique prend les dispositions nécessaires pour contrecarrer les instructions du secrétaire général au maintien de l’ordre. Dans la pratique, sa démarche se traduit par une obstruction systématique aux ordres d’opérations (lenteur des transmissions, instructions passées en clair, par téléphone, pour qu’elles puissent être connues de la Résistance, etc.). Les commandants d’unités reçoivent comme consigne de ne jamais prendre d’initiatives et notamment de ne pas participer à la recherche des renseignements concernant les maquis, d’exécuter au mieux des intérêts de la Résistance les opérations auxquelles ils ne pourraient se soustraire, en s’efforçant de les saboter, de prétexter des manques de carburant et d’effectifs pour ne pas y participer et surtout d’éviter, par tous les moyens, l’ouverture du feu.

Avec fermeté, il soutient les personnels mis en cause par les autorités, en raison de leur comportement en service favorable aux victimes du pouvoir (passivité du lieutenant Masson qui n’a pas donné l’ordre de tirer sur des maquisards en Haute-Savoie, refus par le lieutenant Cloiseau d’obéir aux ordres du directeur de la centrale d’Eysses lors d’une évasion collective, manque d’ardeur du colonel Pratx en Haute-Savoie dans l’exécution des directives du colonel Lelong directeur des opérations de maintien de l’ordre etc.). Il déploie la même énergie pour défendre les cadres qui ont des démêlés avec la Milice à l’occasion d’opérations de police (capitaine Dupont André, escadron 6/4, etc.). Malgré la demande expresse du milicien de Vaugelas, qui lui demande de détacher à son état-major le chef d’escadrons Jeandel, dont il a apprécié la compétence avant la guerre, il s’y oppose. Aux officiers de liaison qu’il détache auprès des états-majors des forces du maintien de l’ordre à Clermont-Ferrand (commandant Michelet) et à Limoges (commandant Chazalmartin), il donne comme consigne de freiner au maximum l’emploi de la garde. Lorsque Darnand prescrit, en février 1944, la création de groupes francs pour exécuter des coups de main, il exprime sa désapprobation. S’il ne peut s’opposer à leur mise sur pied, il essaye néanmoins d’entraver leur fonctionnement. Ainsi, il refuse d’accorder à celui constitué par le capitaine Jean, commandant l’escadron de Bergerac, une dotation supplémentaire en munitions. En vain car l’officier s’en procure auprès des troupes d’occupation.

Les consignes données par le chef d’escadrons Robelin portent leurs fruits. Malgré le durcissement progressif de la répression et le zèle affiché par quelques commandants d’unités irréductibles, la plupart des escadrons, se conformant à la ligne de conduite fixée, n’obtiennent que de maigres résultats au cours des opérations de police.

Troisième aspect de son activité secrète, le chef d’escadrons Robelin, sous le pseudonyme de Dauphin, prépare, en liaison avec des organisations de résistance, le ralliement de la garde au maquis. Comment le conçoit-il, quand et avec qui ?

Deux possibilités se présentent concernant les modalités du mouvement. Ou bien prescrire aux escadrons, là où ils se trouvent, de rejoindre isolément le maquis, ou bien, après les avoir regroupés préalablement dans une, voire deux ou trois régions déterminées, ordonner qu’ils y passent en bloc. La mise en œuvre de la première éventualité ne soulève pas, en soi, de difficultés. Toutefois, elle entraîne un émiettement des unités qui, trop dispersées et fondues dans les différents maquis, n’apporteraient que peu de poids dans la lutte. Au contraire, la réalisation de la seconde, à condition de coordonner le mouvement des régiments, renforcerait notablement leur capacité de combat. Elle a sa faveur.

En tout état de cause, le choix du moment suppose une étroite coordination entre les organisations de résistance et le commandement de la garde (sous-directeur technique). Tout déclenchement prématuré de l’opération risque de conduire à la catastrophe en entraînant une riposte massive de l’occupant.

Les principes arrêtés, le chef d’escadrons Robelin, pragmatique, n’en définit pas les modalités d’exécution. Il se déterminera en fonction des événements et des orientations données par les responsables de la Résistance. Contrairement à ce que l’on a pu dire ou écrire, il n’y a pas eu un projet unique « visant à regrouper la garde sur trois zones afin de constituer des éléments assez forts et pouvant être utiles aux troupes de débarquement au moment des combats de la Libération » mais différentes hypothèses d’action.

Sous l’égide de quelle organisation la garde va-t-elle agir ? Composante de l’armée de l’armistice jusqu’à sa dissolution en décembre 1942, son origine la rapproche d’emblée de l’O.R.A., structure apolitique, qui s’est placée sous les ordres du général Giraud, commandant en chef des forces françaises depuis le début de l’année 1943. Ses fondateurs, les généraux Frère et Verneau, l’organisent en décembre 1942, à partir d’anciens militaires démobilisés ou en congé d’armistice, dans l’optique d’une reconstitution des anciennes unités dissoutes. Ils prévoient son engagement massif contre l’occupant dans un cadre prenant en compte, une fois le débarquement réussi, l’avance des troupes alliées. Après le repli des armées allemandes, l’O.R.A. n’exclut pas, en cas de nécessité, sa participation à des missions de maintien de l’ordre.

Dès sa création, afin de pouvoir disposer de ressources suffisantes au moment du déclenchement des combats, le mouvement axe son effort de recrutement dans deux directions. D’une part, recherche d’adhésions individuelles, par une prospection dans le milieu militaire (armée dissoute, réservistes), de l’autre, action pour rallier des unités constituées anciennement rattachées aux armées (garde, gendarmerie) où ayant un caractère paramilitaire (G.M.R.).

Le chef d’escadrons Robelin déploie toute son énergie, dans l’accomplissement de la tâche que le général Verneau lui a assignée. Les directives de l’O.R.A. lui parviennent par l’intermédiaire de son responsable en zone sud, le lieutenant-colonel Pfister (Jean) qui précise à ce sujet :

« À partir du printemps 1943, tous les contacts avec Robelin et toutes les directives à la Garde ont été à ma charge. J’ai trouvé en lui un empressement sans réserve, une compréhension immédiate, le mépris des dangers encourus et une foi en sa mission… »

En début d’année 1944, dans la région des Alpes (R 1 et R 2), le sous-directeur technique est en relation avec le chef régional de l’O.R.A., le commandant Descour, par le truchement du capitaine de gendarmerie Auriol (Marcel). Par ce canal, il établit une seconde liaison avec le lieutenant-colonel Pfister. À Clermont-Ferrand, où l’O.R.A. connaît des périodes extrêmement difficiles, il est successivement en contact avec les chefs régionaux qui se succèdent, les lieutenants-colonels Boutet et Friess (André).

Une synthèse, sur le point de la situation entre la garde et l’O.R.A., datée du mois d’août 1943, sous la signature du lieutenant-colonel Pfister, mentionne :

« Une action de noyautage des éléments chargés par le Gouvernement Laval du maintien de l’ordre a en outre été entreprise. Cette action a été efficace à l’intérieur de la garde où nous nous sommes assurés du concours de nombreux chefs placés à tous les échelons, y compris celui de la direction… »

Pour préserver le potentiel que la garde représente, dans l’éventualité où elle subirait le sort de l’armée de l’armistice (désarmement et démobilisation), le commandement de l’O.R.A., en liaison avec le sous-directeur technique, prévoit le décrochage des escadrons, au premier danger, dans des zones d’accueil. Dans une note du 15 septembre 1943, adressée aux commandants de régions de l’O.R.A., le lieutenant-colonel Pfister développe les mesures envisagées :

« Il est avéré que la garde subira, le moment venu, le sort de l’armée. La liaison avec elle est prise par le haut. Des groupements d’escadrons sont en cours de réalisation dans les régions suivantes : Haute-Savoie, Ardèche, Aveyron, Cantal, Dordogne sous le couvert du maintien de l’ordre et de manière à ce que les escadrons ne soient coiffés dans leurs cantonnements

Chaque escadron doit reconnaître un lieu de refuge qu’il gagnera le moment venu, au besoin avec le concours de nos groupes d’action locaux. L’opération doit être préparée. Ci-joint la liste des officiers avec lesquels les contacts peuvent d’ores et déjà être pris dans ce sens, avec tact et discrétion. »

Les chefs régionaux de l’O.R.A., à l’image du responsable de la zone sud, intensifient le recrutement dans leurs secteurs. En fin d’année 1943, le lieutenant-colonel de Grancey, chef de l’O.R.A. dans le Limousin (R5), signale qu’à la suite des contacts pris avec le chef d’escadrons Besson, commandant de groupe au 5e régiment, cet officier estime pouvoir rejoindre le maquis avec 600 officiers, gradés et gardes. Le chef d’escadrons Thiolet (2e régiment), le capitaine Fouillard (3e régiment), le lieutenant-colonel Candille (6e régiment) et beaucoup d’autres répondent favorablement aux sollicitations dont ils sont l’objet.

De son côté, le chef d’escadrons Robelin choisit dans chaque régiment, un « correspondant » de confiance, placé à un poste de responsabilité élevé, pour préparer les actions à venir. Ainsi dès la fin du premier semestre de l’année 1943, assuré du soutien de plusieurs officiers supérieurs (lieutenant-colonel Bretegnier, Candille, chef d’escadrons Besson, etc.), sa détermination n’en est que plus forte.

Au début 1944, à la demande du lieutenant-colonel Pfister, le sous-directeur de la garde trie les escadrons déplacés en Haute-Savoie, dans le but de neutraliser la Milice. Sur place, le lieutenant-colonel Candille, qui commande un groupement, l’informe sur l’évolution des événements. Les archives de l’O.R.A. font état d’une action organisée à l’instigation d’un membre du mouvement, Georges Raynal, directeur du service central photographique au ministère de l’Information, pour dégager la garde de sa mission anti-maquis en Haute-Savoie. En possession d’un ordre apocryphe du maréchal Pétain, désignant le commissaire principal Janson pour remplacer haut le pied l’intendant du maintien de l’ordre en Haute-Savoie, ce fonctionnaire de police, accompagné de Georges Raynal et de son adjoint Van Werden, part pour les Alpes. Leur tentative, il est vrai téméraire, échoue. La police allemande arrête les trois hommes à La Palisse.

Après l’accrochage du 12 février aux Glières, entre gardes du chef d’escadrons Raulet et maquisards du lieutenant Morel, le colonel Zeller (Henri) estime que le moment est propice pour faire passer plusieurs escadrons au maquis. Dans un message envoyé à Londres, à la mi-mars, il formule des propositions :

« Plusieurs escadrons de la garde semblent prêts à passer avec nous avec armes et bagages, mais sommes d’argent importantes sont nécessaires. Il faut compter un million par mois et par escadron. Je vous demande d’envoyer directement 5 à 6 millions à "Durand" (Descour) pour commencer… »

Sa démarche reste infructueuse. Les uns et les autres ne se démobilisent pas pour autant. Au mois d’avril, le lieutenant-colonel Robelin prépare avec le lieutenant-colonel Pfister le passage de certains pelotons de la garde à la Résistance, de manière à matérialiser, par une action directe de rébellion ouverte, l’attitude à prendre par tous. L’opération ne peut avoir lieu. L’O.R.A. n’a pu en arrêter les détails matériels avec Londres. Le 28 mars 1944, la Gestapo arrête à Vichy Madame Pfister, au moment où elle allait remettre, à un radio du mouvement, le télégramme exposant le projet.

Dans les derniers mois de l’année 1943, le colonel Pfister met en rapport le sous-directeur de la garde et Maurice Nègre, de l’A.S., chef du Supernap (noyautage des administrations centrales créé dans la capitale de l’État français le 1er octobre 1942). Les deux hommes étudient une mainmise éventuelle sur le Gouvernement de Vichy qui ne se concrétisera pas.

Toujours au cours du second semestre, le chef d’escadrons Robelin coopère avec le réseau Action R6 du B.C.R.A (Groût de Beaufort, D.M.R. par intérim et Yves Léger, alias Évêque, chef des opérations de parachutage et d’atterrissage). Il le renseigne sur les actions envisagées par le S.T.M.O. Lorsque le D.M.R. en titre, le commandant Courson de La Villeneuve, arrive en Auvergne, fin avril 1944, des rapports empreints de confiance s’établissent entre les deux officiers. À partir du 15 mai, si au lieu de rejoindre le réduit du Mont-Mouchet, en cours d’organisation dans la Margeride, conformément aux instructions de Londres, le D.M.R. se maintient à Clermont-Ferrand c’est, écrit le général Gilles Lévy, « parce qu’il était en contact avec l’état-major de la garde, ce qui lui permettait d’être rapidement informé sur les opérations de police prévues par l’ennemi… ».

Outre l’O.R.A., l’A.S., et le réseau Action R6, l’adjoint du général Perré noue des contacts avec le Front National, organisation créée en mai 1941 par le parti communiste qui soutient sa branche paramilitaire les F.T.P.F.

Ce rapprochement, à première vue, peut paraître surprenant. Les communistes, et par voie de conséquence leurs alliés du Front National, sont coupés de la communauté nationale depuis la déclaration de guerre à l’Allemagne en 1939. Tout les oppose au régime de Vichy et à son bras armé constitué par les forces de l’ordre. Il l’est moins, lorsqu’on sait qu’il résulte de circonstances fortuites. Un fait banal en marque l’origine.

Après la campagne de France, début juillet 1940, la 2e compagnie de G.R.M. de Bouzonville stationne provisoirement à Vichy. Son chef, le capitaine Bouchardon, recherche un cuisinier de métier pour la popote. Un civil se présente, M. Asso (Étienne). Comme il remplit les conditions exigées, l’officier l’embauche immédiatement.

Dans le cadre de la réorganisation de la G.R.M., la 2e compagnie, transformée en 2e escadron de la 4e légion, s’installe à Riom. Un climat de confiance, fondé sur une aspiration commune à la revanche, naît entre l’officier et M. Asso. Ce dernier ne dissimule pas ses sentiments anti-allemands. Auprès du commandant d’escadron, comme le note André Sérezat, il trouve « un appui très précieux dans son emploi et dans ses activités de résistant ».

À l’escadron, personne ne se doute de son appartenance au parti communiste et du rôle qu’il y joue. Début 1941, à la demande de ses instances régionales, Étienne Asso constitue dans la région de Vichy des groupes du Front National et réorganise les sections dissoutes de son parti. Le 25 février 1942, le capitaine Bouchardon détaché au Quartier Général de l’état-major de l’armée à Vichy en prend le commandement un mois plus tard. Pendant ce temps, son chef cuisinier ne ralentit pas ses activités. Il multiplie les contacts et met en place dans l’agglomération Vichyssoise une solide organisation. Le bilan qu’il en dresse le prouve :

« En mars 1942, quatre sections étaient constituées par mes soins

- une à Saint-Yorre avec plusieurs groupes ;

- une autre à Cusset avec plusieurs groupes ;

- une autre à Bellerive avec plusieurs groupes ;

- et celle de Vichy avec vingt groupes.

Je deviens cadre inter de l’arrondissement de Vichy. Ma tâche était :

- de transmettre les directives aux sections et aux groupes,

- d’avoir des liaisons avec les mouvements de résistance,

- l’impression de tracts clandestins,

- la distribution du matériel. »

Au début de l’année 1944, Étienne Asso quitte l’escadron 2/4 pour aller travailler à l’hôtel Albert Ier à Vichy. Déjà, grâce aux facilités que lui procure sa fonction de cuisinier, il a constitué dans plusieurs unités déplacées à Vichy des groupes du Front National. En effet, dans le cadre de son organisation, l’établissement et le maintien des liaisons avec la garde lui incombent. Le comité militaire F.T.P. de l’Allier lui laisse à cet égard la plus large initiative. À la même époque, il renoue le contact, un moment interrompu, avec le capitaine Bouchardon.

À la démobilisation de l’armée de l’armistice, ce dernier sert dans l’organe liquidateur de l’armée avant d’être affecté, le 1er mai 1943, à la direction générale de la garde. À peine cinq mois plus tard, début octobre, le sous-directeur technique le détache à Vals-les-Bains, au 2e régiment puis à Châteauroux où il commande provisoirement un groupe. Pourquoi ce brusque éloignement ? Par mesure de sécurité car, semble-t-il, la police allemande commence à s’intéresser à lui. Le 2 février 1944, il prend le commandement du groupement de la garde de Vichy où il est promu chef d’escadrons le 25 mars.

Vers la fin de l’hiver, une réunion secrète a lieu à Vichy avec M.M. Asso, Paquelet (responsable de la section Vichy, Cusset, Bellerive), le lieutenant-colonel Robelin et le chef d’escadrons Bouchardon. Les participants se mettent d’accord sur le principe d’une action conjuguée de la garde et des F.T.P., contre la Milice et la Gestapo de Vichy, dans la phase finale de l’insurrection. Dans cette perspective, la garde doit prendre à son compte la préparation et le commandement de l’opération. Avec une douzaine d’escadrons, le groupement de la garde de Vichy en constituera le fer de lance. Après l’intervention, quel qu’en soit le résultat, échec ou succès, tous les escadrons, où qu’ils se trouvent, recevront l’ordre de passer au maquis. À ce moment-là, les officiers en poste à la sous-direction technique prendront des commandements dans les unités. D’après le chef d’escadrons Garraud, le sous-directeur n’avait confié le détail de ses intentions « qu’à de rares officiers sous ses ordres », même si tous avaient connaissance qu’une opération se préparait.

Dans les semaines qui suivent, le lieutenant-colonel Robelin prépare à la fois le passage en bloc de la garde au maquis ainsi que l’opération projetée sur Vichy. Grâce à son action personnelle auprès des officiers de la section technique du maintien de l’ordre, il parvient à regrouper le gros des régiments dans les régions de Lyon, Vichy et Limoges, de façon qu’ils puissent agir au signal donné. La manœuvre des moyens à laquelle il procède ne rencontre aucune opposition du général Perré. Au contraire, ce dernier y est très favorable. Le directeur général, on le sait, veut pouvoir disposer, dans la capitale de l’État français, d’une force étoffée, pour protéger le Maréchal lorsqu’il décidera de transmettre ses pouvoirs aux nouvelles autorités.

D’après le lieutenant-colonel Besson (5e régiment), quelques jours après le débarquement, une tentative du lieutenant-colonel Robelin pour concentrer la presque totalité des régiments au plus près de Vichy se heurte à un refus de Darnand. Aux 2e et 4e régiments, déjà en Auvergne, devaient se joindre les 3e, 5e et un groupe du 6e, tous en service dans la région de Limoges. Ces derniers devaient prendre position à Montluçon, Clermont-Ferrand et Roanne.

À la demande du sous-directeur, le bureau technique fait acheminer sur Limoges et Vichy d’importantes dotations en munitions. D’autre part, des officiers (chefs d’escadrons Comemale, Delmas, capitaines Puthoste, Grange et Garraud) effectuent séparément des reconnaissances sur différents points sensibles de Vichy tenus par les miliciens et la Gestapo (hôtel du Portugal et ses annexes, hôtel Thermal, château des Brosses où stationne une unité de la Milice).

Depuis sa prise de fonction en avril 1943, rien n’ébranle la détermination du sous-directeur de la garde. Pourtant, sur sa route, se dressent de multiples obstacles. Si l’année 1944 débute en apparence sous des auspices favorables, par une promotion au grade de lieutenant-colonel, il n’en est pas moins aux prises avec une situation délicate à gérer.

Une décision inattendue, en provenance de Londres, révèle des préventions à son égard. Le B.C.R.A. considère que ses activités à l’état-major de la garde posent un problème de fond et met en garde contre lui le réseau Action R6. Après l’arrestation, le 5 juin 1943, du commandant Paul Johannès, chef du poste T.R. 113 de Clermont-Ferrand, avec lequel il est en relation étroite, il continue, malgré les conseils à la prudence de son successeur, le capitaine Rouyer, à jouer le double jeu. Probablement, considère-t-on son action trop voyante et partant susceptible d’être préjudiciable à la Résistance.

Dès le 29 janvier 1944, en l’absence de délégué militaire régional en Auvergne, Yves Léger (Évêque), chef des opérations de parachutage et d’atterrissage de la région 6, réagit. Dans un câble au B.C.R.A., il garantit le dévouement de Robelin (Dauphin). Un nouveau message, en provenance de Londres, sous numéro 24 du 25 février, destiné au colonel Zeller (Faisceau) chef de l’O.R.A. en zone sud, confirme de manière catégorique la position du B.C.R.A. :

« Quels que soient les services que peut rendre le commandant Robelin dans son poste actuel estimons indispensable suite nombreux rapports qu’il démissionne… »

En réponse à l’ordre donné à l’O.R.A. de remplacer le lieutenant-colonel Robelin, son chef, le général Revers (Aldebert), adresse le 13 mars au commandant Lejeune (Delphin), chef du service action du B.C.R.A., précédemment représentant de l’O.R.A. auprès du S.O.E. du colonel Buckmaster, le message n° 70 ainsi libellé :

« Aldebert à Delphin : Services rendus par Robelin sont les suivants Stop.- Action personnelle sur tous les commandants escadrons convoqués spécialement vue de conduite à tenir dans opérations répression et action future garde avec Résistance Stop.-Renseignements précis et donnés à temps opportun sur action répression commandées par intérieur puis Darnand Stop.- Action personnelle sur le général Perré de manière qu’il fasse front contre Darnand etc. Stop.-Résultats tangibles et certains est mis à l’égard de la Garde dans action répression et préparation désertions en masse dès qu’occasion sera favorable Stop.-Ignorons rapports faits contre commandant Robelin mais savons pertinemment que Résistance ne peut que perdre à son remplacement dans emploi actuel Stop.- Dans ces conditions estimons son maintien indispensable et lui avons signifié cette décision après lui avoir communiqué votre télégramme. Fin. »

La double intervention du réseau Action R6 et de l’O.R.A., auprès du B.C.R.A., permet au lieutenant-colonel Robelin de continuer son action sous couvert de sa fonction officielle.

Les événements commencent à se liguer contre lui. Mois après mois, l’hostilité des autorités à son égard ne cesse de croître. Elles nourrissent des soupçons sur le loyalisme de la garde considérée comme une force peu fiable. Convoqué courant mars par le général Perré, alors qu’avec son groupe d’escadrons il vient d’être relevé en Haute-Savoie à la demande de la Milice, suite au revers subi par la garde face aux maquisards, le chef d’escadrons Raulet se présente au sous-directeur qui lui paraît « soucieux, fatigué et crispé ».

Les raisons ne manquent pas. Des dangers menacent son entreprise. D’abord, il n’ignore pas, pour en avoir été informé par le capitaine Demettre, lors d’une mission effectuée en France occupée, que la Gestapo et l’Abwehr surveillent la garde. Le renseignement provient des services spéciaux du colonel Paillole qui ont alerté le chef de l’O.R.A., le général Revers. D’autre part, à plusieurs reprises, Darnand demande au général Perré son départ. Courant avril, arrive de Limoges, sous la signature de De Vaugelas, un rapport contre la sous-direction technique. En fait, le milicien vise personnellement le lieutenant-colonel Robelin auquel il fait grief de freiner systématiquement la participation des unités aux opérations contre le maquis. Enfin, pendant un moment, Darnand envisage même la dissolution pure et simple de la garde assortie de l’internement d’une partie de ses officiers.

Le 6 juin 1944 au matin, la B.B.C. annonce la nouvelle du débarquement des Alliés en Normandie. Par milliers, à travers tout le pays, répondant à l’appel du général de Gaulle, les patriotes prennent les armes pour chasser l’occupant. L’heure sonne des choix décisifs. Dans l’immédiat, il n’est pas question pour la garde d’entrer en action contre la Milice et la Gestapo de Vichy. La présence dans la région de troupes allemandes nombreuses et bien armées, qui préparent l’attaque du réduit du Mont-Mouchet, vouerait à l’échec une telle entreprise seulement prévue dans la phase terminale du soulèvement général.

Quant au passage en bloc de la garde au maquis, dans le cadre du plan élaboré en liaison avec l’O.R.A., il semble être différé. Deux éléments corroborent cette explication. En premier lieu, le 5 juin, le lieutenant-colonel Robelin charge le commandant Tharaux d’effectuer une liaison le lendemain à l’école de la garde qu’il sait être en liaison avec la résistance locale. Le message à transmettre est clair. Il faut l’obliger à comprendre qu’il est encore beaucoup trop tôt pour agir. Les capitaines Grange et Puthoste doivent accompagner le commandant Tharaux. Ce dernier loge à Clermont-Ferrand. À la suite d’un sabotage de la voie ferrée entre Clermont et Vichy, il n’arrive pas à temps à la gare le 6 juin pour prendre le train à destination de la Creuse. La liaison est différée. Elle n’aura jamais lieu. Le lendemain 7 juin, l’école rejoint la Résistance.

D’autre part, début juin, en Auvergne, aux ordres du colonel Fayard (Mortier), l’O.R.A. commence seulement à préparer les bases choisies pour ses futurs maquis, dans la région de Mauriac (Cantal). Depuis la fin mai, Courson de La Villeneuve, le D.M.R., a assisté sur place à deux réunions. Le compte rendu numéro 225, en date du 7 juin 1944, établi par l’état-major des F.F.I. à Londres, apporte une précision intéressante :

« Pyramide signale que le groupement de Mauriac sera augmenté de 2 000 gardes et policiers armés au jour du déclenchement. »

Comme il est permis de le penser, les 1 600 gardes de la garnison de Vichy devaient probablement rejoindre le groupement de l’O.R.A. dans les semaines à venir.

En quelques jours, entre le 7 et le 14 juin, la défection massive de 500 hommes de l’école de Guéret et de 5 escadrons (1/5, 2/5, 7/5, 6/2, 8/2) attire l’attention des autorités et de vifs reproches de leur part. Le lieutenant-colonel Robelin s’efforce d’en minimiser la portée, en faisant valoir que des circonstances locales les avaient obligés à passer au maquis.

La curiosité de la police de Darnand ne tarde pas à se manifester. A-t-elle eu vent d’un complot dirigé contre le pouvoir ? Et dans quelles conditions ? Dénonciation, rumeurs accusatrices, fuites, imprudences ? Aucun indice ne permet d’apporter une réponse à ces questions. Toujours est-il que le 15 juin, vers 16 h 30, le directeur général convoque d’extrême urgence à son bureau le chef d’escadrons Bouchardon, commandant le groupement de la garde de Vichy. Il lui enjoint de se rendre « ipso facto » au siège des renseignements généraux, à l’hôtel Lardy. Degand en personne, ancien chef du 2e service de la Milice, placé à la tête des R.G. par Darnand, le reçoit. À ses côtés, le commissaire Poinsot, chef de la brigade rattachée à la section des affaires politiques. Ce policier travaille en étroite coopération avec la Gestapo. À son actif, il compte des centaines d’arrestations parmi les résistants.

Les policiers invitent l’officier à déposer sur un bureau son arme de service. Puis, ils le soumettent à un feu roulant de questions sur ses activités et ses relations, bref à un véritable interrogatoire. Le soir même, Degand l’autorise à gagner son hôtel. Interdiction lui est faite d’en sortir, avant qu’une décision définitive ne soit prise à son sujet. Huit jours plus tard, le général Le Bars, dont il dépend pour emploi, le suspend de son commandement.

Autre événement inquiétant. Vers le 5 juillet, le capitaine Grange reçoit une communication téléphonique du S.T.M.O. Son correspondant lui demande de fournir la liste nominative des officiers de la sous-direction technique. Il bondit chez le lieutenant-colonel Robelin, pour le prévenir. Ce dernier lui dit de passer la communication au cabinet du directeur général. On établit le document demandé. À la suite d’un oubli, le nom du chef d’escadrons Arkwright ne figure pas sur la liste. Par contre, celui du chef d’escadrons Bouchardon, écarté de son poste quelques jours avant puis réaffecté à la direction, est rajouté. À la suite de l’exigence formulée par le S.T.M.O., le capitaine Grange pressant le pire. Il s’en ouvre au lieutenant-colonel Robelin. Son chef, animé par une confiance inébranlable, croît en sa bonne étoile. Il ne change pas ses habitudes. Le capitaine Grange, par contre, quitte son hôtel pour prendre pension dans un autre établissement. En prévision de difficultés, depuis longtemps, comme ses camarades, il dispose d’une fausse carte d’identité tricolore (chef de bureau ou de rédacteur au ministère de l'Intérieur).

Déjà, depuis le 27 juin, une menace se profile qui va entraîner la perte du lieutenant-colonel Robelin et de ses collaborateurs. Ce jour-là, au cours d’une opération de routine, chemin des Ronzières, à l’entrée de Clermont-Ferrand, route de Pont-du-château, un élément du 6e régiment de la garde établi en barrage arrête dans la nuit deux individus qui regagnent la ville. Procédant au contrôle et à la fouille à corps de ces suspects, les gardes découvrent sur l’un d’eux une paire de cisailles coupantes et un revolver. Par zèle, réflexe d’obéissance aux ordres ou certitude de se trouver en présence de malfaiteurs de droit commun, le chef de détachement remet les intéressés aux responsables du maintien de l’ordre qui les livrent au SiPo-SD de Clermont-Ferrand. Les policiers allemands tiennent le fil conducteur qui va les conduire jusqu’au D.M.R., Courson de La Villeneuve puis au lieutenant-colonel Robelin.

Sous la torture, un des deux individus interpellé par les gardes, Gaborel, avoue être le chef d’une équipe de sabotage et avoir un rendez-vous le 28, à 17 h, dans un café du boulevard Trudaine, avec un nommé Lautier et deux autres personnes. Au jour, à l’heure et à l’endroit indiqués trois résistants, Jean Le Deunff, opérateur radio au ministère de l’Air, membre du réseau P.T.T., Roger Fraisse, agent de liaison, et André Buet dit Lantier, tombent dans le piège tendu par la Gestapo.

Les interrogatoires brutaux viennent à bout de leur résistance. Sous la torture, l’un d’eux finit par avouer le pseudonyme de son chef « Pyramide » dont il indique l’adresse au 5, rue du Lycée. Le 2 juillet, à 7h, la Gestapo interpelle Courson de La Villeneuve, au moment où il quitte son logement, pour se rendre dans la région de Mauriac (Cantal), en vue d’assister à une réunion avec les membres du comité de libération de la région. L’opération se poursuit à Authezat, Saint-Amand-Tallende, Lezoux, Clermont-Ferrand. Au bout du compte, elle se solde par une quarantaine d’arrestations.

D’après le contenu du dossier individuel constitué par Konrad Adrian du SiPo-SD de Vichy sur chacune des personnes impliquées dans l’affaire, le D.M.R., au cours de son interrogatoire, a déclaré « être en contact avec le lieutenant-colonel Robelin sous-directeur de la garde à Vichy, par l’intermédiaire du capitaine Morand en poste à la direction générale ».

Après l’arrestation de Pyramide, la police allemande surveille le siège de sa permanence 50 boulevard Berthelot. Elle y intercepte, le 3 juillet, un membre du réseau P.T.T., Jacques Levaillant. Le lendemain, un nouveau visiteur se présente. Apercevant devant les locaux un inconnu dont le visage ne lui est pas familier, il s’éloigne en courant. Ce réflexe le sauve des griffes de la Gestapo. Ses poursuivants tirent plusieurs coups de feu, dans sa direction, sans l’atteindre. Le dispositif policier décelé, rien ne justifie son maintien. Le chef de poste du SiPo-SD de Clermont-Ferrand décide de le lever. Au dernier moment, il se ravise. Une information lui parvient d’après laquelle le capitaine Francis Morand, de l’état-major de la garde, a rendez-vous, le 6 juillet, à la permanence de Pyramide.

Une imprudence du D.M.R. pourrait être à l’origine du renseignement. À Royat, sa cellule jouxte celle où sont écroués trois résistants interpellés dans le cadre de la même affaire. À travers la mince cloison qui les sépare, Pyramide aurait exprimé son inquiétude sur le sort du capitaine Morand, en raison du rendez-vous fixé avec lui le 6 juillet. On ne peut exclure qu’un « mouton » à la solde des Allemands ait pu recueillir cette confidence.

Le sort en est jeté. Le capitaine Morand va tomber dans le piège de la Gestapo déjà bien renseignée. Au jour fixé, il se rend boulevard Berthelot. La souricière se referme sur lui dans l’après-midi du 6. Les policiers allemands le conduisent immédiatement devant Eckhardt. En présence d’Adrian (Konrad), du SD de Vichy en mission à Clermont pour l’affaire Pyramide et de Krabbe (Franck), Eckhardt commence par brutaliser l’officier puis l’interroge. Les coups redoublent car il refuse de répondre. Alors, il finit par déclarer qu’il a un rendez-vous avec un nommé Pyramide. Gallinger, adjoint du chef du K.D.S. de Vichy, entre dans le bureau et se précipite à son tour sur le prisonnier. Les brutalités continuent. Krabbe se joint à lui. Un autre tortionnaire entre en scène, Joseph Kalsteiss, surnommé « le dompteur » par ses victimes. Il frappe violemment l’agent de liaison du lieutenant-colonel Robelin avant de l’emmener.

Par l’interrogatoire d’Adrian, à la Libération, on sait que le capitaine Morand n’a rien révélé sur les activités de son chef. On sait aussi que le destin lui a été contraire, comme le relate le général Tharaux :

« Dans les tout premiers jours de juillet, nous apprîmes, Robelin et moi-même, qu’une réunion de certains chefs de la Résistance devait se tenir à Clermont-Ferrand le 6 juillet au matin sous la direction du commandant Courson de La Villeneuve, dit "Pyramide". Robelin me dit qu’il comptait y participer en y envoyant le capitaine Morand, officier de toute confiance dont nous connaissions les idées, l’intelligence et l’énergie. Je m’y opposais en lui expliquant qu’il ne fallait pas multiplier les contacts directs s’ils n’étaient pas absolument indispensables : j’estimais que dans le cas présent nous n’avions pas à y être puisqu’il serait possible dans les jours suivants de connaître ce qui y aurait été dit et, éventuellement décidé. Mais Robelin ne répondit rien et ne m’en parla plus. Je pense qu’il avait dû s’engager à y envoyer un officier avant même de m’en parler et qu’il ne voulait revenir sur sa promesse.

C’est ainsi que le capitaine Morand, malgré moi, tomba dans la souricière montée par la Gestapo qui, mieux renseignée que ne le croyait Robelin, avait déjà arrêté Courson de La Villeneuve sur l’agenda duquel la lettre "G" indiquait bien une participation de la garde. Et l’arrestation de Morand venant au rendez-vous prouvait mieux encore cette participation directe. »

Le SiPo-SD de Clermont-Ferrand, en charge de l’enquête, alerte son homologue à Vichy. Il faut arrêter rapidement les officiers de la garde, avant qu’ils n’apprennent l’arrestation du capitaine Morand. Le 6 juillet, vers 11 h, le cabinet de Darnand, en liaison avec la Gestapo, monte un véritable guet-apens pour attirer le lieutenant-colonel Robelin. Sous prétexte d’affaire importante de service à régler d’urgence, il le convoque, avec le général Perré, à l’hôtel Thermal. Deux policiers allemands attendent le sous-directeur et le mettent, dès son arrivée, en état d’arrestation.

À peu près à la même heure, un nouvel appel en provenance du Thermal arrive à la direction générale. Le secrétariat général au maintien de l’ordre convoque le commandant Jeandel, chef du bureau instruction, pour être soi-disant présenté à Darnand, à l’occasion de sa proposition pour la Légion d’honneur, motivée par des faits de guerre. En 1941, en Syrie, il a été grièvement blessé au visage en défendant son poste contre les Anglais puis, une fois rapatrié et guéri, affecté à la direction générale de la garde. Or, le 6, il est en permission chez lui, pour quelques jours. On ne le retrouve à son domicile que vers 17 h. Une heure plus tard, le chef d’escadrons Serpeaux le conduit au cabinet de Darnand où il tombe dans le même traquenard que son chef. La Gestapo l’arrête.

En 1946, le commissaire du Gouvernement, près de la Cour de Justice de Poitiers, reprochera au général Perré, lors de son procès, d’avoir exposé cet officier à subir des représailles. Pourquoi ? En le faisant rechercher, il savait que sa convocation par Darnand n’était qu’un moyen employé par le chef de la Milice pour le remettre entre les mains des Allemands.

Dans la matinée du 8 juillet, le général Perré réunit les officiers de la sous-direction technique. Dans une atmosphère pesante, il commente les événements de la veille. Après avoir fustigé les traîtres, il en appelle au loyalisme de tous et invite ceux qui ne sont pas d’accord « à rendre leur tablier ». Il désigne le commandant Tharaux pour remplacer le sous-directeur technique et réorganiser le service amputé de 3 officiers. Son propos, peu amène pour le lieutenant-colonel Robelin, n’a rien de rassurant. Dans un silence glacial, les officiers rejoignent leur bureau. Le capitaine Grange pressant un danger. Les mesures de sécurité qu’il préconise pour se mettre à l’abri d’une mauvaise surprise ne recueillent pas l’adhésion de ceux auxquels il se confie. Après le repas pris en commun, à la popote de l’escadron cantonné à Cusset, le commandant Tharaux demande aux officiers d’être présents à 15 h à l’hôtel Radio. Il organise une réunion pour fixer la nouvelle répartition des tâches.

Pendant ce temps, de concert, la Gestapo et Darnand préparent une action contre l’état-major de la garde. Les mesures prises apportent la preuve de leur collusion. Des troupes en armes renforcent le siège de la Gestapo. Darnand convoque à son cabinet, pour 16 h 30, le général Perré. À la même heure, il organise sous la direction de M. Colomb, responsable de toutes les forces de police, une réunion des officiers de la garde déplacés à Vichy.

Aux environs de 17 h, après le départ du général Perré pour l’hôtel Thermal où Darnand l’a appelé à dessein, des véhicules légers de la police allemande arrivent devant l’hôtel Radio déjà cerné. Des individus en civil débarquent. Ce sont des membres de la Gestapo qu’accompagnent des policiers de la brigade Batissier aux ordres du capitaine Altmann, chef de la section VI (terrorisme, sabotage). Le groupe se dirige vers l’entrée de l’immeuble où l’état-major de la garde occupe plusieurs pièces au 6e étage. La rafle commence. En possession de la liste des officiers établie quelques jours avant, liste que Batissier laissera après l’opération sur le bureau du directeur, les policiers investissent les lieux. Par équipe de deux, pistolet au poing, ils font irruption dans les bureaux et enjoignent aux occupants de lever les bras en l’air.

Le commandant Tharaux n’obtempère pas à ces injonctions. Il leur déclare simplement que c’est inutile, puisqu’ils sont armés alors que lui ne l’est pas. Comme il l’écrit, le voici aux mains de deux Français aux ordres de la Gestapo :

« C’est donc encadré par ces deux individus et menottes aux mains que, par l’ascenseur je descendis de mon troisième étage pour être remis aux mains de la Gestapo proprement dite qui avait envahi l’hôtel et être enfourné dans l’une de ses voitures. J’eus à peine le temps en voyant le commandant Gendrault sur le trottoir de lui demander de prévenir ma femme. »

Pourquoi, ayant appris la veille, dans la soirée du 6 juillet, de retour de mission auprès de certains escadrons, que son chef direct le lieutenant-colonel Robelin avait été convoqué chez Darnand et arrêté sur place, le commandant Tharaux n’a-t-il pas pris des précautions ? Il s’en explique :

« Me rendant bien compte que cette arrestation pouvait avoir des suites, j’ai, le soir même, demandé personnellement au commandant Linglet (qui dans l’entourage de Darnand était notre meilleur agent de renseignements) à quoi il pensait que je devais m’attendre… Linglet me répondit que j’avais huit chances sur dix d’être arrêté le lendemain 7 juillet, mais qu’il n’avait pas pu en savoir davantage. Comme j’étais le seul à pouvoir remplacer Robelin dans les actions que nous avions prévues pour l’été, je décidais de jouer les deux chances qui pouvaient me rester.

Mais, lorsque le lendemain, à 16 h 30, je vis brusquement de mon bureau l’hôtel cerné par des voitures de la Gestapo, je dus reconnaître que j’avais perdu. »

L’arrestation des chefs d’escadrons Comemale, Delmas, Lacroix et des capitaines Garraud et Puthoste se déroule dans les mêmes conditions. Quant au capitaine Grange, il tente d’y échapper en se cachant.

Dans un premier temps, il gagne l’étage supérieur. Les conditions pour se dissimuler ne sont pas propices. Alors il rejoint le palier du premier étage, descend par le grand escalier jusqu’au rez-de-chaussée très animé et se glisse derrière un groupe de personnes (fonctionnaires appartenant à des services installés à l’hôtel Radio, militaires de la garde en visite à la direction générale parmi lesquels le lieutenant-colonel Gendrault du 4e régiment, etc.) retenu par les Allemands pour vérification d’identité. Plusieurs de ses camarades, menottes aux mains, attendent dans le hall la suite des événements. Alors qu’il s’apprête à remonter à l’étage, pour se réfugier dans un des bureaux occupés par des aviateurs, l’un des officiers commet soudain l’imprudence de l’appeler par son nom. Un policier allemand, qui a entendu, intervient immédiatement. Le capitaine, à son tour enchaîné, prend place dans le petit groupe des prisonniers auquel s’ajoutent deux employés civils : M. Dautun, rédacteur à la sous-direction administrative, et M. Levy, ancien combattant, gradé d’infanterie, secrétaire civil du cabinet du directeur. Motif de l’arrestation du premier : il a apostrophé les policiers allemands, lors de leur intrusion à l’état-major. Incarcéré, il ne recouvre la liberté que le 20 août à Moulins. Quant au second, sa qualité de Juif ne lui laisse aucune chance. Il mourra, quelques semaines plus tard, le foie éclaté, à la suite des coups donnés par ses bourreaux.

L’intervention conjuguée des policiers allemands et de leurs valets ne se limite pas au siège de l’état-major de la garde. Vers 17 h 30, ils appréhendent le chef d’escadrons Hurtrel et le lieutenant Bertrand de la garde personnelle du maréchal Pétain. À 18 h, le capitaine Dupont (André), commandant l’escadron 6/4 déplacé à Vichy, rejoint ses camarades.

En fin de journée, trois officiers de la sous-direction technique sont encore libres. Le premier n’est autre que le chef d’escadrons Arkwright dont le secrétariat du directeur a omis, oubli salvateur, de mentionner le nom sur la liste des officiers adressée à Clémoz, chef de cabinet de Darnand. Quant au second, le capitaine Vincent (Charles), il est momentanément absent au moment de l’irruption des policiers à l’hôtel Radio. Il se trouve dans l’agglomération. De retour à l’état-major, il emprunte une entrée secondaire pour ranger sa bicyclette dans un local du sous-sol. Lorsqu’il veut sortir, un Allemand l’en empêche. Par l’intérieur, il réussit, sans se faire remarquer, à atteindre le premier étage occupé par des aviateurs. Ces derniers le cachent, préviennent son épouse et récupèrent à son domicile sa fausse carte d’identité. Le calme revenu, vers 22 h, il gagne la sortie toujours surveillée. Un soldat allemand lui demande ses papiers. Il présente sa carte d’identité de rédacteur au ministère de l'Intérieur. La sentinelle, au vu du document, le laisse sortir. Le capitaine Vincent rallie le maquis. Avec le groupement Colliou (O.R.A.) il participe à tous les combats jusqu’à la capitulation de l’Allemagne.

Le troisième rescapé ne bénéficie que d’un bref sursis. À l’arrivée des policiers dans son bureau, le chef d’escadrons Bouchardon est lui aussi absent. Il assiste à la réunion de tous les officiers de la garde dirigée par M. Colomb. Ce dernier, pendant l’opération contre l’état-major, annonce aux participants l’arrestation de tous les officiers de la sous-direction technique, qualifiés de traîtres, parce qu’ils ont préparé un complot contre le Gouvernement. Non seulement il est dans la confidence de l’intervention policière mais encore il tente de discréditer le lieutenant-colonel Robelin en affirmant qu’il a dénoncé tous ses collaborateurs.

Après la réunion, de passage à la popote, au restaurant de l’Étoile, avant de rejoindre son hôtel, le chef d’escadrons Bouchardon apprend que la Gestapo le recherche. Son épouse, qui a reçu la visite des policiers allemands, le lui confirme. Pour lui, le moment est grave car ils doivent repasser dans la soirée. Doit-il s’enfuir ou se laisser appréhender ? Après mûre réflexion, il décide de se livrer. Une raison essentielle dicte son choix : il redoute que ses parents et sa famille, présents à Vichy, ne soient pris en otages. La qualité de son père, Pierre Bouchardon, magistrat militaire, qui a instruit en 1917 le dossier de l’espionne Mata-Hari condamnée à mort et exécutée pour haute trahison, expose sa famille à des représailles. À 21 h, la Gestapo l’arrête et le conduit à l’hôtel du Portugal où sont incarcérés, dans des caves à usage de cellule, avec d’autres détenus, les officiers de l’état-major de la garde.

Le journal de marche de l’état-major principal de liaison n° 588 de Clermont-Ferrand, à la date du 8 juillet, porte la mention laconique ci-après :

« Arrestation à Vichy dans la police française : douze officiers dont la relation avec l’armée secrète ont été prouvées, parmi eux des officiers de la garde. Au cours intervention à Clermont-Ferrand arrestation de trente suspects dont un commandant qui ayant reçu en Angleterre une formation de chiffreur et de radio était en relation avec Londres… »

Le groupe Robelin décapité, l’espoir s’évanouit de voir la garde se dresser d’un bloc contre l’occupant. Le trouble s’empare des cadres qui attendaient des instructions. Livrés à eux-mêmes, sans chef de file, ils se déterminent en fonction des circonstances locales et de leur personnalité. Pour le général Pfister, il ne fait aucun doute que « les hésitations de certains éléments de la garde privés de directives précises pendant la période de la libération » sont dues à l’arrestation du sous-directeur technique.

D’autres raisons expliquent « le décousu de toute la manœuvre et l’échec final » de l’entreprise de retournement de la garde préparée par l’intéressé. Le colonel Bretegnier, commandant le 1er régiment, un de ses correspondants associé au projet, dans une analyse pertinente, en souligne trois qui lui semblent déterminantes :

« 1°)… les officiers qui abandonnèrent leur poste et ceux qui furent relevés d’office furent remplacés par d’autres soigneusement choisis et inféodés au Gouvernement. Si chacun était resté à sa place, l’esprit du commandement de la garde eut été tout autre et bien différents ses sentiments vis-à-vis de la Résistance. Ce fut la première grosse faute.

En sont responsables : la direction générale de la Garde et quelques-uns de ses conseillers, ceux qui préférèrent se retirer de la lutte pour ne pas se compromettre.

2°) Le Haut Commandement de la Garde était gouvernemental, il ne fut pas possible au lieutenant-colonel Robelin, sous-directeur, de coordonner l’action et de préparer le passage global des 6 régiments de la Garde au maquis. Étant donné l’état d’esprit de certains chefs de corps, ceux qui étaient avec la Résistance ne purent rien mettre sur pied et une entente générale fut impossible.

C’est là qu’il faut voir la cause déterminante de notre échec car il saute aux yeux qu’un régiment ne pouvait isolément passer au maquis sans amener le désarmement des cinq autres. Bénéfice pour la résistance : une unité, perte certaine : cinq unités…

3°) Le manque d’instructions fournies par la Résistance, compléta l’insuccès. »

À ces obstacles s’ajoute le fait que les unités, surtout après le débarquement, « furent soumises à une pression plus ou moins vive et incessante de la part des chefs du maquis, grands ou petits, qui tous ne rêvaient qu’une chose : avoir la Garde pour avoir des armes ».

Le lieutenant-colonel Robelin emprisonné, sans remplaçant désigné, les officiers qui étaient de connivence avec lui attendront en vain des instructions sur la conduite à tenir, la mission et surtout sur le moment précis de l’action. Devaient-ils céder à la pression des chefs locaux de maquis ou bien attendre des directives des autorités qualifiées de la Résistance ? Tel était le dilemme. Manifestement, ils ne pouvaient obéir à tous. D’où la diversité des comportements et l’absence de synchronisation.

En définitive, sur la base des informations actuellement connues, à défaut de pouvoir se forger un jugement définitif sur toutes les raisons de l’échec du plan conçu par le sous-directeur technique pour faire basculer la totalité de la garde dans la Résistance, le lecteur constatera combien étaient difficiles à réaliser les conditions pour le mettre en œuvre. Les obstacles ne manquaient pas : dispersion des escadrons, courants contradictoires qui séparaient les responsables du commandement, attitude légaliste de la direction générale, étroite surveillance exercée par l’occupant, poids de la discipline et de la tradition, pour n’en citer que quelques-uns.

Le projet d’action échafaudé avec l’O.R.A. ne sera donc jamais mis en œuvre. Cependant, dans la région de Vichy, les contacts entre la garde et l’O.R.A., interrompus après l’arrestation du lieutenant-colonel Robelin, reprendront dans les premiers jours du mois d’août pour déboucher tardivement sur de nouvelles orientations conditionnées au plan local par l’évolution des événements.

L’opération prévue sur Vichy, en liaison avec les F.T.P., ne se concrétisera pas davantage. D’ailleurs, elle ne semble plus se justifier à la mi-août. Avant le départ des Allemands de Vichy, l’état-major des F.F.I. d’Auvergne, constitué seulement à partir du 13 juillet, date à laquelle sont réalisées dans la région 6 l’unité et la fusion des mouvements de résistance, ne tenait pas à engager des actions dans la ville. Il redoutait qu’elles n’entraînent des victimes et fassent courir des risques aux diplomates en poste dans la capitale de l’État français. Au cours d’un entretien avec M. Walter Stucki, ministre de Suisse, le 22 août, M. Henri Ingrand, commissaire régional de la République, avait rassuré son interlocuteur qui craignait précisément pour la sécurité du corps diplomatique, lors de l’arrivée des F.F.I. à Vichy. Il lui avait indiqué qu’il n’était pas certain que la Résistance organise une action directe sur l’agglomération.

Du côté des F.T.P., on apprécie différemment la situation. Le quotidien Valmy (tendance C.D.L.), publie le 27 août 1945, à l’occasion de l’anniversaire de la libération de Vichy, un article du journaliste Guy Sergier qui rappelle les faits :

« En accord avec les officiers Robelin et Bouchardon, un plan de travail très précis avait été mis au point. L’attaque des locaux occupés par la Milice et la Gestapo avait été soigneusement étudiée. Malgré les arrestations, tout devait se dérouler comme prévu. Asso, en contact avec les gardes, les détachements et maquis F.T.P.F. attendait pour déclencher les opérations le signal de l’heure H. Dans les escadrons les gardes étaient prêts, et le matériel sous la main. Mais le signal ne vint jamais. La Milice et la Gestapo partirent sans que soit tiré un coup de fusil… »

Que s’est-il donc passé ? Dans les derniers jours du mois d’août 1944, les initiateurs du projet, M.M. Asso et Gustave Bordet, président du comité local de libération, dénoncent dans un tract « les officiers de salon qui sabotaient le plan de libération de la ville par l’insurrection et qui les laissaient à l’écart ». La cible de cette attaque n’est autre que le lieutenant-colonel Dudenhöffer (Pontcarral), commandant la place de Vichy, et son état-major qui ont pris la direction des forces du maintien de l’ordre à la mi-août. Pour Jean Ameurlain, responsable interrégional F.T.P., tous les officiers supérieurs qui entouraient Pontcarral étaient « des officiers qui servaient à Vichy ou qui étaient dans l’orbite de Pétain et qui déjà peut-être, cherchaient à se caser, cherchaient à avoir un contact avec les F.F.I… »

Au départ des Allemands, le 26 août, Pontcarral avait organisé une réunion pour prendre les dispositions qui s’imposaient. D’abord « il oubliait de convoquer les responsables du Front National et du parti communiste, ensuite il s’adjugeait le titre de libérateur de Vichy ». D’où, à Vichy, la colère mal contenue des représentants du Front National et des F.T.P.

Après la razzia sur son état-major, le général Perré, irrité par la « trahison » du lieutenant-colonel Robelin et de plusieurs de ses subordonnés, s’efforce de reprendre sa troupe en main. Pour lui, il y a urgence à colmater les brèches qui lézardent l’édifice de l’institution. Outre l’affaire de la sous-direction technique, chaque jour, le nombre de défections dans les unités augmente. Dès le 13 juillet, il diffuse un ordre assez surprenant mais qui ne sera guère suivi d’effet :

« J’interdis formellement de tenter d’échapper aux autorités allemandes quand elles ont décidé de procéder à une arrestation. Quiconque contreviendrait à cet ordre tomberait sous le coup des lois militaires françaises parce que placé en situation d’absence irrégulière… »

Néanmoins, il applique les rigueurs de cette consigne impérative au capitaine Vincent (Charles) qui, pour échapper à l’arrestation le 7 juillet, s’est enfui et a rejoint les F.F.I. L’intéressé fait immédiatement l’objet des recherches habituelles.

Chapitre 8 - L’ESPOIR BRISÉ

Toujours dans la première quinzaine de juillet, le directeur général écrit à Darnand pour lui demander d’effectuer, auprès des autorités allemandes, les démarches nécessaires en vue d’obtenir la libération des officiers de la garde reconnus non coupables. La réponse ne tarde pas : tous sont responsables et ont avoué. L’entourage du chef de la Milice répand même la rumeur dans Vichy de leur prochaine exécution.

Pourquoi cette requête ? Lorsque la Gestapo arrête tous les officiers de la sous-direction technique, elle donne pour prétexte au général Perré qu’il lui faut, à titre de précaution, pendant la durée des investigations, s’assurer des personnes ayant étroitement collaboré avec le lieutenant-colonel Robelin. Elle laisse entendre la remise en liberté, vraisemblablement très vite, dès la fin de l’enquête, d’un certain nombre d’officiers.

À la suite de la réponse négative de Darnand, le directeur de la garde s’en remet au général Bridoux, secrétaire d’État à la Défense. Par courrier n° 0571 DN/SL du 11 août celui-ci intervient auprès du général von Neubronn, pour tenter d’obtenir l’élargissement des officiers contre lesquels la Gestapo n’a pas retenu de griefs :

« Je me permets cette demande, écrit le signataire, parce qu’elle s’adresse à un militaire qui comprendra certainement l’impression désastreuse que peut avoir sur la troupe que commandaient les officiers arrêtés leur maintien prolongé en détention, une telle mesure paraissant à la longue une preuve de culpabilité.

Or le moral de telles troupes chargées de maintenir l’ordre est à l’heure actuelle particulièrement important et s’il est bon de leur exposer les raisons de l’arrestation de ceux de leurs officiers qui seraient coupables d’atteinte à leur devoir militaire, il est très désirable de ne pas laisser suspecter ceux qui n’ont rien à se reprocher… »

La démarche du général Bridoux ne modifie pas la situation des personnels de la sous-direction technique détenus depuis plus d’un mois et dans l’ignorance du sort qui les attend.

En fin d’après-midi, le 7 juillet, tous les officiers arrêtés dans la journée se retrouvent au siège de la Gestapo de Vichy, à l’hôtel du Portugal, boulevard des États-Unis, où sont emprisonnés depuis la veille le lieutenant-colonel Robelin, le commandant Jeandel et le capitaine Morand.

Ironie du sort, en arrivant dans les locaux de la police allemande, le commandant Tharaux se retrouve face à face avec un lieutenant de la Gestapo auprès duquel, huit jours plus tôt, au cours d’une liaison de service, il est intervenu afin d’obtenir la libération d’un chef d’escadrons de la garde placé en détention pour transport d’armes dans un véhicule de service.

Les officiers interpellés se plient aux formalités d’usage : fouille à corps, remise des objets personnels, interrogatoire d’identité. Après ces opérations, effectuées sans brutalité, les gardiens conduisent les prisonniers dans le sous-sol de l’hôtel et les répartissent dans des caves exiguës. Dans ces lieux sinistres, éclairés en permanence par une lumière blafarde, des bas flancs sans paillasse constituent le seul mobilier. L’emploi du temps ne varie pas : café le matin, soupe à midi, café le soir vers 17 h, autorisation de sortir dans le sous-sol sous surveillance, enfin, quelques minutes dans la journée pour faire, dans une espèce de buanderie, une toilette très sommaire. Ainsi, commence pour ces hommes l’apprentissage de la captivité.

Le dimanche 9 juillet, les geôliers extraient les officiers de leurs cellules. Après les avoir attachés deux à deux par des menottes, ils les poussent dans un car. Une demi-douzaine d’agents de la Gestapo montent à bord pour les accompagner. Le véhicule, sans escorte, prend la direction de Clermont-Ferrand. Arrivé rue Pélissier, il s’engouffre dans la caserne d’Assas, ancien quartier du 92e régiment d’infanterie transformé en prison de la Gestapo déjà célèbre en Auvergne par le nombre de détenus internés.

Dans cette antichambre de la déportation, quelques mois auparavant, des officiers de gendarmerie de la légion d’Auvergne, arrêtés pour faits de résistance (chef d’escadrons Fontfrède, commandant la compagnie de Clermont-Ferrand, capitaine Berger, commandant la section de Riom et capitaine Kerhervé, commandant la section d’Issoire), ont précédé leurs camarades de la garde avec lesquels, dans les années 1930, ils servaient sous le même uniforme. Tous les trois mourront dans les camps d’extermination en 1945, respectivement les 12 et 26 avril et le 10 janvier.

Des militaires allemands assurent la garde des installations, sous l’autorité du gardien-chef, Herr de la Brazine, descendant d’une famille française noble émigrée en 1790. La prison réservée aux femmes jouxte celle des hommes située dans les anciens préaux de la caserne aménagés en locaux disciplinaires, en 1938, par le chef de corps du 92e R.I. Le colonel Tréboux ne se doutait pas alors qu’il les étrennerait lui-même pendant de longs mois. Les détenus s’entassent jusqu’à une soixantaine, dans les locaux H1, H2, H3, H4 construits pour dix ou quinze au maximum. Des cellules, réparties au rez-de-chaussée et à l’étage, permettent d’en isoler certains. Partout, l’air est aussi rare que la place. Il n’est presque jamais renouvelé. Il n’y a pas de sanitaires. Quelques bidons servent de tinettes.

L’hygiène laisse à désirer. Les cas de gale se multiplient. Des colonies de poux prolifèrent. Dans la mesure où il n’y a pas d’encombrement, les occupants se lavent dans la cour intérieure de la prison, lors de la sortie du matin qui s’effectue par chambrées. Le temps leur est compté. Il n’excède pas la demi-heure. Une seconde « promenade » surveillée a lieu l’après-midi. Le règlement interdit de s’arrêter et de former des groupes. Le régime alimentaire quotidien se limite à une soupe et à une tranche de pain de seigle, souvent moisi. Parfois, en supplément, un morceau de graisse, de fromage ou de saucisson. Les colis apportés par les familles améliorent sensiblement l’ordinaire même si, au passage, le soldat préposé à la fouille ne se gêne pas pour se servir. Le mercredi, jour de visite, outre des vivres, elles apportent du linge propre et en échange prennent celui qui est à laver. Toute correspondance étant proscrite, on achemine à cette occasion des missives dissimulées ingénieusement (tube de dentifrice, coutures de vêtements, etc.).

Par l’intermédiaire de prisonniers employés aux cuisines, quelques nouvelles filtrent de l’extérieur. Des trous, percés dans les cloisons de séparation des chambrées, habilement camouflés, en facilitent la diffusion. Grâce à ce système, entre leurs interrogatoires, les officiers de la garde se tiennent au courant des questions posées et préparent des réponses concordantes.

Mais la prudence s’impose constamment car la Gestapo introduit des « moutons » à la recherche de confidences. Il y a aussi des mouchards. Pour obtenir leur libération, ils n’hésitent pas à vendre aux Allemands leurs compagnons confiants et trop prolixes sur leurs activités. Un officier français, d’après plusieurs témoignages, se signale dans ce rôle abject.

Les internés appartiennent à tous les métiers, toutes les professions, tous les âges, tous les milieux sociaux. Des résistants (maquisards, agents de liaison, radios, saboteurs, etc.) et des proscrits (Juifs, communistes, gaullistes, etc.), côtoient des otages, victimes de rafles, qui n’ont commis aucun fait répréhensible.

Quelques personnalités bénéficient d’un régime particulier. Monseigneur Gabriel Piguet, Évêque de Clermont-Ferrand, occupe seul, depuis son arrestation, le 28 mai 1944, une cellule au premier étage de la prison, à côté de l’infirmerie. La Gestapo lui reproche d’avoir donné l’hospitalité à des prêtres réfugiés, en particulier à l’abbé Jean de Viry, vicaire auxiliaire de la paroisse de Saint-Genès-Champanolle. Il lui a établi un « celebret », pièce de chancellerie épiscopale, autorisant un prêtre à célébrer la messe en dehors de son diocèse. Le prince Xavier de Bourbon-Parme, comme Mgr. Piguet, est isolé. Motif de sa détention : ses relations avec les maquisards F.T.P. du camp Danielle Casanova installé sur sa propriété, près du château de Bostz.

Dès leur arrivée à la prison du 92e, les gardiens répartissent les officiers, au hasard semble-t-il, dans trois locaux, dont deux jointifs, respectivement baptisés H1 (lieutenant-colonel Robelin, chefs d’escadrons Bouchardon, Comemale, capitaine Garraud) et H2 (chefs d’escadrons Tharaux, Lacroix, Jeandel, capitaines Grange, Puthoste). Le chef d’escadrons Delmas se trouve dans une cellule collective faisant face à celles de ses camarades. Placé au secret dans un cachot, pendant toute la durée de son séjour au 92e, le capitaine Morand va connaître, dans la solitude, des moments éprouvants.

Pour maintenir le moral et soustraire les esprits à l’abrutissement qu’une détention prolongée serait susceptible de provoquer, le commandant Tharaux propose à sa chambrée d’organiser de petites causeries. À l’occasion du 14 juillet, il envisage de parler sur le thème de la fête nationale et s’y prépare en rassemblant ses souvenirs :

« Je voulais, écrit-il, attirer essentiellement l’attention des codétenus sur l’importance de la Fête de la Fédération qui marquait particulièrement la volonté d’unité du peuple français… »

Les événements contrarient son projet. Le 14, dans la matinée, la Gestapo le transfère à Chamalières où il va subir son premier interrogatoire. Déjà, depuis le 10, les hommes du SiPo-SD de Clermont-Ferrand soumettent à la question, villa « René », avenue de Royat, le lieutenant-colonel Robelin et le capitaine Morand.

Le chef Dumet, de la brigade de gendarmerie de Bellegarde, arrêté le 30 juillet 1944, décrit, tel qu’il l’a découvert lors de son passage le 4 août, le cadre dans lequel opère la police allemande :

« Le parquet de cette pièce était presque entièrement couvert de flaques de sang. Les murs, à plus d’un mètre de hauteur, étaient également peints de sang. En face de la porte d’entrée, Vernières, un rachitique était assis à son bureau et tenait un énorme nerf de bœuf à la main. Sur son bureau se trouvaient des cigares et une bouteille d’alcool débouchée. Sur la droite l’agent Brosson se tenait debout. Au fond le bureau des dactylographes dont les portes étaient ouvertes laissait voir ces dernières qui travaillaient en chantant et en fumant la cigarette… »

Pour obtenir des aveux, les nazis ne reculent devant aucun procédé. D’une part, il y a la guerre des nerfs. Tout y contribue : de longues attentes dans les antichambres, des interrogatoires pendant plusieurs heures, l’alternance de promesses et de menaces, de perspectives de terreur et de liberté, des interruptions incessantes consécutives à des coups de téléphone, des conversations étrangères à l’accusation, le tout dans une atmosphère tendue. De l’autre, il y a les cravaches et les barres de fer qui valent mieux à leurs yeux que mille raisonnements subtils. Pour les rétifs, le régime spécial de la chambre de torture les amène à composer ou… à trépasser !

Comment, pour le commandant Tharaux, se déroule ce premier interrogatoire ? Écoutons son récit :

« Le 14 au matin je fus appelé et embarqué en voiture pour mon premier interrogatoire à Chamalières, avenue de Royat. Je fus transporté sans brutalité et j’arrivais dans la matinée. Je restais assis dans une pièce du rez-de-chaussée jusque vers deux heures de l’après-midi ; une soupe me fut servie. D’autres prisonniers dans cette même pièce devaient se tenir debout le visage tourné vers le mur… »

Entre 14 h et la fin de la soirée, son audition se déroule dans une pièce du rez-de-chaussée. Un interprète, faisant fonction de greffier, enregistre ses réponses à la machine à écrire. Trois Allemands, dont un se fait appeler « Monsieur l’inspecteur » et qui parle remarquablement le français, lui posent des questions. En premier lieu, il doit détailler son curriculum vitae et fournir notamment des détails sur son passage à la Légion étrangère au Maroc. Tout lui donne à penser que son interlocuteur la connaît bien et y a probablement servi. Moment capital, il apprend ensuite pour quels crimes il vient d’être arrêté. Les policiers l’accusent de faire partie de l’O.R.A. et d’être mêlé à un complot contre le Gouvernement. À toutes les accusations, il répond par des dénégations. La Gestapo accepte ses déclarations qui, souligne-t-il, « tendaient à prouver que je ne pouvais en rien être accusé de pareils crimes ». Sa déposition traduite en français, il la signe. Avant de le reconduire au sous-sol, l’interprète lui tient un propos peu rassurant :

« Je souhaite que vous ayez dit la vérité parce que vous savez que nous avons les moyens de vous la faire dire. »

Deux détenus, dont il ne connaît pas l’identité et avec lesquels, par prudence, il n’engage pas la conversation, se trouvent dans sa cellule. Privé de nourriture, l’officier passe la nuit sur un bas flanc. Le lendemain soir 15 juillet, les Allemands le ramènent au 92e.

Les autres officiers se succèdent au siège de la Gestapo, en vue d’y être interrogés à leur tour. Les policiers leur posent des questions précises comme l’indique le capitaine Grange :

« Personnellement je dus indiquer d’abord le déroulement de ma carrière ce qui ne me paraissait pas compromettant. Vint la justification de n’être pas terroriste. Pour cela, comme les autres, je dis bien sûr des mensonges. Les communications entre officiers au 92e par les trous du mur mitoyen furent utiles nous permettant de raconter la même chose. Au bout de trois jours, je fus ramené à la prison du 92e. »

Le 19, la Gestapo semble avoir terminé ses investigations. Les jours passent. Le mois de juillet touche à sa fin. Personne n’a de nouvelles du capitaine Morand, maintenu au secret depuis son arrestation. En revanche, on sait qu’à la date du 24 juillet, le lieutenant-colonel Robelin, affreusement torturé, connaît des moments critiques. Monsieur Serge Fischer (Bernard), bibliothécaire de l’université de Strasbourg, un des dirigeants du Front national, interné au 92e, rapporte la vision poignante qu’il a eue de l’officier :

« La porte vient de s’ouvrir, plus rapidement que d’ordinaire. Plusieurs entrent, puis un agent de la Gestapo s’adresse à de Courson et à moi : "Vous allez aider au transport et aux soins d’un blessé, mais la consigne est sévère : interdiction de parler." Nous sortons en silence. Sur une civière gît un blessé au visage jeune, noirci par la souffrance. Il se tient couché sur le flanc. On le déshabille : il gémit légèrement. Un spectacle horrible apparaît aux yeux des assistants : il a un trou de la grosseur d’un poing dans la fesse droite. On y voit des petits os, assez semblables à de petites arêtes de poisson. Sa jambe droite est démesurément enflée, au moins quatre à cinq fois la taille normale. Il a un peu partout des blessures, mais de moindre envergure. Un médecin allemand panse d’abord cet énorme trou, puis les autres. Il verse un liquide sur sa jambe enflée. On nous apporte des draps et nous lui faisons un lit composé d’une paillasse posée à même la terre et deux couvertures. Puis nous transportons le blessé, doucement, dans sa cellule. Le médecin lui prescrit du lait et lui laisse quelques cachets d’aspirine pour faire baisser la fièvre. Il s’en va enfin, accompagné par les agents de la Gestapo. Notre sympathique gardien nous reconduit dans notre cellule.

Une fois seuls, de Courson me raconte le secret du blessé. C’est le lieutenant-colonel Robelin de la garde de Vichy. Il voulait entrer dans la dissidence avec 6 000 gardes. Il envoie son adjoint chez de Courson, il est malheureusement suivi par la Gestapo. On arrête le colonel et 10 de ses officiers. Robelin est "tabassé" à tel point qu’il ne peut plus se tenir debout. Cette terrible blessure que nous avons pansée tout à l’heure est la conséquence des coups de nerfs de bœuf assenés toujours au même endroit de telle sorte que, la chair étant ainsi arrachée par petits morceaux, on arrive à former cet horrible trou.

L’enflure de sa jambe droite provient de coups de bouteille vide sur le tibia… On craint l’amputation de cette jambe…

On m’envoie panser les blessures du colonel Robelin. Il va un peu mieux et me chuchote à l’oreille : "Ne t’en fais pas, nous les aurons quand même…" Quelle force d’âme d’homme et de soldat. Malgré ses blessures, malgré la mort prochaine, il lutte encore. Je suis prêt à me prosterner devant ce grand Français… Je le change de position pour qu’il ait une attitude plus normale. Je lui fais manger sa soupe à la cuiller, comme un bébé, car il lui est impossible de bouger… Il se soulève seulement sur ses bras en rejetant légèrement la tête en arrière pour que je lui verse lentement dans la bouche le contenu. Après avoir vidé son assiette, il écrase entre ses dents un cachet d’aspirine, car il ne peut l’avaler. Il boit encore un peu d’eau et je quitte sa cellule… »

Sans le nommer, Mgr. Piguet fait probablement allusion au lieutenant-colonel Robelin lorsqu’il écrit :

« Il m’est arrivé de prier pour un colonel français inconnu de moi, mais en si mauvais état par les coups reçus que je ne savais pas si c’était pour un mort ou un agonisant que j’implorais l’assistance divine… »

Le 27 juillet, alors que rien ne le laisse présager, l’instruction de l’affaire paraît en effet terminée, la Gestapo reprend l’interrogatoire de trois des officiers. Successivement, elle entend pour la deuxième fois le chef d’escadrons Bouchardon et le commandant Tharaux, et au moins pour la quatrième le lieutenant-colonel Robelin. On sait que quelques jours avant, ce dernier a été transféré à Vichy, en même temps que le D.M.R. « Pyramide », à la demande du chef du SiPo-SD de Clermont-Ferrand, pour y être entendu par Adrian au sujet d’un groupe d’officiers anglais (mission Freelance) signalé dans la région de Montluçon.

Conduit à Chamalières pour ce deuxième interrogatoire, le chef d’escadrons Bouchardon en revient le corps recouvert de plaies, les yeux injectés de sang après avoir été roué de coups de règle et de nerf de bœuf. Puis viennent le tour du commandant Tharaux et celui du lieutenant-colonel Robelin. Ce dernier, affaibli par des sévices antérieurs, se trouve dans un état pitoyable tout comme son adjoint qui s’interroge, sans pouvoir y répondre, sur la raison de cette nouvelle audition :

« Il dut y avoir, remarque-t-il, des dépositions ou des renseignements qui, d’une façon ou d’une autre me remirent en cause… »

Le comportement de la Gestapo à son égard change radicalement, par rapport à sa précédente comparution. Pendant le trajet entre le 92e et Chamalières, ses gardiens l’obligent à s’allonger sur le plancher du véhicule. Dès son arrivée, conduit au premier étage de la villa « René », les Allemands l’injurient copieusement et le traitent de menteur, traître et félon. Après ces invectives, ils le frappent au visage. Un individu le saisit par le col puis le projette plusieurs fois la tête contre le mur. Une heure durant, il endure les pires sévices. La Gestapo use ensuite du chantage en affirmant qu’elle va arrêter son épouse et ses enfants. De violents coups de poing et de pied s’abattent sur l’officier qui lui brisent plusieurs côtes. Ses bourreaux menacent ensuite de lui couper la langue. Comme il l’écrit malicieusement, les nazis sombrent dans le ridicule :

« Chercher à couper la langue de celui que l’on veut faire parler me sembla tellement stupide que je compris qu’ils se laissaient emporter par leur haine et qu’en conservant mon sang-froid j’étais plus fort qu’eux… »

À la fin de ce traitement, deux individus se saisissent de lui et, en le tenant fermement, le descendent, menottes aux mains, à l’étage inférieur. Là, on l’invite à écouter, à travers une porte entrebâillée, la déposition d’un prisonnier interrogé à son sujet. Moment crucial où la stupéfaction fait place à une intense émotion :

« Par ce que je pus entendre, je me rendis compte, note le commandant Tharaux, qu’il s’agissait de Robelin amené sur une civière ; il paraissait exténué, mais je reconnus sa voix au timbre caractéristique. À toutes les questions posées sur mes activités, il répondit parfois avec difficulté mais toujours nettement, cherchant à me mettre chaque fois hors de cause. Puis je fus ramené dans une cellule au sous-sol où l’on me servit une soupe que je ne pus absorber, vu le trop mauvais état de mes mâchoires et la douleur que je ressentais aux côtes… »

Le cauchemar du commandant Tharaux n’est pas fini. Il n’a pas encore signé le procès-verbal d’interrogatoire. Rasséréné par le témoignage de son chef qui s’est évertué à le disculper, la Gestapo jusqu’à présent ne peut rien retenir contre lui, aussi est-il confiant. À partir de 15 h, ramené au premier étage de la villa, il se retrouve en présence d’un interprète, d’une dactylo et de trois policiers parmi lesquels Robert Roth, cousin de Geissler, chef de la Gestapo de Vichy tué à Murat le 12 juin, et Joseph Kaltseiss, homme de main cynique et méprisable ayant à son actif de nombreux assassinats de résistants. Lors de la grande rafle du 25 novembre 1943, à l’université de Clermont-Ferrand, ce dernier a abattu froidement, d’un coup de pistolet, le professeur Paul Collomb de la Faculté de Lettres qui n’obtempérait pas à son injonction de lever les mains en l’air et de sortir du secrétariat de l’établissement.

Pendant trois heures, ses tortionnaires cherchent à obtenir des indications sur l’action du général Perré, de « Pyramide », sur l’organisation de l’O.R.A., etc. Pour arriver à leur fin, ils utilisent les procédés les plus barbares : épingles enfoncées dans la poitrine et dans le dos, coups de règle en fer sur les mains mises à plat sur une table, coups de nerf de bœuf sur tout le corps. À l’occasion d’une pause, les policiers se font servir un goûter copieux composé de thé, pain, beurre, confiture, œufs durs. Pendant ce temps, il doit se tenir debout contre le mur, menottes aux mains. Après cet intermède, reprise des questions et des brutalités. Le commandant Tharaux s’accroche à l’affirmation qu’il ne sait rien et qu’il ne peut donc rien dire sur ce qui lui est demandé. L’interrogatoire s’achève vers 18 h, ponctué par la signature de sa déposition, totalement incompréhensible pour lui car transcrite en Allemand.

De retour au 92e, l’officier retrouve ses camarades. Avec des moyens de fortune, le commandant Jeandel et le capitaine Puthoste pansent ses plaies et bandent ses côtes brisées. Le lendemain, les gardiens le conduisent à la visite. Le médecin allemand de la prison lui fait dispenser quelques soins et ordonne son transport au premier étage, dans une petite pièce barreaudée, où se trouve un jeune prêtre arrêté pour avoir aidé la Résistance dans les Alpes. Le commandant Tharaux sombre dans une inconscience totale due à une forte fièvre. Le prêtre, il ne connaîtra jamais son nom, s’évertue à lui faire avaler un peu de liquide. Lorsqu’il reprend connaissance, un employé de la S.N.C.F., M. Pasquier, accusé d’avoir facilité des sabotages, a remplacé l’ecclésiastique. Lui aussi se dévoue et s’occupe au mieux de son compagnon atteint d’une septicémie sérieuse. Par son infirmier bénévole, il apprend que Mgr. Piguet est venu le voir alors qu’il se trouvait sans connaissance. Le prélat, qui ne cite pas son nom, raconte dans quelles conditions il s’est rendu à son chevet :

« À la même époque un autre officier soigné à l’infirmerie voisine de ma cellule était dans un lamentable état de fièvre, le corps recouvert d’ecchymoses, douloureuses conséquences des supplices endurés. Sur sa demande, en cachette, je pus le visiter et le bénir. Le médecin allemand, réserviste de la Wehrmacht et un infirmier allemand dont les prisonniers ont tous gardé un bon souvenir, le soignaient avec dévouement et compétence. Ce médecin était fort heureusement un spécialiste des maladies de la peau. Ce ne fut pas inutile pour le cas présent. »

À la mi-août, l’état du commandant Tharaux s’améliore légèrement, cependant il n’a pas la force de quitter sa paillasse.

Depuis le 28 juillet, date de son dernier interrogatoire, que devient le lieutenant-colonel Robelin ? Un des derniers officiers à le voir vivant, le capitaine Grange, réussit à s’entretenir quelques instants avec lui, à l’insu des sentinelles, le 28 ou le 29 juillet :

« Lors d’une promenade, note-t-il, j’arrive à l’interpeller. Au soupirail de la cellule où il se trouve il apparaît jusqu’au buste, en très mauvais état, se tenant difficilement debout, le visage assez peu reconnaissable. Il me dit qu’il est "foutu" compte tenu de ses blessures sur tout le corps. Il précise qu’à une hanche l’os est apparent… »

Le sous-directeur s’inquiète beaucoup des raisons qui ont conduit la Gestapo à reprendre les interrogatoires. Soudain, n’en pouvant plus, avant de s’affaisser, il demande au capitaine Grange d’appeler l’infirmier. Environ une heure après cet épisode, la Gestapo arrive à la prison du 92e et emmène le lieutenant-colonel Robelin. Depuis, on ne l’a jamais revu. Des bruits circulent dans la prison selon lesquels il a été transféré à Vichy.

Après le débarquement de Provence, les événements se précipitent. L’avance des forces alliées et leur conjugaison avec celles de la Résistance font prendre aux Allemands une décision redoutée de tous les détenus, qui ne surprend personne : le départ collectif pour une destination inconnue. Le 18 août, parmi les prisonniers, la rumeur court d’un prochain départ. La nouvelle se confirme le lendemain. En effet, Mgr Piguet en est informé officiellement.

Le dimanche 20, de bonne heure, des gardiens viennent appeler dans leur chambrée les chefs d’escadrons Comemale et Jeandel, le capitaine Puthoste et les deux officiers de la garde personnelle du chef de l’État, le chef d’escadrons Hurtrel et le lieutenant Bertrand. Les uns et les autres ne sont pas rassurés. D’ordinaire, à cette heure matinale, les appels laissent présager le pire. C’est le moment où les Allemands viennent chercher les détenus pour les fusiller au stand de tir tout proche. Tous ont en mémoire l’écho des salves des pelotons d’exécution qui retentissaient jusque dans les cellules. L’inquiétude se lit sur tous les visages. Quelques minutes plus tard, les cinq officiers reviennent et annoncent leur libération.

La remise en liberté de tel officier plutôt que de tel autre s’explique difficilement. En dehors du lieutenant-colonel Robelin, mis en cause par les déclarations du commandant Courson de La Villeneuve, et du capitaine Morand surpris en flagrant délit de contact avec « Pyramide », tous les autres ont eu une activité sensiblement identique. Ils étaient de connivence avec leur chef et favorables à la cause de la Résistance. Comment, dans ces conditions, la Gestapo a-t-elle pu discriminer les agissements des uns et des autres ?

Le 20, entre 16 et 17 h, la cour de la prison du 92e s’anime. Au milieu d’un grand brouhaha, les gardiens rassemblent l’ensemble des détenus, hommes et femmes. La présence inhabituelle de nombreux uniformes allemands, auquel se mêlent ceux des miliciens, annonce un événement important. Les ordres fusent. Les prisonniers doivent se mettre en rang par six. Les officiers de la garde s’arrangent pour être sur la même rangée.

Le capitaine Morand retrouve enfin ses camarades. Considéré comme un terroriste important, il a subi, pendant son isolement, cinq interrogatoires sous la torture. Conséquences de ces sévices : une fracture de la mâchoire et des plaies multiples provoquées par des lames de rasoirs. Bien qu’encore affaibli, malgré le défaut de soins, sa robuste constitution a repris le dessus.

La joie qu’éprouvent ses camarades de le revoir ne gomme pas leur inquiétude sur le sort réservé au lieutenant-colonel Robelin, à M. Lévy, au commandant Tharaux ainsi qu’au lieutenant-colonel Marty de l’école de la garde dont le sort ne peut être dissocié de celui de ses compagnons de la sous-direction technique, tous absents sur les rangs.

Le destin tragique du lieutenant-colonel Robelin ne sera connu que plusieurs mois après la Libération. On ne retrouvera jamais son corps, mais des éléments concordants permettent de penser que le SS d’origine roumaine Schlimmer, du K.D.S. de Vichy, l’a assassiné. Après enquête, les services du colonel Paillole l’ont formellement identifié, confirmant ainsi la déposition d’Adrian (Konrad) lors de son procès en 1945 d’après laquelle « Schlimmer lui aurait révélé avoir étranglé le colonel Robelin dans sa cellule ».

Quelques incertitudes planent sur la date et le lieu de sa mort. Le capitaine Garraud, de retour de déportation, écrit le 19 juillet 1945 :

« Étant donné les témoignages recueillis, il semble bien que son état de santé laissait prévoir une fin prochaine dès le 9 août ; en effet il était à cette date dans les locaux de la Gestapo de Vichy. Il était atteint de gangrène à la cuisse droite et les Allemands le soignaient avec des ampoules de 10cc de sérum. Ce jour-là, il quitta sa cellule sur un brancard pour, dirent les policiers, être confié à un hôpital de Vichy. »

M. Henri Jeanjean, son voisin de cellule, inspecteur de police à Thiers, arrêté par la Gestapo le 2 août 1944, fournit un renseignement plus précis. Cité comme témoin au procès du directeur général, il déclare que le lieutenant-colonel Robelin « expire le 10 août 1944 vers 11 heures ». Peu de temps auparavant, il l’a vu « portant des plaies dans lesquelles on pouvait passer le poing ». D’après la liste nominative des officiers de la Gendarmerie nationale morts pour la France ou en service commandé, au cours de la Seconde Guerre mondiale, le lieutenant-colonel Robelin est décédé le 19 août 1944.

Différentes pièces d’archives tendent à prouver qu’au début du mois d’août, la Gestapo, pour effacer toute trace de son forfait, tente d’accréditer la thèse de son transfèrement pour une destination inconnue. Ainsi, les gardiens n’acceptent pas le colis de vivres et de linge que Madame Robelin apporte à son mari, à la prison militaire de Clermont-Ferrand dans la journée du 2 août. Les Allemands lui annoncent qu’il est parti sans autre indication. Madame Robelin entreprend une démarche auprès du secrétariat d’État à la Défense. Pour y faire suite, les services du colonel Chaumel de Jarnieu, chef de la section militaire de liaison chargée des relations avec le commandement allemand, s’adresse le 9 août au général Von Neubronn, représentant à Vichy du commandant en chef à l’ouest :

« On serait désireux, lit-on, de savoir le lieu actuel de détention du lieutenant-colonel Robelin afin que des colis de vivres et du linge puissent lui être adressés. »

Par courrier n° 508/44b du 17 août, en réponse à la demande formulée, les autorités militaires allemandes font connaître que « le SD de Vichy refuse de donner des renseignements sur le lieu de détention du lieutenant-colonel René, Thomas, Robelin, des paquets ne seront pas acceptés ».

Autre absent au moment du rassemblement, le lieutenant-colonel Marty fait prisonnier dans la Creuse, le 20 juillet, avec plusieurs gardes. Transféré à Clermont-Ferrand, après un passage à la Milice, place de Lille, il se retrouve à la prison du 92e. Le garde Caron, arrêté en même temps que lui, atteste de son martyr :

« Ce fut ensuite notre passage à la Gestapo. Premier passage pour rien, réintégration au 92e R.I. ; le second passage après une « dérouillée » maison, j’ai aperçu les attributs du colonel Marty tels que boutons, barrettes de grade et trousseau de clefs. J’ai pensé qu’il avait pris le chemin de « la grande porte » de la liberté définitive. Hélas ! Après matraquage je fus remis au cachot dans la cave, c’est là qu’après avoir entendu un appel, je retrouvais le colonel Marty. Plein d’ecchymoses, il avait l’œil gauche crevé et pendant. Je l’ai reconnu grâce à son uniforme et à ses bandes molletières, sans galons, sans boutons. Il était méconnaissable. Les dernières paroles qu’il m’adressa furent celles-ci : S’ils continuent à me faire souffrir, je me couperai les veines avec mon canif que j’ai dans ma bande molletière. Au revoir. »

Torturé au moins à deux reprises, ses bourreaux l’assassinent certainement dans les premiers jours du mois d’août. On ne retrouvera son corps qu’après la Libération, lors de la fouille du jardin de l’hôtel du Portugal.

Autre absent, M. Lévy, secrétaire au cabinet du général Perré. Les officiers de l’état-major ignorent encore qu’il est mort, à la suite des coups reçus, fin juillet début août.

Quant au commandant Tharaux, dans l’incapacité de se déplacer, il attend dans sa cellule la suite des événements. Dans la matinée du 20, les gardiens libèrent son compagnon, M. Pasquier. Un jeune maquisard, blessé par balle à une jambe, complètement immobilisé, le remplace. À l’effervescence qui régnait dans la prison, en début d’après-midi, succède progressivement un calme inquiétant. L’idée d’être exécuté dans la cour, d’un moment à l’autre, alors qu’il vient de surmonter une épreuve terrible, effleure l’esprit de l’adjoint du lieutenant-colonel Robelin et suscite chez lui une espèce de révolte. Soudain, un bruit de clefs dans la serrure. La porte s’ouvre, apparaissent des gardiens porteurs de deux civières. La tension grandit brusquement, pour redescendre aussitôt. L’infirmier allemand annonce aux deux détenus leur transport à l’hôpital. Sur un brancard, ils quittent leur cellule. Une ambulance les attend dans la rue. Le commandant Tharaux, avant de rejoindre la polyclinique, a la joie, en passant à proximité de son domicile, de pouvoir annoncer sa libération à son épouse. Mgr. Piguet évoque cet heureux dénouement :

«…Ce qui fut mieux encore c’est que cet officier et un jociste blessé dans les environs de Saint-Flour et près duquel j’avais pu me rendre clandestinement furent jugés intransportables et laissés à Clermont-Ferrand au moment de l’évacuation de la prison. Il me fut agréable à mon retour (de déportation) d’avoir parmi mes premiers visiteurs, bien guéris et vivants, l’officier et le jociste… »

Pour les autres détenus, ce 20 juillet marque le début d’un voyage terrifiant vers les bagnes nazis. Le rassemblement terminé, après l’appel, sur ordre, les prisonniers déposent dans une brouette tous les menus objets en leur possession : couteaux, briquets, etc. Quelques-uns, pour mettre toutes les chances de leur côté si une occasion de s’enfuir se présente, n’hésitent pas à en dissimuler dans leurs vêtements. Le capitaine Grange conserve ainsi un morceau de scie à métaux et une clef de menottes automatiques de sa fabrication. Pour le voyage, chacun reçoit pour seuls vivres une boule de pain avec une ration de beurre.

Entre 15 h 30 et 17 h, sous bonne escorte, à pied, en colonne par six, les détenus rejoignent la gare de Clermont-Ferrand. Un strict service d’ordre tient à distance la population où se mêlent curieux, amis et parents des prisonniers. À quai, immobilisé, un train vide composé de cinq wagons à bestiaux et d’un wagon de voyageurs de troisième classe. Plus tard, il prendra l’appellation de train « 92 ». Pendant les opérations d’embarquement, le chef d’escadrons Delmas, stupéfait, aperçoit parmi les gardiens chargés de la surveillance, revêtu de l’uniforme de milicien, grenade à manche au ceinturon, un codétenu enfermé dans sa cellule pendant plusieurs jours. Ainsi, se confirmait la présence au 92e de « moutons » introduits par la Gestapo.

Les six officiers de la garde se retrouvent entassés, avec une trentaine de prisonniers, dans le wagon à bestiaux situé derrière la locomotive. Un groupe de sept femmes, peu de temps après, vient grossir l’effectif. L’embarquement s’effectue rapidement, toutefois le train ne part pas car les rails viennent de sauter à quelques centaines de mètres de la gare. Ce n’est que quelques minutes avant 18 h qu’il quitte Clermont-Ferrand.

Pendant le trajet, deux gardiens, à tour de rôle des miliciens, des membres de la Gestapo et des aviateurs installés dans le wagon, surveillent les déportés. Toutes les huit heures, ils gagnent le compartiment de voyageurs réservé à l’escorte où se trouvent, par faveur, Monseigneur Piguet et le Prince de Bourbon de Parme.

Alors qu’il n’a parcouru qu’une quinzaine de kilomètres, le train s’immobilise, sur une voie de garage, en gare de Riom, première station d’un voyage qui en connaîtra un grand nombre. Pendant l’arrêt, de chaque côté des wagons fermés, deux sentinelles interdisent toute sortie. À l’intérieur, malgré l’exiguïté des lieux, la chaleur et la promiscuité, chacun essaye de trouver un peu de repos. Les officiers s’organisent et désignent un chef de wagon. Leur choix se porte sur le plus ancien : le commandant Lacroix. Le convoi ne repart de Riom que le 21 dans le courant de l’après-midi.

Après un parcours de deux heures sans incident, le train s’arrête dans une gare et y passe la nuit. Le 22, tôt le matin, il redémarre. À partir de ce jour, régulièrement, tous les dix à quinze kilomètres, des sabotages, des attaques par les F.F.I., ou des bombardements retardent sa marche. Les Allemands adoptent un dispositif particulier pour prévenir les attentats et procéder, en cas de nécessité, aux réparations. Deux wagons plats précèdent la locomotive. Sur le premier, prennent place quelques hommes chargés de surveiller les voies. À bord du second se trouvent des déportés. Ils servent de main-d’œuvre pour effectuer les travaux, au fur et à mesure des besoins. À tous les arrêts, les Allemands de l’escorte se placent, au nombre de cinq ou six, de part et d’autre de chaque wagon. Un prisonnier par wagon, et de jour seulement, reçoit, selon le bon vouloir des gardiens, l’autorisation de descendre pour satisfaire ses besoins.

Lors d’un arrêt en gare de Paray-le-Monial, le 22 août, un violent accrochage oppose, à quelques centaines de mètres de la voie ferrée, un petit groupe de maquisards rapidement mis en fuite par l’escorte. Il s’achève par l’exécution sommaire de plusieurs prisonniers des F.F.I. capturés pendant le combat. À partir de cette date, plusieurs autres trains encadrent celui du 92e. En tête, l’un d’eux transporte des troupes équipées de chars. Un train sanitaire allemand, identifiable par les croix rouges peintes sur le toit des wagons, ferme la marche.

Au cours de la journée du 23, de nouveaux sabotages ralentissent la progression du convoi. Les rails sautent partout. Aux arrêts provoqués par des coupures de la voie ferrée, s’ajoutent des incidents techniques. À la suite d’un manque d’eau, la locomotive stoppe une fois de plus. Avec une soixantaine de détenus munis de seaux en provenance du train sanitaire, les gardiens organisent une chaîne, entre le convoi et un ruisseau distant d’une centaine de mètres, pour transporter de l’eau.

Le capitaine Grange participe à cette corvée. Dans son esprit, l’idée de s’évader germe depuis longtemps. Les circonstances paraissent propices. Quelle sera la réaction de ses voisins qu’il ne connaît pas ? À cette incertitude s’ajoute l’absence des capitaines Morand et Delmas favorables à une évasion. Après réflexion, il renonce à saisir sa chance dans l’immédiat. Une autre occasion se présente en fin de journée. Le train s’arrête à la suite d’une alerte aérienne. Les gardiens adoptent le dispositif habituel de surveillance autour de chaque wagon. Leur vigilance ne se relâche pas. L’officier remet à plus tard son projet. Le train repart. La nuit tombée, il arrive en gare de Montchanin.

Si ce n’étaient la multiplication des actes de sabotage sur la voie ferrée et la précarité des conditions de vie - impossibilité de se laver, chaleur accablante, espace confiné, obscurité, manque de nourriture et d’eau - aucun événement ne marque la journée du 24, ponctuée par l’étape journalière à la station de Chagny, dans la nuit du jeudi au vendredi 25 août.

Le 25, le convoi reprend sa marche vers le nord. À 14 h 30, arrivée à l’entrée de la gare de Beaune, endommagée par un récent bombardement. La remise en état des installations, compte tenu des gros travaux à effectuer, laisse augurer d’un stationnement prolongé. À 15 h, une corvée de ravitaillement, surveillée par quelques gardiens, se rend au-devant d’un petit groupe de personnes qui apporte de la nourriture.

Le capitaine Grange estime que les conditions sont favorables pour s’enfuir. La voie ferrée surplombe un terrain en légère déclivité, recouvert de quelques taillis et de ronces. En contrebas, des jardins potagers. Au-delà, des vignes puis des habitations distantes du train, en ligne droite, d’une centaine de mètres. Avant de sortir du wagon, il demande au capitaine Morand de se joindre à lui et de prévenir le chef d’escadrons Delmas.

À peine a-t-il mis pied à terre qu’une sentinelle lui fait signe de réintégrer le wagon. L’officier simule des maux de ventre si bien que l’Allemand n’insiste pas. Alors, il baisse son pantalon, s’accroupit, et dans cette position, progressivement, mètre par mètre, profitant des couverts d’une maigre végétation, il s’éloigne de la voie jusqu’à un petit massif d’arbustes derrière lequel il a l’intention de se dissimuler. Sans encombre, il atteint l’endroit repéré. Avant de faire un nouveau bond, il réajuste son pantalon. En amont, sur un sentier parallèle à la voie, surgit une patrouille. Tout semble perdu. Tranquillement, il reprend sa posture initiale. Les soldats, manifestement leurrés, passent près de lui sans rien dire. Après avoir rampé lentement une dizaine de minutes au milieu de taillis de ronces peu touffus mais suffisants pour le cacher, il arrive en bordure d’un jardin potager. Aucune réaction des gardiens qui n’ont pas remarqué sa disparition. Cependant, depuis la voie ferrée, les Allemands disposent d’une excellente vue sur l’endroit qu’il a atteint. Plutôt que de fuir en courant au risque de donner l’éveil, il se transforme pour un moment en jardinier. Au milieu des carrés de légumes, d’abord courbé puis une bêche à la main, appliqué à retourner la terre, insensiblement, il se rapproche de la clôture sous le regard amusé de deux personnes. En un bond, le voici près du grillage au milieu d’un roncier. De l’autre côté, une vigne en friche. À l’aide d’un couteau, il ouvre une brèche puis s’y engouffre. Toujours en rampant, il s’éloigne.

Tout à coup, un bruit derrière lui. Est-ce quelqu’un qui lui vient en aide ou un Allemand ? En se retournant, il découvre étonné, longeant la vigne, un autre prisonnier embarqué dans le même wagon que lui. C’est un Luxembourgeois, embrigadé de force dans l’armée allemande. Après une permission, il a déserté pour rejoindre un maquis, du côté d’Aurillac, où il a été fait prisonnier.

Vers 18 h, de concert, les deux hommes arrivent à une maisonnette. Ils se réfugient dans la cave. Pour se remettre de leurs émotions et apaiser leur fringale, ils dégustent des confitures. Un bruit de pas et de bottes se rapproche. Juste le temps pour les deux évadés de s’aplatir sous des tonneaux. Deux soldats allemands pénètrent dans le local et s’arrêtent près des barriques. Nicht Gut ! La cave ne peut pas servir d’abri, en cas de bombardement, affirme l’un d’eux. Puis ils repartent. Le capitaine Grange et son compagnon poussent un soupir de soulagement. Aux environs de 21 h, ils découvrent dans les parages un hangar où ils s’installent pour passer la nuit. Des échos de voix leur parviennent du train encore tout proche. Une heure plus tard, en entendant le bruit caractéristique des locomotives et le crissement des rails, ils comprennent que les convois s’éloignent.

Avec l’émotion que l’on devine, ils apprennent le lendemain que le jour de leur évasion coïncide avec celui de la libération de Paris. Les Allemands, sur la défensive, sont toujours présents en Bourgogne. Après encore bien des péripéties, les deux hommes atteignent la région de Dun-les-Places où des maquisards les accueillent. Dans les premiers jours de septembre, très affaiblis, ils gagnent Tannay.

Audace, courage, détermination de ne pas subir le joug des nazis, permettent au capitaine Grange de réussir dans son entreprise. Opération risquée, lorsque l’on sait, comme l’observe Mgr. Piguet, qu’elle s’est soldée par un échec pour les rares détenus qui ont tenté leur chance :

« Dans notre convoi, d’un wagon de marchandises, quelques prisonniers réussirent à s’évader en cours de route. Plusieurs mois après, j’en eus des nouvelles : quelques-uns furent tués ou blessés dans leur chute du train en marche, d’autres furent repris par les Allemands. Il ne semble pas que l’évasion ait réussi pour beaucoup. »

Après une brève convalescence, le capitaine Grange réintègre, dans Vichy libéré, la garde en pleine transformation.

Que sont devenus, pendant ce temps, les autres officiers embarqués comme lui à Clermont-Ferrand le 20 août 1944 ? Le mercredi 30, au terme d’un voyage de dix jours et dix nuits, le train clermontois s’arrête dans la petite gare alsacienne de Rothau (Bas-Rhin). Les prisonniers débarquent puis partent à pied et en rang pour une nouvelle destination. Le cortège comprend de quatre à cinq cents personnes. Des groupes de la prison de Nancy se sont joints aux détenus du 92e. La colonne s’ébranle sur une route montante, constituée souvent de passages raides. L’allure très rapide met en difficultés les plus âgés. Insultes et coups pleuvent sur les malheureux qui doivent ainsi parcourir une distance de huit à neuf kilomètres. Enfin, dans un site de montagne hérissé de sapins, apparaît la porte du camp de Natzweiler.

Chacun mesure sa nouvelle condition et sa tragique horreur. Il y a les cris inhumains des gardiens, les énormes chiens dressés contre les déportés, l’aspect sinistre du camp, les atrocités racontées par les anciens qui s’empressent auprès des derniers arrivés, le crématoire qui crache sans arrêt sa fumée.

Dans la nuit du vendredi 1er au samedi 2 septembre, les SS reçoivent l’ordre d’évacuer le camp. Pendant trois jours, par colonnes successives, les déportés rejoignent la gare de Rothau où ils embarquent dans des wagons à bestiaux. En deux jours et demi, les convois via Munich atteignent Dachau. Les attaques aériennes aveugles mettent en péril la vie des malheureux déportés, comme l’écrit le chef d’escadrons Bouchardon :

« Notre wagon se soulevait à chaque explosion. Nous percevions les lueurs rouges des éclatements tout proches. Une fumée âcre nous prenait à la gorge. Entre deux rafales, une voix émue s’éleva de notre triste troupeau. Et jamais je ne l’oublierai. C’était celle d’un jeune prêtre catholique anglais parlant admirablement le français : « mes amis, dit-il, je ne sais pas quelles sont vos convictions religieuses ; dans quelques instants nous allons mourir. Je vous donne à tous l’absolution. Amen. Et maintenant recueillez-vous. »

Arrivés à Dachau, les officiers de la garde connaissent des sorts différents. Les uns restent sur place, les autres sont transférés à Mathausen, Melk, Neuengamme. Dans cet univers barbare tout, comme en témoignent les rescapés, devient hallucinant : sadisme des gardiens, défilé en musique des travailleurs même invalides, appels interminables sous le vent glacial, crématoires crachant sans trêve leurs lugubres fumées, coups de nerf de bœuf et de matraques distribués férocement.

Jusqu’à la fin du mois d’août 1945, on n’a aucune nouvelle du chef d’escadrons Delmas présumé mort. À cette date, un de ses compagnons, de retour des camps, confirme sa disparition, le 9 décembre 1944, au camp de Melk où son corps a été incinéré au crématorium :

« Le commandant était arrivé à Melk avec un important groupe de Français. Je fis sa connaissance presque tout de suite et j’appréciai sa finesse, son caractère et son tranquille courage.

J’étais médecin-chef à l’infirmerie de cet affreux camp, ce qui me permettait de protéger les malades français de la stupide cruauté et de la lâcheté de certains de nos compagnons de bagne étrangers.

J’eus la peine de voir un jour, à la visite, le commandant Delmas, il avait une broncho-pneumonie. Il s’en remettait doucement lorsqu’il contracta un grave érésipèle qui devait l’emporter en trois jours.

Sa mort fut particulièrement douloureuse, mais ceux qui ont connu le commandant Delmas peuvent comprendre avec quel calme et quel courage tranquille cet officier français est mort. »

Le capitaine Morand, après un séjour au camp de Melk est transféré à celui de Mathausen où il décède à l’infirmerie, le 11 avril 1945, peu de temps avant l’arrivée des Alliés. Le commandant Lacroix disparaît lui aussi dans l’enfer concentrationnaire au début de la même année.

Initialement déporté à Dachau, le chef d’escadrons Bouchardon, devenu le matricule n° 62 490, connaît ensuite le camp de Neuengamme à l’est de Hambourg jusqu’à son évacuation le 19 avril. Les SS transportent les déportés, répartis dans trois trains, à bord de wagons à bestiaux, à destination respectivement de Bergen-Belsen (les malades), de Sandbostel et de Lübeck, ville portuaire sur les bords de la Baltique, en Allemagne du nord. L’officier se retrouve dans ce troisième convoi qui arrive à destination le 21 avril.

Ce n’est pas la fin du cauchemar. Une nouvelle et terrifiante étape attend les 15 000 malheureux que les SS embarquent et entassent, sans ménagement, dans les cales de trois cargos, l’Athen, le Thielbeck, le Deutchland et d’un ancien paquebot de croisière, le Cap Arcona, au mouillage dans la rade du port. Pendant plusieurs jours, du 21 avril au 3 mai, cette flotte reste à quai avec sa cargaison humaine confinée dans une atmosphère irrespirable, au fond de soutes obscures, sans nourriture, sans soins, à l’abandon.

Le 3 mai, dans la matinée, tous les bateaux de guerre ancrés dans le port de Lübeck gagnent le large. Quelques heures plus tard, les navires marchands armés par les SS, ayant à leur bord les déportés, les uns après les autres, mettent le cap sur le port de Neustadt. À bord de l’Athen, le chef d’escadrons Bouchardon partage le sort de 2 500 déportés, de toutes nationalités, répartis 500 par cale.

Vers 14 h 30, une escadrille de la R.A.F. surgit au-dessus du convoi, à hauteur de Kiel. Une attaque en piquée ne laisse aucune chance au Deutchland. Le cargo sombre immédiatement entraînant par le fond tous les déportés. Sur les autres navires, la D.C.A. servie par les SS ne détourne pas les avions de leurs objectifs. Plusieurs bombes atteignent l’Arcona et le Thielbeck. Touchés à mort, ils s’embrasent. Onze Français seulement sortent vivants des entrailles de l’Arcona. L’Athen réussit à quitter la zone soumise au pilonnage de l’aviation britannique.

Ce qui se passe, depuis le début du bombardement, va au-delà des limites de l’horreur. Au total, 7 500 déportés disparaissent dans cette tragédie indicible, accompagnés dans la mort par 500 de leurs bourreaux. Un navire anglais, quelques heures plus tard, recueille in extremis plusieurs rescapés français parmi lesquels le chef d’escadrons Bouchardon.

Chapitre 9 - LE CRÉPUSCULE DE LA GARDE

Le 8, l’Allemagne capitule. L’officier, à demi moribond et réduit à l’état de squelette, retrouve progressivement des forces avant d’être rapatrié en France le 25 mai. Après une convalescence de quatre mois, il réintègre la gendarmerie, fin septembre 1945.

En ce mois de mai de la Victoire, comme le chef d’escadrons Bouchardon, le capitaine Garraud, recouvre la liberté. Plus de trois cents jours se sont écoulés depuis leur arrestation, leur passage à la prison du 92e, les interminables séances d’interrogatoire, la disparition du lieutenant-colonel Robelin, de M. Lévy, du lieutenant-colonel Marty, le départ pour l’Allemagne, l’évasion du capitaine Grange, enfin la mort dans les camps des commandants Lacroix et Delmas et du capitaine Morand.

Bien que meurtris dans leur chair et éprouvés dans leur cœur, les rescapés du drame qui vient de se jouer renaissent à la vie. Fidèles à leur idéal, tous rejoignent leur arme d’origine, soit la gendarmerie (chef d’escadrons Bouchardon, capitaines Grange, Puthoste et Garraud), soit les corps de troupes (commandant Tharaux) pour continuer à servir.

Dès la fin de l’hiver 1943-44, une période de turbulence, pleine d’incertitudes, commence pour la garde, qui va en s’accélérant après le débarquement. Un premier facteur de perturbation engendre le trouble : l’intensification des actions de la Résistance contre les forces de l’ordre. La vulnérabilité des bases arrière des escadrons déplacés, gardées seulement par quelques dizaines d’hommes, les expose aux attaques des maquisards à la recherche d’armes et de munitions.

En l’absence de l’escadron 8/3 (Figeac), déplacé dans le Limousin, des maquisards du Lot effectuent, dans la nuit du 31 mars au 1er avril 1944, un coup de main sur ses magasins. Le 31 mars, vers 22 h, une centaine d’hommes investissent simultanément le cantonnement occupé par un groupe des chantiers de jeunesse et le dépôt de la garde défendu par un poste de sept militaires. En quelques instants, après un échange de coups de feu, les assaillants neutralisent les sentinelles. L’état de deux d’entre elles, blessées par des éclats de grenades, nécessite leur évacuation vers l’hôpital. Jusqu’à 2 h du matin, les maquisards chargent dans leurs véhicules tous les matériels, en particulier l’armement : un fusil-mitrailleur, une mitrailleuse d’instruction, 18 fusils MAS 36, 16 pistolets, 15 000 grenades, 200 000 cartouches. Courant mai, les maquisards attaquent les dépôts des escadrons de Pontcharra, Annecy, Bourg et s’emparent d’armes, munitions et matériels.

Après le 6 juin, il ne se passe pas de jours sans que de nouveaux cantonnements ne soient visés par des opérations du même type. Les préposés à la surveillance se plient, dans la plupart des cas, aux injonctions des résistants et n’opposent aucune défense sérieuse à leurs agresseurs. Le 7 juin, un groupe armé investit la caserne de l’escadron de Châteauroux, sans rencontrer la moindre opposition. Il s’empare d’armes, munitions et effets d’habillement. Les gendarmes départementaux alertés ne réagissent pas. La Milice s’en mêle et menace de les déporter.

À Saint-Gaudens, dans la nuit du 7 au 8 juin, une trentaine d’individus armés attaquent la caserne de l’escadron 3/6, absent de la résidence. Les quatre gardes en faction se laissent désarmer. Les visiteurs pénètrent dans la poudrière et les magasins pour faire main basse sur des armes, des munitions, des outils de parc et divers matériels. Au même moment, à la caserne Laubadère, à Mirande, deux transfuges de l’escadron 2/6, les gardes Garmandia et Robert, en compagnie d’un jeune volontaire et du chef de bataillon Céroni, commandant le groupement centre du corps franc Pommiès, récupèrent des armes et des tenues. L’examen du compte rendu établi par l’adjudant-chef Brunet, commandant le dépôt, révèle une certaine entente avec les agresseurs :

« Mirande le 8 juin 1944.

Le 8 juin 1944 à 0 heure 45, une soixantaine environ d’individus armés en grande partie de mitraillettes ont fait irruption dans le quartier Laubadère dans les conditions suivantes :

Les gardes Garmendia du 2e escadron de Mirande et Poisson du 3e escadron de Saint-Gaudens, étaient comme sentinelles à la porte d’entrée principale à l’arrivée des assaillants ; ces deux gardes sans même donner l’alerte ont ouvert toutes grandes les portes et les ont laissés pénétrer à l’intérieur.

Ces deux militaires étaient certainement de connivence puisque par la suite ils se sont enfuis en emportant leurs armes.

Le commandant de dépôt qui se trouvait au moment de l’arrivée de ces individus dans le poste de police ayant entendu marcher s’apprêtait à sortir lorsque la porte s’ouvrit et une mitraillette fut braquée sur lui à très courte distance le réduisant à l’impuissance.

À l’extérieur, le poste situé à l’extrémité de la soute à essence était en même temps réduit à l’impuissance et désarmé.

Parmi les attaquants se trouvait le garde Robert du 2e escadron de Mirande lequel aurait dû se trouver à l’hôpital militaire de Toulouse. Ce garde qui connaissait parfaitement les divers magasins et emplacements des divers matériels dirigeait les opérations en compagnie d’un civil paraissant être le chef principal ; aussitôt après une dizaine d’entre eux ont contraint le commandant du dépôt et les gardes désarmés à marcher devant eux. Ils ont ainsi pu désarmer les postes 3, 4 et 1 sans difficulté. Les militaires occupant ces différents postes ayant reconnu le commandant de dépôt et les gardes de Mirande n’ont pas ouvert le feu.

À l’extérieur du quartier, devant la porte se trouvait également un fort groupe d’individus.

Quelque temps après un camion a pénétré dans le quartier. Ils ont exigé que la soute à essence leur soit ouverte. Ils l’ont vidée de son contenu.

Par la suite, toujours sous la conduite du garde Robert, ils se sont dirigés vers les magasins où ils ont dérobé des vêtements militaires, chaussures et divers objets d’équipements en grande quantité.

Le side-car n° 11108 qui se trouvait à l’atelier ainsi que les munitions laissées au dépôt ont été également enlevés.

Pendant que s’effectuaient ainsi toutes ces opérations, le personnel du dépôt était tenu en respect derrière le bâtiment C à hauteur de la salle d’études et le poste téléphonique du poste de police était détérioré.

Vers deux heures du matin, ils se sont enfuis en emportant leur butin. L’appareil téléphonique ayant pu être mis en marche assez rapidement, la gendarmerie de Mirande et le 6e régiment de la garde ont été mis au courant verbalement. »

Si l’on se réfère au témoignage des auteurs du coup de main, on constate que le commandant du dépôt s’évertue à dégager la responsabilité de ses subordonnés, pour éviter des mesures de rétorsion, tant du commandement que des autorités allemandes. En surévaluant le nombre des assaillants, il tente de justifier l’inaction des sentinelles. En fait, le commando ne comprenait que quatre hommes. Pour disculper les deux gardes en service à l’entrée principale, le gradé signale la présence de Garmendia et de Poisson à ce poste. Or ces derniers ont rejoint, depuis plusieurs jours, le corps franc Pommiès. Dans la nuit du 17 au 18 juin, les maquisards investissent une nouvelle fois la caserne de l’escadron 2/6.

Le 15 juin, avec la complicité de ses camarades, accompagné par quatre membres du corps franc Pommiès, le garde Jules Pol, passé à la résistance en avril 1944, déleste l’escadron d’Aire-sur-Adour d’un lot de fusils, de couvertures et de chaussures.

À Vic-sur-Cère, le 28 juin, en plein midi, un groupe des F.F.I., renseigné par deux gardes ayant rejoint ses rangs, neutralise le poste de police de l’escadron. Dans le butin, on dénombre 2 mitrailleuses, un fusil-mitrailleur, 4 pistolets-mitrailleurs et 10 000 cartouches. immédiatement après, trois gardes se joignent aux maquisards. Le rapport rédigé par le commandant du dépôt chiffre à 100 individus le nombre des assaillants. En réalité, il ne s’agit que d’un petit élément d’une dizaine d’hommes, appartenant aux F.T.P. de la compagnie Alex, cantonnée entre Malbo et le Plomb du Cantal.

Le 15 juillet, caserne Desaix à Annecy, les gardes, réduits à l’impuissance par des maquisards, leur abandonnent 10 tonnes de matériels, d’armes et de munitions. De connivence avec eux, les gardes Pétrus, Poirier et Dejean profitent des circonstances pour se ranger à leurs côtés.

Les attaques, même si elles sont moins fréquentes, n’épargnent pas les unités déplacées pour le maintien de l’ordre. Lorsqu’ils envahissent le camp d’internement de Saint-Paul-d’Eyjeaux, le 11 juin, les F.T.P. désarment 60 gendarmes départementaux et l’escadron de la garde envoyé en renfort pour le défendre. Le 26 juin, en gare de Saint-Sulpice-Laurière (Haute-Vienne), des hommes du colonel Guingouin désarment et enlèvent dix gardes de passage dans la localité.

Après le déclenchement, le 6 juin 1944, du plan dit de maintien de l’ordre, élaboré par Darnand, en début d’année, pour faire front à des événements graves, le pouvoir concentre les forces mobiles de police (G.M.R., garde, forces supplétives de gendarmerie, francs-gardes de la Milice) dans les métropoles régionales et les villes menacées par les maquis. Partout, court-circuitant les préfets régionaux, la Milice détient en fait le pouvoir et l’exerce sous contrôle allemand.

La garde, malgré les vives réactions de ses chefs, subit son emprise de plus en plus forte. Supervisés par les intendants du maintien de l’ordre, pour la plupart miliciens, soumis aux contrôles des inspecteurs généraux du maintien de l’ordre également miliciens, des officiers supérieurs prennent le commandement des forces en uniforme. Leur mission consiste principalement à surveiller et à défendre les grands centres urbains et leurs environs immédiats. D’une façon générale, malgré les instructions qui les invitent à être plus actifs et à entreprendre des opérations largement au dehors des limites qui leurs sont fixées, ils ne s’aventurent pas hors des villes. Du reste, la police et l’armée allemande se réservent pratiquement les grandes opérations contre la Résistance.

Le climat de violence généralisé, qui s’amplifie à partir du second trimestre de l’année 1944, provoque sinon une détérioration du moral, en tout cas de nombreuses interrogations sur le bien-fondé de certaines missions. Les abandons de poste se multiplient. Nombre de rapprochements s’opèrent, entre des unités et la Résistance. C’est un second élément de perturbation.

Dans la région de Limoges, dès la fin mai, pour s’opposer à une attaque des maquis très entreprenants du colonel Guingouin, Darnand regroupe 10 G.M.R. et 15 escadrons jusqu’alors déployés dans les départements (Creuse, Haute-Vienne, Dordogne, Corrèze). À l’exception de quelques unités installées dans le réduit central, avec les troupes d’opérations et la Milice, la plupart des escadrons se repartissent à la périphérie où ils tiennent la deuxième ceinture de blockauss et des barrages. À leur tête, le colonel Mahuet, commandant le 3e régiment.

En Corrèze, les autorités maintiennent des moyens importants car les F.T.P. menacent Tulle depuis le 15 mai. Un groupement mixte des forces de Limoges (environ 500 hommes dont 2 escadrons de la garde, des G.M.R. et des miliciens), placé sous les ordres d’un officier de la garde, le lieutenant-colonel L.., tient la ville. Selon le préfet Trouillé, l’officier « excité, farouche partisan de la répression entretient les meilleures relations avec le responsable de la Milice Lejeune ». Il prend même contact avec les Allemands, pour coopérer avec eux en cas d’attaque du maquis. Le plan de défense, établi à la suite de cette concertation, attribue à son groupement la responsabilité du secteur situé à droite de la rivière Corrèze. Les troupes d’opérations prennent à leur compte la partie gauche. Le 25 mai, l’officier reçoit l’ordre de rejoindre Vichy. La direction de la garde, informée de son zèle, met fin à ses initiatives, en le plaçant en réserve de commandement.

Le lieutenant-colonel C..., du 6e régiment, lui succède. Contrairement à son prédécesseur note le préfet de la Corrèze « il n’est ni bochophile ni milicophile mais simplement un soldat de carrière qui défendra sa peau si le maquis veut la lui prendre ».

La situation à Tulle n’en est pas moins inquiétante. Le 1er juin, dans les faubourgs de la ville, on signale la présence de maquisards. Les miliciens craignent une action de leur part. Ils pressent le chef des forces du maintien de l’ordre de prendre des dispositions défensives. Le lieutenant-colonel C.. met en place, sur les R.N. 89 (Brive, Égletons), 141 (Figeac) et 120 (Limoges, Argentat), des barrages à l’effet de servir de « sonnette ». Leur mission consiste à tenir le plus longtemps possible derrière ces obstacles. En cas de trop forte pression, le repli est prévu sur deux points d’appui : la caserne du Champ de Mars et la préfecture où se trouve le P.C.

Les forces de l’ordre subissent, à partir du 4 juin, des tirs de harcèlement. Le 7, elles abandonnent leur position pour gagner Limoges. Le rapport n° 845/2 du 11 juin, établi par le lieutenant G.., adjoint au commandant de compagnie de gendarmerie de Tulle, rend compte des circonstances de leur départ :

« Le 7 juin, à 4 h 30, plusieurs rafales ont été tirées aux abords de la ville. Après une accalmie d’une heure le feu a repris de toute part. Les emplacements ci-après ont été attaqués : la caserne du Champ de Mars où stationnait la garde, l’école normale de jeunes filles, les hôtels Dufayet, la Trémolières (Feldgendarmerie) et l’école de Souillac où cantonnaient les troupes d’opérations. Vers 11 heures, la garde et les G.M.R. ont cessé toute résistance. Ils ont quitté la ville à 16 heures. Seules les troupes d’opérations continuaient à résister. »

L’exposé laconique de l’officier appelle quelques explications. Le 7 au matin, les F.T.P. enfoncent les barricades défendues par les gardes. Si une cinquantaine d’entre eux refluent vers la préfecture, beaucoup passent du côté des assaillants. Le lieutenant-colonel C.. estime les pertes (blessés et disparus) à 90 %. L’attaque sur la ville se développe. Une aile de la caserne du champ de Mars, touchée par un obus de mortier, prend feu.

En fin de matinée, intervient une suspension d’armes. On parlemente. Le lieutenant-colonel C.. refuse de se rendre avec ses troupes car dit-il « son honneur militaire lui interdit de capituler ». Cependant, il consent à cesser le combat. Ses interlocuteurs lui garantissent, avec tous ceux, gardes et G.M.R. qui voudront repartir sur Limoges, le libre passage sur la R.N. 20. À 16 h, le groupement prend la route de Limoges emmenant avec lui quelques miliciens qui ont troqué leur uniforme contre celui de la garde ou des G.M.R. Quelques drapeaux blancs apparaissent sur les véhicules. Signe de neutralité ? Expression de lâcheté ? Les interprétations varient selon les camps.

De même qu’à Limoges et à Tulle, à Lyon, Marseille, Clermont-Ferrand, Montpellier et Toulouse, les autorités mettent la garde à contribution. Dans la ville rose, l’intendant du maintien de l’ordre, René Marty, dispose d’un groupement mixte aux ordres du chef d’escadrons B.., du 6e régiment, constitué de 3 escadrons, de 5 G.M.R., de 5 pelotons territoriaux et d’une compagnie de gendarmerie. Ces formations gardent les ponts sur la Garonne, le canal du Midi et les points de franchissement routier sur la voie ferrée entre la Garonne et le canal.

Les moyens engagés dans le Massif Central, en particulier à Clermont-Ferrand, sont comparables. Le lieutenant-colonel H.., du 2e régiment, commande le groupement composé de pelotons de gendarmerie, de 3 G.M.R. et de 3 escadrons de la garde. Ce commandement lui confère autorité sur toutes les forces en uniforme. Il en résulte des conflits aigus, notamment avec la gendarmerie.

Le 8 juillet, une bande armée désarme un détachement de gendarmes chargés de garder le poste de distribution d’énergie électrique d’Anval, près d’Orcines (Puy-de-Dôme). Par décision n° 361 G.F.C./1 du 10 juillet, le lieutenant-colonel H.. met aux arrêts de rigueur le peloton incriminé. Le 15 juillet, nouveau contentieux. Il ordonne à la gendarmerie départementale de transférer, sous escorte, à l’office de Placement allemand, 21 gardiens du G.M.R. Auvergne révoqués et arrêtés à la suite du désarmement de leur groupe par le maquis le 25 juin. Le 17 juillet, il rappelle au lieutenant-colonel R.., commandant la légion de gendarmerie d’Auvergne, sous correspondance n° 489 G.F.C., qu’il n’a pas à transmettre directement à sa direction générale les dossiers disciplinaires de ses subordonnés. Ceux-ci doivent être acheminés par son intermédiaire.

À Vichy, pour protéger le Gouvernement et les représentations diplomatiques, la garde, avec 1 800 hommes, représente une partie importante de l’effectif de la garnison qui en compte 4 000. Le noyautage dont elle est l’objet, de la part de diverses organisations de résistance, provoque manifestement des déchirements.

À la mi-août, un troisième événement perturbateur affecte la garde. Il est directement le fait de l’occupant qui s’est manifesté déjà début juillet en arrêtant le lieutenant-colonel Robelin et 8 de ses officiers. Les Allemands craignent une rébellion des forces de l’ordre. Depuis le printemps, pour y faire face, les états-majors ont mis au point un plan de désarmement. Le journal de marche de l’état-major principal de liaison de Clermont-Ferrand, à la date du 25 mai, porte la mention « Exercice de désarmement de la police française ». Les autorités d’occupation, impuissantes à refouler les troupes débarquées en Normandie et incapables de juguler la guérilla qui s’intensifie sur l’ensemble du territoire, décident de passer à l’action. Le 9 août, la menace se précise. Une dépêche émanant du général Oberg, diffusée dans tous les services du SiPO-SD précise que les services de la gendarmerie et de la garde devaient être désarmés dans leur totalité en zone sud. La date de l’opération est fixée au 13 août.

La veille, par message, Darnand informe les intendants du maintien de l’ordre des intentions de l’occupant :

« Je viens d’être informé que les autorités allemandes vont procéder immédiatement au désarmement des unités de G.M.R., de la garde et des pelotons motorisés de gendarmerie. Dans la situation actuelle cette mesure est prise afin de bien situer l’action qui doit être menée par les forces du maintien de l’ordre dont le rôle est d’empêcher des troubles intérieurs, à l’exclusion de toute opération à caractère militaire. L’armement individuel sera laissé à ces troupes. Les autorités allemandes ont précisé qu’elles ne prendront pas d’autres mesures de quelque nature que ce soit à l’encontre des forces françaises du maintien de l’ordre à la condition que celles-ci exécutent loyalement la mission ci-dessus définie. »

Par suite de circonstances particulières, la garde n’est que partiellement dépouillée de ses armes. L’opération épargne le groupement de Vichy, fort d’une douzaine d’escadrons. À la demande du maréchal Pétain, qui estime indispensable le maintien dans la capitale de l’État français d’une force armée capable d’assurer la sécurité du Gouvernement et du corps diplomatique, l’ambassadeur de Suisse à Vichy intervient auprès des autorités allemandes pour qu’elles rapportent leur décision, au moins pour les unités de la garde. Son émissaire obtient satisfaction. Les escadrons déplacés à Vichy ne connaîtront pas l’humiliation de rendre leurs armes.

Pour des raisons différentes, les escadrons déplacés à Limoges échappent également au désarmement. Le général Gleiniger, chef de l’état-major de liaison, considère inapplicable l’ordre de désarmer les forces de l’ordre. Gardes et G.M.R. ceinturent l’agglomération. Les troupes allemandes, encasernées à l’intérieur, courent le risque, en cas de rébellion, d’être prises dans une nasse. S’il n’exécute pas les instructions c’est, écrit-il dans un compte rendu justificatif « par suite du rapport défavorable des forces ».

À l’exception de Vichy et de Limoges, partout ailleurs, les Allemands s’emparent de l’armement de la garde (Clermont-Ferrand, Lyon, Toulouse, Riom, Montluçon, etc.). Comme ils redoutent des réactions, ils agissent prudemment. Le commandant du 1er bataillon du régiment de sécurité 1000, à Clermont-Ferrand, rapporte le stratagème auquel il a recours pour limiter les risques :

« Je reçus l’ordre de désarmer la police française à Clermont-Ferrand. Il y avait trois sortes de police qui logeaient dans trois casernes différentes. Comment pouvais-je réussir sans effusion de sang ? J’allai trouver dans sa villa l’officier de police allemand ; il me dit qu’il connaissait le colonel qui commandait les trois polices françaises. Nous convînmes qu’il inviterait le colonel chez lui et le retiendrait toute la nuit afin que le lendemain matin, quand mes compagnies se présenteraient dans les casernes, il puisse donner aux polices l’ordre téléphoné de livrer toutes les armes et munitions. Cela marcha merveilleusement ; dans toutes les casernes les armes et le reste furent livrés suivant les listes d’inventaires disponibles. Il ne coula pas une goutte de sang… »

Sur ordre du général Perré, les 3 escadrons de Clermont-Ferrand rejoignent Vichy pour être rééquipés. À la suite de l’intrusion des militaires allemands dans les casernements, plusieurs dizaines de gardes passent au maquis. Quelques tentatives des miliciens pour s’approprier des armes dans les escadrons échouent. La détermination des commandants d’unités suffit à les dissuader. Au lendemain du débarquement de Provence, l’escadron 4/4 (Montluçon), déplacé dans la région de Vichy depuis le 10 mai 1944 pour garder des installations sensibles (usine à gaz, etc.), cantonne au camp de Cusset. En fin de journée, aux alentours de 18 h 30, un chef de la Milice se présente au poste de police et demande à parler au commandant d’unité. Le capitaine Lavallard, immédiatement prévenu, vient sur place. D’emblée, le milicien lui donne un délai de deux heures pour regrouper toutes les armes individuelles et collectives. Puis, il annonce qu’il reviendra pour en prendre livraison.

L’officier, au son du clairon, rassemble les gardes. Après avoir exposé les faits, il fixe la mission : empêcher toute agression et pénétration de la Milice à l’intérieur du camp. Les gardes rejoignent leurs emplacements de combat. Vers 21 h, le milicien arrive devant le poste de police à bord d’une traction avant Citroën. Un F.M. dépasse de la vitre arrière. L’intéressé descend du véhicule, sûr de lui. Le capitaine Lavallard, qui l’attend, n’est pas du genre à se laisser impressionner. Tout net, il lui déclare qu’il fera usage des armes s’il persiste dans ses prétentions. L’intrus n’insiste pas et quitte les lieux.

À partir du mois d’août 1944, la garde entre dans une phase de déstabilisation, prélude à son éclatement. Les contacts avec la Résistance se multiplient qui aboutissent à des accords locaux. Le ralliement tardif des 15 escadrons stationnés à Limoges, dans la nuit du 20 au 21 août, quelques heures seulement avant la capitulation de la garnison allemande, suscite de légitimes interrogations. Les gardes, comme certains l’affirment, se sont-ils rendus in extremis aux raisons de la Résistance ?

Le lieutenant-colonel Besson, commandant de groupe au 5e régiment, après l’arrestation du lieutenant-colonel Robelin, décide en parfait accord avec l’O.R.A. d’agir au profit de la Résistance du Limousin. À l’insu de son chef, le colonel Mahuet, prisonnier de la Milice et qui n’a aucune sympathie pour la Résistance, il rallie à ses idées les autres commandants de groupe. Début juillet, une réunion secrète, présidée par le colonel Paquette, chef régional de l’O.R.A., se tient dans les locaux de l’état-major du 5e régiment, à la caserne de la Visitation. L’officier convient avec lui que les trois régiments déplacés à Limoges agiront en bloc avec la Résistance, quand l’ordre en sera donné. Dans cette affaire, le représentant de l’O.R.A. a agi en étroite liaison avec le D.M.R. En attendant l’heure « H », les escadrons stationnés à Limoges doivent intensifier l’aide qu’ils apportent aux groupes du maquis depuis le 6 juin.

Le 9 août, les chefs civils et militaires de la région 5 et le représentant de la garde se réunissent à Serheillac, pour organiser le commandement F.F.I. La garde accepte de se mettre à la disposition du chef départemental, dès sa nomination. Cette fonction échoit au colonel Guingouin. Une note du D.M.R. 5, « Chasseigne » (Déchelette), confirme au lieutenant-colonel Besson ce que l’on attend de la garde :

«- soit attaquer immédiatement les Allemands et la Milice, où qu’ils soient, aux alentours de Limoges en particulier. Dans ce cas ils auront la possibilité de rejoindre la Résistance, de conserver leurs armes en se plaçant sous le commandement des chefs F.F.I. ;

- soit se mettre à la disposition des chefs F.F.I. et déposer leurs armes. »

Autre consigne donnée à l’officier : il doit transmettre à tous les échelons, sauf ceux qu’il convient de tenir à l’écart, sous sa responsabilité, pour des raisons de sécurité, les directives reçues et les faire exécuter sans se retrancher derrière une hiérarchie quelconque. Des hésitations se produisent car il en coûte à certains cadres, foncièrement anticommunistes, de passer sous le commandement d’un chef F.T.P.. D’ailleurs, le 12 août, peu nombreux sont les membres des forces de l’ordre qui ont répondu à son appel les invitant à rejoindre sa troupe, forte de plusieurs milliers d’hommes.

Le 15 août, malgré une rencontre entre le lieutenant-colonel Raulet et le colonel Guingouin, la situation n’évolue pas. Or le chef des F.T.P. estime urgent le ralliement de la garde. Il lui paraît de nature à pouvoir influencer le moral des troupes du général Gleiniger et peut-être conduire leur chef à capituler. Dès le lendemain, il adresse de nouvelles instructions au lieutenant-colonel Besson :

«… Nous vous demandons de faire quitter immédiatement à toutes vos unités munies de leurs armes et de leur matériel les positions qu’elles occupent dans la ville de Limoges.

Il est grand temps de prendre position. Tarder encore à la veille de la libération de la ville par nos forces, c’est risquer de placer vos unités entre l’enclume et le marteau, d’être désarmés par le boche, ou même de voir des mesures graves prises par la Kommandantur contre votre commandement, contre les cadres et les hommes dans le cas vraisemblable où vos forces auront refusé le combat devant nos opérations.

En conséquence, le mouvement doit s’effectuer immédiatement, c’est-à-dire - dans les limites du possible - 48 heures à réception de l’ordre nous semblent un délai suffisant.

Vous devez vous-mêmes, à la sortie, faire déterminer et reconnaître par vos officiers, en liaison avec nos unités qui investissent la ville, les lieux de campement dans un rayon de 20 kilomètres.

Il est entendu qu’il n’est nullement question de disjoindre vos unités qui conserveront leur constitution et leurs cadres, sous réserve de cas de personnes qui peuvent se poser et qui seront examinés avec vous.

Vos unités se placent, dans leur constitution actuelle, sous le commandement de l’état-major F.F.I. du département. Il sera fait appel dans le cadre de chaque unité au volontariat pour les opérations ou missions ; les éléments qui s’y refuseront seront désarmés et employés sous les ordres du Commandement des Forces françaises de l’Intérieur… »

Le 17, le lieutenant-colonel Besson, nouveau chef de la garde, après la démission du colonel Mahuet, se rend à la réunion organisée à Linard par les responsables de la Résistance. À l’hôtel Champseix, le colonel Gingouin, entouré du colonel Paquette, de Jean Chaintron et du major Staunton, confirme les instructions données la veille à la garde. Suit un échange de vues sur les opérations envisagées pour libérer Limoges.

Le 19, le déclenchement de la grève générale précipite les événements. Dans la nuit du 20 au 21, gardes et G.M.R. reçoivent l’ordre de décrocher pour rejoindre le maquis. Pendant ce temps, le commandement des F.F.I. entame des pourparlers de reddition avec le général Gleiniger. Comme prévu, la défection des forces de l’ordre, en affaiblissant le dispositif de défense des troupes allemandes, pèse sur la suite des événements. Le mouvement des escadrons s’effectue sans incident. À ce sujet, le lieutenant-colonel Besson écrit :

« Les faits ont démontré que les précautions indispensables avaient été prises. L’ennemi surpris n’a pas eu le temps de réagir. Furieux, le général Gleiniger a refusé de se rendre à la garde comme cela lui a été proposé dans les conditions de reddition. »

Effectivement, au cours de la négociation qui se déroule le 21, de 16 à 18 h 15, le général Gleiniger pose la question de la présence éventuelle d’un piquet d’honneur au moment de la reddition de ses troupes. Le major Staunton, de la délégation alliée, lui propose un officier et six sous-officiers anglo-américains. La réponse du général fuse :

« Je préfère la reddition sans aucune cérémonie en ce qui concerne la reddition des troupes. Je préfère qu’elles se rendent aux F.F.I. plutôt qu’à la garde en qui je n’ai plus confiance. Je voudrais que ce soit des détachements de l’A.S. »

Limoges libérée, le colonel Guingouin organise la protection de la ville. La garde doit tenir la zone de défense intermédiaire, d’un rayon de 15 kilomètres, pour s’opposer à tout retour offensif de l’ennemi.

Dans la région de Lyon où il est implanté, le 1er régiment, très dispersé au moment du débarquement (escadron 1/1 à Riom, 3/1 à Montluçon, 5/1 à Lyon, 6/1 à la résidence à Chambéry etc.), connaît un sort diffèrent des autres regroupés à Limoges et à Vichy. Son chef de corps, le colonel Bretegnier, vient d’être désigné au début du mois pour prendre, dans le cadre du plan de M.O., le commandement des forces mobiles de la région administrative. Quotidiennement confronté à l’intendant régional du maintien de l’ordre et au commandant du groupement d’opération, le milicien de Bernonville, il fait front pour empêcher que la garde ne soit entraînée conjointement avec les troupes allemandes dans des opérations contre le maquis. S’il ne lui est pas toujours possible de s’opposer à leurs initiatives, il essaye néanmoins chaque fois d’en limiter les conséquences. Patient et confiant, il attend le signal convenu que doit lui donner le lieutenant-colonel Robelin ou à défaut le représentant du comité d’Alger à Lyon, avec lequel il a été mis en contact par le colonel de Lanoyerie, pour rejoindre la Résistance à la tête de son régiment. Déjà, à la fin du mois de mai, n’ayant pas d’instructions sur le passage global de la garde au maquis, il en a fait part au sous-directeur technique qui l’a assuré qu’il serait prévenu en temps utile par le simple message suivant : « Je pars ».

Dès la mi-juin, grâce aux fonctions qu’il occupe, il presse la réalisation du regroupement de ses escadrons sur Lyon. Un seul en effet est sur place chargé d’assurer la sécurité de la préfecture régionale. Tout se complique dans les semaines qui suivent avec l’arrestation du lieutenant-colonel Robelin mais aussi le départ dans les rangs des F.F.I., isolément ou par petits groupes, de nombreux militaires du régiment dont le potentiel commence à s’effriter. Le désarmement par les Allemands, sur la demande de la Milice, de l’escadron de Grenoble, provoque de nouvelles défections. La rumeur se répand parmi les personnels que le rassemblement du régiment sur Lyon n’est qu’un prétexte pour le neutraliser et l’interner. Il en résulte de nouveaux abandons de poste.

Néanmoins, dans la première quinzaine de juillet, la moitié du régiment se trouve déjà à Lyon (4e, 5e, 7e et 8e escadrons). Pour qu’il soit au complet, il ne manque que le 2/1 déplacé à Pont d’Ain, le 3/1 détaché à Montluçon, le 1/1 en service à Riom et le 6/1 en résidence à Chambéry. Si le retour sur Lyon des escadrons déplacés hors région reste très hypothétique, en revanche celui du 2/1 et du 6/1 paraît possible. Le chef de corps visite les escadrons et invite ouvertement les personnels à patienter dans l’attente du départ prochain au maquis.

À la suite de l’arrestation du lieutenant-colonel Robelin, craignant que l’action d’ensemble des 6 régiments ne soit plus coordonnée pour passer au maquis alors qu’il y a urgence, début août, il envoie le chef d’escadrons M.. auprès du général directeur, à Vichy, pour demander des instructions. Cet officier supérieur revient avec l’ordre de ne rien entreprendre sous peine d’être fusillé. Le colonel Bretegnier décide alors d’agir seul selon son plan.

Le 5 août, le lieutenant Ribault, commandant l’escadron 2/1, fortement sollicité par des chefs du maquis de l’Ain, les rejoint avec son unité. Le commandement rend compte aux autorités que l’escadron est prisonnier du maquis. Reste l’escadron 6/1, toujours dans sa résidence à Chambéry, très convoité par les maquis de Savoie avec lesquels sont chef, le capitaine Perrollaz, entretient depuis longtemps des rapports très étroits.

Pour pouvoir disposer du plus grand nombre d’escadrons, le colonel Bretegnier projette alors de replier sur Chambéry les 4 qui se trouvent à Lyon. À partir de cette base de concentration, située à proximité de la haute montagne, il sera facile au régiment de gagner sa zone de stationnement définitive. Il fixe au 12 août le départ des escadrons de Lyon à destination de Chambéry. Pour ne pas attirer l’attention des autorités, le déplacement doit s’effectuer sous le couvert d’une opération montée en vue de dégager l’escadron 2/1, à Pont d’Ain, signalé comme étant aux mains du maquis. Le directeur des opérations du maintien de l’ordre ne se doute de rien et donne son aval. Les unités prennent la route de la Savoie avec tout leur armement, leurs munitions et leurs véhicules.

Alors que la partie semble gagnée, certains escadrons s’arrêtent à Bourgoin, d’autres tombent sur des barrages des F.F.I. qui les arrêtent. Le 13, tous sont de retour à Lyon où les Allemands les désarment.

Le chef de corps ne renonce pas à son projet de passer avec ses gardes à la Résistance. Le 16 août, il donne l’ordre aux unités qui se trouvent à Lyon de le rejoindre à Belley où il a pris contact avec plusieurs chefs de maquis. Le 17, il rencontre à son P.C. à Plagnes (Ain) le colonel Romans-Petit qui lui réserve un accueil très cordial et le met en rapport avec le commandant Chabot chargé d’accueillir les escadrons dans son secteur. Le lendemain, les deux officiers conviennent de les regrouper dans la région Lantenay-Dutrioz. À Lantenay, choisi comme P.C. du régiment, se trouve déjà depuis le 5 août l’escadron 2/1, au complet, avec armes et bagages. Depuis son arrivée, il participe à des opérations contre les Allemands avec le groupe Chabot.

À Lyon, les subordonnés directs du colonel Bretegnier restent sourds à ses ordres. L’émissaire qu’il envoie sur place le 18 revient le lendemain et rend compte qu’il a transmis les instructions. D’après ses constatations, les gardes de la Part-Dieu s’étonnent de ne pas recevoir l’ordre de départ. Or la grosse majorité souhaite rallier la Résistance. Pourquoi cette inertie ? La réponse lui parvient, tard dans la soirée du 19, par l’intermédiaire de son secrétaire, l’adjudant Longeret, en provenance de Lyon. Les deux officiers supérieurs présents à la caserne ont bien reçu les ordres mais ne les ont pas communiqués aux commandants d’escadrons. D’autre part, il apprend que le général Bière, commissaire régional de Lyon, d’accord avec le préfet régional Boutmy et un chef de la Résistance, M. Frédéric, l’invitent à revenir sur place pour assurer le commandement du régiment. En outre, ils le désignent pour prendre la tête de toutes les forces de police. Le colonel Bretegnier renvoie son émissaire à Lyon porteur de deux messages, l’un destiné au général Bière, l’autre à l’officier supérieur de la garde qui le représente. Il décline l’offre du premier tant que les Allemands n’auront pas été chassés de la capitale des Gaules. Au second, il renouvelle son ordre de faire venir immédiatement à Lantenay, par petits paquets, les escadrons de Lyon.

Le 22 au soir, l’adjudant Longeret apporte à son chef de nouveaux éléments. Le général Bière confirme au colonel Bretegnier qu’il prendra le commandement de toutes les forces de police de Lyon dès le départ des Allemands. Son adjoint n’a toujours pas répercuté les directives reçues.

Dans les jours qui suivent, las d’attendre, par petits groupes, des gradés et des gardes (20 de l’escadron 1/1, 36 de l’escadron 3/1 (dépôt), 23 du 5/1, 2 du 7/1 et 1 du 8/1) se mettent en route d’initiative pour rejoindre leur colonel au maquis. L’escadron de marche immédiatement constitué avec ces éléments déjà armés prend part aux opérations du groupe Chabot. Le 23, le capitaine Duret (escadron 3/1), permissionnaire dans la région de Bourgoin qui vient de tomber aux mains de la Résistance, se met à la disposition de son chef de corps. À nouveau, ce dernier dirige sur Lyon deux messagers pour réitérer ses ordres. Le 24, de sa propre autorité, le lieutenant Fichter, commandant l’escadron 4/1, arrive à son tour au maquis avec 88 de ses hommes armés seulement de pistolets. Le capitaine Duret propose de le diriger sur Bourgoin pour le réarmer, opération qui serait facilitée par ses bonnes relations avec les membres de la Résistance. Le colonel se rend sur place avec l’escadron pour veiller au déroulement des opérations de réarmement. Depuis Bourgoin libérée, il entreprend des démarches en vue de récupérer les escadrons 2/1 et 6/1 de façon à pouvoir reconstituer, avec le 4/1 et l’escadron de marche mis sur pied, une partie du régiment. Celui-ci serait alors en état de prendre part à la bataille.

Le 26, le commandant Chabert, chef des F.F.I. du secteur de Bourgoin, donne l’ordre d’arrêter les gardes de l’escadron 4/1. C’est la confusion. La médiation du capitaine Duret permet d’arranger l’affaire. Le commandement des F.F.I. engage l’escadron 4/1 dans l’Isère où des opérations sont en cours.

L’impossibilité de regrouper les escadrons du régiment et de les mener ensemble au combat conduit le colonel Bretegnier à se rendre à Grenoble pour demander l’appui du général Humbert, gouverneur de la ville. Le général le reçoit et, après avoir entendu l’exposé de la situation, lui promet de le seconder dans ses efforts pour regrouper le 1er régiment. De retour à Bourgoin, le colonel constitue un groupe franc bien armé qui va prendre part aux opérations aux côtés des F.F.I. Les jours passent. Sa démarche à Grenoble n’apporte pas les résultats escomptés. Finalement, Lyon est libérée le 3 septembre sans que le 1er régiment, malgré les efforts accomplis par son chef, y participe en tant que tel. Le 2/1 se bat dans la région d’Ambérieu, le 6/1 en Maurienne, le 4/1 et une partie du 5/1 dans l’Isère, enfin le 3/1 en Auvergne. Quelques jours après le départ des Allemands, M. Yves Farges, commissaire régional de la République, dissout les escadrons stationnés à Lyon.

Affecté en qualité de Grand Prévôt auprès de la 1re armée du général de Lattre de Tassigny, quelques mois plus tard le colonel Bretegnier organisera en Allemagne la gendarmerie d’occupation.

À Toulouse, les Allemands évacuent la ville le 19 août, après des combats sporadiques auxquels participent quelques gardes sous les ordres du chef d’escadrons Millot. Le 20 au soir, le colonel Georges, commandant les F.T.P. du Lot, arrive avec ses hommes et se voit confier la responsabilité de l’ordre public. Ici encore, la prise du pouvoir par les nouvelles autorités est lourde de conséquences pour la garde. Julien Bertaux, commissaire régional de la République, dissous le 6e régiment implanté dans la région administrative. En fait, la mesure ne s’applique qu’aux trois escadrons (3/6 de Saint-Gaudens, 7/6 de Marmande et 8/6 d’Aire-sur-Adour) mis à la disposition de l’intendant régional du maintien de l’ordre au début du mois de juin. La mesure reste sans effet sur tous les autres déplacés hors région. Le 24, le commandant régional des F.F.I., Serge Ravanel, s’adresse dans un ordre du jour aux forces de l’ordre :

« Gardes-mobiles, G.M.R., le chef régional des F.F.I. dissout vos groupes. Par cette mesure il fait rentrer les gardes-mobiles et les G.M.R. dans la communauté des Français. Il sait que la plupart d’entre vous ont vaillamment et loyalement combattu l’Allemand. Aussi il vous invite à vous engager dans les unités des forces françaises de l’intérieur pour combattre les ennemis de la France aux côtés des soldats de la libération. »

Évoquant les décisions prises à Toulouse et à Lyon, le colonel Franque, dans une étude sur la garde, l’attribue à une « attitude irréfléchie ». En 1995, Serge Ravanel s’en explique :

« S’il (le général de Gaulle) m’avait demandé pourquoi (cette dissolution), je lui aurai rappelé qu’ils s’étaient distingués pendant l’Occupation par leur action brutale contre la Résistance.

Je lui aurai raconté que le mercredi 23 février 1944, à la prison d’Eysses, ces G.M.R. avaient fusillé 12 résistants. Un lieutenant Martin, officier des G.M.R. s’était même porté volontaire pour commander le peloton d’exécution.

Quelques jours auparavant, un autre peloton de G.M.R. avait fusillé 12 détenus à la prison Saint-Michel après leur condamnation à mort par une cour martiale vichyste…

Les gardes mobiles n’étaient pas en reste.

Bref, nous avions consigné G.M.R. et gardes-mobiles en attendant que le Gouvernement décide ce qu’il conviendrait d’en faire. Le général de Gaulle aurait-il souhaité qu’oublieux de ces faits nous demandions à cette police, symbole haï du régime vichyste de s’occuper du maintien de l’ordre pour le compte du Gouvernement ? Quelle image la nouvelle République aurait-elle donné d’elle-même ? »

Julien Bertaux défend la même ligne. Il considère qu’à Paris, lorsqu’on lui a reproché d’avoir prononcé la dissolution des forces de l’ordre, on n’a pas pris en compte la situation locale :

« J’avais beau leur dire que ces forces de maintien de l’ordre qui avaient servi Vichy et combattu le maquis, je ne pouvais décemment les employer, quel que fut leur dévouement au nouveau régime… Je leur ai dit à Paris que j’avais eu le sentiment par cette mesure qu’on réprouvait - accompagnée par la décision de charger le colonel Georges, commandant les F.F.I. du Lot de rétablir l’ordre dans Toulouse - d’avoir sauvé la situation et évité le pire qui aurait fort bien pu se produire… »

Les maquisards eux-mêmes ne dissimulaient pas, comme en Auvergne et dans le Limousin, leur « répugnance à coopérer, à peine sortis des maquis, avec les forces de l’ordre qui, à peine un mois avant, venaient les attaquer ».

La région de Vichy constitue, avec une douzaine d’escadrons (1 800 hommes), sous les ordres du général Le Bars, le second pôle de concentration des unités, après Limoges qui en compte 15 (2 000 hommes). La troupe, traversée par différents courants, noyautée par les organisations de résistance qui la sollicite en ordre dispersé, troublée par l’arrestation des officiers de la sous-direction technique et la défection massive de l’école de Guéret est considérablement fragilisée.

Dans la première quinzaine du juillet, Dudenhöffer (Roger), fonctionnaire à la direction des Mines à Vichy, chef local de l’A.S. depuis la fin de l’année 1942 connu sous les pseudonymes de Dulac puis de 616 et enfin de Pontcarral, fait contacter par les membres de son équipe (commandant Gouraud, lieutenant de vaisseau Storelli, capitaines Chatenay, Dailly, Rousseau, François, lieutenant-colonel Valette, M. Moinard adjoint au maire) les chefs sympathisants des formations de la garnison de Vichy (garde personnelle du Maréchal, garde, gendarmerie, G.M.R., police urbaine, éléments de la marine et de l’armée de l’Air) pour obtenir leur ralliement à la Résistance. Ces forces représentent un potentiel d’au moins 4 500 hommes. Disciplinées, bien encadrées, dotées d’une puissance de feu appréciable (60 mitrailleuses, 140 F.M., 320 P.M. et 3 000 fusils) leur concours ne peut être que bénéfique au F.F.I. dans la perspective de la libération de Vichy.

Le capitaine François (mouvement de résistance des prisonniers de guerre et déportés), à la demande de Dudenhöffer et du lieutenant-colonel Colliou (Roussel) accrédité à l’origine par l’O.R.A. pour assurer la liaison avec la garde, se rapproche des commandants d’unités signalés comme sûrs. La plupart paraissent disposés à passer à l’action aux côtés de la Résistance. Mais il n’est pas facile pour eux de se déterminer car, dans le même temps, des chefs de maquis les sollicitent. Un exemple significatif révèle les incertitudes auxquelles ils sont confrontés. Le capitaine Beller, commandant l’escadron 1/2 d’Aubenas, déplacé à Puy-Guillaume (Puy-de-Dôme), reçoit le 15 août la visite du commandant René, chef d’un maquis F.F.I. de Saint-Victor, qui lui demande de le rejoindre avec ses hommes. Embarras de l’officier. Depuis le mois de mai, il est en relation avec le commandant Serge Renaudin d’Yvoir (Victoire) placé maintenant à la tête du groupement des F.F.I. de la zone de guérilla n° 16 de Thiers. Le capitaine, en fin de compte, opte pour le maquis du commandant René. Tout est prévu. Un guide doit prendre l’escadron en charge le 17, au château de La Motte, pour le conduire à son lieu de stationnement. Comme les gardes ne trouvent personne au lieu du rendez-vous, ils reviennent à leur cantonnement.

Le même jour, le commandant Thiolet, commandant le groupe d’escadrons, arrive à l’escadron 1/2 et avec le capitaine Beller établit la liaison avec un autre commandant des F.F.I. Cette fois, le passage au maquis de plusieurs escadrons du 2e régiment se précise. L’escadron d’Aubenas reçoit l’ordre de se porter au camp des Calabres, à 3 kilomètres de Vichy. Rendu sur place, il y passe les journées du 18 et du 19. Dans la soirée, nouvelles instructions. Le capitaine rassemble l’escadron et lui tient ce discours :

« Gardes, cette fois c’est officiel, nous allons partir en unités constituées, le groupement Thiolet composé de quatre escadrons. Le Maréchal nous a rendu notre parole et va être enlevé par les SS cette nuit !….et comme il ne veut pas d’effusion de sang, il nous laisse liberté de manœuvre et le colonel nous donne ordre de partir. »

Les gardes se préparent au départ. Un contre-ordre arrive, motivé par l’organisation d’une réunion de tous les officiers à la direction générale. En définitive, l’escadron reste en alerte, au camp des Calabres, jusqu’au 26 août.

Les tractations avec la garde se poursuivent de manière aussi confuse avec d’autres escadrons. Pierre Pourtier, chargé de mission auprès de la 14e zone F.F.I. de l’Allier (Ambert), évoque ses démarches auprès des officiers du 4e régiment :

« Le vendredi 18 août, le lieutenant Benoît (André Houbert) 5e compagnie de Corps Francs, E.M. 14e zone, me rendait visite et me priait de l’accompagner dans ses démarches en vue de coordonner les plans touchant l’éventuelle libération de Vichy. C’est ainsi que nous fûmes amenés à prendre contact avec des éléments du 4e régiment de la garde assurant le contrôle du Pont d’Abrest. Ces gardes nous semblaient décidés à l’action contre l’ennemi. Plusieurs nous invitèrent à nous rendre auprès de leur colonel. C’est ainsi qu’après des courtes démarches, dans la soirée du 18, que le lieutenant Benoît que j’accompagnais, prenait contact avec le colonel Grendrault, lequel après présentation de nos cartes F.F.I. fut des plus chaleureux. Dès les premiers pourparlers nous tombions d’accord et l’appui du régiment nous était assuré par la voix de son chef.

Prévenus du départ de certains hommes (désertions), nous assurions le colonel qu’il ne s’agissait, en aucun cas de notre action et que bien au contraire, nous ferions tout pour encourager les gardes à rester en place et attendre les ordres de leur chef… »

Pourquoi ces hésitations, ordres, contre-ordres qui paralysent et retardent l’engagement de la garde aux côtés des maquisards ? L’action entreprise à la mi-août, par le général Perré, les explique partiellement.

Entre le 14 et le 20 août, le directeur général entend mettre la garde à la disposition du chef de l’État qui redoute d’être enlevé par les Allemands ou la Milice. Dans un souci de discrétion, pour ne pas donner l’éveil, par l’intermédiaire du chef d’escadrons Chazalmartin et du capitaine Auriol, le maréchal Pétain fait connaître le 14 au général Perré son intention de se réfugier dans un château, aux environs de Boussac (Creuse), en attendant de pouvoir se mettre en relation avec le Grand Quartier général des Alliés. Il demande au directeur de la garde de lui fournir deux camionnettes et l’armement nécessaire pour équiper un petit groupe d’une trentaine de volontaires en civils. Le général Perré considère que le moment est venu, pour sauvegarder la liberté d’action du chef de l’État, d’engager sa troupe. Il s’en explique :

« Si le projet du Maréchal, écrit-il, ne peut me surprendre… il me pose comme responsable de la garde un cas de conscience. J’ai par mon influence personnelle maintenu cette troupe dans la fidélité, mais au moment où il n’y a plus en fonction à Vichy un chef légitime de l’État, il ne doit plus y avoir de formations régulières françaises ; du reste si je voulais les y maintenir, elles ne manqueraient pas d’être désarmées, cette fois effectivement et sans doute internées. Dès lors, le devoir comme l’intérêt n’ordonnent-ils pas de maintenir leur sort lié à celui du Maréchal ? »

Les deux émissaires rendent compte verbalement au cabinet du Maréchal de la réponse positive du général Perré. En même temps, ils lui transmettent une proposition beaucoup plus ambitieuse pour assurer la sécurité de l’opération. Le général Perré expose en 1953 l’économie du projet soumis au chef de l’État :

« Il y a à Vichy, écrit-il, environ 1 800 gardes commandés par un des deux généraux de brigade : le général Le Bars ; on pourrait y adjoindre la garde personnelle du chef de l’État, des pelotons de gendarmerie mobiles et les éléments de garde transportables en auto ; cela ferait un groupement de quelque 2 000 hommes qui, sous mon commandement assurerait la sécurité éloignée du chef de l’État au moins jusqu’au-delà de la route Clermont-Moulins parfois parcourue par des convois allemands, puis se porterait dans la région est de Bourges où je me ferais rejoindre par les 2 000 gardes de Limoges et d’où je lancerais des patrouilles motocyclistes sur la Loire, en aval de Blois, pour y prendre contact avec les avant-gardes américaines. Ce résultat atteint je ferai prendre le Maréchal dans sa retraite et il se présenterait au général Eisenhower, non pas en fugitif, mais en chef d’État. Après, mes troupes reprendraient le combat, et peut-être même ne seraient-elles pas inutiles pour occuper Versailles où, sans doute serait convoquée l’Assemblée nationale… »

Au cas où le Maréchal n’arriverait pas à s’échapper de Vichy, la garde personnelle, renforcée par la garde, résisterait par la force des armes. Le maréchal Pétain autorise le général Perré à prendre les mesures préparatoires, pour mettre à exécution le plan projeté. Le directeur général met le commandant Chazalmartin et le capitaine Auriol à la disposition du cabinet du chef de l’État « pour entrer en relation avec le bon maquis des environs qui pourrait gêner l’exécution du mouvement en barrant les routes avec des abattis et des barricades ». Dans l’intervalle, il prend des dispositions pour préparer un départ inopiné du Maréchal, dans les conditions initialement souhaitées.

Le 16 août, le capitaine Riehl, commandant l’escadron 5/4 déplacé à Vichy, reçoit de son commandant de groupe, le chef d’escadrons Daucourt, l’ordre de se présenter au commandant Gouraud, du cabinet militaire du Maréchal, pour y recevoir une mission particulière d’intervention contre les troupes d’occupation. L’officier évoque la suite des événements :

« Je me rends donc à l’hôtel du Parc où je suis introduit auprès du commandant Gouraud qui occupe une grande pièce transformée en centre de transmissions. Il y a là plusieurs postes de radio en service. Je suis agréablement surpris en constatant qu’un des opérateurs radio est en liaison avec Londres.

Le commandant Gouraud m’explique que je suis chargé d’assurer la protection rapprochée d’un petit convoi qui doit emmener le Maréchal hors de Vichy afin de le soustraire à la surveillance des Allemands.

Pour ce faire, je dois choisir dans mon escadron trente gradés et gardes, les véhicules, les armes et les munitions nécessaires et de camoufler le tout dans le bois de Cusset situé à la sortie ouest de Vichy. Ce que je fais. Pour le transport de mes hommes je choisis deux camionnettes dont les parois sont blindées. Pour le transport du Maréchal, on me donne deux sanitaires. Je pense que la deuxième doit donner le change en cas de mauvaise rencontre sur le parcours… »

Malgré la présence des troupes allemandes, le capitaine Riehl fait sortir de Vichy le personnel qu’il a lui-même choisi et le regroupe à proximité immédiate de la ville. Avec ses hommes, dissimulé dans un sous-bois, il reste en attente sur sa position, du 17 au 19 août, prêt à remplir la mission.

Pendant ce temps, le directeur, avec l’aide du général Le Bars, dans le cadre du plan qu’il a arrêté, prépare le départ des escadrons chargés d’accompagner le Maréchal. Dans les unités, placées en alerte, les préparatifs s’accélèrent : plein des véhicules, chargement des munitions et des impedimenta. Les commandants de groupes et d’escadrons reçoivent des instructions, sous plis cachetés, à n’ouvrir que sur ordre. Le 16, en fin de journée, tout est paré.

L’attente se prolonge les 17, 18 et 19 août. Le général Perré inspecte plusieurs formations. L’atmosphère est fiévreuse car la troupe ne sait rien de précis. S’agit-il des prémices d’un passage au maquis ou d’une attaque de la ville en liaison avec la Résistance ?

Dans ce contexte, il n’y rien d’étonnant si les escadrons restent l’arme au pied. Ne s’apprêtent-ils pas, beaucoup le croit, à combattre l’Allemand ? Pour certains officiers, dans la confidence du projet du général Perré, la possibilité s’offre de concilier fidélité au maréchal Pétain et ralliement à la Résistance. L’utilité de la mission, au cours de laquelle un risque de confrontation existe avec les troupes d’opérations, les conforte dans leur conviction.

Alors que la garde se prépare à assurer la sécurité du chef de l’État, dans l’éventualité de son prochain départ, l’entourage du Maréchal entreprend des pourparlers avec l’état-major des F.F.I. d’Auvergne, pour le placer sous la sauvegarde du maquis, en attendant qu’il puisse transmettre ses pouvoirs au général de Gaulle.

Dans la soirée du 19, le général Perré apprend par un de ses amis que le maréchal Pétain, sommé de quitter Vichy à destination de l’Allemagne, renonce à partir et à se défendre par les armes, pour éviter toute effusion de sang. Le directeur se rend immédiatement à l’hôtel du Parc. Le docteur Ménètrel le reçoit. Une scène assez violente oppose le confident du Maréchal au chef de la garde résolu à empêcher par la force toute action des Allemands. Le docteur Ménètrel lui affirme que si le chef de l’État est contraint, il les suivra. Le général Perré se fâche. Le ton monte. Très pâle, Pétain arrive. Il invite le chef de la garde à le suivre dans ses appartements. Malgré les supplications du directeur qui lui demande d’autoriser sa troupe à intervenir pour le défendre, il refuse. Le général Perré lui rend alors sa francisque et exprime le souhait de reprendre sa liberté. Le Maréchal lui restitue l’insigne de fidélité en le glissant dans sa main et le décharge de ses obligations. Puis, il le raccompagne jusqu’à la porte. En sortant, le général Perré déclare :

« Faites savoir à tous les officiers et hommes de la garde qu’ils sont dorénavant relevés de leur serment de fidélité au maréchal Pétain. »

Le 20 août, à 6 h 45, à l’hôtel du Parc, les gendarmes de la garde personnelle tirent les grilles, obstruent les issues, disséminent des obstacles dans les escaliers. Un officier monte la garde devant la porte de la suite qu’occupe le Maréchal. Pendant ce temps, une compagnie de SS cerne l’hôtel. Un capitaine s’avance, accompagné d’une dizaine d’hommes. L’un d’eux porte un trousseau de clés, un autre une hache-masse. Le détachement trouve porte close. Les soldats l’enfoncent puis pénètrent dans le hall. Derrière la deuxième porte à tambour, où s’entassent des sacs de sable, un lieutenant de la garde personnelle s’interpose. Les assaillants l’écartent, sous la menace des armes. Le colonel Barré, commandant la garde personnelle, et deux de ses hommes, constituent la dernière barrière à franchir. Il est 6 h 55. L’officier SS accorde un délai avant d’intervenir. Si à 7 h, le chef de l’État ne se présente pas, il passera outre. Cinq minutes plus tard, l’échéance passée, il bouscule le colonel et fait enfoncer la porte de la chambre du Maréchal.

Tous les fidèles de Pétain, au total une quarantaine de personnes, parmi lesquelles le général Perré, attendent dans le couloir la suite des événements. Après cette résistance symbolique, le chef de l’État, accompagné de son épouse, du général Bridoux et de l’amiral Bléhaut, sort de l’immeuble. Sous escorte allemande, il quitte Vichy. Via Moulins et Belfort ses ravisseurs le conduisent à Sigmaringen.

Les Allemands, au nombre d’environ 400, du 18e bataillon de police SS, occupent encore Vichy. Des colonnes en retraite s’écoulent vers le nord-est. Les F.F.I. accentuent leur pression dans la région. La Gestapo et la Milice commencent à préparer leurs bagages pour s’enfuir à leur tour.

Le pouvoir vacant, l’ennemi aux abois mais toujours présent dans la capitale de l’État français, que devient la garde ?

Le 17 août, à la demande du colonel Fayard (alias Mortier), chef de l’état-major régional des F.F.I. d’Auvergne, Dudenhöffer se rend au P.C. du Mont-Dore où il rencontre les responsables de la région 6 dont M. Ingrand, commissaire régional de la République. Le chef de l’A.S. de Vichy affirme être en mesure de leur apporter « dévoués à la cause F.F.I., les 4 000 hommes armés de la garnison de Vichy avec des chefs acquis ». Au terme d’une longue discussion, ses interlocuteurs acceptent sa proposition. En outre, ils le mandatent pour les représenter à Vichy et lui confient le commandement unique de toutes les forces du régime stationnées dans la ville et ses environs. Dudenhöffer reçoit un grade correspondant à sa nouvelle responsabilité :

« Le grade qui m’est offert, écrit l’intéressé, à choisir par le colonel Mortier (commandant ou lieutenant-colonel) ne m’a pas encore été confirmé. Étant donné les besoins de la cause et la rapidité des événements, j’ai pris le grade de lieutenant-colonel. »

De retour à Vichy, en attendant les ordres, Pontcarral se prépare à l’action avec son équipe. Chaque jour, il change de P.C. pour ne pas se faire repérer. Le 21, il l’installe à l’hôpital civil. Les réunions se succèdent. Pour éviter des représailles, les organisations de résistance conviennent de ne proclamer Vichy libre que lorsque les Allemands auront quitté Clermont-Ferrand où ils maintiennent encore d’importants moyens d’intervention.

Le 20, après l’enlèvement du Maréchal, et sitôt connu son dernier message, les événements se précipitent. La plupart des autorités encore présentes à Vichy note Pontcarral « se rallient plus ou moins ouvertement et plus ou moins sincèrement aux F.F.I. Plusieurs d’entre elles ont cherché, directement, à prendre des contacts afin de réaliser, pour leur propre compte, le passage de la garnison de Vichy au nouveau régime. Il en est résulté une série de manœuvres extrêmement confuses qui ne pouvait qu’embrouiller la situation ».

Le 22 août, sous le timbre de l’état-major régional des F.F.I. d’Auvergne, le colonel Mortier diffuse l’instruction n° 41 fixant les ordres pour la garnison de Vichy. Il prescrit le désarmement et la démobilisation des G.M.R. vilipendés par les résistants. Quant aux autres formations, moins sévèrement jugées, elles reçoivent différentes missions. Une partie (gendarmerie, éléments de l’armée de l’Air et de la marine) est chargée de rester sur place dans la ville pour y maintenir l’ordre et garder les bureaux et archives administratifs sous l’autorité d’un commandant d’armes à désigner par le lieutenant-colonel Pontcarral. L’autre partie, composée de la garde et de la garde personnelle du Maréchal, doit se porter dans la zone de guérilla n° 30, à 25 kilomètres au sud-est de Vichy, délimitée par Le Mayet de Montagne, La Travières des Noes, Les Essarts, Arconsat, Palladuc, Saint-Victor, Lacahux, Ferrières, le Mayet. Le commandement de la zone incombe à un officier n’appartenant pas à la garde, le colonel Boutiot, subordonné directement à l’état-major régional des F.F.I. L’instruction prévoit pour tous les personnels le port au bras gauche d’un brassard comportant les trois couleurs disposées verticalement avec, dans le blanc, la mention F.F.I. en lettres accolées noires.

Le lieutenant-colonel Pontcarral reçoit ces instructions le 23. Par suite des difficultés de transmission et de la surveillance qu’exercent sur place à Vichy les Allemands et les miliciens, jamais il ne pourra les mettre à exécution.

Chapitre 10 - LA LUTTE OUVERTE

En raison des circonstances, les G.M.R., contrairement au plan initial, ne sont ni désarmés, ni renvoyés dans leurs foyers. Concernant la garde, Pontcarral écrit :

« Je prends un dispositif lui permettant de protéger Vichy avec position de repli possible pour ne pas se faire désarmer par un ennemi supérieur en nombre. »

L’état-major des F.F.I. veut éviter que des éléments incontrôlés ne livrent la ville au pillage. Aussi maintient-il les escadrons sur place. Les uns sont consignés, prêts à intervenir, d’autres effectuent des patrouilles, certains enfin remplissent des missions de surveillance pour protéger des points sensibles.

Le 26 août, l’occupant quitte précipitamment Vichy. Le risque d’une réaction de sa part semble écarté. En effet, le ministre de Suisse, Monsieur Stucki, a fait connaître à un émissaire de Pontcarral qu’il userait de toute son influence pour dissuader le commandement allemand de Clermont-Ferrand de passer par Vichy lors de son départ, dans le cas où la ville proclamerait sa libération. À quinze heures, le délégué local des F.F.I. d’Auvergne, le lieutenant-colonel Pontcarral, occupe l’hôtel Thermal où il est bientôt rejoint par M. Lafond, délégué du commissaire de la République.

Après le départ des Allemands, l’état-major régional des F.F.I. engage progressivement plusieurs escadrons de la garde dans les opérations militaires en cours dans l’Allier.

À la fin du mois d’août, la prise du pouvoir par les nouvelles autorités, dans la plupart des grandes métropoles régionales libérées, sonne le glas de la garde qui passe sous le contrôle des commandants régionaux des F.F.I.

Le débarquement des Alliés sur les côtes normandes, le 6 juin 1944, donne le signal du déclenchement de l’action généralisée contre l’occupant. Indépendamment des personnels (officiers, gradés, gardes, élèves-gardes) passés individuellement au maquis, certains depuis des mois, d’autres plus récemment, des unités constituées de la garde se joignent à visage découvert aux F.F.I., pour participer au combat libérateur.

Le cas particulier de l’école de Guéret justifie, pour plusieurs raisons, un examen séparé. De toutes les formations, elle est la première, le 7 juin, à passer en bloc dans la Résistance. En la circonstance, le choix de ses cadres, on ne l’a pas toujours bien mesuré, était des plus difficiles. Comme à leurs homologues, dans les escadrons, le devoir d’obéissance s’imposait à eux.

Un cas de conscience beaucoup plus grave les interpellait. Devaient-ils entraîner dans l’aventure de l’illégalité et de la rébellion, contre le pouvoir de l’État, les centaines de jeunes gens de dix-huit ans, mineurs à l’époque, dont ils avaient la charge ? Et puis, contrairement à certaines formations qui s’étaient faites remarquer dans l’action répressive, l’école de Guéret n’avait rien à se faire pardonner.

En se rangeant aux côtés des maquisards, la garde leur apporte, outre des matériels et des armes, le sens de la discipline et surtout l’expérience militaire de sa troupe commandée par des cadres compétents. La présence d’escadrons dans les F.F.I. a par ailleurs un effet d’entraînement indiscutable sur les comportements individuels. Des gardes, et même des gendarmes encore indécis sur la position à adopter, se déterminent lorsqu’ils en ont connaissance. Ainsi, le ralliement de l’école de Guéret contribue indéniablement à lever bien des hésitations.

Après l’école de la garde et les escadrons 1/5, 2/5 et 7/5 les 7 et 8 juin, passent respectivement au maquis les escadrons 6/2 le 10 et 8/2 le 14. Ces deux derniers, eux aussi, se signalent par leur combativité. En Saône-et-Loire où il est déplacé pour le maintien de l’ordre, le 6/2 du capitaine Goué, dès son arrivée au maquis du Louahannais, prend le nom de « Groupe Tom ». Il s’installe dans une ferme, au lieu-dit La Vernotte, à 15 kilomètres au nord-ouest de Louhans, à proximité de la petite route de Montret à Simard. Un poste de surveillance installé aux abords de la route desservant La Vernotte assure la sécurité.

Le 15 juin, en début de matinée, un détachement de la Feldgendarmerie de Branges, replié à Tournus depuis le débarquement, recherche des renseignements à la suite d’un attentat perpétré sur la voie ferrée dans la région de Mervans. Le convoi, composé d’un motocycliste, d’un camion et d’une voiture légère, arrive vers 7 h 30 à proximité de La Vernotte. Au moment où les gardes chargés de la sécurité rejoignent l’avant-poste qui couvre leur cantonnement, les Allemands débouchent devant eux. Surpris, les uns et les autres ouvrent le feu. Le combat s’engage qui tourne vite à l’avantage des feldgendarmes. Alertés au bivouac par la fusillade, des renforts arrivent à la rescousse et renversent la situation. Au cours de l’engagement, l’escadron déplore la perte du garde Bord tireur au F.M. L’accrochage coûte aux Allemands un lieutenant, un adjudant-chef et deux feldgendarmes. Les rescapés s’enfuient mais abandonnent sur le terrain deux blessés, leurs véhicules et des armes.

Le groupe « Tom » intervient avec succès, le 29 juin, à 25 kilomètres au nord-ouest de Louhans, en direction de Mervans, pour dégager des maquisards encerclés par des troupes d’opérations. Grâce à l’action retardatrice menée par l’escadron, les F.F.I. parviennent, à la faveur de la nuit, à se replier et à se regrouper. Les Allemands laissent 12 morts sur le terrain. À l’escadron, un seul blessé, le garde Marie.

Les opérations s’intensifient à partir de la fin août. Le 2 septembre, les gardes attaquent avec succès une colonne blindée, sur la route de Louhans. Le lendemain, à Sornay, ils tendent une embuscade à un détachement cycliste qui subit de lourdes pertes. L’escadron reste à la pointe du combat jusqu’à la libération de Louhans à laquelle il participe. Son efficacité lui vaut une citation collective, à l’ordre de la division, assortie du libellé suivant :

« Escadron de Garde républicaine mobile passé volontairement au maquis sous les ordres du capitaine Goue (commandant Tom) avec tout son matériel le 10 juin 1944. A combattu contre un ennemi souvent supérieur en nombre, notamment le 29 juin et le 2 septembre 1944, occasionnant à l’ennemi de lourdes pertes. À permis par sa présence le regroupement de nombreux gardes et de sous-officiers qui ont par la suite beaucoup aidé à l’encadrement du bataillon du louhannais (2e B.C.P.). »

Le maréchal des logis-chef Nau, passé individuellement dans les rangs des maquisards dès le mois de mai, avant le ralliement de l’escadron, se fait remarquer plusieurs fois par sa bravoure qui le conduira au sacrifice suprême. Le 28 mai, au carrefour de Villegaudin, alors qu’il effectue une liaison à motocyclette, il est pris à partie par un violent tir d’armes automatiques. Avec beaucoup de sang-froid, il fait demi-tour et échappe à ses poursuivants. Il se distingue encore le 12 juillet à Cuisseaux, au cours d’un accrochage, en se portant sous un feu intense au secours d’un F.F.I. blessé qu’il ramène sur son dos. Promu sous-lieutenant après la libération de Louhans, il sert au 2e bataillon de chasseurs à pied, unité formée intégralement par les maquisards de la région et où servent d’autres gardes. Sur le front d’Alsace, à la tête du groupe franc et de la section d’éclaireurs motocyclistes du 2e B.C.P., le jeune officier s’affirme un soldat et un chef exceptionnel. Dans la nuit des 28 et 30 décembre 1944, il effectue avec ses hommes plusieurs reconnaissances dans la région d’Oelenbourg pour y déterminer le dispositif ennemi. Au cours de sa mission, il recueille de précieux renseignements. Quelques jours plus tard, le 5 janvier, à l’occasion d’un coup de main, il prend d’assaut une position ennemie à la Tuillerie. Les Allemands doivent se replier en laissant sur place leurs morts et un important matériel. Le 20 janvier 1945, il tombe, à trente-deux ans, dans un combat au corps à corps, alors qu’il commande l’assaut pour prendre le couvent d’Oelenbourg.

Dans l’Ardèche, l’escadron 8/2 du lieutenant Molia, stationné à Largentières, rejoint le secteur D/A.S. des F.F.I. de l’Ardèche, du capitaine Faveau. D’autres militaires et unités rallient séparément ce groupement : éléments du P.C. du 2e régiment, escadron 7/2 du lieutenant Ausseur, le lieutenant Theolier, en convalescence à Aubenas après avoir été blessé en service commandé dans le Limousin, des gendarmes de la brigade de Villeneuve-du-Berg.

L’effectif de l’escadron 8/2, par suite de l’arrivée de jeunes volontaires, passe à la mi-juillet à 150 hommes. Le commandement des F.F.I. décide de le scinder en deux. Il forme alors la 69e compagnie, sous les ordres du lieutenant Theolier, et la 68e commandée par le sous-lieutenant Billard. L’ensemble, coiffé par le lieutenant Molia, constitue le groupement n° 7. L’escadron Ausseur, sous l’appellation de 14e compagnie, opère comme les deux autres dans le secteur D.

Entre le 25 juin et le 1er septembre 1944, date à laquelle un détachement de l’escadron Molia prend liaison avec l’avant-garde du 2e Spahis, les gardes mènent une action soutenue de guérilla marquée par plusieurs dizaines d’engagement avec les troupes allemandes. L’examen des journaux de marche met en évidence l’efficacité des gardes dans la guérilla menée dans le département en liaison étroite avec les F.F.I. Au total, ils perdent un officier (lieutenant Ausseur) et six sous-officiers (le chef Aubouy, les gardes Marfisi, Étienne, Meyer, Grandjean, Bertrand).

Le chef Aubouy et le garde Marfisi, passés individuellement au maquis, fin mai, tombent le 9 juin à Saint-Peray au cours de l’attaque d’un convoi ennemi dirigée par le lieutenant Ausseur. Ce dernier est tué le 22 août, à Vogüe, au moment où il manœuvre une colonne ennemie venant de Ruoms, immobilisée par une embuscade commandée par l’adjudant Corsan de sa compagnie. Après un dur combat, les Allemands perdent 17 prisonniers et abandonnent sur le terrain cinq véhicules et des matériels divers. Le 24 août, le commandant du secteur désigne l’adjudant-chef Munier pour prendre le commandement de la 14e compagnie qui a tenu à conserver le nom de Ausseur.

Le groupement 7 se distingue le 29 août dans la bataille du Coiron. En liaison avec les compagnies du secteur A.S. du capitaine Marguerite, il coopère à la destruction d’une colonne ennemie forte de 2 500 hommes, armée de canons de 77 et de 37 m/m, comprenant 380 véhicules automobiles et hippomobiles. La colonne est signalée le 29 au matin sur la route de Saint-Germain, en direction de Privas. À 13 h, le groupement 7 établit le premier contact et freine sa progression. Les Allemands occupent Lussas à 16 h et s’y installent en hérisson. De là, ils lancent des reconnaissances en direction de Darbres où la 69e compagnie les stoppe. À la fin de la journée, l’ennemi sort en force de Lussac et prend la direction de Darbres. Il tombe dans la nasse réalisée par les groupements des capitaines Fauveau et Marguerite. F.F.I. et gardes déciment la colonne dont de petits éléments tentent de s’enfuir vers Rochessauve et Chomérac.

Pendant près de deux mois et demi, les gardes infligent aux Allemands de lourdes pertes. Elles s’élèvent à deux cents tués, trois cents prisonniers sans compter un important butin (armes, munitions, véhicules, etc.). Une citation collective, à l’ordre de la division, récompense l’escadron 8/2 :

« Le 8e escadron de la 2e légion de la Garde républicaine passé aux F.F.I. dès le 14 juin 1944, sous les ordres de son chef le lieutenant Molia, bien qu’attaqué par une colonne allemande, très supérieure en nombre, malgré un violent tir d’artillerie a réussi le 29 août 1944, par une manœuvre hardie entre Villadieu et Lussas (Ardèche) à éviter une descente de l’ennemi à Aubenas. »

Au début septembre, après la libération du département, les 68e et 69e compagnies gardent un camp de 800 prisonniers à Vals. Le 22 octobre, le 8e escadron reconstitué rejoint Pont-Yblon. Au sein de la Garde républicaine il reprend son service traditionnel.

À partir du 20 août 1944, plusieurs régiments entrent à leur tour dans la lutte ouverte. Ces formations échappent au contrôle de la direction générale pour passer sous la tutelle des chefs de la Résistance qui les utilisent en fonction des besoins locaux. L’examen, région par région, de leur situation donne un aperçu des conditions de leur engagement et des résultats qu’ils obtiennent.

Dans le Limousin, après avoir contribué à la reddition de la garnison allemande de Limoges le 21 août, en livrant notamment à la Résistance tous les blockauss ceinturant l’agglomération, les 3e et 5e régiments et un groupe du 6e relèvent de l’autorité du colonel Guingouin commandant la 4e brigade F.F.I. À ces forces, vient se greffer l’escadron 1/5 de Limoges dispersé à Janaillat (Creuse) le 11 juillet. Après avoir quitté le groupement de l’école de la garde, une partie du personnel de cet escadron a rejoint la Haute-Vienne pour se fondre dans la clandestinité, l’autre a repris du service. Le 20 août, le capitaine Duval prend le commandement de l’escadron reformé. Son précédent chef, le capitaine Jouan, et plusieurs de ses subordonnés capturés en même temps que lui, se trouvent à cette époque dans un convoi de déportés en route pour l’Allemagne.

Jusqu’au 31 août, pour s’opposer à un retour offensif des Allemands et surtout obliger leurs colonnes, en provenance du sud et de l’ouest, à abandonner leur ligne de retraite Limoges-Montluçon de façon à ce qu’elles empruntent l’axe Angoulême-Poitiers, la plupart des escadrons occupent des positions défensives dans un rayon de 15 à 20 kilomètres autour de Limoges (Chaptelat, Chalus, Rochechouard, Aixe-sur-Vienne, etc.). Dès le début du mois de septembre, le commandement des F.F.I. confie aux escadrons des missions offensives qu’ils remplissent de façon autonome ou intégrés dans des groupes mobiles mixtes F.F.I.-gardes.

Le lieutenant-colonel Colomb commande un groupement de la garde chargé d’attaquer l’ennemi au nord de Limoges. Le 5 septembre, il accroche un détachement allemand dans la forêt de Vandœuvre et lui occasionne des pertes sensibles.

Un autre groupe mobile, commandé par le chef d’escadrons Roussin, opère dans la forêt de la Braconne jusqu’au 10 septembre, sans toutefois établir le contact. Dans le secteur de Lancome, l’escadron 4/3 stoppe et manœuvre une colonne ennemie de 500 hommes. Il récupère tous les livrets militaires, des archives secrètes et le matériel de bureau d’un régiment.

L’escadron 1/5 du capitaine Duval s’installe le 21 août à La Combe, près de Compreignac. Le lendemain, il fait mouvement vers Morcheval et Couzeix. Le 23, il met en place des barrages et des embuscades en vue d’intercepter des éléments blindés signalés en direction de Limoges. Rien ne se passe. Le 25, l’escadron s’installe près du château de Mas Jambost pour interdire la route d’Angoulême et gêner, par tous les moyens, le repli des Allemands. La mission qu’il reçoit le 29 est identique, mais elle se déroule cette fois dans la région de Chabanais (Charente). Dépourvue de véhicules, l’unité effectue le déplacement à bicyclette. Il lui faudra un délai de quatre heures pour atteindre son lieu d’emploi. Les déplacements se succèdent. Le 30, Margnac près de Chasseneuil, le 31 Beaulin, le 2 septembre Surin (Vienne), le 4 Saint-Macou, le 8 Chabrac. Le même jour, retour sur Limoges sans avoir jamais rencontré l’ennemi.

L’escadron 2/6, du capitaine Baquias, en déplacement à Isle (Haute-Vienne) depuis la fin mai, fait mouvement sur Chalus le 21 août pour s’installer défensivement face au sud et à l’ouest, avec mission de protéger Limoges contre de forts éléments ennemis signalés comme provenant d’Angoulême. Le lendemain il se porte sur Léonard à la poursuite des Allemands qui évacuent Limoges. Toujours le 22, l’escadron s’installe défensivement à Saint-Laurent-sur-Gorre et pousse des reconnaissances sur les principaux axes. Du 26 août au 10 septembre, placé en réserve de commandement au profit du commandant des forces de Limoges, il constitue un des éléments du dispositif de défense rapprochée de la capitale du Limousin.

Le 1er septembre, à la demande pressante de Degliame-Fouché, responsable des forces de la Résistance intérieure pour la zone sud, quatre escadrons (4/6, 7/5, 8/5, 6/5), sous les ordres du chef d’escadrons Labroche, partent pour Lyon. Lorsqu’ils y arrivent, la ville est libérée. Sans avoir combattu, le groupement est dissous le 4 octobre.

Toujours au début septembre, le capitaine Laval (escadron 6/3) forme à la caserne Jourdan le groupe de reconnaissance de la demi-brigade F.F.I. R.5 de la Haute-Vienne du colonel Joly qui doit rejoindre Belfort. Secondé par le capitaine Baquias du 2/6, il prend le commandement de cet élément dont l’escadron 2/6 (lieutenant Froehly) constitue l’ossature. Le 13 septembre, il se met en route pour rejoindre Belfort par étapes. Il est à Vichy le 18. Il atteint Auxonne le 27. Le 29, l’ordre lui parvient de rallier Toulouse en vue de la reconstitution des unités du 6e régiment.

Dans la région administrative de Toulouse, sur trois escadrons (3/6, 7/6, 8/6) en service dans la ville, lorsque les Allemands l’évacuent le 19 août, quelques gardes seulement participent à des actions ponctuelles. Un détachement de 12 volontaires du 7/6 s’empare de l’armement et du matériel stockés à la caserne Compans encore tenue par quelques soldats allemands sur le point de quitter la garnison. Au cours de ce coup de force, le garde Galinier est gravement blessé aux bras et aux jambes par des balles explosives. Le 20, l’escadron 3/6, renforcé par un peloton motocycliste du 7/6, tente d’intercepter une colonne ennemie signalée à Montauban se dirigeant vers Toulouse. Par suite d’une modification d’itinéraire des Allemands, le détachement n’établira pas le contact.

Après la dissolution des trois escadrons le 24 août, le commandement met sur pied un escadron de marche, confié au capitaine Rabaséda, comprenant 60 hommes du 3/6, 21 du 7/6 et 30 du 8/6. Le chef régional des F.F.I. l’incorpore dans la demi-brigade Ajax. Le reliquat des personnels des escadrons 3/6, 7/6 et 8/6 est réparti dans des détachements des F.F.I. : groupe Reusser, 2e brigade Armagnac, bataillons Prosper, Simon, Georges, Gaston, Bertrand.

L’escadron Rabaséda quitte Toulouse le 8 septembre. Successivement, il cantonne à Lapalisse le 10, Le Donjon le 17, Digouin du 18 au 26, Flammerans du 27 septembre au 20 octobre, Couchey le 24. À partir de cette date, il devient la 3e compagnie du 51e R.I. de la demi-brigade Tricoche et participe à la bataille des Vosges. Le 27 octobre, les gardes montent en ligne pour relever une compagnie du 152e R.I.

Aux avant-postes, d’abord dans un secteur boisé et montagneux, à 3 kilomètres de Julienrupt, dans la vallée de Rupt, puis au nord-est de Remiremont, à peine à 500 mètres des lignes ennemies, il y reste jusqu’au 8 novembre. Pendant cette période, les Allemands capturent le garde Bon chargé d’une liaison avec un poste avancé. Les 30 et 31 octobre, des patrouilles recueillent des renseignements sur le dispositif ennemi, largement en avant du front, en direction du Haut de Bouvacotte. Dans la nuit du 5 au 6 novembre, les gardes (3e compagnie) progressent vers Gérardmer et s’installent défensivement à 500 mètres du Tholy, région de Bouvacotte, solidement tenue par les Allemands. Pendant ce mouvement les gardes subissent un feu intense d’armes automatiques et de mortiers. Les 7 et 8 novembre les artilleurs allemands déclenchent de violents bombardements sur leurs positions. Le 8, aux alentours de 22 h, au moment de la relève de l’escadron, le garde Jacquelin est blessé par un éclat de grenade.

Après quelques jours de repos dans la région de Roulier, l’escadron quitte le front pour gagner sa portion centrale à Toulouse. Le détachement, composé de trois officiers (capitaine Rabaséda, lieutenant Sufize, sous-lieutenant Glass) et de 116 gradés et gardes, arrive à destination le samedi 18 novembre.

En Auvergne, l’état-major régional des F.F.I. confie à la garde diverses missions. Le soir même de la libération de Clermont-Ferrand, le 27 août, on signale un convoi allemand d’au moins quatre cents véhicules, doté d’artillerie légère, à hauteur de Riom, sur la rive nord de la Morge. En renfort de la colonne rapide du commandant Playe (Eymard), groupement de l’O.R.A., de la valeur d’un petit bataillon, trois escadrons couvrent la ville face au nord et maintiennent le contact avec l’ennemi jusqu’au 28.

À partir du 25, à Vichy, la transition que certains voulaient douloureuse, s’effectue finalement sans heurts. Le lieutenant-colonel Dudenhöffer coordonne l’action des F.F.I. et des forces du maintien de l’ordre.

Quelques escadrons assurent la sécurité à l’intérieur de la ville. Le 4/4, par exemple, garde le Concours Hippique, le petit Casino et le Parc Lardy relayé par des élèves-gardes du centre d’instruction de Cusset rattaché au 4e régiment. Au nombre des personnalités internées par les F.F.I. dont la surveillance incombe à la garde il y a, ironie de l’histoire, le général Perré. Comme l’écrira plus tard François Malartre « les F.F.I. ne se doutent pas que le fils (lieutenant Perré, commandant de peloton dans cet escadron) garde ainsi au mieux son père ! ».

D’autres formations prennent position en couverture, pour s’opposer à toute contre-offensive des troupes allemandes.

Des unités se joignent également aux F.F.I. qui opèrent à l’extérieur de Vichy comme dans tout le département de l’Allier où une vigoureuse action de guérilla a été déclenchée depuis le 25 pour couper la retraite des garnisons allemandes qui se déplacent en empruntant deux grands axes : sud-nord (Riom, Gannat, Moulins) et ouest-est (Lapalisse-Digouin et Saint-Pourçain-sur-Sioule Digouin).

Le 28 août, un sous-groupement composé des escadrons 3/4 (Le Puy) et 8/4 (Montbrison), sous les ordres du lieutenant-colonel Gendrault, engage le combat aux abords du village de Sardon, contre une colonne blindée allemande refluant vers le nord-est. Un barrage tenu par l’escadron 8/4 (capitaine Brustel) subi toute la matinée les coups de boutoir de l’ennemi. En avant-garde, le peloton de l’adjudant Nicolas se heurte à des chars. Au cours de l’action, ce gradé se porte auprès des gardes Mordret et Charbotel, grièvement blessés, pour leur prodiguer les premiers soins. Alors qu’il se trouve à leurs côtés avec le garde Hospital, les Allemands surgissent et les capturent. Mordret, à l’agonie, vient d’expirer. L’adjudant Nicolas obtient des Allemands qu’ils évacuent Charbotel sur l’hôpital. Ce qu’ils acceptent. Grâce à l’intervention de son commandant de peloton, il survivra à ses blessures. Les Allemands déportent à Dachau l’adjudant Nicolas et le garde Hospital. Le premier y succombe le 31 janvier 1945 et son camarade d’infortune le 17 mars suivant.

Le garde Jocaille, de l’escadron 2/4, tombe près de Maringues, le 30 août. Sur la route Bellerive Charmeil, l’escadron 1/2 harcèle des véhicules allemands et décroche dans la forêt de Montpensier près d’Effiat, sur la route d’Aigueperse. Plus tard, il installe un gros barrage (locomotive, charrettes, tombereaux) à Barnazat. Les paysans aident les gardes à creuser les emplacements de combat. Aucune force ennemie ne se présentera devant cet obstacle.

Par ordre n° 203/4 du 29 août, le commandant des forces du maintien de l’ordre de la région de Vichy prescrit au chef d’escadrons Thiolet d’agir contre les Allemands, en liaison avec le commandant Eymard, dans la région au nord de la ligne Saint-Pont-Vendat. Avec son groupement motorisé, formé des escadrons 4/2, 5/2 et d’un peloton porté du 2/2, dès le 30, il envoie des patrouilles dans le secteur qui parcourent la forêt de Marcenat, les axes Charmeil-Saint-Rémy en Rollat et Brou-Vernet-Moulins. Au cours d’une reconnaissance dans le bois Saint-Gilbert, une de ses patrouilles tombe dans une embuscade. Trois gardes en réchappent. Le chef Duhamel et le garde Dizier sont faits prisonniers. Le gradé s’évade peu de temps après. Quant au garde Dizier, on ne l’a jamais revu.

Le 2 septembre, le groupement Thiolet reçoit en renfort les escadrons 1/2, 3/2, 2/6. Mis à la disposition du groupement F.F.I. du lieutenant-colonel Colliou (Roussel) il participe aux opérations qui aboutissent le 12 à la libération de l’Allier. Les escadrons se rassemblent à Bessay-sur-Allier d’où ils entament leur progression vers le nord.

Le 5, ils attaquent les colonnes ennemies sur le G.C. 12 et poussent sur la nationale 73, à l’est de Moulins où l’escadron 2/4 harcèle l’ennemi et fait 10 prisonniers. Sur le G.C. 12, l’escadron 1/2, vers 11 h 30, est pris sous le feu allemand. Les escarmouches se poursuivent jusqu’à 14 heures en lisière de la forêt de Chapeau. Une patrouille motocycliste du 2/2, en reconnaissance dans le bois de Chapeau, près de la ferme de Montedoux, tombe dans une embuscade. Deux gardes, Astruc et Lamarie, échappent à la capture. Les cinq autres, prisonniers (Noveillini, Delichère, Bianchéri, Guérin, François), sont fusillés sur-le-champ. Une action est décidée dans le secteur, pour délivrer, du moins l’espère-t-on, les gardes dont on n’a pas de nouvelles. Y participent les escadrons 3/2, 4/2, 5/2, et le peloton du 2/2.

En provenance de Neuilly-le-Réal, le détachement du lieutenant Collet, du peloton 2/2, arrive à 14 h dans la ferme au lieu-dit « Les Mayences », à un kilomètre de Montbeugny. En ce jour de battage, une activité fébrile règne à l’exploitation. Le lieutenant Collet se renseigne. On lui signale la présence des Allemands à Montbeugny. L’ennemi effectivement s’y trouve. Mais l’officier ignore que ses guetteurs, postés dans le clocher de l’église, viennent de repérer ses hommes. Déjà, une colonne se dirige vers eux. Au moment où le lieutenant Collet donne l’ordre aux gardes de quitter les lieux, les assaillants surgissent de tous les côtés.

Dès que la fusillade se déclenche, les gardes se précipitent dans les dépendances de la ferme. Depuis des emplacements de fortune, ils répondent avec toutes leurs armes au déluge de feu qui s’abat sur eux et stoppent les assaillants dans leur élan. Le détachement, complètement encerclé, se défend avec acharnement. Plusieurs blessés gisent sur le sol. Au fil des minutes, les munitions s’épuisent. Bientôt elles font complètement défaut. Avant que les Allemands ne se ruent sauvagement sur leur proie, trois hommes, le chef Villepinte et le garde stagiaire Pollart qui ramène à dos l’aspirant Vallon blessé, parviennent à se dissimuler et à sortir de la nasse.

Au combat, succède la barbarie. Les Allemands, au mépris de la Convention de Genève, alignent les prisonniers dans un pré puis les abattent d’une balle dans la nuque. Trois ouvriers agricoles subissent un sort identique. Le pillage de la ferme commence. Le détachement ennemi embarque son butin à bord du véhicule des gardes et s’éloigne des lieux.

Le peloton de l’adjudant Creix du 2/2, en se portant vers le secteur d’où provient le bruit de la fusillade, perd deux gardes. Un peloton du 3/5 s’en approche par Chapeau-Ygeure et l’escadron 5/2 par la route Chapeau-Montbeugny. Des feux nourris d’armes automatiques et de mortiers retardent le mouvement de ces unités qui n’arriveront sur les lieux du drame qu’après le départ des Allemands.

Au cours des combats qui viennent de se dérouler, le groupement Thiolet déplore 20 tués et 3 blessés (peloton 2/2 - lieutenant Collet, chef Fourcade, gardes Trabaut, Deboille, Ponsen, Barthel, Blaise, André, Deldique, Feraud ; escadron 3/2 - gardes Copienne, Cassan, Rolland, Noveillini Lebaut, Borgia ; escadron 4/2 - chef Delichère, gardes Biancheri, Guérin, François).

Le 6 septembre à 16 h, une escorte transfère à Vichy les corps des victimes, à l’exception de celui du garde Noveillini qui ne sera retrouvé que le 8 septembre. Le garde Flandin, de l’escadron 1/2, dans son carnet de route, témoigne des atrocités subies par ses camarades disparus :

« Dans l’après-midi, alors que je lisais, deux camionnettes du 3e escadron sont arrivées à Neuilly-le-Réal. En m’approchant j’ai vu les corps de nos camarades horriblement massacrés, certains avaient les membres sectionnés, le ventre ouvert, le crâne défoncé et tous sans bijoux ni portefeuille, ni papiers. Ils étaient tombés sur une unité où il y avait beaucoup de Mongols, mercenaires, de vrais barbares pires que les SS. »

À Vichy, les obsèques des victimes donnent lieu à une émouvante cérémonie. Le libellé de la citation décernée au lieutenant Collet illustre l’action courageuse de son détachement. Comme lui, tous les gardes sont décorés à titre posthume :

« Le 5 septembre 1944 à Montbeugny (Allier), complètement encerclé avec son peloton par un ennemi supérieur en nombre, a succombé avec tous les siens après une lutte ardente de plus d’une heure et demie, galvanisant ses gardes par son courage tranquille et son mépris absolu du danger, a combattu jusqu’à l’épuisement de ses munitions, servant lui-même une arme automatique et infligeant à l’adversaire des pertes sévères. Restera un exemple vivant de bravoure et d’abnégation. »

Pour le groupement Thiolet, le combat continue. Il se porte à Dormes le 7. À compter de ce jour, il agit comme groupe de reconnaissance et manœuvre entre Allier et Loire, intégré dans le groupement Colliou, au sein de la division d’Auvergne du colonel Fayard. Pour éviter l’encerclement de fortes colonnes allemandes, les escadrons quittent Dormes. Nouveaux points de destination : Villeneuve-sur-Allier puis Saint-Pierre-le-Moutiers où des pourparlers sont en cours pour obtenir la reddition d’un millier d’hommes appartenant à la colonne du général Elster. Les escadrons 1/2, 4/2 et 2/4 jalonnent le secteur où sont regroupés les Allemands qui capitulent dans la nuit du 11 au 12. Les vaincus rendent leurs armes sur la R.N. 7, près du château d’eau, au carrefour d’une petite route qui vient de la plaine de l’Allier. Les armes s’amoncellent dans une prairie. Les gardes profitent de l’aubaine pour compléter leurs dotations. Une deuxième colonne de 2 500 à 3 000 hommes, pressée par le groupement Colliou, repasse l’Allier pour se livrer aux Américains.

Entre le 13 septembre et le 2 octobre, le groupement Thiolet stationne dans la région de Moulins puis de Dijon, en vue de se reconstituer avant de monter au front. Les gardes passent sous l’autorité du 2e corps d’armée du général de Montsabert (1re armée). Ce dernier, le 2 octobre, convoque à son P.C., à Rougemont, le chef d’escadrons Thiolet. Il rattache le « bataillon des gardes mobiles » à l’aile marchante de la 3e D.I.A., du général Guillaume, dont la mission est double :

« Dans un premier temps de déboucher de la crête de Longegoutte, pousser vers Longemer à cheval sur la Masselotte puis se couvrant face à Gérardmer, prendre pied sur la route des crêtes, entre le Hohneck et le Schweisselwasen ; dans un deuxième temps déferler sur Guebwiller et l’Hartmannswillerkopf. »

Les gardes sont à pied d’œuvre le 6 octobre, au col du Mont de Fourche. L’objectif à atteindre est le fort de Château-Lambert, 10 kilomètres à l’est. La journée du 7 commence par une marche d’approche dans un terrain escarpé et boisé. Vers 14 h, l’ennemi se manifeste à partir de la crête du bois de Hetray. L’attaque de ses positions par la garde commence. L’escadron 3/5 (capitaine Rabot), en tête du dispositif, ne peut plus progresser tant le feu est violent. À sa droite, l’escadron du capitaine Nay essaye de se déployer sans toutefois y parvenir. Les gardes doivent se mettre à l’abri des tirs très dangereux qui partent sans arrêt des points hauts, solidement tenus par les défenses adverses. Une nouvelle tentative de débordement par la droite, entreprise par l’escadron 1/2 (capitaine Beller), ne réussit pas à faire la percée malgré la fougue du lieutenant Chomel de Jarnieu grièvement blessé à la tête de ses hommes, qui mériteront une citation collective. Un garde est tué et 11 sont blessés.

La progression reprend le lendemain à 8 h. Le succès couronne la deuxième attaque. L’escadron 3/5, malgré une forte résistance, atteint la crête des Noirs Étangs à 10 h 30. Le 1/2 le couvre sur sa gauche, soutenu par deux chars légers qui débusquent les uns après les autres les îlots de résistance. En fin de journée, au prix d’un tué et de trois blessés les escadrons restent maîtres du plateau.

Les 9, 10 et 11 octobre, reprise de la marche en avant pour attaquer la crête nord de l’Étang de la Plaine. Les Allemands défendent énergiquement leur position. Le groupement subit plusieurs contre-attaques auxquelles il résiste. Mais il ne peut s’emparer de son objectif. Durant cette brève période, un tué et quatre blessés s’ajoutent à la liste des victimes. À son actif, quatre prisonniers.

Le commandement promet aux gardes du chef d’escadrons Thiolet l’appui des chars et des tirs d’artillerie. Le 11, les troupes du général Guillaume occupent pratiquement l’ensemble de la crête de Longegoutte. Le général de Montsabert adresse ses félicitations à toutes les unités dont « le bataillon des gardes mobiles », en soulignant qu’elles ont permis, à leur gauche, le succès de la 3e D.I.A.

Sur les nouvelles positions, le commandement d’un sous-secteur échoit au chef d’escadrons Thiolet. En renfort de ses escadrons, il reçoit un commando de l’air, un peloton du 5e R.C.A., des canons antichars, un escadron de chars moyens, un peloton de chars T.D. et une section du Génie.

Les escadrons souffrent du froid et d’une alimentation insuffisante. Parents pauvres de la 1re armée, ils manquent aussi de moyens matériels. L’état sanitaire se dégrade. Plusieurs gradés et gardes sont évacués vers l’arrière. Sur le terrain, attaques et contre-attaques se succèdent.

Du 31 octobre au 8 novembre, les escadrons 3/5 et 2/4 combattent sur les deux rives de la Moselle avec la 1re brigade de la 1re division française libre du général Brosset, en accompagnement des chars des fusiliers-marins. À partir du 9, ils tiennent un point d’appui à Ramonchamps. À peine installés, ils repoussent la nuit suivante un coup de main. Le 17, l’ensemble du secteur est soumis à un violent bombardement. Ce jour-là, le groupement Thiolet reçoit l’ordre de faire mouvement vers Paris. Les escadrons arrivent à la limite de l’usure. La relève, sur les positions, s’échelonne du 17 au 20. Les escadrons, regroupés à Meurcourt, partent pour Paris le 21. Au moment de leur départ, le colonel Delange, commandant la 1re brigade française libre, leur adresse l’ordre du jour suivant :

« Au moment où le groupe d’escadrons Thiolet, rappelé à de nouvelles missions, est remis à la disposition du commandant de la Garde républicaine, le colonel Delange, commandant la 1re brigade française libre, tient à exprimer au chef d’escadrons Thiolet, à ses officiers et à ses gardes, sa reconnaissance pour l’action de ce groupement dans le secteur du Thillot pendant la période du 5 octobre au 20 novembre 1944. Ce groupe d’escadrons a constamment été engagé dans des conditions particulièrement pénibles, et a confirmé, une fois de plus, les belles qualités guerrières de la Garde républicaine. »

Le 25, à la caserne Montrouge, le général Revers préside une prise d’armes au cours de laquelle il décore des officiers, gradés et gardes. Le groupement est dissous. Les escadrons 2/4, 1/2, 3/2 et 3/5 rejoignent leurs légions à l’exception d’un peloton du 3/2 (lieutenant Vandenbrouck) détaché du 5 décembre 1944 au 26 novembre 1945 à la prévôté de la 1re armée.

Avec celui du chef d’escadrons Thiolet, un second groupement de la garde, appelé à intervenir en dehors de la région 6, voit le jour à Vichy fin août 1944. Depuis Lyon, Degliame-Fouché fait appel à des renforts extérieurs des F.F.I. pour libérer la ville. Comme le Limousin, l’Auvergne fournit un contingent. Le colonel Fayard, chef d’état-major des F.F.I. d’Auvergne, ordonne à la garde de mettre sur pied un groupement. Le chef d’escadrons Daucourt, commandant le 2e groupe du 4e régiment, en prend le commandement. Né en 1894 à Paris, il entre en service la veille de la Seconde Guerre mondiale. Ce Saint-Maixantais se distingue pendant la campagne dans les rangs du 35e R.I. avant de servir dans la gendarmerie à partir de 1924.

Le groupement comprend les 3e, 4e, 5e et 8e escadrons, du 4e régiment, tous déplacés dans la région de Vichy. Ils proviennent respectivement du Puy (capitaine Gardien), de Montluçon (lieutenant Michel), de Saint-Étienne (capitaine Riehl), de Montbrison (capitaine Brustel). Chacun totalise environ une centaine de gardes et deux officiers, trois fourgons-cars, une V.L., quatre camionnettes, trois side-cars et trois motocyclettes. Les utilitaires utilisent aussi bien le charbon de bois que l’essence. La pénurie en carburant est telle que, jusqu’en novembre, ils fonctionnent en gazogène. Par la suite, le 20e corps américain, auquel les gardes sont rattachés, les ravitaille plus généreusement.

Le 31 août, le chef d’escadrons Daucourt reçoit l’ordre de porter immédiatement son groupe dans les Monts du Lyonnais, pour participer à la libération de Lyon. Dès 18 h, les escadrons quittent le camp de Cusset. Par voie de terre, via Thiers, Noirétable, Feurs, Saint-Laurent de Chamousset ils arrivent à destination le lendemain 1er septembre. Jusqu’au 2 au matin, ils cantonnent à Saint-Foy (5e), Saint-Génis (3e), Avéize (4e) et Souzy (8e).

Le P.C. de l’état-major des F.F.I., constitué à Lyon en vue de la libération, répartit les escadrons dans les formations de la résistance rassemblées à la périphérie de l’agglomération. Les 3e, 4e et 8e passent sous les ordres du colonel Chevalier, chef de corps du 2e régiment F.T.P.F., responsable du secteur d’Oullins. Le 5e est mis à la disposition du colonel Brun, commandant le 1er régiment F.T.P.F. du Rhône, à Vaugneray. Le 2 au matin, les officiers établissent le premier contact avec les chefs de secteur dont ils dépendent. Leur intégration dans des régiments F.T.P.F., commandés par des officiers ayant combattu dans les brigades internationales en Espagne, n’entraîne pas de difficultés. Le colonel Brun se montre courtois et prévenant, comme l’écrit le capitaine Riehl :

« Lorsque je suis arrivé à Grezieu le 2 septembre, le colonel me reçut très aimablement. Il était très heureux d’être renforcé de près de 130 hommes, pour la plupart des militaires de carrière.

Il m’exposa la situation de son régiment qui manquait tragiquement de cadres compétents. Il me demanda alors de détacher un certain nombre de mes gradés auprès de ses compagnies. Je déclinais poliment cette offre car je tenais à garder mon escadron groupé. Le colonel n’insista pas et précisa qu’il me gardait en réserve.

Puis il me parla d’intendance. Il me questionna sur mes moyens d’existence. J’avais deux jours de vivres et 100 000 francs. Il m’envoya alors chez son intendant. Celui-ci, quatre galons cousus sur le revers de sa chemise, occupait une immense pièce bourrée de paquets de cigarettes. Il était assisté d’une jeune femme qui avait trois galons sur sa chemise. Il me fit remettre plusieurs cartouches de cigarettes, un carnet de bons de réquisition et 100 000 francs en billets de banque tout neufs qu’il puisa dans une petite valise en carton que lui tendait sa secrétaire.

En sortant du bureau, je remis le tout à mon sous-officier comptable qui fut baptisé sur le champ intendant de l’escadron. »

Dans l’après-midi du samedi 2 septembre, les derniers convois motorisés allemands attardés dans Lyon quittent la ville en ne laissant sur place qu’un petit contingent chargé de faire sauter les ponts. Leur départ remet en question le projet d’insurrection prévu initialement par l’état-major des F.F.I. pour s’emparer de la capitale des Gaules vers laquelle affluent des renforts provenant du Rhône et des départements voisins (Loire, l’Ardèche, Ain, Isère) ainsi que les Américains de la 36e D.I.U.S. et la 1re D.F.L. du général Brosset.

Dans ce cadre, le 3 septembre, les unités reçoivent l’ordre d’entrer dans Lyon où miliciens et Allemands qui ont manqué le dernier départ tiraillent encore. En liaison avec les deux régiments de F.T.P.F. les escadrons libèrent Oullins, La Mulatière, Tassin La Demi-Lune et Sainte-Foy.

Courant septembre, le groupement Daucourt remplit à Lyon diverses missions. Les 3e et 4e escadrons gardent 6 000 prisonniers rassemblés aux forts de La Duchère et de Sainte-Foy. Le 5e assure la protection rapprochée du terrain d’aviation de Bron où les Américains acheminent par voie aérienne des vivres, des munitions, du carburant afin d’y constituer des dépôts. Dans cette période de restriction, la présence de stocks considérables attire les convoitises. L’incident que relate le capitaine Riehl en apporte la preuve :

« Un matin, une voiture américaine s’arrêta devant mon P.C. et me remit un homme blessé. Je le fis immédiatement transporter à l’hôpital. Voici ce qui s’était passé. Les Américains avaient planté une immense tente à l’entrée du terrain où ils stockaient des vivres. Le dépôt était gardé par une seule sentinelle américaine. Une nuit la sentinelle s’endormit. Quand elle se réveilla, au lever du jour, elle aperçut une nuée d’hommes en train de piller le dépôt. Elle prit alors son fusil et, sans faire de sommations, tira un coup dans le tas. Les voleurs s’enfuirent en abandonnant le blessé. »

Le 7, à Lyon, place Belcourt, le général de Lattre de Tassigny accueille le général de Gaulle au milieu d’une foule enthousiaste. Les 5e et 8e escadrons rendent les honneurs.

Le groupement reçoit le 28 septembre l’ordre du colonel Descour, commandant la 14e région militaire, de rejoindre Paris. À bord de trains spéciaux, les gardes quittent la gare d’Oullins pour arriver à Paris Bercy le 29 à 4 h. Jusqu’au 4 octobre, les escadrons cantonnent dans les casernes de Vanves (5e et 8e), Issy-les-Moulinaux (3e) et Plessis-Robinson (4e). À cette date, un nouvel ordre de départ arrive pour Nancy où le chef d’escadrons Daucourt doit se mettre à la disposition du lieutenant-colonel Sérignan commandant la 10e légion de gendarmerie.

Le groupement embarque à Paris La Villette, dans un train spécial, en milieu d’après-midi, le 4 octobre. En gare de Bar-le-Duc, le surlendemain à 3 h, les Américains immobilisent le convoi. Après diverses démarches fastidieuses à l’état-major de la IIIème armée à Étain et à la 10e région à Nancy, les escadrons débarquent et s’installent dans le secteur jusqu’au 20 octobre.

Depuis le début septembre, le 20e corps U.S. du général Walker (3e armée du général Patton), formé en Normandie le 30 juillet 1944, occupe après une marche foudroyante la rive ouest de la Moselle. Le manque de carburant l’oblige à stopper sa progression qu’il ne reprendra que deux mois plus tard le 8 novembre.

Le 21 octobre, le groupement Daucourt passe sous l’autorité du général Dody, chef de la 2e D.I.M. pendant la campagne d’Italie et libérateur de Briançon et Modane. C’est par télégramme du 12 septembre que le général de Gaulle l’a nommé commandant de la 21e région militaire et gouverneur militaire de Metz encore occupée. Les Américains s’apprêtent à engager la bataille pour libérer le chef-lieu de la Moselle. Le général Dody tient à ce que les Français soient présents à leurs côtés. Or il n’a aucune troupe à sa disposition. Il met sur pied la 1re demi-brigade de chasseurs de Metz (lieutenant-colonel Pochard) composée du 30e B.C.P. reconstitué, du 16e B.C.P formé avec des maquisards de la région et du 8e B.C.P. créé à Paris le 1er septembre.

En prévision de l’offensive sur Metz, les 8 et 9 novembre, les escadrons du groupement Daucourt s’installent dans un premier temps à Haudainville (état-major et 8e escadron), Angevillers (3e escadron), Saulx en Wœvre (4e escadron) et Monthairons (5e escadron). À l’exception du 3e qui reste à Angervillers, les trois autres font à nouveau mouvement le 15 novembre pour se porter à Jardy (état-major et 4e escadron), Jeandelise (5e escadron) et Jaulny (8e escadron).

Le 20, à 23 h, l’escadron 5/4 du capitaine Riehl cantonné à Jeandelize reçoit du lieutenant-colonel Beart subordonné du général Dody l’ordre suivant :

« 1° - Les 95e et 5e divisions d’infanterie américaines sont entrées ce jour dans la ville de Metz.

« 2° -Un détachement de la 1re demi-brigade de Chasseurs de Lorraine et la Garde républicaine participeront à l’entrée dans la ville, le 21 novembre.

« 3° -Point initial : Place de la mairie à Conflans-Jarny, le 21 novembre à 10 heures. »

Le lendemain 21 novembre à 10 h, l’escadron du capitaine Riehl, renforcé par un peloton des 4e et 3e escadrons, se joint au détachement de la 1re demi-brigade transportée par des camions américains. Gardes et chasseurs se portent à Thionville, par Doncourt, Auboué, Joeuf, Moyeuvre et Uckange. Ce groupement cantonne au fort de Guentrange (3 kilomètres à l’ouest de Thionville). L’état-major du corps U.S. récupère ses véhicules si bien que les chasseurs se trouvent dans l’impossibilité de faire mouvement. Le capitaine Riehl se présente au général Dody qui lui demande, de tenter à tout prix, d’entrer le jour même à Metz avec son escadron.

Le garde Cunin, envoyé en reconnaissance, rend compte que tous les ponts sur la Moselle sont détruits. Des combats se déroulent autour des forts qui ceinturent la ville. L’escadron franchit la Moselle à Uckange, sur le pont de bateaux américains, puis file vers Metz, par Bertrange, Guenange, Ay, Argency. À 20 h, des soldats américains arrêtent le convoi dans les faubourgs nord de Metz. Le capitaine présente le laissez-passer établi par le 20e corps U.S. L’escadron, avec ses deux pelotons de renfort, entre dans la ville.

Déjà, depuis la veille, un petit détachement de troupes françaises s’y trouve. En effet, partie de Jarny le 19 à 15 h, une patrouille motorisée mixte de sept gardes et 12 chasseurs du 16e B.C.P., commandée par le lieutenant Martin, de l’escadron 8/4, secondé par l’adjudant Gerthoffer, s’est infiltrée au milieu des colonnes américaines. Elle pénètre dans la ville au cours de la matinée du 20 novembre, en même temps que des éléments de la IIIe armée U.S. Vers 12 h, la patrouille atteint le palais du gouverneur, place Maud’huy. Pendant que le chef Pouillard avec un groupe fouille les sous-sols du bâtiment, le garde Rouffet hisse le drapeau tricolore sur la résidence où il flotte pour la première fois depuis juin 1940. Avec une modestie qui lui fait honneur, le chef d’escadrons Martin, s’adressant en 1985 à l’un de ses compagnons de combat auteur d’un récit sur la libération de Metz, écrit :

« Les faits que vous relatez concernant notre "conquête" de Metz sont exacts. Mais je dois vous avouer en toute sincérité que nous étions derrière les Américains et que nous n’avons eu qu’à suivre sans histoire… »

Pourtant, il omet de dire à quels risques il s’exposait avec ses hommes. De nombreux forts tiraient encore, le dernier à résister, le fort Jeanne d’Arc, ne capitulera que le 13 décembre, et d’âpres combats se déroulaient dans la cité. À chaque instant, l’aviation, l’artillerie, les snipers, pouvaient prendre à partie gardes et chasseurs et entraîner des pertes. Dans ce même courrier, le chef d’escadrons Martin révèle à son correspondant le souvenir ému qu’il conserve de son entrée dans Metz :

« Ce qu’il y a de curieux aussi dans cette histoire, c’est que j’ai commencé ma carrière militaire au 151e R.I. à Metz (sous les ordres du colonel de Lattre de Tassigny) à la caserne Ney, le 19 novembre 1935 et que je suis revenu dans cette même caserne le 19 novembre 1944 ! »

Le 22 novembre, à 10 h, sur la Place d’Armes, face à l’Hôtel de Ville, le général Walker remet officiellement le commandement militaire de la ville et de la région au général Dody. Le groupement Daucourt participe à la prise d’armes. Le 29 novembre, le général Walker est fait officier de la Légion d’honneur sur le front des troupes, Place de la République. Parmi les unités qui rendent les honneurs, la garde est représentée, derrière le chef d’escadrons Daucourt, par l’escadron 5/4, deux pelotons du 4/4 et deux autres du 8/4. Des vivats chaleureux et des applaudissements nourris saluent ses détachements.

Après la libération de Metz, les 4e et 8e escadrons passent directement sous les ordres de l’armée américaine et plus précisément du Provost Marshal de la IIIe armée, John C. Macdonald, chef de la Military police sur le théâtre d’opérations. Les gardes assurent la protection des ponts de chemin fer et des tunnels, situés à l’ouest de la Moselle, convergeant vers Metz et Thionville. Le 3e escadron est jumelé avec le 8e B.C.P. à Thionville. Quant au 5e, il dépend directement du commandant d’armes de la place de Metz qui le charge de neutraliser les forts encore occupés par les Allemands au sud de la ville.

À partir du 14 décembre, le commandement met le groupement Daucourt à la disposition du général Schwartz, gouverneur militaire de Strasbourg depuis la libération de la ville, le 23 novembre, par la 2e D.B. du général Leclerc. Le mouvement des escadrons s’échelonne du 14 au 28 décembre. Avec l’état-major du groupe, le 5e escadron quitte Metz dès le 14. Le 3e ne rejoint Strasbourg que le 16. Les 4e et 8e, hypothéqués par la garde des ponts et des tunnels, ne sont relevés que les 26 et 28 décembre. À Strasbourg, les escadrons remplissent diverses missions : garde de prisonniers à Mutzig, services dans la garnison, garde du camp d’internement de Schimerck, etc.

Durant les derniers jours de 1944 et les débuts de 1945, l’évolution de la situation militaire en Alsace ne tarde pas à ramener le groupement de la garde aux avant-postes. Pour se faire une idée exacte de sa mission, il convient de situer le cadre dans lequel elle s’inscrit. À la mi-décembre 1944, en pleine tempête de neige, le général von Rundstett lance une offensive foudroyante à travers les Ardennes belges et luxembourgeoises. Ses troupes balayent tout sur leur passage. Les Américains, grâce à des renforts et à l’aviation qui profite d’un ciel plus clément, interviennent massivement. Ils stoppent l’avance ennemie. L’alerte passée, la situation est loin d’être rétablie.

Le 31 décembre, pour épauler l’attaque de von Rundstett qui s’essouffle, Hitler déclenche en Lorraine, l’opération « Nordwing ». Le général Blaskowitz, commandant la 1re armée allemande, lance sept divisions en direction de la trouée de Saverne pour envelopper la VIe armée U.S., du général Patch, déployée sur un front de 140 kilomètres entre Strasbourg et Saint-Avold.

Pour éviter l’encerclement du 6e corps d’armée du général Brook, engagé entre Bitche et le Rhin, le général Eisenhower, commandant en chef interallié, qui ne dispose plus de réserves, estime nécessaire de raccourcir le front. Il ordonne le repli d’une partie de ses forces et de la 1re armée française sur la crête des Vosges. Conséquence de sa décision : le nord du Rhin n’est plus tenu ni surveillé, situation qui fait peser une menace sur Strasbourg dégarnie de troupes.

Le commandement allemand décèle le retrait des Américains. Il saisit cette opportunité pour créer une tête-de-pont, d’environ 20 kilomètres de long sur 7 de profondeur, englobant les villages de Gambsheim, Offendorf, Herrlisheim, Rohrwiller et Drusenheim. À partir de là, il compte déboucher vers le sud et vers le nord, afin de prendre Colmar en tenaille, et pousser vers l’ouest pour tomber sur les Américains en cours de repli ou de rétablissement sur les Vosges. Sur la rive droite du Rhin, près de Freistett, il constitue un groupement (Volks grenadier division) de 11 bataillons dont le fer de lance est le régiment Marbach, corps d’élite formé d’élèves sous-officiers. Le 5, le général Von Maur, commandant le détachement d’armée de l’Ober-Rhein, chargé de coordonner les actions offensives sur cette partie du front, lance un ordre du jour qui en dit long sur ses intentions :

« Je compte sur vous pour pouvoir annoncer au Führer, dans quelques jours, que le drapeau à croix gammée flotte à nouveau sur la cathédrale de Strasbourg. »

Avant l’aube, le 5 janvier, le régiment Marbach traverse le Rhin par surprise. Après avoir liquidé quelques défenses américaines encore présentes dans les villages, ses éléments avancés atteignent Gambsheim vers midi. Strasbourg n’est plus qu’à 15 kilomètres.

Que se passe-t-il du côté de la 1re armée française ? Le 3 janvier, le général de Lattre de Tassigny convoque d’urgence à son P.C., à Montbéliard, le général Guillaume commandant la 3e D.I.A. et lui tient ce langage :

« Tu comprends qu’il ne peut être question de se replier comme le préconisent les Américains. Nous n’allons pas abandonner à la vengeance des nazis ceux qui ont acclamé les soldats de Leclerc et mis en nous toute leur confiance. Je l’ai dit sans détours au général Devers et j’ai fait appel à de Gaulle. "C’est toi qui défendras Strasbourg".

- « Avec quoi ? Tu sais bien que ma division est morte. »

- « Je n’ignore rien de l’état de tes troupes mais je compte sur toi. Ce qu’il faut, c’est que tu te rendes sans délai à Strasbourg… Tu y trouveras le général Schwartz avec quelques escadrons de la garde et des F.F.I. S’il le faut, tu t’enfermeras dans Strasbourg et tu feras Stalingrad… »

Le général Guillaume appelle le lieutenant-colonel Lardin, son chef d’état-major. Il lui prescrit de mettre en route immédiatement le 4e R.T.T. déjà au repos, d’assurer la relève de la division et de la faire suivre vers l’Alsace.

Le 4 janvier, le commandant de la 3e D.I.A. met le cap sur Strasbourg. À 16 h, il y arrive et fonce au P.C. du commandant de la Place, le général Schwartz. Il lui annonce la décision du général de Lattre de Tassigny de défendre Strasbourg à tout prix et la mise en route vers l’Alsace de la 3e D.I.A. Ensuite, il rencontre le colonel Berger (André Malraux) dont la brigade Alsace-Lorraine tient l’est et le sud de la ville. Il prend contact avec les F.F.I. strasbourgeois du commandant François puis avec le chef d’escadrons Daucourt.

Depuis la veille, sans attendre les troupes relevantes, les Américains se retirent de la région de Kilstett, Gambsheim, Weyersheim qu’ils tenaient avec un régiment d’infanterie renforcé par un groupe d’artillerie et un escadron de chars légers (18 engins). Au petit matin, il ne reste, en tout et pour tout, qu’une centaine d’hommes à Gambsheim et environ une trentaine à Kilstett.

Tôt le 5 janvier, le général Schwartz apprend, par des F.F.I. venus de Gambsheim, que des patrouilles allemandes, à effectif non déterminé, ont franchi le Rhin dans la nuit entre Gambsheim et Kilstett et se seraient infiltrées en direction de Hœrdt. Coûte que coûte, il veut les arrêter. Immédiatement et directement, vu l’urgence, il adresse au lieutenant-colonel Sérignan, commandant la 10e légion de gendarmerie, et au chef d’escadrons Daucourt, l’ordre d’intervenir. Les instructions sont claires :

« II -But de la manœuvre :

Avec deux escadrons de la garde, sous les ordres du chef d’escadrons Daucourt et disposant de tous les moyens motocyclistes du groupe d’escadrons, s’emparer et détruire des patrouilles ennemies ayant franchi le Rhin.

III - Déroulement de la manœuvre :

1° Les éléments du chef d’escadrons Daucourt se porteront à la Wantzenau et tiendront le village principalement en direction de Kilstett et face au Rhin. Compte rendu d’exécution à fournir d’urgence.

2° Éclairer et reconnaître en direction de Kilstett-Gambsheim d’une part et de Hoerdt d’autre part.

3° - S’emparer de tout élément ennemi.

IV - Commandement de l’opération

1° Si un commandement américain existe encore à Hoerdt capable de mener l’opération, le chef d’escadrons Daucourt se mettra aux ordres de ce commandement ;

2° Dans le cas contraire, en liaison avec les F.F.I., l’opération sera conduite par le chef d’escadrons Daucourt.

3° Dès l’arrivée éventuelle d’éléments français, les éléments de la garde opéreront aux ordres du colonel commandant le 7e R.T. »

Dès 10 h 30, le chef d’escadrons Daucourt alerte les escadrons présents au cantonnement : le 4e du lieutenant Cambours (successeur du lieutenant Michel) qui diffère un départ en permission, le 8e du capitaine Brustel et un peloton de mitrailleuses du 5e. Le capitaine Riehl prend le commandement de l’ensemble. Bien que muté à l’escadron 4/3 de Perpignan depuis quelques jours, n’a-t-il pas, la veille 4 janvier, passé le commandement du 5e escadron à son successeur, le capitaine Chapon, il se porte volontaire pour participer à la mission. Le capitaine Chapon le seconde.

Vers 12 h 30, le détachement quitte Strasbourg. Par le nord-est, en empruntant la R.N. 68, il se porte sur la Wantzenau. Dès son arrivée, le capitaine Riehl prend liaison avec l’officier américain qui s’y trouve. Il l’informe de sa mission et lui propose, conformément aux instructions reçues, de prendre le commandement de l’opération. Son interlocuteur attend l’ordre de se déplacer vers l’ouest, aussi doit-il en référer à ses supérieurs. Au bout d’un moment, l’officier fait savoir qu’il ne peut y participer. Toutefois, il va demander un raid aérien sur l’objectif pour 15 h et un tir d’artillerie pour 15 h 15.

Le mouvement vers Kilstett, en véhicules, s’effectue sans dommages, malgré quelques tirs d’artillerie et le survol en rase-mottes du détachement par un avion allemand. À partir des lisières nord du village, au sud de la route, sur la plaine vers l’Ill et le Rhin, les unités adoptent leur dispositif de combat.

Sur la base de départ, le 8/4 occupe la partie comprise entre la route et la voie ferrée. Le 4/4 se trouve au nord-est de la voie ferrée suivi en appui du peloton 5/4. Le capitaine Riehl fixe le premier bond aux lisières de Bettenhoffen, au sud-est de Gambsheim. Sans nouvelle des appuis demandés par l’officier américain, il donne vers 15 h 15 le signal du départ.

La progression s’effectue sur un terrain absolument plat et découvert. Une couche de 30 centimètres de neige recouvre le sol. Les voltigeurs de pointe viennent de parcourir quelques centaines de mètres lorsque soudain les Allemands déclenchent un feu intense d’armes automatiques, des tirs de barrage d’artillerie de campagne et de minen. Les gardes continuent leur marche en avant scandée par le bruit de la mitraille. Déjà un mort au 4/4, le garde Lannoy. Après un bref ralentissement, les escadrons gagnent une cinquantaine de mètres. En se portant à nouveau en direction de l’objectif, ils échappent au bombardement imprécis et long des artilleurs allemands. Mais ces derniers raccourcissent le tir. Au 4/4, le lieutenant Cambours se dresse brusquement comme un automate, avance encore de quelques pas puis s’affale sur le sol. Un éclat d’obus en pleine nuque vient de déchirer son casque provoquant une horrible blessure à la boîte crânienne. Des gardes s’approchent pour lui porter secours, lui adressent la parole mais il ne répond pas. Le lieutenant Perré prend le commandement. À son tour, il tombe grièvement blessé, touché au bras et en pleine poitrine. Le capitaine Chapon quitte son peloton de mitrailleuses pour commander l’escadron 4/4 privé en quelques instants de ses deux officiers. Le bombardement continue. Des blessures mortelles frappent les gardes Kemberg et Barbin. D’autres blessés gisent à terre ou sont touchés comme le garde Barjolet, qui a le visage labouré par un éclat d’obus. Au capitaine Chapon, qui lui ordonne plusieurs fois d’aller se faire panser, il répond :

« Que vont dire les camarades si je les laisse tomber ? »

Il s’éloigne d’une vingtaine de pas puis revient vers l’avant pour donner ses cartouches à l’un de ses camarades. Quelques instants après, le garde Martin (Maurice) a un œil arraché et un bras fracassé. Il ne repart vers l’arrière que sur l’ordre formel de son chef après avoir passé très posément son sac de boîtes-chargeurs à un de ses compagnons. Profitant de brèves accalmies, une escouade tente de s’ouvrir le chemin de Bettenhoffen. Elle grignote quelques mètres protégée par les tirs d’appui de ceux qui s’accrochent au terrain et parvient ainsi jusqu’au ruisseau Le Giessen, à proximité immédiate des premières maisons du village. Un éclat d’obus fracasse le bras droit du garde Fraudin et brise en même temps son fusil. Imperturbable, malgré sa blessure, il réussit de son autre main à arracher son tromblon lance-grenades et à le replacer dans son étui au ceinturon. Reste à franchir le pont. Un groupe du 8/4, aidé par des tirs de F.M. et de V.B., entreprend la manœuvre. Un obus explose qui projette à terre le lieutenant Sourgnes, un chef et deux gardes. L’officier reste étourdi par l’éclat qui a enfoncé son casque et meurtri son front. Les munitions commencent à manquer.

À droite du dispositif, une compagnie américaine fait demi-tour. Devant l’impossibilité de poursuivre la reconnaissance, le commandement américain donne aux escadrons l’ordre de repli. Il est alors 16 h 30.

Par échelons successifs, sous les salves d’artillerie qui accompagnent leur mouvement, les escadrons reviennent vers les lisières nord de Kilstett pour s’y installer défensivement. L’évacuation des blessés a commencé, lente, pénible, douloureuse et dangereuse. Quatre gardes transportent sur une civière de fortune, constituée par deux fusils, le lieutenant Cambours agonisant. Le commandant d’escadron décédera à l’hôpital de Strasbourg, dans la soirée, sans avoir repris connaissance. À leur retour sur la base de départ, des blessés indiquent l’endroit où se trouvent les corps de leurs camarades Kemberg et Barbin. Les gardes Gerby et Tenier, du 5e escadron, restés en soutien, quittent leurs trous et partent aussitôt sous le bombardement. Ils arrivent auprès des corps au moment du repli. Malgré tous leurs efforts, ils ne peuvent sans civière, ramener leurs dépouilles. Ils reviennent sous les rafales en soutenant d’autres blessés. Pour ne pas exposer inutilement des vies humaines, on laissera momentanément sur le terrain les corps des deux victimes. À Kilstett, les escadrons s’installent pour la nuit et renforcent leurs positions pour faire face à toute attaque allemande.

En fin de journée, le bilan des pertes s’élève à quatre tués et à seize blessés. Sans doute, l’ennemi est toujours à moins de 15 kilomètres de Strasbourg, la couverture de la ville reste fragile, cependant la capitale de l’Alsace est sauvée. Grâce aux délais que la résistance de la garde lui a donnés, le commandement fait entrer en ligne des unités de la 3e D.I.A. Le 6, les premiers éléments du 3e R.T.A. relèvent les escadrons qui rejoignent Strasbourg dans la soirée. Ce même jour, des prisonniers révèlent que la tête de pont ne se limite pas seulement à quelques hommes. Un millier de fantassins de la 553e Volks-Grenadier Division occupent Gambsheim.

Le 7 janvier, les 3e et 5e escadrons remplacent les 4e et 8e rentrés la veille et renforcent un bataillon du 3e R.T.A. qui occupe le quartier. Au moment où les escadrons arrivent à Kilstett, vers 15 h, une attaque est déclenchée depuis quelques instants. L’artillerie prend violemment à partie les lisières du village. Le garde Miran, observateur de l’escadron 3/4, grimpe sur l’arrière d’un char qui part en patrouille en avant des lignes. Il revient indemne de la périlleuse expédition rapportant des renseignements précis sur les emplacements des armes automatiques ennemies.

En vue des prochaines actions, le chef d’escadrons Daucourt articule son unité en deux sous-groupements comprenant d’une part les 3e et 5e escadrons, de l’autre les 4e et 8e. Pendant tout le mois de janvier, chacun à tour de rôle renforce les tirailleurs sur le front de Kilstett où se succèdent sans résultat attaques et contre-attaques.

Dans chaque escadron, un groupe franc, composé uniquement de volontaires, effectue des patrouilles au contact des positions ennemies. Au cours de ces incursions qui permettent de recueillir des renseignements intéressants, le chef Bonnard du 8e escadron et le chef Camus du 4e sont blessés.

Fin janvier, les Alliés entreprennent une nouvelle offensive dans le secteur. Les Américains doivent progresser au nord vers Offendorf et Herrlisheim. Au sud le I /3.R.T.A. a pour objectif Gambsheim. Les 4e et 8e escadrons sont chargés de couvrir son flanc.

Le 29, le 4e escadron (capitaine Rhiel) quitte Strasbourg pour Kilstett afin d’y relever le 5e (capitaine Chapon). Il occupe six postes aux lisières nord-est du village. Le mardi 30, renforcé par une équipe de démineurs du 19e Génie, d’un poste radio et d’un mortier de 60 il reçoit pour mission de ratisser la région boisée entre Kilstett et le Rhin. Le terrain recouvert de neige verglacée, truffé de mines et de pièges, rend difficile la progression. Les gardes quittent Kilstett à 16 h et atteignent la digue du Rhin, terme du premier bond, sans incident vers 17 h 30. L’escadron s’y installe en point d’appui fermé pour passer la nuit.

Le mouvement vers le Rhin reprend le 31. Des tirs d’artillerie et d’armes automatiques stoppent la progression des groupes des chefs Schettini et Matrey envoyés vers l’avant en reconnaissance. Le chef de bataillon Destremeau, du I /3 R.T.A., qui coiffe l’opération, décide de reporter au lendemain matin la poursuite de la mission en direction du Rhin car, à ce moment-là, il pourra faire couvrir son débouché par un tir d’artillerie et d’obus fumigènes.

Le jeudi 1er février, après un tir d’artillerie ami, le capitaine Riehl lance plusieurs patrouilles en direction des casemates situées sur les rives françaises du fleuve. Une fois repérées, le commandant d’escadron, accompagné de son groupe franc, se porte au plus près. Il constate que du côté français elles sont inoccupées contrairement à celles qui sont situées sur la rive allemande. Après avoir rendu compte, l’escadron achève le ratissage de la forêt du Rhin et revient sur Kilstett. En fin de journée, un groupe part à la recherche des corps des gardes Kemberg et Barbin tués le 5 janvier. Il les retrouve et les ramène à la tombée de la nuit. La nouvelle se confirme de la retraite de l’ennemi au nord comme au sud de l’Alsace.

Chapitre 11 - LES CADETS DE LA GARDE DANS LES F.F.I.

Un mois, jour pour jour, après avoir fait ses adieux à l’escadron 5/4, le capitaine Riehl, au cours d’une émouvante et brève prise d’armes, passe au capitaine Faure le fanion du 4/4 dont il a pris le commandement après la mort du lieutenant Cambours.

Le 3 février 1945, le groupement Daucourt quitte définitivement l’Alsace. Sur les arrières du IIe corps d’armée, il poursuit sa mission de guerre, dans le Palatinat, jusqu’au 8 mai, date de la capitulation des armées allemandes.

Depuis son départ de Vichy, fin août 1944, l’ensemble des opérations auxquelles il a participé lui coûtent 5 tués, 2 prisonniers et 17 blessés. Cadres et gardes obtiennent pendant cette période 89 citations dont 11 à l’ordre de l’armée. En témoignage de reconnaissance, le 16 septembre 1945, à l’issue de la prise d’armes en l’honneur du transfert à Strasbourg des cendres du général Kléber, le général de Lattre de Tassigny remet l’insigne « Rhin et Danube » au lieutenant-colonel Barriod, commandant la 4e légion de Garde républicaine et lui annonce qu’il en autorise le port à titre personnel, aux officiers gradés et gardes des escadrons ayant combattu devant Strasbourg dans le cadre de la 1re armée.

Les sacrifices consentis et les titres acquis par les gardes de la métropole, pendant les combats de la libération, témoignent de leur abnégation et de leur courage. La garde d’Afrique du Nord n’est pas en reste. Déjà, depuis la mi-novembre 1942, elle a repris avec l’armée française les hostilités contre l’ennemi, en Tunisie d’abord puis en Italie avec le corps expéditionnaire français du général Juin. À partir du 15 août 1944, plusieurs de ses éléments participent avec la 1re armée du général de Lattre de Tassigny à la reconquête du territoire national. Après une séparation de près de vingt mois, gardes d’A.F.N. et de métropole, se retrouvent unis dans le même combat.

Pendant trois mois, du 7 juin au début septembre 1944, l’école de la garde, renforcée initialement par 3 escadrons du 5e régiment qui se disloquent le 11 juin et des volontaires civils engagés pour la durée de la guerre, combat dans les rangs des F.F.I. du département de la Creuse.

Dans un premier temps, elle participe à l’éphémère libération de Guéret. Un rapport de gendarmerie daté du 13 juin 1944 en rappelle succinctement le déroulement :

« Le 7 juin 1944 vers 5 heures 30, des groupes armés faisant partie de l’armée dite de la résistance d’un effectif global d’environ 700 hommes auxquels s’étaient joints des éléments de l’école de la garde occupaient la ville de Guéret et attaquaient les détachements des T.O. de la Kommandantur.

À 13 heures toute résistance avait pratiquement cessé.

La caserne de gendarmerie de la résidence ne faisait l’objet d’aucune agression.

Le 8 juin vers 13 heures, une compagnie des T.O. venant de Montluçon (Allier) en camions automobiles tentait vainement au cours d’un combat de plusieurs heures de reprendre la ville de Guéret.

Le 9 juin à 8 heures 30, une escadrille d’avions allemands mitraillait et bombardait la ville. Peu après une puissante colonne de T.O. entrait dans Guéret que les groupes venaient d’évacuer.

Une partie de la population prise de panique s’était enfuie dans la campagne. Les T.O. n’ont pas exercé de représailles. Il y aurait toutefois une trentaine de victimes dont quinze morts. Plusieurs immeubles ont été détruits par le bombardement ou l’incendie. La population très inquiète dans la crainte d’une nouvelle agression reste cependant calme.

La gendarmerie effectue un service de patrouille et de garde pour empêcher les vols et les pillages. »

Dès l’aube, le 7 juin, les forces du commandant Fossey, alias François, chef des M.U.R., s’infiltrent dans Guéret. Un groupe armé, grâce à des complicités internes, s’empare de la poste après avoir désarmé deux soldats allemands chargés d’en assurer la garde. Vers 6 h 50, les F.F.I. partent à l’assaut de la garnison allemande, forte d’environ 80 hommes retranchés dans les hôtels Saint-François (état-major de liaison n° 896) et Auclair (brigade de Feldgendarmerie n° 992). Simultanément, les maquisards investissent le cantonnement de la Milice, rue de la Pépinière.

Aussitôt après le ralliement de l’école, aux alentours de 6 h 30, alors que le combat fait rage en ville autour des trois objectifs, les escadrons se préparent à partir en renfort sur ces différents points ainsi que sur les routes d’accès à Guéret.

Dès 8 h 30, l’escadron 1/5 de Limoges (capitaine Jouan), qui fait cause commune avec l’école, renforce les F.T.P. et l’A.S. aux prises avec les Allemands à l’hôtel Saint-François. À 8 h 45, le garde Camus (Pierre), 29 ans, tombe aux avant-postes foudroyé par le tir fichant d’un projectile ennemi. Le 1er escadron participe également à l’attaque. En fin de matinée, de retour de Jarnage, un peloton du 5e escadron (lieutenant Georges) prend position dans l’hôtel Central et concentre ses tirs sur la façade arrière du P.C. de l’état-major de liaison.

Le peloton Page, du 3e escadron (capitaine Fourreau), et le 2e escadron (capitaine Faurie) soutiennent l’attaque contre la Feldgendarmerie à l’hôtel Auclair. Le lieutenant Page, d’abord en réserve avec son peloton, s’élance à partir de 9 h à la tête de ses hommes et réussit à prendre position dans l’immeuble faisant face à celui occupé par les feldgendarmes. Les élèves-gardes dirigent un feu roulant sur toutes les ouvertures de l’hôtel. Les assiégés ripostent à la mitrailleuse. Yvan Germain, chef de la section de commandement du bataillon Châtaignier, se souvient de cet épisode :

« J’ai conservé la mémoire, alors que se prolongeait la résistance allemande à l’intérieur de l’hôtel Auclair où nous étions engagés, de la mise en position par l’un des vôtres (garde) d’une arme automatique, depuis l’immeuble situé en face de l’hôtel. Et je pense que c’est cette arme qui a neutralisé celle mise en batterie par les Allemands dans l’embrasure de la porte-fenêtre du balcon du premier étage.

Ce souvenir est resté pour moi le symbole d’une fraternité, le signe tangible d’un choix : "l’école de la garde a rejoint la Résistance". »

À 11 h, le peloton reçoit l’ordre de se porter sur Malleret où l’on signale la présence d’un détachement ennemi. Vérification faite, il s’agit d’un renseignement inexact.

Le peloton des aspirants intervient à partir de 8 h contre le siège de la Milice. Enfin, le 4e escadron (capitaine Séchaud) se porte aux abords de la ville pour en interdire l’approche à d’éventuels renforts.

La situation n’a guère évolué en fin de matinée. Partout les assiégés résistent. D’après le témoignage du capitaine Faurie, pour en venir à bout, les chefs F.F.I. adressent un ultimatum au commandant de l’état-major de liaison :

« Il restait 55 Allemands dans l’hôtel Saint-François qu’on n’arrivait pas à déloger. On leur a envoyé un officier muni d’un drapeau blanc qui leur a dit :

"Ou vous vous rendez et vous aurez droit aux honneurs de la guerre ou on fait flamber l’hôtel et vous y passez tous". »

Pendant ces pourparlers, le chef Balin monte sur le toit de l’hôtel Saint-François et, par une verrière, avec de l’essence, incendie les combles. Au bout d’un moment, des tourbillons de fumée s’échappent de la toiture et des ouvertures de l’immeuble. Les Allemands hissent le drapeau blanc. Peu après, à leur tour, feldgendarmes et miliciens cessent le combat. Il est 13 h.

La garnison allemande a droit aux honneurs de la guerre, comme le rapporte le capitaine Faurie :

« Ils se sont rendus, un escadron, le mien, leur a présenté les armes, en face les F.F.I. et les F.T.P. les ont salués. Nous les avons conduits et installés dans les réfectoires de l’école. Les blessés, eux, avaient été transportés à l’hôpital où ils ont été soignés par les médecins militaires au même titre que les autres blessés… »

Une tapisserie d’Aubusson, exposée dans la salle de réception de la Chambre de Commerce, à Guéret, évoque cet instant.

Dans l’après-midi du 7, la population en liesse laisse éclater sa joie. Le commandant François (Fossey) installe à son poste l’ancien préfet de la Creuse, M. Vasserot, qui attendait dans la clandestinité la libération de la ville.

Ce même jour, les chefs civils et militaires se réunissent. Ils décident de constituer un directoire de trois membres (M.M. Cerclier, Duris, France) et un commandement militaire (chef d’escadrons Corberand, commandants François et Piron, lieutenant Carrat).

Vers 18 h, un avion allemand survole la ville en tirant quelques rafales de mitrailleuse. Un peloton du 5e escadron, en position à l’extérieur de la cité, subit un mitraillage qui n’occasionne aucun dommage. Les F.F.I. continuent le nettoyage de l’agglomération. Une patrouille du peloton Page intervient place Bonnyaud, pour neutraliser des miliciens installés sur le toit d’une maison en flammes. Les élèves-gardes les réduisent au silence.

Le combat qui vient de se dérouler coûte aux Allemands 9 tués et 9 blessés graves. Du côté des F.F.I. il y a 7 tués (dont le garde Camus) et 8 blessés (parmi lesquels un élève-garde).

Dans la soirée, les chefs militaires, qui n’excluent pas dans la nuit une riposte de l’occupant, mettent en place des postes de surveillance sur les itinéraires d’accès à Guéret. L’escadron 2/5 (Bellac) prend position sur la route de Limoges, le 4e escadron contrôle la route de La Souterraine, le 1/5 (Limoges) plus un peloton du 2e escadron de l’école s’installent sur la route d’Aubusson, deux pelotons du 5e escadron tiennent la route de Montargis, enfin un peloton du 3e escadron et deux du 5e surveillent la route de Montluçon.

Au soir du 7 juin, le chef d’escadrons Corberand dispose, outre 2 escadrons du 5e régiment, du 1er escadron des officiers-élèves avec un peloton de 24 aspirants, tous Saint-cyriens, de la promotion 1942 « La Croix de Provence », aux ordres du lieutenant Le Guillou, du 2e escadron d’élèves-gradés, à trois pelotons, commandé par le capitaine Faurie, du 3e escadron à cheval, d’élèves-gardes, du capitaine Fourreau, à deux pelotons dont un de jeunes recrues ayant un mois de présence, du 4e escadron d’élèves-gardes constitué d’incorporés récents placés sous l’autorité du capitaine Séchaud et du 5e escadron d’élèves-gardes du lieutenant Georges, à trois pelotons, formés d’élèves arrivant en fin de stage. Un détachement technique, coiffé par le lieutenant-colonel Marty, comprenant un médecin, un infirmier, des sous-maîtres de manège, des instructeurs transmissions et chars, complète les effectifs qui s’élèvent à environ 500 hommes.

Le jeudi 8, peu après minuit, le général Von Brodowski, chef de l’état-major principal de liaison de Clermont-Ferrand, qui n’a plus aucun contact depuis le 7 au matin avec sa garnison de Guéret, met en route en direction du chef-lieu du département de la Creuse une compagnie, du bataillon de grenadiers de réserve 163, stationnée à Montluçon. Le convoi, composé de cinq cars, deux V.L. et un side empruntent la R.N. 145.

A 9 h première alerte. Dans le secteur du 5e escadron, on signale un convoi de cinq camions allemands venant de Montluçon. Le renseignement s’avère inexact. Vers 10 h 30, de nouvelles informations font état du passage d’un détachement au pont de Glénic qui devrait aborder Guéret par la route de Paris. Dans le courant de la matinée, le commandant François et le chef d’escadrons Corberand visitent les positions. Tous deux sont optimistes.

Aux alentours de 11 h 30, les élèves-gardes motocyclistes Cajat et Pezerat, du 5e escadron, chargés de surveiller la route de Montluçon, largement en avant du dispositif, aperçoivent un détachement ennemi. Aussitôt, ils rejoignent la position tenue par le 5e escadron et donnent l’alerte. Le lieutenant Georges ne dispose que de deux pelotons, camouflés aux abords de la route, près de la ferme Bellevue. Un barrage de voitures et d’instruments agricoles, en retrait des emplacements de combat, empêche toute circulation. Étant donné la faiblesse de ses moyens, il demande des renforts au commandant de l’école.

Il est à peu près 12 h lorsque, à 1 500 mètres de là, les fantassins allemands débarquent. Méthodiquement, déployés de part et d’autre de la nationale, en formation de combat, ils progressent en direction de la ferme Bellevue chassant devant eux les paysans occupés aux travaux agricoles. Lorsqu’ils arrivent à environs 400 mètres du 5e escadron, le lieutenant Georges commande l’ouverture du feu. Appuyé par des tirs de mitrailleuses, utilisant au mieux les couverts, les soldats allemands continuent d’avancer. Les élèves-gardes, dont c’est le baptême du feu, se défendent bravement.

Les assaillants tentent un débordement, par la gauche puis par la droite. Ils réussissent à s’infiltrer près de la gare. Si on ne les stoppe pas, la voie est libre en direction de Guéret. Le commandement envoie en renfort une compagnie de maquisards C.F.L., l’escadron 7/5, et l’escadron des élèves-officiers. La situation est très confuse dans le secteur de la gare. L’ennemi tire avec précision. Un groupe de l’escadron des élèves-officiers, trop engagé, doit se retirer en arrière en rampant, tant le feu est intense. L’élève-officier Lambert s’affaisse soudain sur son fusil-mitrailleur. Une balle vient de lui traverser la mâchoire. Ses camarades le mettent à l’abri et l’évacuent. Les Allemands, stoppés dans leur avance, se replient après avoir massacré un couple de paysans et incendié deux maisons du hameau du Verger. Cependant, ils continuent à manifester leur présence par des tirs de mortier et de minen.

À 17 h 30, reprise de l’attaque par l’ennemi. Pendant que le lieutenant Georges et le capitaine Recevau déclenchent une contre-attaque, le 2e escadron du capitaine Faurie reçoit l’ordre de le prendre à revers. Les Allemands se retirent en désordre pour rejoindre leur base de départ.

Au cours du combat, l’élève-garde Jean Chapon, 21 ans, du 3e escadron, peloton du lieutenant Page, chef d’une pièce F.M. est grièvement blessé par une balle de mitrailleuse au moment où son escouade entre en action pour arrêter la progression de l’ennemi. Il reçoit sur place les premiers soins, avant d’être évacué sur l’hôpital de Guéret où il décède dans la soirée. Sur son lit de mort, apprenant par ses camarades venus le voir que les Allemands avaient été refoulés, il leur dit, avant de s’éteindre, donnant un magnifique exemple de courage « Chic à Saint-Cyr, on les aura ». Ancien élève de Corniche à Lyon, Jean Chapon est reçu au concours d’entrée à Saint-Cyr en 1942. Il appartient au groupe des 12 Saint-cyriens admis à l’école à titre posthume. Le journal de marche de l’E.M.P. de liaison 588, pour la France du sud, à Clermont-Ferrand, rend compte de la journée du 8 juin :

« Aucune liaison n’étant possible avec Guéret, 1 compagnie du bataillon de grenadiers de réserve 163 est mise en marche dès la première heure de la journée, de Montluçon sur Guéret. Rencontre force ennemie importante et doit revenir en arrière. Nos pertes : 7 morts, 10 blessés. »

Après l’échec de ses troupes, le général Brodowski décide un retour en force sur Guéret. Tôt, le vendredi 9, quatre compagnies du 163e bataillon de grenadiers de réserve appuyées par des engins blindés, une batterie d’artillerie de 77 et des lance-flammes se dirigent sur la ville par la route de Montluçon. De Limoges, où sa division (Das Reich) se trouve en opération avant de rejoindre le front de Normandie, le général Lammerding reçoit l’ordre de l’état-major principal de liaison d’investir Guéret par la route de Bourganeuf, de façon à couper toute retraite aux F.F.I. Au lever du jour, le 3e bataillon à 4 compagnies du 4e régiment blindé Der Führer, commandé par le Sturmbannführer Kâmpfe, progresse vers son objectif.

Depuis la veille, aux entrées de la cité, maquisards (C.F.L., F.T.P) au nombre d’une centaine et escadrons de l’école de la garde tiennent des barrages. Au P.C., entre 9 h et 9 h 30, les chefs militaires, renseignés par les postiers sur l’avance de l’ennemi supérieur en nombre et en matériel, décident d’évacuer leurs forces de la ville. Ils fixent le regroupement dans la région de Janaillat, petit village situé à environ 30 km au sud de Guéret (secteur de Bourganeuf).

Une attaque aérienne précède l’arrivée des troupes allemandes. Vers 9 h, un avion à croix noires, bientôt suivi par une douzaine d’appareils, mitraille les rues. Des bombes de petits calibres détruisent trois immeubles tandis que les chasseurs prennent à partie troupes et camions qui encombrent la route de Limoges. Sans relâche, pendant plus d’une heure, l’aviation poursuit systématiquement son action.

Avant de partir, le commandement militaire prélève à la Banque de France une somme de dix millions, au bénéfice de la garde. Le trésorier-payeur général en délivre reçu. Ces fonds sont destinés à pourvoir aux frais de subsistance des escadrons.

Dès la réception de l’ordre de repli, quelques unités se mettent en route à pied (peloton des aspirants, 2e et 5e escadrons de l’école, escadron 1/5 de Limoges). Le choix du capitaine Jouan du 1/5 se révèle judicieux. Les bombes des avions de la Luftwaffe atteignent et détruisent ses trois fourgons-cars abandonnés à 1 km 500 du bourg de la Chapelle Taillefer. L’un d’eux, chargé de munitions, brûle jusqu’à la nuit. D’autres formations, tant du maquis que de la garde, effectuent le mouvement en véhicule. Le lieutenant Page, du 3e escadron, réquisitionne un camion et un conducteur civil pour transporter ses hommes.

La présence des chasseurs allemands gêne la retraite des F.F.I. En fin de matinée, au cours de l’attaque aérienne, l’élève-garde Pouvreau est blessé. Le colonel Frachet, ancien élève-garde au 5e escadron, conserve un souvenir précis des mitraillages de l’aviation :

« Intermède : un bombardier Heinkel 111, des chasseurs Foocke-Wulf et Messerschmitt 109 passent au ras des arbres. Mitraillages copieux et effrayants qui nous plaquent contre les talus et nous mettent en fureur. Nous avons les jambes criblées de pierre et de ricochets. Tirs inutiles de nos Mas 36. À gauche de la route, en contrebas, dans la forêt de Chabrières brûlent des fourgons-cars dont j’apprendrai bien plus tard qu’ils appartiennent à l’escadron 1/5… »

Dans son journal de marche, l’adjudant-chef Coirier, commandant d’un peloton du 2e escadron, relate son repli mouvementé :

« Un quart d’heure après l’ordre de repli, nous quittons la ville en traversant la châtaigneraie de Grancheix où nous sommes pris à partie par des avions ennemis. Je regroupe mon peloton et nous continuons notre repli en suivant les bois, en direction du sud ouest. Je me guide à la boussole. Vers midi, nous arrivons dans une ferme isolée près de Saint-Léger-le Guérétois, nous voyons au loin des fourgons-cars qui sont en train de brûler. Nous continuons à marcher et sommes exténués. Au crépuscule, nous nous rapprochons de la nationale quand, tout à coup, la fusillade reprend vers l’est. Nous allons coucher sous des rochers, à quelques centaines de mètres d’une ferme, le peloton organisé en cercle sur la défensive. Je me mets à la recherche du commandant Corberand pour savoir ce que je dois faire. Je le retrouve. Mon peloton qui comporte 21 gradés ou gardes est rattaché à l’escadron Fourreau. Nous confectionnons des abris pour nous protéger de la pluie. »

Le 9, en fin de matinée, le bataillon de la 189e division de réserve de la Wehrmacht pénètre en force dans Guéret, sans rencontrer la moindre résistance. La population, grâce à l’intervention du maire, M. Arfeuillère, du secrétaire général de la préfecture et du comte de Baylen, un diplomate espagnol arrêté par les F.F.I. le 7 juin, ne subira pas de représailles. Pour M. Eugène Martres, correspondant dans le Cantal du comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale et de l’institut du temps présent, s’il n’y a pas eu de combat devant Guéret le 9 juin, c’est parce que les officiers de l’école de la garde « voulant éviter des pertes inutiles et des représailles sur la population civile avaient évacué la ville et libéré une partie des prisonniers allemands dont le lieutenant-colonel Biébricher afin que ceux-ci portent témoignage de la conduite militaire des résistants ».

Le journal de marche n° 2, de l’état-major principal de liaison 588, pour la France du sud-ouest, récapitule ainsi la journée du 9 juin :

« Réserve Grenadiers Bataillon 163 avec 4 compagnies et soutien aérien engagé à nouveau sur Guéret. Vers midi arrive la nouvelle que Guéret est libérée. L’école de la garde mobile est passée aux terroristes. La troupe continue son avance sur Bourganeuf. 1 compagnie reste à Guéret. Pertes de l’état-major de liaison Guéret : 5 tués, 5 blessés. »

Le bataillon du régiment Der Führer atteint Guéret en fin d’après-midi, vers 17 h 30. Quelques heures auparavant, la 9e compagnie, placée en embuscade à Bellesauve, intercepte un camion du maquis en route vers le P.C. du commandant François. Les SS fusillent sur-le-champ le conducteur et son passager.

Une autre embuscade, après le hameau de Combeauvert, au carrefour du Poteau, est fatale à un groupe de volontaires partis de Vallières à bord d’une traction et d’un camion, à destination de la commune de Janaillat. Quelques-uns seulement sont armés. Bilan du massacre : 29 tués. Parmi eux, le gendarme Morel (Henri), de la brigade de Vallières. Seul, il porte un uniforme. Les SS se dirigent vers lui et le mettent en joue. Il leur crie : « J’ai quatre gosses ! ». Une rafale le foudroie. On retrouvera son cadavre, au milieu de la chaussée, le crâne écrasé.

Par message du 11 juin, le lieutenant M.., commandant la section de gendarmerie de Bourganeuf, rend compte à sa hiérarchie de l’action des troupes d’opérations :

« Le 9 juin 1944, vers 16 heures 30, blindés de la division Das Reich de passage sur la R.N. 140 se dirigeant vers Guéret mitraillent convoi transportant 29 maquisards au moment où il aborde le carrefour C.G.C. n°10 et la R.N. 140 au Poteau de Combeauvert, commune de Thauron, canton de Pontarion. Parmi les victimes le gendarme Morel Henri de la brigade de Vallières qui avait rallié le maquis le 6 juin. Le gendarme Bernard, blessé par balle explosive, a réussi à se replier avec son groupe. Quatre tués dans son groupe. »

Toujours au Poteau de Combeauvert, les SS abattent le garde Bertrand, de l’escadron 1/5. Lors de l’évacuation de Guéret, dans la matinée, le capitaine Jouan, apprenant qu’un détachement blindé allemand remontait de Limoges, l’avait chargé de porter des ordres au deuxième échelon de l’escadron en route vers Janaillat. Au cours de sa mission, les Allemands l’interceptent et l’exécutent.

Le journal de marche n° 2 évoque encore une fois, le 11 juin, les événements de Guéret :

« Message radio du lieutenant-colonel Biebricher, commandant l’état-major de liaison de Guéret, du 10 juin, de Limoges, explique événements de Guéret : état-major de liaison réserve 896 arrivé à 12 h à Limoges. Nos pertes jusqu’ici, y compris la feldgendarmerie 992 : 9 tués dont une auxiliaire d’état-major, 9 blessés, 19 disparus. »

Le 10 juin, l’école de la garde s’installe sur la commune de Janaillat. À partir de cette date, commence pour elle la seconde période de son action au sein des F.F.I. L’arrivée des escadrons, dans la zone refuge, s’échelonne de 11 h 30 à 19 h le 9 juin. Quelques pelotons retardés ne l’atteignent que dans la matinée du dimanche 11.

Au cours du repli, outre la mort du garde Bertrand et la blessure de l’élève-garde Pouvreau, le commandement enregistre des défections. Le 2e escadron d’élèves-gradés, du capitaine Faurie, a littéralement fondu. Il ne reste à l’effectif que le peloton de l’adjudant-chef Coirier. Sans doute, beaucoup ont-ils subi l’influence du lieutenant en premier de l’escadron qui, comme l’explique son chef, n’était pas d’accord le 7 juin pour rejoindre le maquis :

« Il vint me trouver en me disant : « il ne sera pas dit que le jour où mon peloton luttera contre les Allemands, je ne serai pas à sa tête. Effectivement toute la journée il participa aux combats. Le soir, quand Guéret fut libérée, il vint vers moi et me dit « Je ne suis pas d’accord avec votre politique ». Et il partit. »

De même, au peloton Page, un élève-garde demande l’autorisation de se débrouiller par ses propres moyens et disparaît. Quelques-uns de ses camarades, dans les autres escadrons, l’imitent. Des officiers-élèves issus de la garde, nommés aspirants courant novembre 1943, manquent aussi à l’appel. Le samedi 10, la plupart des escadrons recherchent un emplacement définitif à l’écart de Janaillat. Le chef d’escadrons Corberand installe son P.C. dans un bois, à proximité de celui du commandant François situé à Bellesauve. Le peloton des aspirants assure sa protection. Six cents mètres à l’est du village de Janaillat, au hameau les Maisons, l’infirmerie de l’école occupe un local. À côté, dans la forêt, bivouaque l’escadron 7/5 de Pellevoisin. À l’est de la route Janaillat-Azat, sur une petite colline boisée qui surplombe le hameau de Pierrefite et la ferme de la famille Parelon, on trouve le 4e escadron, toujours au même endroit depuis son arrivée. Dans la nuit du samedi au dimanche 11 juin, des policiers de Guéret conduisent à Pierrefitte 19 prisonniers allemands capturés le 7 juin. La garde en incombe au 4e escadron.

Pour le lieutenant Doison, la position choisie, probablement connue des autorités à Guéret, ne paraît pas suffisamment sûre pour y rester.

Dans la soirée du 9, une fois son peloton restauré et reposé, il souhaite rechercher un autre bivouac. Le commandant d’escadron ne retient pas sa proposition. Les pelotons passent la nuit sur place. Le lendemain matin 10 juin, ils poursuivent leur installation : construction de huttes de branchages, aménagement d’emplacements de tirs aux lisières du bois, etc. À nouveau, le lieutenant Doison appelle l’attention du commandant d’escadron sur la nécessité de s’éloigner de Pierrefitte. Le capitaine Séchaud se retranche derrière l’ordre de stationnement donné par le chef d’escadrons Corberand.

Le lieutenant en premier prend alors des dispositions pour que ses hommes réagissent au plus vite, dans l’éventualité d’une attaque surprise. Les gradés reconnaissent les cheminements permettant de s’éloigner rapidement du secteur. Précaution supplémentaire, il donne l’ordre de boucler les sacs, de façon à pouvoir quitter les lieux à la première alerte.

Les 3e et 5e escadrons se réfugient plus au nord, tout en restant sur la commune de Janaillat. Quelques formations rattachées à l’école stationnent en dehors. L’escadron 2/5 est à Cluptat, à 7 km de Janaillat, le 1/5 au moulin de Cardeau près de Saint-Dizier-Leyrenne, le détachement technique à Champroux.

Le dimanche 11 juin s’annonce calme. Le 4e escadron s’apprête à recevoir le commandant François, le chef d’escadrons Corberand, le capitaine Jouan et le capitaine Richard. À midi, la famille Parelon accueille les officiers pour déjeuner.

Au P.C. de l’école, le capitaine Mathé reçoit à 14 h 15 un message signalant le passage d’un convoi allemand à Saint-Dizier Leyrenne et Saint-Junien la Brégère. Immédiatement, il envoie une estafette cycliste du 4e escadron détachée au P.C., l’élève-garde Belbizier, pour informer le commandement. Le porteur du message arrive près de Janaillat 20 minutes plus tard. Soudain, dans un virage, il voit déboucher des véhicules blindés. Il se jette dans le fossé, abandonne sa bicyclette et à travers bois réussit à revenir au P.C.

Le livre « Kameraden bis zum Ende », du major Weidinger, de la division « Das Reich », fournit quelques renseignements sur les troupes engagées dans l’opération et les circonstances de leur intervention :

« Le 3e bataillon (4e régiment blindé « Der Führer ») effectua une nouvelle opération ayant notamment à rechercher une unité de la gendarmerie française (en réalité école de la garde). Mais la venue des troupes allemandes avait sûrement été signalée par des civils, car, à leur arrivée au camp, dans une forêt, elles ne purent qu’arrêter 2 ou 3 Français et libérer plusieurs soldats allemands. Le gros de l’unité de gendarmerie avait filé. »

Arrivés en vue de Janaillat, les SS ouvrent le feu, a priori, avec toutes leurs armes. Un maquisard tombe sous leurs balles. Pendant que des soldats pillent les habitations, d’autres rassemblent les habitants. Un officier interroge en vain le maire pour savoir où se cachent les maquisards et l’école de la garde. Il paraît bien renseigné car, sur sa carte d’état-major, cerclés de rouge, apparaissent les villages et hameaux voisins occupés par les F.F.I.

Déjà, les colonnes ennemies, appuyées par des canons tractés, encagent la région. Dans les mêmes conditions qu’à Janaillat, elles pénètrent dans le hameau des Maisons. L’escadron 7/5 se replie précipitamment, contraint d’abandonner ses véhicules et du matériel lourd. Deux élèves-gardes soignés à l’infirmerie, Thévenard (5e escadron) et Pouvreau (3e escadron) ont tout juste le temps de se dissimuler dans des fourrés voisins. La chance aidant - à plusieurs reprises des patrouilles passent à côté d’eux, d’autres tirent dans les buissons - ils échappent aux recherches. Après le départ des troupes d’opérations, vers 21 h, ils se retrouvent seuls mais libres.

À Pierreffitte, dès qu’ils ont connaissance de l’arrivée des Allemands, le commandant François et le chef d’escadrons Corberand quittent les lieux pour rejoindre leur P.C. Dès le début de la fusillade à Janaillat, le 4e escadron s’apprête au combat. Le capitaine Séchaud estime que son unité, bien dissimulée sur la colline boisée, ne doit pas se dévoiler. L’ennemi ne semble pas l’avoir décelée. L’encadrement répercute ses ordres dans les termes que rapporte l’élève-garde Pierre Bur :

« Ne bougez pas, camouflez-vous, ils ne font que passer, ils ne savent pas que nous sommes là, que personne ne tire. »

Avant de se rendre, avec l’adjudant Vigier, auprès du poste commandé par le chef Duloué installé en bordure du bois, près de la route d’Azat, pour faire mettre à couvert les sentinelles et leur donner l’ordre de laisser passer le convoi sans tirer, le commandant d’escadron demande au lieutenant Doison de rester sur place.

L’arme au poing, l’officier rejoint les guetteurs. Au même moment, un détachement motorisé progresse lentement vers Pierreffitte. Sans doute a-t-il repéré le commandant d’escadron car des armes automatiques entrent en action. Le capitaine Séchaud est tué sur le coup. Les élèves-gardes ripostent. Le combat s’engage, incertain. Les fantassins allemands débarquent de leurs engins chenillés et, appuyés par des tirs de mitrailleuses et de canons, s’infiltrent dans les sous-bois. Un élément parti d’Azat-Chatenet contourne l’unité qui s’efforce de contenir les assaillants.

Aux abords de la ferme Parelon, dès le début de l’attaque, une blessure à la jambe immobilise le capitaine Richard. Les élèves-gardes Bonte et Weisgerber, sous la mitraille, le transportent et le dissimulent dans un fourré. Les Allemands, malgré un ratissage du terrain, ne le découvrent pas. Par la suite, l’officier réussit à fuir vers le sud où il rencontre un petit groupe d’élèves-gardes dispersé à la suite de l’attaque allemande. Avec eux, au bout de quelques jours, il retrouve le groupement de l’école en cours d’installation sur de nouvelles positions. La malchance s’abat sur les deux élèves-gardes qui l’ont secouru. Après l’avoir mis en sûreté, l’élève-garde Weisgerber est blessé à son tour d’une rafale de pistolet-mitrailleur dans le ventre. Il tombe aux mains des Allemands avec son camarade Bonte. Autre prisonnier, l’élève-garde Kloeckner, surpris en revenant de la ferme Parelon.

Après la disparition du capitaine Séchaud, le lieutenant Doison prend le commandement de l’escadron auquel il donne l’ordre de repli vers les Grands Bois. Deux élèves-gardes volontaires, Pierre Bur et André Cognard, reçoivent pour mission de couvrir le décrochage avec un fusil-mitrailleur.

Des difficultés se présentent au moment du départ. Les prisonniers allemands refusent de sortir du bâtiment où ils sont retenus. Pour les intimider, le lieutenant Doison leur fait dire, par un élève-garde alsacien, Kearstein, qu’ils vont être exécutés. Douze d’entre eux obtempèrent mais sept récalcitrants se couchent sur le sol et refusent de bouger se disant malades. L’officier, homme d’honneur, les abandonne sur place sans mettre sa menace à exécution.

L’élément retardateur ne parvient pas à stopper la progression des fantassins allemands. Repéré, soumis à des tirs de mitrailleuses légères, menacé d’encerclement, il abandonne rapidement la position. Après une marche de plusieurs kilomètres, sous une forte chaleur, à travers un terrain difficile, Pierre Bur et André Cognard retrouvent le gros de l’escadron, près du village de Drouille, sur la commune de Saint-Éloi où le lieutenant Doison a décidé de faire une courte pause.

Pendant qu’il fait le point sur la carte, aidé par son guide Robert Parelon, de Pierreffitte, dans un boqueteau, sous les frondaisons, la sécurité assurée par quelques guetteurs, ses hommes harassés prennent un moment de repos. Juste avant qu’il ne donne l’ordre de repartir, pour atteindre un campement sûr en vue d’y passer la nuit, un groupe, constitué d’isolés appartenant à d’autres escadrons, du capitaine Jouan, de 3 chefs et de 4 gardes de l’escadron 1/5 de Limoges, vient grossir l’effectif. Surpris à Pierreffitte au moment de l’attaque allemande, le capitaine Jouan a réussi à sortir de l’encerclement. Conformément aux règles en vigueur, le lieutenant Doison lui remet le commandement du détachement. Très fatigué, comme l’équipe du 1/5 qui l’accompagne, il retarde le moment du départ.

Soudain, les balles crépitent de tous côtés. Au bruit des détonations, se mêlent des aboiements de chiens qui ont guidé les chasseurs vers leur proie. Les prisonniers se lèvent, au milieu des gardes, pour signaler leur présence. La fusillade s’arrête un moment. Puis, en hurlant, les assaillants donnent l’assaut. Comme le rappelle Pierre Bur, l’effet de surprise est total :

« Assis sur mon sac, je fumai une cigarette ou deux et je m’allongeai sur le dos me servant du sac en guise d’oreiller. Bien m’en pris. Je n’avais pas fini de m’installer que ça se mit à flinguer tous azimuts, à "gueuler" comme ce n’est pas possible, et, dans les instants qui suivirent, je me trouvai avec une mitraillette sur le ventre - je vous rappelle que j’étais en bordure du dispositif - une face casquée, peu amène, me hurlait des amabilités teutonnes à deux doigts des moustaches. C’en était fait de Pierre Bur et de quelques petits camarades aussi peu chanceux qui n’avaient pas à proximité d’eux une déclivité, de la rocaille et des broussailles en contrebas pour s’esbigner. »

Les élèves-gardes tentent de sortir de la nasse. Les deux tiers de l’effectif y parviennent. Toutefois, les Allemands réussissent à encercler un élément ayant à sa tête le capitaine Jouan. Tout repli est impossible. Pour éviter le massacre de ses hommes, l’officier décide de se rendre. Au total, après ce coup de force, les SS détiennent 1 officier, 2 chefs, 3 gardes et 19 élèves-gardes.

Les nazis, exaspérés, menacent les captifs, qui connaissent des moments pénibles, comme le raconte l’ancien élève-garde Paul Bonte :

« Coups de poing, coups de pied, coups de crosses nous furent prodigués généreusement… Nous étions des terroristes, des bolcheviks, traîtres au maréchal Pétain

La brutalité du traitement, assortie de menaces non déguisées, laissait augurer un dénouement aussi sommaire qu’expéditif. Comme tous mes compagnons, je m’attendais à être pendu ou fusillé et n’en menait pas large. Pourtant il ne nous arriva rien de trop fâcheux, ce jour-là. en effet les prisonniers allemands libérés par les SS avaient intercédé en notre faveur. Parce que nous les avions traités humainement et en soldats, nous leur devions de ne pas être abattus sur-le-champ… »

Le général Guy Hinterlang, ancien élève-garde, capturé le 11 juin, évoque les propos tenus au capitaine Jouan par l’un des prisonniers allemands :

« Après la furie de notre désarmement par les SS, je me trouve à côté du capitaine Jouan lorsqu’un major, l’officier le plus élevé en grade des prisonniers libérés, vient vers lui et lui tient en français ces propos inoubliables pour moi :

"Je regrette ce qui se passe là, aujourd’hui c’est votre tour, demain ce sera peut-être le nôtre. Nous avons été bien traités, nous nous en souviendrons et nous ferons tout notre possible pour vous". »

Après le revers du 11 juin, qui lui coûte 1 tué, 2 blessés, 26 prisonniers et la perte d’une partie importante de son matériel, de nouvelles défections se produisent. Le gros de l’effectif de l’escadron 1/5, à l’exception de 15 gradés et gardes qui restent au maquis, rejoint Limoges par petites formations. Il y reste dans la clandestinité, jusqu’au 20 août, date à laquelle, sous les ordres du capitaine Duval, il remplit différentes missions à l’occasion de la libération de la ville. La majorité du personnel de l’escadron 7/5, dispersée au début du combat aux Maisons, décide de repartir sur sa résidence à Pellevoisin. Trente gradés et gardes passent toutefois individuellement aux F.F.I. de l’Indre-nord. Restent sur place, le capitaine Receveau, 10 gradés et gardes.

Dans les escadrons d’élèves-gardes, il y aussi des absents. Partis 24 de Guéret, le 9 juin, il ne reste le 12 que 13 aspirants du peloton d’élèves-officiers. Au 5e escadron on compte une douzaine de disparus. L’élève-garde D.. emporte même un fusil-mitrailleur qu’il abandonne 15 kilomètres plus loin, privant ses camarades d’une arme automatique. Dans un peloton du 3e escadron, 8 élèves-gardes quittent l’unité.

Que deviennent ces personnels ? Les uns, pour régulariser leur situation, rejoignent des escadrons restés fidèles au Gouvernement de Vichy. Les autres, rentrent chez eux où ils attendent la suite des événements. Traumatisés par les combats, doutant des lendemains, effrayés par les difficultés et les dangers inhérents à l’état de guérilleros, sans doute, ont-ils préféré renoncer. Leur comportement ne donne que plus de valeur aux choix de ceux qui ont pris le risque de rester au maquis.

D’autres jeunes recrues, issues de la population locale, remplacent les défaillants comme en font foi plusieurs actes d’engagement, au titre du groupement de la garde, pour la durée des hostilités, enregistrés entre la mi-juin et le 15 août. Avec ces volontaires, le commandement met sur pied de nouvelles unités encadrées par des gradés de l’école.

Le repli des escadrons installés sur le territoire de la commune de Janaillat, en direction des Grands Bois, vaste massif forestier qui longe le Thaurion, au nord-ouest de Bourganeuf, commence en milieu d’après-midi, le 11 juin, au moment du déclenchement de l’attaque sur Pierrefitte. Le regroupement s’effectue progressivement. Le P.C. de l’école, avec ce qui reste de l’escadron d’élèves-officiers, arrive sur place le 12 juin vers 5 h. À 17 h apparaît le chef d’escadrons Corberand. L’escadron du capitaine Fourreau y parvient le 14, après une marche éprouvante sous la pluie. Le récit de l’adjudant Coirier porte témoignage des difficultés du mouvement :

« Dimanche 11 juin :

"Quand nous arrivons au camp de Bellesauves, où je ne trouve personne, je n’ai plus que 15 gradés ou gardes avec moi ; les autres se sont perdus. Les Allemands font brûler les fermes avoisinantes… Il est 21 heures quand nous repartons. J’ai décidé que nous marcherions toute la nuit pour quitter ce secteur et passer entre Pontarion et Bourganeuf."

« Lundi 12 juin :

"Vers 1 heure du matin, je décide un repos d’une demi-heure. Nous entendons, au loin, les automitrailleuses ennemies qui continuent de patrouiller sur les routes et de tirer sur les lisières des bois. Il nous faut traverser un terrain marécageux, difficile, et nous arrivons sur le bord du Thaurion. Nous franchissons la rivière."

« Mardi 13 juin :

"Marche de nuit. Repos et bivouac dans les bois."

« Mercredi 14 juin :

"Nous allons, avec d’autres éléments nous regrouper dans les Grands Bois". »

Le 4e escadron, fractionné en deux détachements, atteint seulement les Grands Bois le 18 en fin d’après-midi. Pour diriger les isolés vers le point de ralliement, un aspirant, désigné par le P.C., a parcouru à vélo les routes et chemins de la région.

L’école s’installe définitivement au maquis. Constructions de huttes, corvées, gardes, reconnaissances ne laissent pas de répit aux élèves-gardes. L’annonce par la radio, le 16 juin, du passage de l’école au maquis, suivie le 19 par la visite du D.M.R. et du colonel Rivier, chef régional des F.F.I., conforte le moral des cadres et de la troupe.

À la mi-juin, les forces du commandant François (Fossey), chef départemental des F.F.I. de la Creuse, s’articulent en 5 groupements : groupement nord (commandant Maldant de l’A.S.), groupement centre (capitaine Marcel Camus), groupement sud-ouest (chef de bataillon Châtaignier de l’A.S.) groupement sud-est (chef de bataillon Brodhun), groupement de la garde (chef d’escadrons Corberand). Si les quatre premiers restent sous l’autorité directe de leurs chefs respectifs, celui de la garde est rattaché directement à l’état-major où son chef détache deux officiers : le capitaine Faurie (service de renseignements) et le lieutenant Ravenay (officier de liaison).

Le 20 juin, le commandant de l’école installe le P.C. à Masmoutard. Outre la réorganisation des unités, il modifie le dispositif. L’ordre de bataille fait apparaître la création d’un état-major de groupement, avec un officier adjoint (capitaine Mathé), une section de commandement (lieutenant Le Guillou), un officier d’approvisionnement (lieutenant Dufour) et un médecin (lieutenant Ducourneau). Le lieutenant-colonel Marty commande le détachement technique, assisté d’un officier adjoint (capitaine Cantoni), d’un lieutenant et de plusieurs sous-officiers. Successivement il stationne à la ferme de Lâchant puis dans les bois du château de Peyrus.

Quatre escadrons reconstitués forment les unités de combat. Le 1er (capitaine Fourreau, lieutenant Page) cantonne au Rioublanc (10 km au sud-est de Bourganeuf) ; le 2e (lieutenant Georges, sous-lieutenant Guillot) à l’est de la route Chavanat-Royère ; le 3e (capitaine Receveau, lieutenant Doison) près de Favareillas ; le 4e (capitaine Termet, lieutenant Ornault dont le 2/5 constitue l’ossature) dans le secteur de Forgeat. À la dissolution de leur peloton, les aspirants prennent des commandements dans les escadrons. Certains remplissent les fonctions d’officiers de liaison. Pour compléter les effectifs, l’école recrute des jeunes de la région et accueille des volontaires dirigés souvent vers eux par des brigades de gendarmerie.

Le mouvement des unités, pour gagner leurs nouveaux secteurs, s’effectue dans la nuit du 20 au 21 juin. Dès lors, chaque escadron évolue dans une zone d’action d’une dizaine de kilomètres de côté, à l’intérieur de laquelle les pelotons se dispersent, selon la nature du terrain, en règle générale non loin de fermes isolées.

Le groupement bénéficie du soutien actif de la population constituée principalement d’agriculteurs. Les fermiers donnent asile aux gardes, leur fournissent du ravitaillement, les renseignent sur la présence de l’ennemi, reçoivent leur courrier, sous de faux noms, avec la complicité des facteurs, quelques-uns servent de guide. Compréhensibles, généreux, accueillants, ils coopèrent malgré les risques de représailles qu’ils encourent de la part des troupes d’occupation. En retour, les gardes les aident à rentrer les fourrages au moment de la fenaison ainsi qu’à de menus travaux.

Pour subvenir à l’ordinaire (pain, viande, etc.) les commandants d’unités utilisent des bons de réquisitions. Ils disposent en outre des fonds, répartis par le commandant du groupement, qui proviennent de la trésorerie générale de Guéret. Le 10 juin, le 3e escadron a reçu la somme de 50 000 francs. Lors du repli du P.C., le 11 juin, le chef Cosson détenait dans une sacoche la somme de cinq millions.

L’instruction individuelle des élèves-gardes continue. Chaque escadron reçoit des instructeurs canadiens ou anglais qui enseignent l’art du sabotage. On commence celle des nouvelles recrues. Le chef d’escadrons Corberand détache quelques gradés et élèves-gardes anciens pour encadrer des compagnies de maquisards mises sur pied par le commandant François. Après la capture, le 24 juin, aux environs de Bourganeuf, de deux officiers et de plusieurs matelots de la Kriegsmarine, de retour du Japon, qui à bord d’un car cherchaient à gagner l’Allemagne, des unités de l’école participent aux recherches entreprises pour retrouver deux fuyards… Un escadron, par la suite, garde les prisonniers jusqu’au 17 juillet. Le car Mercédès 30 places des marins, mis à la disposition du groupement de la garde, lui sera très utile, comme le souligne le colonel Frachet :

« C’est dans le confort de ses fauteuils - mollesse oubliée - qu’il nous conduira protéger et accueillir les parachutages reçus sur le terrain de Nadapeyrat. »

À tour de rôle, des pelotons, pendant les parachutages, assurent la garde des terrains de réception (Nadapeyrat, Rubaine Soubrebost, etc.), la sécurité de l’équipe du service du C.O.P.A. et, à la fin des opérations, aident au transport du matériel. Entre le 28 juin et le 7 août, ils assurent au moins dix services sur ces sites.

Des unités, dans le cadre de l’application du plan Vert, participent à des sabotages. Le 29 juin, avec une équipe de maquisards de la compagnie Louis, le peloton Page sabote un tunnel à deux kilomètres de Saint-Sulpice, sur la ligne Guéret-Limoges. Les élèves-gardes tiennent chaque extrémité de l’ouvrage avec un fusil-mitrailleur. Le journal de marche de l’unité décrit l’action :

« Le train est annoncé, on met les pétards sur la voie, les deux F.M. sont en batterie, bien camouflés, le train arrive, les pétards sautent, Louis arrête le convoi en faisant des signes avec un drapeau rouge. Les têtes effarées des voyageurs paraissent aux portières, tout le monde met pied à terre, on aide les voyageurs à descendre leurs bagages, le chef de train distribue les bicyclettes. Le chauffeur reçoit l’ordre de bourrer son foyer, Louis se fait expliquer par le mécanicien le fonctionnement de sa machine. Louis met en marche et saute. Le train ne déraillera pas dans le tunnel car la coupure de la voie est trop étroite, il est allé s’écraser en gare de Saint-Sulpice, à plus de cent à l’heure, en détériorant toutes les aiguilles. Plus de dix jours de réparation sont quand même nécessaires… »

Le 8 juillet, le chef d’escadrons Corberand change l’ordre de bataille. Le capitaine Fourreau devient son adjoint. L’incorporation de volontaires lui permet de mettre sur pied trois groupements et de redéployer les escadrons. Le premier groupement (capitaine Mathé) a son P.C. à la Bussières (Saint-Pierre Bellevue). Il comprend trois escadrons ; le premier (lieutenant Page) se trouve à Freisseix, le deuxième (lieutenant Georges) au Guay Chaumeix (Monteil au Vicomte), le troisième (lieutenant Guillot) à Lavaud-Soubrannes (Vallières). Trois escadrons forment le deuxième groupement (capitaine Receveau) ; le quatrième (lieutenant Doison) à la Seauve (Vallières), le cinquième (sous-lieutenant Comte) à Favayeras, le sixième (adjudant-chef Coirier) à Vellegros. Le troisième groupement (capitaine Termet) compte quatre escadrons. Le septième (lieutenant Garnault) cantonne au Pommier (Saint-Dizier Leyrenne), le huitième (adjudant-chef Dumas) est à La Villate (Saint-Dizier Leyrenne), le neuvième (adjudant-chef Legendre) à Magnat, le dixième (adjudant-chef Toussaint) est à Boissieux (Châtelus le Marcheix).

Le lundi 3 juillet, le chef d’escadrons Corberand accueille la mission interalliée Bergamotte qui visite l’escadron de Boissieux. Il reçoit le 5 un message de félicitations du général Koenig, commandant les F.F.I., « pour la brillante conduite de l’école de la garde pendant les combats de Guéret ».

Avec les maquisards, l’école est à l’honneur le 14 juillet à Nadapeyrat où le commandant François organise une prise d’armes. Plusieurs officiers, gradés et élèves-gardes sont décorés de la Croix de guerre. Le capitaine Séchaud et l’élève-garde Jean Chapon la reçoivent à titre posthume. Ce même jour, des détachements de maquisards et de gardes, défilent dans plusieurs villages où la population leur réserve un accueil enthousiaste.

Le lendemain, la brigade du général Jesser, arrivée à la Courtine la veille, se dirige vers le secteur de Bourganeuf. Avec les légions Volga-Tatare et Azerbaïdjan, des batteries d’artillerie, deux escadrilles et des unités du SiPo-SD, deux régiments motorisés, à deux bataillons, en constituent le fer de lance. Le major Vonalt, commandant le 1er bataillon du régiment motorisé 1 000, apporte quelques explications sur la mission :

« Nous fûmes envoyés vers Bourganeuf parce que les maquis s’y étaient répandus et qu’il n’y avait pas de troupes allemandes. D’autre part notre mission était de libérer les officiers de la Kriegsmarine… »

Les services de renseignements de l’école, d’heure en heure, signalent les colonnes de camions et de blindés qui déferlent sur la région. Le 15, le commandant François déclenche l’alerte générale répercutée aux escadrons par le chef d’escadrons Corberand :

« Unités allemandes d’infanterie se préparent au nettoyage de la Creuse. Se disperser et faire le mort. Laisser passer l’orage. Le soleil reviendra. »

Dès l’arrivée du groupement Jesser, qui multiplie les reconnaissances et les ratissages, les escadrons se camouflent pour éviter le contact. À partir du 16, et dans les jours qui suivent, comme toutes les autres formations des F.F.I., ils vont connaître des moments éprouvants. D’après la carte renseignée prise dans la voiture d’un chef de colonne, les Allemands semblent connaître l’implantation de l’école.

Le dimanche 16, en fin d’après-midi, des éléments ennemis ratissent dans la région de la ferme Masmoutard où se trouve le P.C. du chef d’escadrons Corberand. Le commandant de l’école, avec son état-major, réussit à se replier sur Persee, à l’exception du médecin lieutenant Ducourneau, chef du service de santé, fait prisonnier.

Le lundi 17 au matin, replié dans une sapinière, à quelques kilomètres au sud de Monteil au Vicomte, un peloton du deuxième escadron (lieutenant Georges) amorce un mouvement pour s’éloigner du secteur sillonné par les troupes ennemies. Les trois éclaireurs de pointe, les élèves-gardes Cariteau, Beguinot et Castelain, se trouvent tout à coup en présence d’un élément de bouclage solidement installé et dissimulé dans les fourrés. Leur réaction rapide sauve le reste du détachement. Mais Castelain reste aux mains des Allemands. Un des acteurs de cet épisode, le colonel Frachet, en relate le dénouement :

« Ce même jour, à 20 heures, Fourneret pris au Monteil, fut emmené en captivité à Bourganeuf. Peu après il fut témoin de l’indomptable courage de notre ami qui osa déclarer à ses geôliers qu’ils étaient vaincus et qu’ils avaient déjà perdu la guerre. Castelain fut condamné à 25 coups de nerfs de bœuf. Son dos n’était plus qu’une plaie… »

Si Fourneret, déporté au Struthoff et à Dachau, réussit à survivre aux camps de la mort, Castelain, en revanche, y disparaît.

Ce 17 juillet, l’école déplore d’autres victimes. En fin d’après-midi, une colonne allemande se dirige vers le château de Villemonteix. Aux abords, cantonne une partie du 10e escadron (adjudant-chef Toussaint) du groupe d’escadrons Termet. L’autre partie bivouaque à proximité, au hameau de Boissieux. En l’absence du commandant d’escadron, en mission au P.C. du groupe, le chef Bongeot, gradé le plus ancien, fait prendre les dispositions de combat au détachement de Boissieux. Des coups de feu éclatent dans la direction du château de Villemonteix. Le gradé n’hésite pas un instant. À la tête de ses hommes, il se porte au secours de ses camarades. Au moment où il arrive près de Villemonteix, trois véhicules chenillés débouchent devant sa troupe. Le garde Lataste, en avant, à moins de quinze mètres des engins, ouvre le feu avec son fusil-mitrailleur. Le reste du détachement, en appui, déclenche simultanément un feu meurtrier et progresse en direction des éléments motorisés. Les Allemands commencent à se replier. L’arrivée soudaine, en renfort, d’une compagnie puissamment armée, renverse la situation. Stoppés dans leur élan, cloués au sol, les gardes subissent maintenant l’assaut des Allemands. Le chef Bongeot est tué. Presque en même temps, son adjoint, le maréchal des logis Sirveaux et le garde Champion tombent à leur tour, grièvement blessés. Les survivants du groupe se replient

Une méprise provoque un autre drame. Après l’accrochage, un vieux paysan confond des francs-gardes de la Milice avec les gardes. Il demande aux miliciens de secourir les deux blessés dissimulés dans un fourré. Les séides de Darnand se portent immédiatement à l’endroit indiqué et achèvent sauvagement les gardes. La pression exercée par les groupements tactiques de la brigade Jesser ne se relâche pas. Les opérations se succèdent pour découvrir les maquisards. L’ennemi, présent partout, sillonne les routes, fouille les fermes, menace les habitants, occupe les points hauts. Le 18, le P.C. du 1er groupe d’escadrons, à Pramy (capitaine Mathé), subit une attaque en force. L’escadron installé dans le bois de la côte 708, matraqué par l’artillerie légère, poursuivi par des fantassins, décroche par groupes successifs vers Saint-Pierre du Bost.

Le 19 juillet, au combat de La Croix de la Mine, l’élève-garde René Verdier, un volontaire récemment engagé, trouve la mort avec un groupe des F.F.I. du Cher commandé par le capitaine Blanchard (Surcouf). Dans le bois de Plein Panier, où il s’est réfugié, le P.C. du groupe d’escadrons Termet essuie des tirs en provenance de la route proche où circule une colonne ennemie. À 6 h, des troupes cernent, dans les bois de la Villatte et de Fontléon, des éléments du 8e escadron (adjudant-chef Dumas). Les élèves-gardes décrochent sous un violent tir de mitrailleuse et de mortier. Près du village de Villatte, un camion de l’escadron, chargé de matériel et de munitions, atteint par des tirs, s’embrase. Le chef Perlet, blessé à une cheville, ne peut s’enfuir à l’approche des soldats allemands qui l’exécutent d’une rafale d’arme automatique.

Un peu plus tard, dans la matinée, une opération se déroule dans la région du pont de Murat. Le détachement technique de l’école, précédemment cantonné à Champroy et Lachamp, rejoint, scindé en petits groupes, une ferme située à côté de Bost-Village. Le lieutenant-colonel Marty, avec une dizaine d’hommes, stationne au milieu de genêts, sur un mamelon broussailleux, difficile d’accès. Vers 8 h 20, l’ennemi surgit de tous les côtés et somme le détachement de se rendre. Face à une situation sans issue, l’officier accepte la reddition. Les prisonniers, sous bonne escorte, rejoignent le Pont de Murat.

Aux alentours de 17 h, après un interrogatoire, les Allemands séparent du groupe le lieutenant-colonel Marty et le garde Caron. Ils les conduisent à Bourganeuf. Les deux hommes y passent la nuit, dans la tour Zizim. Dans la matinée du 21, les Allemands exposent l’officier, pendant plusieurs heures, dans la position du garde-à-vous, sur les marches de la mairie. Sur sa poitrine, ils placent un panneau portant l’inscription « J’ai été parjure au serment du maréchal Pétain ». Via Aubusson, où ils restent quelques jours, enfermés dans le vieux lycée, le lieutenant-colonel Marty et le garde Caron sont dirigés sur Clermont-Ferrand. Après un passage à la Milice, ils se retrouvent à la prison du 92e R.I.

Un rapport des autorités militaires allemandes, en date du 27 juin, fait état de la capture du médecin-lieutenant Ducourneau et du lieutenant-colonel Marty. Le document précise que le bilan des opérations conduites par la brigade Jesser s’élève « à 250 tués, 300 prisonniers dont 22 juifs, un lieutenant-colonel et un médecin-major de la Garde républicaine ».

Le 19 juillet, dans l’après-midi, les Allemands règlent immédiatement le sort des autres prisonniers. À l’orée des Grands Bois, à hauteur du Pont de Murat, près d’un sentier, ils les obligent à creuser une fosse puis à s’aligner devant. Des rafales retentissent. Là, s’achève le destin des gardes Hilairet (Armand), Chavanel (Henri), Heinrich (Charles), Leroux (Louis), Lambert (Roger) et Étienne (Marius). La libération par les Allemands du garde M.. reste énigmatique.

Une action ennemie, près de Pommier, coûte le 20 juin, à 6 h, deux prisonniers à l’escadron Garnault du groupe Termet.

Dans les jours qui suivent l’offensive des troupes du général Jesser, la dispersion des escadrons, par pelotons et souvent par groupes, alliée à une grande mobilité, leur évite probablement des pertes plus importantes. Les jeunes élèves-gardes surmontent courageusement les nombreux obstacles auxquels ils sont confrontés. Le colonel Frachet en évoque quelques-uns :

« L’ennemi nous recherche. Il occupe chaque hameau, chaque ferme. Il lance d’incessantes patrouilles que la pluie rend silencieuses. Cette interminable pluie d’orages de fin juillet 1944.

Nous la subissons adossés aux troncs ruisselants, trempés de la tête aux pieds. Personne n’a pris, au départ, ni imperméable, ni toile de tente. Au fond de nos sacs moisis baignent dans l’eau les chargeurs de F.M., les grenades, le carton trempé de boîtes de cartouches. Des parachutages, nous n’avons gardé que des petites housses étanches, vertes et blanches, grandes comme la main, qui couvrent si bien la culasse du fusil. Puis, après quelques jours, voici la faim qui s’ajoute à la pluie. On peut la tromper, elle, en mâchant ces petits bourgeons vert tendre que nous donnent les résineux… »

Le 27 juillet, la brigade Jesser reflue vers la Corrèze. Dans la Creuse, l’orage passé, les escadrons se reconstituent dans le sud-ouest du département. Dans le cadre d’un plan d’ensemble arrêté par l’état-major F.F.I. de la région 5 (Limousin), gardes et maquisards multiplient les embuscades, pour intercepter les forces allemandes qui se replient du sud-ouest vers le nord ou le nord-est. Reconnaissances du terrain, aménagements d’emplacements de combat, minage des passages obligés précèdent la mise en place des dispositifs, de jour comme de nuit, pendant de longues heures. Courant août, les actions de harcèlement se généralisent. Ainsi, le 22, l’escadron Guillot intercepte une colonne allemande, sur la route de Bourganeuf à Royère. Le lendemain, l’escadron du lieutenant Garnault attaque un convoi qui se dirige de Bourganeuf vers Guéret. Le 24, l’escadron de l’adjudant-chef Dumas mitraille des véhicules ennemis sur la route de Brionne.

Dans la nuit du 24 au 25, les Allemands s’enfuient de Guéret. Dès l’aube, un groupement des F.F.I. comprenant deux escadrons de l’école entre dans la ville. L’aviation alliée a prévu, ce matin-là, une attaque aérienne sur le lycée de Guéret utilisé par les Allemands pour accueillir les troupes en transit refluant de la région bordelaise vers l’est de la France. Un bombardement pouvait entraîner de graves dommages. Il n’aura pas lieu, grâce à l’initiative du capitaine Faurie détaché au P.C. des F.F.I. Voici son témoignage :

« J’avais avec moi un officier de liaison en contact radio avec Londres. Persuadé que Guéret serait libérée le 25 août au matin et redoutant un bombardement alors qu’il n’y aurait plus d’Allemands, j’ai fait transmettre vers minuit un message à Londres disant "que Guéret était libérée" alors qu’elle ne l’a été en réalité que vers 4 heures du matin. Je pense de ce fait, avoir peut-être évité un bombardement sur la ville alors qu’il n’y avait plus d’ennemis. »

Dès son retour à Guéret, dans la matinée du 25, le chef d’escadrons Corberand remplit les fonctions de commandant d’Armes. Promu lieutenant-colonel, il y reste jusqu’au 1er septembre. Le lieutenant-colonel Fossey confie au capitaine Faurie le poste délicat de chef de la sécurité militaire du département. En liaison avec le préfet Castaing, cet officier va mener à bien, dans les semaines qui suivent, les investigations qui lui incombent dans le cadre de l’Épuration, jouant un rôle modérateur mais juste.

Le capitaine Mathé, nommé chef d’escadrons, prend le commandement de l’école des cadres F.F.I de la Creuse installée caserne des Augustines. On y forme des chefs de sections et de groupes. Pour la plupart, les instructeurs proviennent du groupement de l’école de la garde (officiers, élèves-officiers, sous-officiers, élèves-gardes).

Le 27 septembre, le groupement de l’école, ayant à sa tête le chef d’escadrons Mathé, défile à Limoges, à l’occasion des cérémonies organisées pour la visite du représentant du général de Gaulle, M. Diethelm, ministre de la Guerre. Pour la première fois, depuis l’occupation de la zone sud, le drapeau de la G.R.M., sort de l’ombre. Quelques semaines plus tard, le chef d’escadrons Mathé le remet au colonel Meunier, directeur de la gendarmerie.

La Creuse libérée, on ignore ce que sont devenus la plupart des gardes et élèves-gardes capturés courant juillet. Leur sort ne sera connu que plusieurs mois plus tard. Le 12 juin, au lendemain de l’attaque dans la région de Janaillat, de retour à Limoges, les SS de la division « Das Reich » déposent le capitaine Jouan, les chefs Duloué et Doom, les garde Jean, Donan, Guizot, les élèves-gardes Bonte, Bur, Quennesson, Hinterlang, Reuter, Nouyrigat, Faivre, Guizot, Respaud, Sentenac, Kloeckner, Puech, Dechaume, Cognard, Sauzet, Gaillard, Dornier Rouy, Weisgerber, Labeur à la caserne du 21e chasseur. Des moments douloureux les attendent. Interrogatoires au P.C. de la division, puis au siège de la Gestapo, suivis d’un odieux simulacre d’exécution au stand de tir réduit, rue de Belfort. Les gardiens abandonnent sur un trottoir l’élève-garde Weisgerber, gravement blessé. Des Français compatissants le ramassent et le font hospitaliser.

Dans l’après-midi du 12, les prisonniers, embarqués dans des véhicules, prennent la route pour une destination inconnue. Le convoi fait étape à Poitiers. Les gardiens parquent les détenus, dans la cour d’un hôtel occupé par la Gestapo, au 13 rue des Écossais. Dans cet endroit très exigu s’entassent plus de deux cents malheureux auxquels on interdit de se tenir debout. Assis à la turque, serrés les uns contre les autres, ils se regroupent par affinités. Ici, les gardes autour du capitaine Jouan, là, des otages pris à Tulle, ailleurs, d’autres inconnus, maquisards, paysans, ouvriers.

Vers 22 h, les sirènes hurlent. Quelques instants après, le ciel s’illumine. Des bombardiers pilonnent la gare et la voie ferrée, à quelques centaines de mètres de là. Les gardiens se précipitent aux abris, dans les caves, mais continuent néanmoins, par les soupiraux, de surveiller les captifs. Des nuages de poussière et de fumée envahissent la cour. Des pierres volent en éclats au-dessus des têtes. Dans le fracas des explosions, la panique s’empare de certains détenus qui pensent trouver une protection en se déplaçant vers le fond de la cour. Les SS ouvrent immédiatement le feu à la mitrailleuse. Le bilan est lourd : six morts et trente-cinq blessés. Une rafale scie littéralement en deux l’élève-garde Gaillard qui espérait peut-être, à la faveur du bombardement, escalader le mur de clôture. Paul Bonte, ancien élève-garde, fait une description hallucinante du drame :

« Pendant cinq minutes ce fut l’enfer dans la cour. D’un côté le bombardement, de l’autre la M.G.. Enfin tout cessa. La nuit fut longue à passer. L’atmosphère était empuantie par la fumée des incendies, le sang, l’urine, les excréments. Les blessés geignaient sans soins et perdaient leur sang en abondance. C’était terrible. »

Le lendemain, entassés dans des camions, les prisonniers partent pour une nouvelle étape. Par Blois, Orléans et Paris, le convoi arrive, dans la nuit du 14 au 15 juin, au camp de Royal-Lieu, près de Compiègne. Les gardes y séjournent jusqu’au 17 août. Dans cet intervalle, la Gestapo, qui enquête sur leur passage au maquis, vient à deux reprises interroger le capitaine Jouan. Elle entend aussi le chef Duloué.

Le 15 août, pour la première fois séparés depuis leur arrestation, les gardes embarquent, non loin de Rethondes, dans des wagons à bestiaux stationnés sur une voie secondaire en plein soleil. Le 17, le dernier train de déportés au départ de Compiègne s’ébranle avec sa cargaison humaine (1 250 personnes) en direction des camps de la mort.

Dans la nuit du 18 au 19, à quelques kilomètres de la gare de Saint-Hilaire-au-Temple, des coups de feu éclatent, des cris traversent la nuit, des projecteurs s’allument, le train ralentit. Plusieurs évasions viennent de se produire. Parmi les fuyards : les élèves-gardes Rouy et Rolland. Les deux évadés se séparent. Rolland se dirige vers Reims. Grâce aux habitants qui l’hébergent, il échappe à la déportation. Quant à son compagnon, victime d’une foulure en sautant du train, il reste caché dans un bois jusqu’au lever du jour. Avec beaucoup de difficultés, il atteint une maison isolée près d’un village. Des familles l’accueillent pendant trois ou quatre jours. Vers le 21 août, à la suite d’une dénonciation, la police allemande l’arrête et l’emprisonne à la maison d’arrêt de Châlons-sur-Marne. Mis au secret, il subit plusieurs interrogatoires aussi éprouvants les uns que les autres. Après l’évacuation de la prison, le 29, il se retrouve à Belfort. Le 1er septembre, avec d’autres déportés, il embarque dans des wagons à bestiaux, à destination du camp de Neuengamme, près de Hambourg. Le déplacement ne dure pas moins de cinq jours. Le 28 avril 1945, l’élève-garde René Rouy recouvre la liberté. Il a tout juste 20 ans. La maladie, le typhus et une tuberculose pulmonaire, retardent son retour en France. Au mois de septembre enfin, il retrouve les siens. Pour lui, la carrière des armes s’achève. Une décision en date du 30 juillet 1946 prononce sa radiation des cadres de l’armée et le place d’office à la retraite, « pour infirmités incurables ».

Le train parti de Compiègne le 17 août continue sa marche. Le 20, il passe la frontière à Sarrebruck. Les stations se succèdent : Homburg, Mayence, Hanau, Eisenach, Fulda, Gotha, Erfurt. À sept ou huit kilomètres de Weimar, après avoir quitté la grande ligne, le lundi 21 août, le convoi s’immobilise sur une voie de garage. À 13 h 30, poussés à coups de crosses de fusils par les SS dont les ordres gutturaux retentissent dans le voisinage, les déportés, épuisés, chancelants, à demi-morts de soif, franchissent le seuil du camp de Buchenwald.

Dans ce bagne, et jusqu’au 14 septembre, tous les gardes qui ont quitté Limoges le 12 juin restent ensemble. À compter de cette date, alors qu’une partie d’entre eux (capitaine Jouan, les gardes et élèves-gardes Doom, Guizot, Cognard, Labeur, Nouyrigat, Reuter, Dornier) demeure sur place à Buchenwald, l’autre (Bonté, Donan, Jean, Bur, Dechaume, Faivre, Hinterlang, Kloeckner, Puech, Respaud, Sentenac, Quennesson, Duloué) part pour le camp de Neu-Stassfurt, situé à environ 35 km de Magdebourg, pour y travailler dans les mines de sel.

Début octobre, les SS évacuent un groupe d’inaptes au travail (des malades) sur Buchenwald. L’élève-garde Hinterlang en fait partie. À force de courage et de volonté, il se rétablit. Vers le 27 octobre, les Allemands le transfèrent au camp de Lau, à peine à 20 km des mines de Stassfurt. Sur son carnet de notes prises au jour le jour, Pierre Vigny, un déporté, mentionne à la date du 10 mars 1945 « la mort de Quennesson de Roubaix, excellent camarade ». Ce jeune élève-garde s’éteint à l’âge de 18 ans à l’infirmerie du camp. Autre disparition le lendemain, celle de l’élève-garde Respaud, lui aussi âgé de 18 ans, qui meurt d’épuisement. Son camarade Sentenac, entouré de ses camarades, récite près de sa dépouille un « Notre Père » puis le chef Duloué s’adresse à ses cadets :

« La mort de Respaud ne doit pas nous abattre. Restons unis, serrons-nous les coudes et nous nous en sortirons… »

À l’approche des armées alliées, le 11 avril, les nazis évacuent le camp en direction de la frontière tchécoslovaque. Avec la mort pour inséparable compagne, divisés en trois colonnes, en rang par cinq, précédés et encadrés par des SS armés jusqu’aux dents et portant des gourdins, 400 Français environ et 250 Polonais partent, une fois encore, pour l’inconnu.

Jour après jour, les rangs s’éclaircissent au cours des étapes longues de 20 à 30 km. La faim, la maladie, l’épuisement, les coups, les exécutions sommaires viennent à bout de centaines de déportés. Les SS abattent le chef Duloué, mentor des jeunes élèves-gardes, le 19 avril. Le samedi 21, écrit Raymond Levasseur, « mon camarade Dechaume, élève à l’école de la garde, s’écroule épuisé ». Un de ses compagnons de l’école de Guéret, Pierre Bur, le relève et l’entraîne. Un SS intervient qui arrache son compagnon de ses bras et le pousse dans le fossé. Pierre Bur, forcé de rejoindre la colonne, revient vers elle en pleurant.

Au départ de l’étape de Kurort-Harta, pour rejoindre Oberbobritsch, le 20 avril, l’élève-garde Paul Bonte fausse compagnie à ses gardiens. Au moment de l’appel, il se cache dans un coin de la grange où il a passé la nuit avec d’autres déportés et échappe à l’ultime inspection des lieux effectuée par les SS. Deux Ukrainiens, employés dans la région, lui viennent en aide. Ils le mettent en rapport avec des prisonniers de guerre français travaillant dans une ferme. Le 23, jour de ses 19 ans, ses amis lui préparent un gâteau d’anniversaire, avec 19 bougies confectionnées avec les moyens du bord. Avec l’arrivée des Russes, le 7 mai 1945, il est définitivement libre.

Chapitre 12 - LA GARDE D’A.F.N.

Le calvaire des autres déportés continue jusqu’à leur arrivée le 8 mai à Annaberg où l’Armée Rouge met en fuite leurs bourreaux. Pour la centaine de survivants, qui viennent de parcourir plus de 300 km, s’achève la terrifiante marche de la mort.

Du groupe de Buchenwald disparaissent successivement les élèves-gardes Labeur, le 4 avril 1945, abattu sur une route du Harz, Reuter tué à Elbritcht et le capitaine Jouan qui s’éteint le 22 avril. L’enfer concentrationnaire engloutit encore à jamais, le chef Duloué, les élèves-gardes Quennesson, Respaud, Dechaume, Jean, Sauzet (camp de Neu-Stassfurt) et Catelain (camp de Dachau).

L’arrivée des Américains à Hinsdorf, le 14 avril, stoppe la colonne de déportés évacués du camp de Lau. Parmi les rescapés, il y a l’élève-garde Hinterlang.

Les autres élèves de l’école de Guéret (Cambon de la Valette, Fourneret, De la Haye, Saint-Hilaire, Caron, Bonte, Bur, Donan, Doom, Dornier, Faivre, Guizot, Kloeckner, Nouyrigat, Puech, Rouy, Sentenac), capturés en juillet 1944 puis déportés, survivent aux camps d’extermination.

Dans les F.F.I de la Creuse, pendant deux mois et demi, le groupement de l’école de la garde de Guéret a perdu 30 officiers, gradés, gardes et élèves-gardes. Sur 30 déportés, 11 sont morts dans les camps. Ses cadets, enfants de troupe à peine sortis de l’adolescence, élèves des Corniches, jeunes gens admis à Saint-Cyr, se sont battus courageusement. Ceux qui les ont côtoyés, dans les camps de concentration, s’accordent pour reconnaître leur comportement exemplaire. Raymond Levasseur, un résistant, qui a partagé leur sort à Buchenwald et au Kommando de Neu-Stassfurt, écrit à leur sujet, évoquant la vie quotidienne dans les camps :

« Le sordide et le sublime s’y côtoyaient. Mais, si malgré ces horreurs que nous avons vues et ressenties, nous croyons encore en la dignité de l’homme, c’est parce que nous avons été aussi les témoins de sa grandeur. Parce que nous en avons vu un petit nombre qui sut s’élever plus haut que l’on peut imaginer. Et les jeunes élèves de l’école de la garde furent de ceux-là. En toutes circonstances ils donnèrent l’exemple de la dignité. Ils manifestèrent amitié et solidarité jusqu’aux portes de la mort, que ce soit au Camp ou sur les routes de l’exode quand ils traînaient leurs camarades épuisés, poursuivis par la meute de SS hurlants et menaçants. Comment définir ces sentiments ? Entraide ? solidarité ? Pourquoi pas amour fraternel. »

Les critiques, émises en automne 1944, par certains milieux mal intentionnés, dénonçant l’inaction de l’école de la garde, attribuée à ses chefs qui préféraient soi-disant la préparer à maintenir l’ordre contre les communistes à la Libération, ne reposent sur aucun fondement sérieux. Le lourd tribut du sang, payé par ses officiers, gradés, gardes et élèves-gardes, leur apporte, s’il en était besoin, un éloquent démenti.

Le débarquement des Alliés en A.F.N, en novembre 1942, rompt l’unité de la garde fractionnée en deux éléments. D’un côté, 3 régiments, les 7e, 8e et 9e, rattachés au commandant en chef civil et militaire en A.F.N. puis au commissaire à la guerre du Gouvernement provisoire de la République française. De l’autre, 6 régiments, stationnés en métropole, placés sous l’autorité du secrétariat d’État à l’Intérieur mais qui conservent leurs règles de subordination normale. Certes, leurs chemins divergent pendant près de deux années, mais pour se rejoindre finalement à la fin de l’été 1944. Malgré une séparation temporaire, inhérente aux événements, on ne peut dissocier leur histoire.

Postérieurement au 8 novembre 1942, bien que plusieurs fois réorganisée, la garde d’A.F.N. continue d’exercer ses missions antérieures : préparation au combat, police militaire, participation à des services d’ordre et de maintien de l’ordre. Les événements placent quelques-uns de ses personnels au cœur de péripéties de notre histoire. Quoique secondaire, il n’est pas inutile de se remémorer le rôle qu’ils y jouent.

Le 23 décembre 1942, l’aspirant Truchi, de l’escadron d’Alger, assure avec son peloton, sur les hauteurs de la ville, la protection du Palais d’été où se trouve le Q.G. de l’amiral Darlan détenteur depuis peu de temps de l’autorité en A.F.N. L’officier se trouve au poste de police, lorsque vers 15 h deux détonations retentissent.

Accompagné de deux gardes, il franchit rapidement la cinquantaine de mètres qui le séparent du pavillon abritant le bureau de l’amiral d’où émane le bruit. En arrivant, il aperçoit l’amiral ensanglanté, étendu sur le sol, et un individu qui vient de faire feu sur lui. Avec l’aide du capitaine de vaisseau Hourcade et de ses gardes, il neutralise l’inconnu. Quelques minutes avant l’attentat, le meurtrier s’est présenté à la grille d’entrée. En possession d’une fausse carte d’identité, au nom de Morand, il a demandé à être reçu par M. Lovet au service de l’Information. Un garde a accompagné le visiteur jusqu’au pavillon où un huissier devait l’introduire.

L’amiral Darlan évacué sur l’hôpital y décède. L’enquête, effectuée par la police, établit que l’auteur de l’agression, âgé de vingt ans, se nomme Bonnier de La Chapelle. Au moment de son arrestation, il déclare aux gardes :

« Vous pouvez toujours m’arrêter, je serai libéré rapidement. »

Le 25, à 18 h, une cour martiale hâtivement constituée juge l’intéressé et le condamne à la peine capitale. L’escadron de Tizi-Ouzou, commandé par le capitaine Gaulard, garde la prison où est incarcéré, avant son exécution, Bonnier de La Chapelle. Le prisonnier ne trouve pas le sommeil. Peut-être a-t-il besoin de se rassurer ? Toujours est-il qu’il tente d’engager la conversation avec le capitaine, de passage à côté de sa cellule.

L’officier découvre un « gosse » et l’écoute attentivement. Jusqu’à minuit, heure à laquelle un de ses lieutenants le relève, il reçoit les confidences de celui qui n’a que quelques heures à vivre. Son interlocuteur évoque à plusieurs reprises « les personnalités qui avaient eu l’idée d’assassiner Darlan » et ses relations avec « des monarchistes convaincus » sans jamais toutefois citer des noms. Bonnier avoue au capitaine être devenu royaliste car ses amis l’ont persuadé que le seul obstacle au retour de la monarchie était Darlan inféodé aux Allemands. Selon les dires de Bonnier, l’amiral est le type même du traître. À son gardien, Bonnier affirme encore qu’il s’est proposé à ses amis pour le faire disparaître. Poursuivant ses révélations, sans nommer le comte de Paris, il laisse entendre que le général de Gaulle a « décidé de se soumettre au prétendant au trône de France ». Un émissaire aurait été envoyé à Alger auprès de Darlan, en vue de tractations. L’amiral, « obstacle à l’union » devait donc disparaître. Pour Bonnier, le jugement qui vient de le condamner n’est qu’un simulacre. Ses amis lui ont donné l’assurance qu’ils interviendraient pour le libérer. Malgré des questions déguisées, le capitaine Gaulard ne parvient pas à obtenir leur nom.

Rentré chez lui, il raconte à son épouse les histoires de Bonnier. Ce récit, peu de temps après, parvient à la connaissance du sous-préfet et du commandement de la garde qui invite l’officier à établir un compte rendu et à se tenir à la disposition de la justice militaire, chargée de l’enquête. Dans sa déposition, le capitaine Gaulard relate les propos tenus par le condamné dans la nuit du 25 au 26 décembre.

Après avoir attendu en vain le sauveteur mystérieux qu’on lui avait promis, Bonnier de La Chapelle tombe sous les balles d’un peloton d’exécution, au champ de tir d’Hussein Dey, le 2 décembre. L’instruction judiciaire ne permettra pas de connaître le ou les instigateurs du complot. Pour le capitaine Gaulard, l’affaire en reste là.

Quinze mois plus tard, toujours à Alger, les autorités utilisent la garde pour mettre à exécution une décision du tribunal militaire d’armée. Le 15 février 1943, Pucheu, ancien ministre de l'Intérieur du maréchal Pétain, obtient du général Giraud, nommé depuis quelques jours commandant en chef civil et militaire en A.F.N., l’autorisation de se rendre au Maroc, à condition qu’il s’engage dans une unité combattante et s’abstienne de toute activité politique. Par l’Espagne, il y arrive le 16 mai. Du 22 mai au 14 août, le général Giraud l’assigne en résidence forcée à Ksar-es-Souk. À la mi-août, sur ordre du comité français de libération nationale, on l’emprisonne à Meknès avant de le transférer à Alger pour y être jugé en tant qu’ancien membre du Gouvernement de l’État français.

Son procès s’ouvre le 4 mars 1944. Le tribunal militaire le condamne à mort. Malgré l’intervention du général Giraud, qui propose au général de Gaulle de commuer la peine, le chef de la France Libre, inflexible, s’y oppose en invoquant la raison d’État. M. le Troquer, commissaire à la Guerre et à l’Air, signe l’ordre d’exécution pour le 20 mars à 5 h 30.

Sans attendre, le général Deligne, commandant la division militaire d’Alger, charge le colonel Monory, major de garnison, de préparer les ordres en vue de l’exécution du jugement, qui incombe aux autorités militaires. Il appelle son attention sur la nécessité de prévoir un renforcement important du service d’ordre, de façon à pouvoir faire évacuer le terrain d’Hussein Dey, s’il était envahi par des manifestants.

Le 19, vers 22 h, le général Deligne organise une réunion à l’état-major de la division pour donner ses instructions. Le colonel Zwilling, commandant de la garde en Algérie, convoqué pour la circonstance, y assiste aux côtés du général Weiss, adjoint du commandant de division, du colonel Vuillermet le chef d’état-major, du major de garnison et d’un colonel du génie. Le colonel Vuillermet répartit les missions. La garde doit assurer la sécurité du champ de tir et fournir le peloton d’exécution. Sur ce dernier point, le colonel Zwilling réagit immédiatement. Il fait observer que le règlement prévoit la mise sur pied d’un peloton d’exécution composé de 12 hommes, parmi lesquels obligatoirement 4 sous-officiers, 4 caporaux et 4 hommes du rang. Or tous les gardes sont sous-officiers. Dans ces conditions, il ne lui appartient pas de fournir la totalité du détachement. Le général Deligne tranche en précisant que la garde remplira la mission. À la lumière de cet exemple, on comprend mieux les difficultés auxquelles les gardes étaient confrontés en métropole, lorsqu’ils étaient requis pour former des pelotons d’exécution.

Le 20 mars, dès 4 h 30, deux cars de la garde stationnent devant la prison militaire d’Alger, avec six autres voitures. Une heure plus tard, Pucheu sort de la prison encadré par des gendarmes. Les véhicules de la garde encadrent le convoi qui se forme et s’ébranle en direction de la butte de tir d’Hussein Dey. Dès leur arrivée, les gardes de l’escadron 1/7, aux ordres de l’aspirant Truchi, se déploient, en vue d’interdire l’accès du champ de tir aux curieux.

Par l’intermédiaire de son avocat, Maître Gouttebaron, Pucheu sollicite la faveur de ne pas avoir les yeux bandés, de conserver les mains libres et de commander lui-même le feu. Le major de garnison ne se croit pas autorisé à prendre une telle décision. Il téléphone au général Deligne qui le prie de s’adresser aux hautes autorités. M. Palewski conseille au colonel Monory de s’adresser au Commissaire à la Guerre et à l’Air, M. le Troquer. Celui-ci, informé des désirs émis par le condamné, donne son accord.

Pucheu assiste à la messe puis ses gardes le conduisent près de la butte du champ de tir. Il fait encore nuit noire. Le condamné formule alors une nouvelle demande :

« Je ne veux pas, dit-il, qu’un militaire français porte la responsabilité d’avoir commandé le feu pour un assassinat. Je commanderai moi-même et, pour les mettre à l’aise, je vais leur serrer la main. »

Il appelle l’adjudant commandant le peloton. L’intéressé s’approche vers lui et se présente. Pucheu lui dit :

« Je ne vous en veux pas du tout. Vous avez une besogne pénible. C’est un assassinat politique. »

Après lui avoir serré la main ainsi que celle de ses hommes, il ajoute :

« Obéissez à mes ordres, je vous garde toute mon estime. »

Le condamné quitte ensuite son manteau et le lui remet en précisant :

« Il est neuf, ce serait dommage de l’abîmer ! » « Que commande-t-on ? En joue. Feu. »

Sur la réponse affirmative du gradé, l’ancien ministre du Maréchal, bien droit, se dirige vers le poteau d’exécution, se met en place face au peloton et commande le feu.

Le 14 janvier 1943, à Anfa (Maroc), au cours de la conférence qui réunit les responsables politiques des pays alliés en vue d’arrêter leur stratégie pour les mois à venir, le général de Gaulle et le général Giraud obtiennent des États-Unis la livraison d’importants moyens matériels nécessaires à l’équipement de l’armée française (8 divisions dont au moins 2 blindées et environ 500 avions de combat).

Pour pouvoir organiser les futures grandes unités, le général Giraud lève en A.F.N. les effectifs correspondants. Aux 75 000 hommes engagés sur le théâtre d’opérations tunisien, noyau de la nouvelle armée, viennent s’ajouter 10 000 jeunes des chantiers de la jeunesse, 15 000 des troupes de la France Libre, les évadés de France au nombre d’environ 23 000. Avec la mobilisation de tous les hommes âgés de 19 à 45 ans, les ressources augmentent considérablement. Parmi les troupes indigènes, le Maroc ne fournit pas moins de 13 000 goumiers. À la mi-juillet 1943, le potentiel de l’armée d’Afrique dépasse le seuil des 400 000 hommes.

La réalisation des équipements et l’instruction des recrues imposent un gigantesque effort de guerre. La garde y apporte sa contribution. Dès le mois d’avril 1943, les « Liberty-Ships », sans discontinuer, débarquent leurs containers sur les quais des ports de Casablanca, Oran et Alger. À la fin du premier semestre, l’A.F.N. a reçu plus de 250 000 tonnes de fret.

Le spectacle des monticules de caisses de matériels, sur des kilomètres, est inimaginable.

Non seulement la garde concourt à la surveillance des entrepôts mais encore elle participe au montage des matériels. Les escadrons fournissent à cet effet, pendant plusieurs semaines, des détachements, comme celui du 1/7 à Alger :

« Avec une vingtaine d’hommes, écrit l’aspirant Truchi, j’étais responsable d’une chaîne pour effectuer le transport, le montage et la mise en marche des motos Harley-Davidson, des Jeeps et des 4/4. »

Des éléments de la garde, en provenance du Maroc et de Tunisie, viennent également percevoir des matériels destinés à équiper l’armée française en cours d’organisation. Courant avril 1943, le capitaine Bourgeois, commandant l’escadron 6/8 (Tunisie), se rend à Alger avec 2 gradés et 18 gardes pour convoyer du matériel au profit du 4e R.T.T. Ce type de mission hypothèque, pendant des mois, de nombreux gardes.

Dès la mise sur pied des nouvelles divisions appelées à débarquer en Europe, le général Juin accélère leur préparation pour les rendre opérationnelles dès que possible. Dans leurs zones de stationnement, l’instruction et les manœuvres se succèdent sans relâche tout au long de l’été 1943. Les régiments de la garde y détachent des centaines d’officiers et de sous-officiers. La plupart de ces renforts valent pour la durée de la guerre. En juin 1943, le colonel Poli, alors jeune officier, instruit des équipages de chars à la 1re division blindée. Il remplit cette mission jusqu’en juillet 1944, date d’embarquement de la division pour les côtes de France. Le capitaine Delpy, commandant l’escadron de Tlemcen, les lieutenants Chiarra et Thomas, le sous-lieutenant Gouze, l’aspirant Xerri, participeront avec elle à toute la campagne, dans les rangs de l’escadron chargé de la protection du P.C. de la division.

L’utilisation massive des gardes pour encadrer les formations de l’armée « B » ainsi que la présence sur le théâtre des opérations en Tunisie de plusieurs escadrons des 7e et 9e régiments désorganisent les unités. D’où la nécessité d’une restructuration. Le commandement dissout plusieurs escadrons en Algérie. Après la capitulation des forces de l’Axe en Tunisie, le 1er juin 1943, il supprime les trois régiments.

Un dépôt commun de la garde en A.F.N., installé à Alger, se substitue à eux. Le 1er novembre 1943, un projet en gestation depuis quelques mois voit le jour. Il s’agit de la création d’une unité de combat, le 10e régiment de chasseurs de chars de la garde, destinée à participer aux opérations militaires, à l’image du 45e bataillon de chars de combat de la gendarmerie en 1939.

La nouvelle unité se forme à Oujda (Maroc), au camp Clarck, à partir de la mi-novembre. Elle comprend en majeure partie des volontaires. La quasi-totalité du 8e régiment, dissout après la campagne de Tunisie, en constitue l’ossature. Le 7e fournit un contingent de 32 officiers, 120 gradés et gardes. Le colonel Bezegher en prend le commandement secondé par le chef d’escadrons Ferreboeuf. Pour préparer l’unité au combat, le commandement intensifie l’instruction. En attendant l’arrivée très attendue du matériel américain, les gardes s’entraînent sur de vieux chars F.T. Comme les autres formations de la garde, en marge de l’instruction, ils concourent aux escortes du matériel prêt-bail débarqué dans le port d’Alger. À la stupéfaction générale, le 29 février 1944, des marins viennent remplacer les gardes. La suppression du régiment répond à un impératif : dégager les effectifs nécessaires à la création de la force prévôtale du corps expéditionnaire d’A.F.N. appelé à débarquer en Europe.

Courant mars, deux groupes d’escadrons autonomes, les 11e et 12e, équipés de matériel américain destiné aux unités de combat, voient le jour à Hussein Dey et à Constantine. L’un sera rattaché au détachement de circulation routière du 2e corps d’armée du général de Montsabert, l’autre formera la police militaire de la 1re armée du général de Lattre de Tassigny. En attendant le jour « J », dans le Constantinois et l’Algérois, les escadrons des G.A.G.R. (groupes autonomes de Garde républicaine) poursuivent l’instruction, effectuent des escortes prêt-bail et quelques services d’ordre.

Après le débarquement des Anglo-Américains en Algérie et au Maroc le 9 novembre 1942, la garde d’A.F.N., tout en continuant de remplir sur place ses missions, participe aux opérations militaires jusqu’à la signature de l’armistice en mai 1945. Outre des unités constituées, elle détache des personnels, pour la durée de la guerre, à l’encadrement des formations de combat de l’armée « B ».

En Tunisie, après le combat de Medjez el-Bab, fin novembre 1942, le 8e régiment et 5 escadrons du 7e intégrés dans le détachement d’armée française (troupes du général Barré, d’Algérie et du Maroc), combattent jusqu’à la capitulation des forces de l’Axe, au Cap Bon, le 12 mai 1943.

Adaptés à des groupements tactiques dont la composition varie en fonction de l’évolution de la bataille, le commandement les emploie dans des actions retardatrices, des reconnaissances en profondeur, la défense de points d’appui, et la recherche du renseignement. À titre indicatif, du 20 décembre 1942 jusqu’au 15 février 1943, l’escadron 2/8 entre dans la composition d’un point d’appui à El-Arroussa avec un peloton d’A.M. et un peloton de chars du 4e R.C.A. L’escadron 1/8 surveille, du 26 novembre au 15 décembre, des ouvrages d’art, entre la station de Mastouta et le pont de Tajar. Pendant cette période, il est la cible de multiples attaques aériennes. Fin février 1943, l’escadron 9/7, avec une compagnie du 7e R.T.A., passe 22 h sur le terrain, dans la région du col de Chambe et du djebel Zebeus. Cette reconnaissance permet au commandement d’évaluer l’ampleur des pertes subies par les panzers en retraite.

Les gardes se distinguent. Le 19 décembre 1943, à Pichon, l’adjudant Gouze, de l’escadron de Tlemcen, va chercher et ramène sous le feu ennemi le corps d’un de ses gardes qui vient d’être tué, puis il rejoint son poste pour continuer le combat. Ce gradé, promu sous-lieutenant, participera par la suite à la campagne de France.

Autre action remarquable, celle du lieutenant Milbert, de l’escadron motocycliste de Sétif. Le 2 décembre 1942, il effectue une reconnaissance lointaine, avec un groupe de motocyclistes, dans la région de Goubellat parcourue par des blindés allemands. Son audace l’emmène trop en flèche avec ses patrouilleurs et il tombe avec ses hommes dans une embuscade. Avec d’autres prisonniers, les Allemands le dirigent vers le nord de l’Italie. Au cours du déplacement, il réussit à s’évader. Par la Sicile, il revient en A.F.N. ramenant avec lui une dizaine de compagnons trouvés en cours de route. Après bien des péripéties, le voici de retour à Alger le 24 octobre 1943 toujours volontaire pour repartir au combat.

Fernand Lacroix, garde au 2e groupe de mitrailleuses de l’escadron 5/8 (Monastir), a rédigé au jour le jour, sur un cahier d’écolier, en utilisant le style télégraphique, son journal de campagne. Ce document défraîchi, découvert en 1995, dans le village natal de l’intéressé, en Aveyron, par l’adjudant-chef Duplan, chargé de la conservation du Musée de la gendarmerie, nous apporte d’utiles informations. Sa lecture nous apprend que du 10 novembre 1942 au 7 avril 1943, date de sa relève, l’escadron a occupé successivement des positions à Pont du Fahs, Testour, Slonguia sur la Medjerda, ferme de Bonne Espérance, El Arroussa, Bou Arada, Souk El Kémis, Gardimahou. Par la suite, les autorités l’emploient dans le cadre de l’ordre public, en particulier pour réprimer le marché noir (fouilles et ramassage de suspects).

Tour à tour, pendant la campagne, les gardes agissent en étroite liaison avec des unités de tirailleurs algériens, des spahis, le 1er régiment étranger, le 43e R.I.C., etc. Fernand Lacroix note succinctement quelques actions de combat. Le 20 novembre, capture de 2 side-cars allemands et de leurs occupants, par une patrouille, dans le secteur de Mejez el-Bab. Lors de l’attaque du pont de Slouguia, par les blindés allemands, le 21 novembre, le garde Charrié trouve la mort à son poste de combat. Au cours d’un raid aérien, le 23 novembre, entre Testour et Slonguia, le chef d’escadrons Alary, commandant de groupe, est grièvement blessé. Le 25, le capitaine Oudin, commandant l’escadron, en patrouille dans le secteur de Medjez el-Bab connaît la même infortune. Une rafale de pistolet-mitrailleur le blesse à l’épaule. Le 23 décembre, un détachement ennemi capture les gardes Bouer, Bellot, Billet et Pons.

Pour la journée du 18 janvier 1943, Fernand Lacroix écrit :

« 18 janvier : beau temps, grande offensive allemande et italienne dans les directions de Bou Arada, attaque au nord et à l’est du village. Duel d’artillerie formidable. Vers 11 heures on aperçoit une trentaine de chars ennemis dans la plaine. Au nord-est l’artillerie et les antichars ouvrent un feu nourri. Une quinzaine s’enfuit. Les autres restent sur le terrain touchés ou enlisés. On entend à proximité le feu des armes automatiques. Dans la matinée 3 bombardiers nous survolent et lâchent leurs fardeaux. Un s’abat en flammes à côté de nous touché par la D.C.A. Beaucoup de chars anglais sont aux environs. Vers 16 heures des bombardiers anglais passent au-dessus de nous et la chasse abat un chasseur ennemi qui pique du nez. Aussitôt après 14 bombardiers ennemis arrivent direction sud-est et lâchent leurs bombes sur Bou Arada. Une tombe à 20 mètres de mon emplacement. Dans le patelin des maisons écroulées brûlent (on n’y voit plus rien après le bombardement tellement qu’il y a de la fumée). On compte des victimes militaires et civiles (journée d’enfer tragique). Autour de nous des fermes brûlent atteintes par les obus. Dans la nuit tir d’artillerie de part et d’autre. »

Après la campagne de Tunisie, pendant sept mois, de décembre 1943 à juillet 1944 où s’achèvent, à Poggibonsi, les dernières opérations du corps expéditionnaire français en Italie, les gardes détachés à l’encadrement des unités de combat rivalisent de courage avec leurs camarades de l’armée d’Afrique. Commandants de compagnies, chefs de sections ou de pelotons, chefs de groupes ou d’équipes, avec les goumiers, les tirailleurs algériens, tunisiens, marocains, ils se battent magnifiquement. On les retrouve dans toutes les étapes difficiles qui jalonnent la campagne.

Le 15 décembre 1943, le chef Baron (7e régiment) chef de section dans les goums, trouve la mort à Castelnuovo au moment où il effectue une reconnaissance dangereuse. Alors qu’il repousse une contre-attaque ennemie, le chef Tomasini (9e régiment), chef de section dans une unité indigène, est grièvement blessé à la côte 1 175. Sous des tirs violents d’artillerie, le chef Hermetz (9e régiment) entraîne son groupe de mitrailleuse à la contre-attaque à la Costa San Piétro infligeant à l’ennemi des pertes sévères. Dans la nuit du 12 au 13 avril 1944, au cours d’une patrouille à Rocca d’Evraudo, le chef Estaque (9e régiment), chef d’une section de goumiers rapporte de précieux renseignements. Au cours de la mission, il est grièvement blessé par éclat d’obus. Le garde Dorlet (7e régiment), entraîne sa section de goumiers à l’assaut du col de Calvo de Vallecorsa solidement tenu par les Allemands et ramène plusieurs prisonniers. Bien que sérieusement blessé, il conserve le commandement de son unité. Il s’était signalé quelques jours avant, le 17 mai, sur le mont Calvo d’Espéria et le 23, en avant des lignes ennemies, sur la Cima Alta, permettant une occupation facile de cette importante hauteur. Le 19 mai, le garde Michon (9e régiment), chef de section des goums, capture plus de 50 Allemands et reprend pied le premier dans Campodimele. Le 25 au matin, alors que sa section est sur le point d’être relevée, il se porte volontaire pour s’emparer d’une mitrailleuse ennemie sur le Rotondo. Il manœuvre la résistance, tue le tireur et un servant et ramène quatre prisonniers. Dépanneur au 3e spahis marocain, le garde Grolleau est blessé au pied à Pico alors qu’il remet en état, sous un violent bombardement, un engin blindé de son unité. Il sera amputé du pied gauche. Pendant l’offensive française des 13 et 14 mai, l’adjudant-chef Kubler (9e régiment), chef d’un peloton de spahis, réduit avec son peloton un poste fortement retranché de neuf Allemands avant d’entrer dans San Giorno avec ses hommes, cramponnés derrière les tourelles des chars qui donnent l’assaut au village. Adjoint au chef de section dans un régiment de tirailleurs marocains, le chef Armand trouve la mort en attaquant un nid de mitrailleuses ennemies qui entravent la marche de son unité. Au cours des combats dans les Abruzzes, du 15 décembre 1943 au 20 janvier 1944, le garde Roeland (9e régiment), chef d’une pièce de mortiers dans un régiment de tirailleurs marocains, est touché aux jambes. Par la suite, il subit l’amputation des deux cuisses.

Parmi les officiers, on retiendra les noms des capitaines Seytre et Catteaud, tous deux du 9e régiment. Le premier commande une compagnie antichar au 8e R.T.M. Au cours d’une liaison difficile entre deux bataillons, dans le secteur de Mas Gérémia, son véhicule est accidenté. On le relève gravement touché. Le 1er février 1944, il décède à Scapoli, des suites de ses blessures.

Le second, détaché en avril 1943, pour la durée de la guerre, à l’encadrement du 3e R.T.M., combat initialement avec cette unité en Italie, dès le mois de janvier 1944. En pleine bataille, il prend la tête de la 11e compagnie du 4e R.T.T. Au début du mois de mai, l’officier reçoit notification de sa mutation, à partir du 10 mai, au commandement de la prévôté. Sa compagnie étant engagée dans les opérations en cours, il demande à en conserver le commandement, au moins jusqu’à la date de sa relève prévue quelques semaines plus tard. Ses chefs répondent favorablement à sa requête. Du 15 au 25 mai, il prend part aux combats livrés depuis Castelforte jusqu’au Cervaro. Le 11, à 23 h, le général Juin déclenche l’offensive générale dans le secteur du Garigliano. Le capitaine Catteaud contribue à la prise et au nettoyage de Casteforte puis à la conquête du mont Leucio. Les 22 et 23, son bataillon obtient une citation collective et se bat farouchement sur le Campo Dei Morti. Le 24, vers 2 h du matin, le 4e R.T.T. se porte sur une nouvelle base de départ, près du village de Pico, à l’ouest de Cassino, en vue d’une prochaine attaque sur le mont Timochiara. Dès l’aube, les tirailleurs tunisiens entament la progression, en formation d’approche. La 11e compagnie, en premier échelon à droite, fait mouvement dans une zone assez couverte et un peu accidentée. Aux abords de la route de Pico, des coups de feu éclatent. Le contact est établi. L’officier fait le point de la situation et donne ses ordres. Grâce à la rapidité de sa réaction, la 11e compagnie fait une vingtaine de prisonniers. Encouragé par ce résultat, il entraîne ses tirailleurs vers l’avant. De nouvelles résistances se dévoilent. L’ennemi contre-attaque. Le capitaine Catteaud réussit à le stopper. La 11e compagnie s’installe solidement sur sa position. Le lendemain matin, vers 9 h, le capitaine effectue une liaison, auprès des officiers d’une unité blindée de l’armée américaine, voisine de sa compagnie, pour préparer la reprise de la progression. Soudain, une explosion. Un éclat d’obus atteint le capitaine Catteaud à la tête. Il est tué sur le coup.

Après la Tunisie et l’Italie, les Alliés débarquent sur les côtes anglo-normandes. S’il n’y a pas de gardes parmi les hommes du commando Kieffer, qui, les premiers, foulent le 6 juin le sol français, en revanche, ils sont présents avec la 2e D.B. du général Leclerc engagée dans la bataille de Normandie le 1er août 1944. Le lieutenant Ettori (9e régiment), détaché au 1er régiment de marche du Tchad depuis juin 1943, commande une section d’obusiers de 75 m/m. Le 13 août, il se distingue à Écouché.

En Méditerranée, dans la nuit du 17 juin 1944, des éléments de la 1re armée (9e D.I.C., 2e groupe de tabors, bataillon de choc, commando d’Afrique) du général de Lattre de Tassigny partent à la conquête de l’île d’Elbe. Le garde Lamoureux (9e régiment), détaché au bataillon de choc, est tué au cours des combats.

Le 22 juillet 1944, le général Juin quitte son commandement en Italie. Le général de Lattre de Tassigny lui succède. La 1re armée française, constituée du corps expéditionnaire d’Italie et des 1re et 5e divisions blindées encore stationnées en A.F.N., hâte les préparatifs en vue du débarquement sur les côtes de Provence. Aux gardes, vétérans de la campagne d’Italie, vont s’ajouter ceux des 11e et 12e groupes autonomes, plus les personnels détachés à l’encadrement des nouvelles divisions. Les forces françaises d’Italie se concentrent au camp Clarck, à proximité des ports de Tarente et de Naples.

En A.F.N., le 5 juillet, les groupes autonomes de la garde, qui attendent depuis plusieurs semaines leur départ pour une destination inconnue, apprennent qu’ils sont mis à la disposition du C.E.F. en Italie. Ils reçoivent l’ordre de se porter à Oran d’où leur embarquement est prévu pour Naples. Les 2 groupes rejoignent le 7 juillet la zone d’attente (areas) n° 1, au camp de sable de Fleurus, à 20 kilomètres d’Oran. Le lendemain, il n’est plus question de départ pour l’Italie. Tous s’interrogent sur le nouveau point de destination. Une longue attente commence.

Dans le camp, où stationnent sous des tentes de campagne des milliers de soldats, américains, anglais et français, appartenant à toutes les armes, la vie s’organise. L’interdiction de communiquer avec l’extérieur, une chaleur accablante, le rationnement de l’eau de boisson, gardée militairement à cause des abus, rendent pénibles les conditions du séjour.

Début août, plusieurs indices, annonciateurs d’un prochain départ, rassérènent le moral des gardes. Ils perçoivent un armement léger (carabines U.S.) et un paquetage neuf américain. Le 2, les escadrons préparent les véhicules pour les mettre à l’épreuve de l’eau (waterproofer). Le 5, dans le port d’Oran, ils les embarquent à bord de Liberty-Ship. Le 7 août à 18 h, les gardes du G.A.G.R. quittent Fleurus, pour coucher au camp d’Oran surveillé par des gardes d’un escadron de la ville. Le lendemain, au petit matin, les escadrons font mouvement vers le port de Mers el-Kébir. Les gardes étonnés découvrent une flotte impressionnante composée de bateaux hétéroclites (paquebots, Liberty-Ship, L.S.T., navires de guerre). À 11 h, ils embarquent à bord de navires américains. Le jeudi 10 août, à 12 h 15, une cérémonie religieuse, avec absolution collective, messe et communion, à laquelle écrit un garde « il n’y a pas eu beaucoup d’abstentions » laisse présager un départ imminent. À 16 h 15, les navires lèvent l’ancre, s’éloignent de la rade puis s’imbriquent dans les convois qui se forment à la sortie du port. Quelques heures plus tard, l’armada se dirige vers une destination qu’ignorent ses passagers.

Chacun s’interroge sur le cap suivi. Les convois se dirigent-ils vers Gibraltar, l’Italie du nord ou les côtes françaises ? Les pronostics vont bon train. La vie s’écoule à bord sans problème : mer d’huile, cinéma, etc. Plusieurs alertes aux sous-marins n’entament pas le moral des troupes. L’armada ralentit alors sa vitesse, les équipages occupent leurs postes de combat.

Tard, dans la soirée la veille du 15 août, à bord de chaque transport de troupes, les commandants d’armes réunissent les officiers pour leur annoncer enfin que le convoi se dirige vers la France, plus précisément dans la région de Saint-Raphaël. Les commandants d’escadrons reçoivent des instructions écrites sur les missions à remplir, les lieux de débarquement et des documents annexes (cartes, croquis panoramiques, photos aériennes) sur lesquels figurent les positions ennemies. Dans la nuit, ils distribuent des cartes à chacun des groupes. Pour la garde, il s’agit d’assurer la sûreté des plages, lors du débarquement de vive force, et aussitôt après, de remplir ses missions de police militaire (circulation routière en particulier). Les escadrons sont rattachés à différentes formations. Ainsi le 2/11 relève du Combat-Command n° 1, commandé par le général Sudre, de la 1re division blindée. Ce groupement, au jour J + 1 (le 16 août), doit débarquer en soutien dans le sillage immédiat des régiments d’infanterie du 6e corps d’armée U.S. chargé de conquérir les plages et de créer une tête de pont.

Le mardi 15, le convoi est toujours en pleine mer. Dans l’après-midi, une canonnade se fait entendre qui devient de plus en plus violente. Vers 19 h, la terre de France apparaît dans le lointain. Les bateaux de guerre pilonnent la garnison allemande de Saint-Raphaël. La vigueur de la riposte est telle que le convoi qui devait initialement débarquer sur la plage de Saint-Raphaël est détourné vers celle plus petite de la Nartelle.

De cet endroit partira le premier élément blindé (Combat-Command n°1) constitué par des troupes françaises.

À bord de chalands, le 16 août, à 13 h 15, les gardes atteignent la plage et se frayent un passage à travers la brèche ouverte dans un champ de mines par des fusiliers-marins quelques heures auparavant. Jusqu’au soir, ils assurent la police de la plage du débarquement facilitant au maximum les mouvements du matériel et des unités du Combat-Command n°1. La mission, qui s’annonçait délicate et meurtrière, se déroule finalement sans problème car l’aviation et les cuirassiers de l’armada ont réduit au silence les défenses allemandes minutieusement localisées puis écrasées sous les bombes. À la tombée de la nuit, après une marche de 25 kilomètres, les gardes atteignent Grimau et Cogolin. Le 18 août, ils sont à Pierrefeau puis Aix-en-Provence.

Le 11e G.A.G.R. franchit le Rhin à Kemps sur un pont de bateau le 7 avril 1945. Le périple des groupes autonomes de la garde s’achève fin novembre 1945. Plusieurs de ses éléments vont former à Berlin l’embryon des détachements de gendarmerie d’occupation. Le 22 novembre, le 11e G.A.G.R. embarque en gare d’Oberbulaertal pour Marseille. La dernière étape le conduit à Alger où il arrive le 5 décembre 1945. De là, les gardes rejoignent leurs légions d’origine.

Que deviennent les gardes détachés à l’encadrement des unités de la 1re armée ? Le 16 août, à 19 h, les troupes françaises qui ont quitté la baie de Tarente en Italie, à l’aube du 13, commencent à leur tour les opérations de débarquement. Par vagues successives, jusqu’au 18, elles prennent pied sur la terre de France.

Dans tous les combats qui jalonnent la marche en avant de la 1re armée depuis Saint-Tropez, Marseille, le Doubs, le Jura, les Vosges, l’Alsace, jusqu’au bord du Danube, en mars 1945, les gardes se montrent à la hauteur des circonstances. S’il n’est pas possible de tous les citer, du moins peut-on rappeler le sacrifice et les faits d’armes accomplis par quelques-uns.

À Aubagne, le 21 août, le garde Clenet (7e régiment), sous-officier adjoint dans une section de tirailleurs, est tué en protégeant le repli de son unité encerclée. Du 21 au 24 août, le chef Fieschi (7e régiment), chef de section dans les tirailleurs, au cours de patrouilles à l’intérieur de Toulon inflige des pertes à l’ennemi. Le 24, malgré des tirs intenses de canons de 88 partant de l’arsenal, il réussit avec son scout-car à atteindre les bâtiments de la subdivision de Toulon sur lesquels, il fait, le premier, flotter les couleurs françaises. Avec les tabors du général Guillaume, le garde Digouin (9e régiment), malgré des tirs intenses d’armes automatiques pénètre avec sa section, le 24 août, dans le village de la Gavotte, à la sortie nord de Marseille, fortement tenu par l’ennemi. Le 27, il se lance à l’assaut du village de Tante-Rose. Lors d’un tir de barrage, il est mortellement blessé. À Candolive, le 22 août, le garde Neuvialle (7e régiment) est grièvement blessé en attaquant, à la tête de sa section, une résistance ennemie. L’adjudant Mothes (9e régiment) se distingue dans la région de Briançon puis le 14 novembre sur le front du Doubs. Il est tué le 30 novembre par un éclat d’obus alors qu’il participe à la conservation de la tête de pont établie dans la région du Pont-d’Aspach. Le 15 novembre, le garde Gentil (9e régiment) chef de section adjoint au 6e R.T.M. tombe à son tour lors de l’attaque du bois des Trembles en se portant à l’avant de sa section pour créer une brèche dans un champ de mines. Avec le régiment de marche du Tchad, le lieutenant Ettori participe en octobre 1944 aux opérations qui se déroulent à l’ouest et à l’est de Rambervillers devant Anglemecht. Le 29 janvier 1945, dans le secteur de Grussenheim, au moment de la relève de sa section, il est blessé. Il décède quelques heures après à l’hôpital de Ribeauvillé (Haut-Rhin).

Dès son retour à Alger, fin octobre 1943, le lieutenant Milbert de l’escadron de Sétif, capturé comme on l’a vu pendant la campagne de Tunisie et qui a réussi à s’évader, se fait affecter au 10e régiment de chasseurs de chars de la garde en voie de formation. À la dissolution de l’unité, en mars 1944, il se porte volontaire pour les commandos de France. Le jeune officier tombe héroïquement au champ d’honneur, dans les Vosges, le 31 janvier 1945, en entraînant ses hommes à l’assaut d’une position allemande. Le 1er décembre 1944, il s’était déjà signalé par son courage qui lui valait une citation à l’ordre de l’armée :

« Jeune et brillant officier d’une rare valeur militaire aimé et respecté de ses hommes, a assuré d’une façon parfaite le commandement de son peloton dans des conditions essentiellement difficiles à l’attaque des bois de Lyres dans les Vosges.

Blessé par éclat de mortier à la jambe a continué de commander son peloton sans se soucier de sa blessure. Blessé une seconde fois par balle a refusé de se laisser évacuer jusqu’à la fin de l’attaque permettant ainsi au commandant du commando d’exécuter sa mission générale. A donné l’exemple du plus pur devoir militaire. Déjà deux fois cité à l’armée et à la division. »

Chapitre 13 - LA RENAISSANCE

L’annonce de l’armistice, dans la nuit du 8 au 9 mai 1945, ponctue pour les survivants un long chemin semé de souffrances, de sang et de deuils. Une fierté légitime habite les gardes qui viennent de participer au combat libérateur. Tous ont le sentiment du devoir accompli, lorsqu’ils retrouvent leurs garnisons en Afrique du Nord, même s’ils sont conscients de n’avoir joué qu’un rôle modeste :

« Certes, écrit l’un d’eux, nous n’avons pas été cités dans la bibliographie se rapportant à la campagne et nous le comprenons fort bien, noyés dans l’amalgame intime et fraternel des 250 000 soldats venus de l’Empire et des 137 000 F.F.I. constituant l’âme commune de la 1re armée française… »

Pourtant, dans les mois qui suivent, beaucoup ressentent un sentiment d’injustice à leur endroit que le temps ne gommera pas. L’adjudant Cadeau (9e régiment), détaché sur sa demande pour la durée de la guerre, d’abord dans un régiment de spahis motorisés puis au 2e groupe de tabors marocains, participe aux campagnes d’Italie, de France et d’Allemagne. Parti de Casablanca en mars 1943, il n’est de retour qu’en mars 1946. Pendant son détachement aux armées, chef d’une section de combat, il a été promu adjudant-chef, a obtenu la Médaille militaire et la Croix de guerre. Écoutons-le :

« Mais à notre retour au Maroc, j’ai dû reprendre mon ancien grade. Muté de Casablanca où j’avais un logement de fonction et affecté à Marrakech j’étais logé sous un toit en tôle ondulée, les W.C. à plus de trente mètres et ce avec deux jeunes enfants de 5 et 6 ans. J’ai eu l’impression d’être dégradé, de subir une punition. Ceux qui étaient restés bien tranquillement au Maroc avaient eu de l’avancement… »

Son propos, reflet d’une blessure profonde, exprime en vérité un sentiment assez répandu au lendemain du 8 mai 1945 parmi les gardes, détachés à l’encadrement des unités de combat, déçus de ne pas être reconnus. Le malaise observé se dissipera rapidement et ne mettra pas en péril l’unité retrouvée de la garde.

Un mois après le débarquement sur les côtes normandes, alors que les Allemands occupent encore la presque totalité du territoire, le 5 juillet 1944, le général de Gaulle signe à Alger l’ordonnance portant organisation de la Gendarmerie nationale et de la garde. Ce texte habilite provisoirement, et jusqu’à la fin des hostilités, le Commissaire à la guerre à fixer par arrêté l’organisation territoriale, l’articulation du commandement et de l’inspection des formations de la gendarmerie et de la garde, dans la métropole et l’A.F.N.

Dans l’immédiat, trois dispositions s’appliquent à la garde. La première déclare nulle la loi n° 183 du 24 mars 1943 qui la plaçait sous l’autorité du secrétaire d’État à l’Intérieur. La seconde maintient provisoirement le statut de ses personnels régis par la loi du 9 février 1941. La dernière prévoit que, jusqu’à une date qui sera fixée par décret, la garde constitue une arme indépendante de la gendarmerie. La création, le 21 juillet, d’une direction de la gendarmerie, sans lien avec la garde, s’inscrit dans le droit fil de cette ordonnance.

Le 25 août, le drapeau français flotte sur Paris libérée. L’occupant, encore présent dans plusieurs régions du territoire métropolitain, bat en retraite sous la pression conjuguée des F.F.I. et des forces débarquées en Normandie et en Provence. Au fur et à mesure de son départ, les nouvelles autorités s’installent.

Par étapes, on s’achemine vers la réintégration de la garde dans la gendarmerie. Un décret du 23 août lui donne l’appellation de Garde républicaine. Moins d’un mois plus tard, le 10 septembre, une décision la rattache au commandement de la gendarmerie et de la Garde républicaine créé en remplacement de la direction de la gendarmerie. Avec le décret du 14 janvier 1945, qui réalise la fusion des personnels, on en revient à la situation d’avant la guerre. L’effectif théorique de la Garde républicaine, fixé initialement à 9 500 hommes, est nettement inférieur à celui de la Garde républicaine mobile qui en totalisait 23 000. En quelques semaines, il passe de 7 000 début janvier à 7 926 le 15 mai 1945.

En février 1945, le personnel recouvre son statut antérieur fixé par le décret du 10 septembre 1935 et l’instruction du 27 juin 1929. Les sous-officiers des corps de troupes des grades d’aspirant, adjudant-chef, sergent-major, maréchal des logis-major, admis dans la garde par suite de la dissolution de l’armée de l’armistice, réintègrent de plein droit leur arme d’origine avec le grade qu’ils détiennent dans la garde. S’ils préfèrent être maintenus, ils y restent avec au plus, le grade de maréchal des logis-chef. Les officiers issus de l’armée de l’armistice ont également la possibilité d’opter. La plupart reprennent du service dans les corps de troupes.

Dans les faits, la reconstruction de la Garde républicaine n’est pas aussi simple qu’on pourrait l’imaginer. Elle commence le 23 août 1944. Le général Leyer, chef de l’État-Major général Guerre, ordonne aux inspecteurs d’arrondissement de gendarmerie, sur le territoire desquels sont implantés des régiments de la garde, de reconstituer les unités et leur encadrement dans les meilleurs délais.

Le Gouvernement veut disposer sans tarder de forces fiables, pour maintenir l’ordre très précaire. À l’intérieur, règne une vive tension. Les règlements de compte se multiplient. Dans le sud-ouest, toute la frontière des Pyrénées est en effervescence. Les guérilleros espagnols stationnés en France, qui viennent de se battre dans les rangs des F.F.I., contre les Allemands, affichent une attitude hostile envers le Gouvernement de Franco et se préparent à franchir les Pyrénées pour aller déstabiliser le régime.

Eu égard à l’état dans lequel se trouve la garde, de nombreux obstacles surgissent qui freinent le processus de sa transformation. À Lyon et à Toulouse, les commissaires de la République ont dissous les 1er et 6e régiments. Nombreux sont les cadres et gardes dispersés dans des formations des F.F.I. ou qui sont en route pour rejoindre les armées. Quant aux personnels civilisés et aux ouvriers, ils ont été remis à la disposition du service du matériel, de même que les ateliers et les matériels techniques. Dans les unités montées, les chevaux ont été prêtés à des agriculteurs.

Autre difficulté, la dispersion des escadrons, déplacés depuis des mois en différents points de la zone sud. Au 5e régiment (Limoges), 3 escadrons stationnent à Limoges (8/5, 6/5, 5/5), 2 se trouvent dans le Massif-central (4/5 à Clermont-Ferrand, 3/5 à Vichy), 3 (1/5, 2/5, 7/5) passés au maquis dans la Creuse sont plus ou moins disloqués à la suite des attaques allemandes lancées courant juillet dans ce département.

Au 6e régiment, 3 escadrons sont déplacés à Limoges, 3 à Toulouse (3/6, 7/6, 8/6) et 2 à Clermont-Ferrand (5/6, 6/6). Dans les quatre autres régiments (1er, 2e, 3e et 4e), on observe un émiettement analogue.

Après l’arrestation du général Perré, le 25 août 1944, la direction générale n’est plus en mesure de coordonner l’action des unités. Ces dernières relèvent de l’autorité des commandants régionaux des F.F.I. qui les utilisent à leur convenance.

L’état-major des F.F.I. d’Auvergne désigne le lieutenant-colonel Barriod, pour prendre à Vichy le commandement de la garde de la région. À la direction générale, en voie de liquidation sous l’autorité d’un général venu d’Alger, le lieutenant-colonel Daubigney, les capitaines Grange et Puthoste rassemblent les archives en vue de les acheminer vers la capitale. À la mi-septembre, leur mission à Vichy s’achève. Affectés au commandement de la gendarmerie et de la Garde républicaine, ces trois officiers assurent la transition entre la garde et la Garde républicaine.

À Limoges où stationnent les principaux éléments des 3e, 5e et 6e régiments, la situation est assez longue à se clarifier. Le colonel Rivier, commandant la 12e région militaire, nomme le lieutenant-colonel Corberand chef de la garde de la région et le lieutenant-colonel Besson comme chef d’état-major. À la mi-septembre, il informe le colonel inspecteur par intérim du 5e arrondissement d’inspection de gendarmerie et de garde que la garde ne doit plus être considérée comme une troupe de maintien de l’ordre mais comme une réserve de cadres et d’instructeurs. Avec les 45 000 hommes dont il dispose, il a l’intention de mettre sur pied 2 divisions. Dans cette optique, il demande qu’un groupe d’escadrons reste à Limoges, pour constituer les unités de reconnaissance de ces grandes unités.

Dans la région de Toulouse, le colonel Berthier, commandant régional des F.F.I., désigne le chef d’escadrons Millot pour prendre le commandement du 6e régiment. Il relève de leurs fonctions et consigne jusqu’à nouvel ordre à leurs domiciles les officiers plus élevés en grade ou plus anciens que lui. Par ailleurs, il exige que des représentants des F.F.I., hommes du rang et officiers subalternes, soient admis dans les pelotons de garde en voie de reconstitution. Le commandement de la gendarmerie s’oppose à tous ces projets, pour pouvoir organiser la garde selon des normes plus orthodoxes.

La fluctuation des effectifs, consécutive aux désertions, aux opérations de guerre, aux premières mesures d’épuration, à la répression allemande, entraîne une diminution du potentiel de la garde. Les préliminaires de l’épuration provoquent la mise à l’écart de nombreux officiers supérieurs. Dès la fin du mois d’août, avant que ne s’installent les commissions d’épuration, le ministre de la Guerre suspend de leurs fonctions, « sans préjudice de toutes autres sanctions disciplinaires ou pénales à intervenir », plusieurs colonels et lieutenants-colonels (commandants des 2e, 3e, 4e, 5e et 6e régiments, commandant de l’école de la garde et son adjoint, lieutenants-colonels adjoints des 2e et 3e régiments, colonel adjoint au général commandant la 1re brigade, colonel commandant par intérim la 1re brigade, etc.). Certains sont internés. Un arrêté du 28 août suspend le général Perré détenu au Concours hippique de Vichy en même temps que le général commandant la 1re brigade et deux autres officiers supérieurs de la direction générale. À Limoges, fin août, les nouvelles autorités emprisonnent le colonel M.. et le lieutenant-colonel R.. On devine la surprise des gardes T... et D..., du 3e régiment, en service avec leur escadron pour surveiller la prison, lorsqu’ils aperçoivent leurs chefs.

La suspension d’emploi place les intéressés dans la position de disponibilité qui n’a qu’un caractère provisoire. Au vu d’un dossier complet d’enquête, le ministre de la Guerre apportera au cas de chacun, dans les mois qui suivent, une solution définitive. Les uns prouveront leur bonne foi, les autres seront frappés de sanctions administratives (révocation sans pension, avec pension, déplacement d’office, etc.). Le nombre des officiers subalternes placés en position de disponibilité est nettement moins élevé que celui des officiers supérieurs. On en dénombre seulement 2 au 5e régiment. À quelques exceptions près, les proportions sont les mêmes dans les autres corps.

Assez rapidement, par étapes, le commandement réussit à mener à bien l’entreprise délicate de reconstruction de la garde. Dès le début du mois de septembre, ordre est donné de faire disparaître tous les vestiges susceptibles de rappeler l’État français : traces d’appellations, inscriptions diverses sur les bâtiments des casernes, insignes des régiments, tampons de caoutchouc, imprimés, etc… La dissolution de la direction générale et des commandements des deux brigades intervient le 12 septembre. Une dépêche du 9 octobre 1944 ordonne de reformer tous les régiments ainsi que les unités supprimées dans les régions de Lyon et de Toulouse. À cet effet, une note enjoint aux officiers, gradés et gardes, qui se trouvent dans les rangs des F.F.I., de rejoindre leurs unités d’affectation, sauf si ces dernières participent à des opérations de guerre. Dans l’éventualité où les intéressés ne se conformeraient pas à ces instructions avant la fin du mois, ils s’exposeraient à être rayés des contrôles. Le commandement fixe aussi les nouvelles portions centrales des régiments : 1er à Paris, 2e à Vichy, 3e à Nancy, 4e à Riom, 5e à Limoges et 6e à Toulouse.

La renaissance de la garde, complètement éclatée fin août 1944, devient réalité. Un moment ébranlé, le moral des personnels s’améliore. Dans un rapport sur l’état d’esprit, un chef de corps écrit en décembre 1944 :

«…Le personnel a été peiné des attaques injustes dont il a été l’objet depuis la libération. Conscient d’avoir fait son devoir, il estime avoir droit à la confiance de toutes les autorités… »

«…L’officier reprend courage après une période agitée au cours de laquelle il a été parfois critiqué, menacé, malgré ses efforts pour conserver, en dépit des ordres reçus et des risques courus, une attitude favorable à la résistance… »

«…Le rattachement à la gendarmerie a été bien accueilli par l’ensemble des officiers… »

«…Mesures prises pour exalter le moral du personnel : causeries sur les derniers événements, les enseignements à en tirer et sur le rôle de la Garde républicaine dans la nation. »

Les projecteurs de l’actualité, une dernière fois, courant 1946, placent la garde au-devant de la scène, avec le procès de son directeur général. En effet, ce dernier doit répondre de ses activités devant la Cour de Justice de l’Allier. À la demande de la défense, la cour suprême a renvoyé son dossier, pour suspicion légitime, à celle de Poitiers.

Le mardi 7 mai, le général Perré, en tenue civile, comparaît devant la 1re section de cette juridiction. Tous les éléments de l’accusation n’étant pas réunis au dossier, le commissaire du Gouvernement demande qu’il soit ordonné un supplément d’information. La cour l’accorde.

Sept mois plus tard, le 26 novembre, s’ouvre le procès. Il va durer trois jours. D’emblée, avant de passer à l’examen des faits, le commissaire du Gouvernement en situe la portée :

« Vous avez à connaître d’une affaire qui a fait grand bruit, qui est délicate, sérieuse et grave en raison même de la nature des faits et des charges qui pèsent sur l’inculpé, en raison également d’un des officiers les plus brillants de l’armée française… »

Si les débats apportent des indications sur l’action et la personnalité du chef de la garde, ils révèlent en même temps l’extrême complexité des situations nées de l’occupation. Plusieurs personnalités citées par la défense, Léon Blum, Édouard Daladier, Paul Raynaud, ne viendront pas déposer. Le maréchal Pétain sera entendu comme témoin mais sa déclaration laconique n’apportera aucun élément utile à la compréhension des faits. Du directeur général de la garde, il dira simplement « je me rappelle cet homme, il m’a fait une assez bonne impression ».

La cour examine d’abord les griefs imputés à l’accusé, en tant qu’ancien président du tribunal militaire de Clermont-Ferrand et de sa section spéciale. Plusieurs victimes, sévèrement condamnées, militaires ayant quitté leur corps pour rejoindre la dissidence (affaire de Dakar, affaire de Port-Lyautey, affaire Viénot), militants communistes auxquels on reprochait des actes anti-allemands ou de propagande contre le Gouvernement de Vichy, l’accablent. Pour sa défense, il affirme avoir fait de nombreuses démarches pour être déchargé de ses fonctions. Or, entendu au cours de l’information, le général de Lattre de Tassigny, a déclaré au contraire qu’il insistait en vain auprès de lui, pour qu’il cesse son activité.

Aux accusations selon laquelle il injuriait les inculpés et faisait l’apologie du Maréchal, il répond avec franchise :

« Je n’ai jamais voulu entendre injurier un chef d’État quel qu’il soit. Les inculpés ont pu se défendre en toute liberté. Mais toutefois je reconnais le ton rude, cassant et parfois brutal car je n’étais pas un magistrat et je rends hommage au courage de ces hommes qui attaquaient même au banc des accusés.

J’ouvre mon cœur, j’avais de l’antipathie pour eux, c’était en 1941 où le communisme était toujours interdit par la loi de septembre 1939. En 1943, mon attitude aurait été tout autre…

J’ai dit à un de mes officiers : "si demain Thorez était le chef, j’obéirai aussi bien". »

Le deuxième volet des débats porte sur son rôle à la tête de la garde. Que lui reproche-t-on ? D’abord, d’avoir été en contradiction avec le but qu’il se proposait d’atteindre. Son intention était de conserver à la garde son caractère militaire et tout son potentiel, d’en faire une troupe de cadres ayant la meilleure valeur technique possible, capable de reprendre le combat au moment opportun.

Plusieurs de ses subordonnés, dont certains cités par l’accusation, confirment à la barre la sincérité de ses intentions. Parmi les témoins à décharge, le colonel Favier, ancien commandant de l’école de la garde, se porte garant des sentiments anti-allemands de l’accusé et ajoute :

« Le général Perré était un véritable chef de guerre. Il voulait reconstruire un Saint-Cyr à échelle réduite. Si les Allemands avaient eu connaissance de ses projets, il ne serait pas là aujourd’hui. »

Des témoins, étrangers à la garde, interviennent dans le même sens comme M. André Masséna, Prince d’Essling, duc de Rivoli. Il a servi sous les ordres de l’accusé qui, selon son témoignage, désirait créer « une armée de la revanche ». Le général Picard, organisateur de la victoire de Champagne en 1914-1918, connaît de longue date le directeur. Pour lui, son tempérament reste celui d’un germanophobe. Le lieutenant Jacques Perré, son fils, officier dans la garde, grièvement blessé à Kilstett en janvier 1945, indique que son père l’a élevé pour en faire un soldat et lui a inculqué la haine de l’Allemand. Il rapporte les propos qu’il lui a tenus après la défaite de 1940 :

« Même si cette bataille est perdue nous en gagnerons une autre. »

Plus tard, en septembre 1944, avant, qu’il ne parte au combat, son père, détenu à Vichy, l’encourage :

« J’ai la rage au cœur, j’aurais voulu partir à votre tête, mais je suis sûr que tu sauras continuer l’œuvre que j’ai commencée. »

Cependant, plusieurs témoignages, parmi lesquels ceux d’officiers de la garde ayant servi sous ses ordres, font apparaître que le directeur général, dans diverses circonstances, a tenu des propos et donné des instructions particulières en opposition avec les intentions affichées. Le commissaire du Gouvernement en conclut qu’il a accepté de faire de la garde un instrument docile, entre les mains du pouvoir, pour accomplir, sur son ordre, les missions que l’on attendait d’elle, souvent dictées par l’occupant.

Ainsi, a-t-il prescrit, à un officier qui s’y refusait, de fournir un peloton d’exécution pour fusiller des patriotes condamnés par une cour martiale. Au cours d’une inspection en Corrèze, le chef d’escadrons D.., commandant de groupe au 3e régiment, demande des instructions sur la conduite à tenir dans les opérations commandées par le secrétaire général au maintien de l’ordre. Agacé, il répond :

« Ce sont tous les mêmes, je donne des ordres et je tiens à ce qu’ils soient exécutés. Il faut tirer sur tout le monde, ce sont des bandits. »

Autre accusation, celle d’avoir diffusé, après l’incarcération de plusieurs officiers de son état-major, en juillet 1944, une note enjoignant à ses subordonnés de rester à leur poste, même s’ils étaient menacés d’arrestations par l’occupant. Sont évoquées, par ailleurs, des instructions adressées aux unités, sous sa signature, relatives à la lutte contre les partisans.

Quelques affaires particulières retiennent l’attention. À la suite d’une demande de renseignements, adressée par le directeur général au général Delmotte et à un haut fonctionnaire de la police, au sujet du chef d’escadrons Hugon, qui sous couvert de congé d’armistice travaillait au profit des services spéciaux du colonel Paillole, la police allemande arrête l’officier. L’accusé se défend d’être à l’origine de son interpellation. À propos des sanctions disciplinaires, en particulier celles qui avaient été infligées à des gardes qui avaient chanté des hymnes alliés, il estime ne pas en porter l’entière responsabilité :

« Je n’avais pas l’initiative des punitions. Ce furent leur lieutenant ou leur capitaine qui les portèrent. J’arrivai en haut de l’échelle, je leur ai mis 45 jours d’arrêt comme le fait chaque officier supérieur. »

De même, les mesures statutaires de renvoi, prises à l’encontre d’officiers, gradés et gardes auteurs de manquements divers (évasions de prisonniers, désarmement de personnels, attitudes favorables à la Résistance, etc.) ont été décidées, selon lui, dans l’intérêt supérieur de la garde menacée de dissolution si les intéressés n’étaient pas radiés des contrôles. Au sujet de la note en date du 9 août, par laquelle il a prescrit la suspension de la solde aux personnels en situation d’absence illégale, il en rejette la paternité sur le secrétaire général au maintien de l’ordre qui, effectivement, avait donné des instructions dans ce sens.

À travers ses explications, on constate que le souci majeur du général Perré a été de conserver à la garde son unité et son potentiel (armes, effectifs) pour « le grand jour », bref de protéger l’outil qu’il fabriquait pour pouvoir le retourner contre les Allemands. Mais, pour atteindre son objectif, il se retranche derrière l’autorité de Pétain, se soumet aux ordres du régime, a recours à des moyens incompatibles avec le but poursuivi.

Si l’on en croit les confidences faites au général Picard, il ne lui semblait pas opportun de passer dans la Résistance avec toute la garde avant la Libération. Pour lui, cette action spectaculaire aurait entraîné le massacre inutile de ses hommes par un ennemi beaucoup mieux armé. Il valait mieux attendre les Alliés. Un de ses proches, dépositaire de sa pensée, le chef d’escadrons Chazalmartin dira :

« Le devoir pour nous n’était pas de passer à la résistance, notre mission était autre, nous devions marcher avec l’armée secrète au moment opportun… »

Dans ses conclusions, le commissaire du Gouvernement souligne qu’en dehors des éléments de la garde passés à la Résistance avant et depuis le débarquement allié, celle-ci n’a joué un rôle utile qu’après l’arrestation de l’accusé, le 25 août 1944. À cette date, l’intéressé n’avait pris aucune disposition pour entrer en liaison avec les formations de l’armée secrète ou avec les Alliés.

Après une heure de délibération, la cour condamne le directeur de la garde à 20 ans de travaux forcés. En outre, elle ordonne la confiscation de ses biens et le déclare en état d’indignité nationale. Sans aucun doute, le rôle joué par le général Perré dans sa fonction de président du tribunal militaire de Clermont-Ferrand explique la sévérité de la peine prononcée contre lui.

Son comportement, en qualité de directeur général de la garde, ne suscite pas que de la réprobation. À côté de ses détracteurs, et même parmi les officiers de son état-major arrêtés en juillet 1944, beaucoup reconnaissent qu’en maintes circonstances, il a fait œuvre utile. Le général Perré subit sa peine à la prison militaire de Mauzac en Dordogne. Avant de l’avoir purgée dans sa totalité, il recouvre la liberté.

De retour à Paris, il tient à témoigner de sa bonne foi. Au début de l’année 1951, il rédige un mémoire, intitulé « Derniers jours de Vichy », pour dire ce que fut son rôle à la tête de la garde et ses rapports avec le président Laval. Deux faits, à son actif, lui paraissent essentiels. D’une part, il estime avoir sauvé l’existence de la garde menacée de dissolution par l’occupant, de l’autre, il considère qu’il a été fidèle à la confiance que lui ont témoignée le chef de l’État et celui du Gouvernement. Évoquant son arrestation le 25 août et la suite des événements, il écrit :

« Dans l’après-midi, je serai arrêté comme les autres autorités du Gouvernement du Maréchal. Plus tard, je serai condamné à vingt ans de travaux forcés. "Mais ceci est une autre histoire".

Les unités de la Garde prendront, aux batailles de 1944 et 1945, une part courageuse et parfois héroïque. Tels ces deux escadrons du 4e régiment qui se sacrifieront au début janvier 1945 pour empêcher la réoccupation de Strasbourg évacuée par les Américains. Dans leurs rangs, sera grièvement blessé mon fils, le lieutenant Jacques Perré, Chevalier de la Légion d’honneur à dix-neuf ans en 1940. Contre la volonté des hommes, une puissance supérieure avait voulu que mon nom fût associé aux hauts faits de la troupe dont j’avais sauvé l’existence. »

Dans son plaidoyer « pro domo », jamais il n’évoque la mémoire de celui qui fut le pilier de son état-major, le lieutenant-colonel Robelin, héros authentique et pourtant victime jusqu’en mai 1945 de l’indifférence et de l’ingratitude.

Dans les semaines qui suivent la Libération, la situation et l’activité du sous-directeur, de novembre 1942 à juillet 1944, donnent lieu à des interprétations tendancieuses allant jusqu’à mettre en doute son fidèle dévouement à la Résistance. Le chef de bataillon B..., de l’état-major de l’armée, 5e bureau, futur général, collaborateur du colonel Paillole au SSM, dans un courrier du 15 mai 1945 adressé au général Pfister, sous-chef d’état-major de l’armée, attribue ce dénigrement à « certains milieux probablement mal informés et malveillants de la gendarmerie » ainsi qu’au général Perré « qui, au cours d’une confrontation avec Madame Robelin, a donné l’impression de vouloir charger son ancien adjoint pour atténuer sa culpabilité ».

Qu’en est-il exactement ? Il ressort de plusieurs témoignages, qu’au moment de leur affectation au commandement de la gendarmerie et de la garde, où ils occupent des postes clé, plusieurs officiers en provenance de l’A.F.N ignorent tout du rôle joué par le lieutenant-colonel Robelin pendant l’occupation. À ce déficit d’information, s’ajoutent des préjugés à l’égard de la garde.

Les réactions ne se font pas attendre, de tous ceux avec lesquels le sous-directeur a travaillé dans l’ombre : les généraux Revers, Pfister, Zeller (O.R.A.), le lieutenant-colonel Lejeune, (B.C.R.A.), du cabinet du général Koenig, les colonels Paillole, Verneuil (Lafont) et du commandant Mercier (services spéciaux). Rapidement, elles mettent fin à une situation détestable.

Malgré les tortures endurées, en homme d’honneur, le lieutenant-colonel Robelin a conservé le silence devant ses bourreaux. Guidé par le seul souci de servir la France, il est allé ainsi jusqu’au sacrifice suprême. La médaille de la Résistance et une citation à l’ordre de l’armée, à titre posthume, attestent de son patriotisme et de son martyr pour la cause de la Libération :

« Sous-directeur de la garde est resté à son poste sur l’ordre du général Verneau, chef de l’O.R.A. Grâce à son action, plusieurs unités de la garde ont pu coopérer, de façon active, à la libération du territoire. Arrêté par la Gestapo à la suite de ses activités, le 6 juillet 1944, mis en cellule, il subit les tortures les plus atroces mais resta muet, ne divulguant aucun des secrets qu’il connaissait. Est mort victime du devoir, faisant ainsi le sacrifice de sa vie pour contribuer à la libération de sa Patrie. »

La gendarmerie, à plusieurs reprises, rendra à ce soldat exemplaire le juste hommage qui lui est dû. En donnant son nom à la caserne de Ferrette (Haut-Rhin), construite au lendemain de la guerre et destinée à loger le 4e escadron de la 6e légion de Garde républicaine, elle l’honore une première fois. L’inauguration de la caserne, le 21 avril 1949, donne lieu à une manifestation solennelle, en présence de Madame Robelin, de ses trois enfants et du commandant Robelin, frère du disparu. Au cours de la prise d’armes, un des pionniers de l’O.R.A., le général Gilliot, gouverneur militaire de Metz, commandant la 6e région militaire, sous les ordres duquel le colonel Robelin a servi au lendemain de l’armistice, remet à sa veuve la Croix de guerre avec palme. Dans son allocution, il fait l’éloge de son ancien subordonné, « vraie figure de chef », dont il exalte la haute signification du sacrifice. À l’issue de la cérémonie, Madame Robelin remet au capitaine Lamolinerie, le nouveau commandant d’escadron, le képi, le casque, les épaulettes et les décorations de son mari. Ces reliques seront conservées dans la salle d’honneur de l’unité.

Quatorze ans plus tard, le 12 juillet 1963, se déroule à l’École des officiers de la Gendarmerie nationale à Melun, sous la présidence de M. Messmer, ministre des Armées, la cérémonie de baptême, de la promotion 1962-1963, des officiers élèves qui porte le nom de « colonel Robelin ». Le colonel Puthoste, commandant l’école, qui a servi sous ses ordres, évoque sa mémoire et en conclusion appelle les officiers à suivre la voie tracée par leur parrain :

« Officiers de la promotion colonel Robelin, vous serez fiers et dignes d’un tel parrain qui restera un exemple de fermeté et de courage devant le devoir. Quand vous vous trouverez devant les moments difficiles de votre vie d’officiers de gendarmerie, soyez soutenu par la mémoire de votre ancien… »

Toutes les données ne sont pas encore disponibles, pour dresser un bilan définitif sur l’action de la garde pendant les années noires. Cependant, il est possible d’en donner un aperçu. Pour la garde, la mission de maintien et de rétablissement de l’ordre, déjà difficile à remplir en temps de paix, devenait encore plus délicate par suite de l’occupation du territoire par une force étrangère et avec un pouvoir ayant les apparences de la légalité. Tout acte de résistance nécessitait plus de précautions pour un garde que pour un anonyme.

Dans ce contexte, quelle image se dégage de la garde ? Certes, toutes les conduites n’ont pas été glorieuses. Il y a eu différentes formes de lâcheté mais pas plus dans ce corps que dans les autres institutions policières ou dans l’ensemble de la population française.

Le volume connu des sanctions prises dans le cadre de l’Épuration, relativement peu élevé, atteste de la modération des personnels en majeure partie maintenus en activité de service par les commissions chargées de l’épuration administrative. Le pourcentage de ceux qui ont été révoqués est faible et concerne essentiellement des cadres.

À la Libération, quelques officiers, qui se sont conduits comme des supplétifs de l’ennemi, tentent d’échapper à la justice en apprenant qu’ils font l’objet de recherches. Vers la mi-août 1944, envoyé en mission à Lyon par le directeur général, le lieutenant-colonel H.. apprend par un de ses camarades appartenant aux F.F.I. que la Résistance l’a condamné à mort.

Début septembre, lorsque la 1re division française libre arrive dans la capitale des Gaules, il s’engage et reçoit une affectation au B.M. 4, avec le grade de caporal-chef.

À Toulouse, on recherche le lieutenant R.., du 6e régiment. Cet officier a affiché une attitude des plus critiquables du point de vue national. Courant juin 1944, dans le Lot-et-Garonne, il participe avec des miliciens à des embuscades montées contre des maquisards. Le 14 juillet, il s’inscrit à la Milice et obtient une carte de Franc-garde. René Marty, intendant du maintien de l’ordre, l’appelle à son service en qualité d’adjoint. La veille de la libération de la ville, le 19 août, il s’enfuit.

Le comité de libération de Périgueux recherche le commandant de l’escadron 4/5 de Bergerac. Le capitaine Jean est introuvable. Une juridiction militaire le condamne à mort par contumax le 10 novembre 1945. L’intéressé, issu de l’armée de l’armistice, formé à l’école de cavalerie du train et de la garde de Tarbes, s’est signalé maintes fois par ses excès de zèle. Sans ordres, de sa propre initiative, il recherchait des renseignements sur les maquis et passait à l’attaque après les avoir repérés. De plus, il n’hésitait pas à se rapprocher des Allemands pour obtenir des moyens supplémentaires.

Dès le printemps 1944, la Résistance le condamne à mort. Lorsque les Allemands évacuent le Périgord, il se replie avec eux mais quitte rapidement la colonne dans laquelle il se trouve pour, démarche étrange, gagner un maquis F.T.P. où il pense se faire oublier. Grâce à ses nouveaux protecteurs, qui ignorent probablement son passé, il échappe à l’arrestation.

Par la suite, il disparaît dans des conditions que l’on ne connaît pas exactement. En 1945, selon certaines rumeurs, il se serait fait parachuter derrière la ligne Siegfrid et n’en serait jamais revenu.

Au lendemain de la libération de Limoges, des maquisards se saisissent du capitaine D..., commandant l’escadron 2/3. On lui reproche de s’être rendu coupable d’arrestations et de tortures sur des maquisards, principalement en Corrèze, dans la région de Lapleau. L’officier, traduit devant une cour martiale le 10 septembre 1944, est condamné à la peine capitale. Malgré les efforts déployés par le capitaine F..., du 3e régiment, membre de la Résistance, pour lui trouver des circonstances atténuantes, il n’échappe pas à son destin et tombe, le même jour, derrière le cimetière de Tulle, sous les salves d’un peloton d’exécution.

Le tribut payé par la garde, depuis sa création en novembre 1940 jusqu’à la Libération, s’élève à 157 tués. Entre les mois de septembre 1943 et de juin 1944, dix-sept militaires (3 officiers et 14 gradés et gardes) tombent lors d’opérations de police dans le cadre du maintien et du rétablissement de l’ordre.

La lutte contre l’occupant entraîne la mort, en déportation, de 16 officiers, gardes et élèves-gardes. En outre, 113 périssent au cours des combats pour la Libération. À ces pertes, que cette statistique ne prend pas en compte, s’ajoutent plusieurs dizaines de tués, en A.F.N. au moment du débarquement des Anglo-Américains puis sur les théâtres d’opérations en Tunisie, Italie, France et Allemagne.

Pendant que la Garde républicaine, transformée en gendarmerie mobile par décret du 20 septembre 1954, retrouve son lustre aux côtés de la gendarmerie départementale, la garde, dont elle est issue, tombe rapidement dans l’oubli. Seules quelques commémorations marquées par le souvenir des disparus et la rencontre des survivants en rappellent l’existence. Une existence brève, dense et pleine d’enseignements pour ceux qui, aujourd’hui, dans les rangs de la gendarmerie mobile, ont choisi le difficile métier de ces « pauvres glorieux, à la fois victimes et bourreaux, boucs émissaires journellement sacrifiés, martyrs féroces et humbles » si bien décrits par Alfred de Vigny.

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Valmy, quotidien de la renaissance française du 27 août 1947.

Les dernières nouvelles d’Alsace du 5. Janvier 1951.

DIVERS

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Bulletin du ministère de la Guerre. Unités combattantes de la Résistance.

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ARCHIVES

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