Force Publique

ÉDITORIAL

Force publique

La garantie des Droits de l’homme et du
Citoyen nécessite une force publique…

(art. XII de la Déclaration des Droits de
l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789)

La France possède cette force toute prête
et toute organisée : c’est la maréchaussée

(Rapport sur l’organisation de la Force publique –
Assemblée constituante –
21 novembre 1790)

Force Publique. Est-ce bien un titre pour une revue d’histoire de la gendarmerie ? Certes, cette référence à un concept plutôt juridique pourrait surprendre des historiens toujours prêts à suspecter, non sans raison parfois, une quelconque arrière-pensée, lorsque la terminologie employée n’est pas dans leur registre habituel.

Trois possibilités de titre étaient envisageables pour cette revue d’histoire. On pouvait le choisir à partir d’un objet symbolique représentatif, telle « la grenade », par exemple ; mais c’était orienter le champ de la recherche historique plutôt vers le descriptif et l’anecdotique pour un public de lecteurs interne et déjà connaisseur de l’institution. « Revue de l’Histoire de la Gendarmerie » avait l’avantage d’identifier immédiatement l’objet et de bien en délimiter le contenu avec l’inconvénient de la banalité et le risque du désintérêt d’un public externe non averti.

« Force Publique » présente plusieurs avantages. Outre la curiosité qu’il peut susciter dans différents milieux, ce titre élargit la recherche possible dans deux directions. En considérant la gendarmerie comme une force publique, il en replace l’histoire dans un champ beaucoup plus vaste, celui de « la » force publique, ce qui, pour la revue, donne accès à des publications historiques comparatives et de relations avec les autres composantes de la force publique. Il ouvre aussi sur d’autres disciplines qui, sur leur marge, peuvent être concernées par l’histoire de la gendarmerie : droit, sociologie, sciences politiques… Enfin ce titre se justifie historiquement d’une manière intrinsèque par la propre définition de la gendarmerie. En effet, quel est le terme le plus stable à travers les différentes périodes de l’histoire de la gendarmerie, le plus incontestable de sa définition si ce n’est : force publique.

« Établir un ordre nouveau, était le premier de vos devoirs ; le second était de créer les moyens de maintenir cet ordre et de le rendre durable ». C’est ainsi que Rabaut Saint-Étienne introduit son « Rapport sur l’Organisation de la Force Publique fait au nom du Comité de Constitution et du Comité militaire » présenté le
21 novembre 1790 devant l’Assemblée Constituante. Ce député célèbre est aussi le corédacteur de la Déclaration des Droits de l’homme et du Citoyen du 26 août 1789 et son rapport n’est en fait que la constitution de la force publique en application de l’article XII de cette Déclaration. Reprenant les principes préconisés par Guibert dans son « Traité de la Force Publique », paru quelques mois plus tôt, distinguant, comme lui, la force publique extérieure de la force publique intérieure, il instaure la maréchaussée comme instrument principal de cette force publique intérieure car « si cette force est bien composée et bien répartie, elle suffira pour rétablir l’ordre partout avec célérité ».

L’argumentaire que développe Rabaut Saint-Étienne dans son rapport ne manque pas d’intérêt. Pourquoi en effet la maréchaussée comme force publique intérieure principale ? Écartant successivement la garde nationale « qu’il est impossible de consacrer à un service habituel », la force extérieure qui, « habituellement employée au-dedans », pourrait devenir « insensiblement un moyen d’oppression », il énumère les caractéristiques que doit posséder cette force « habituelle, toujours agissante, toujours requise, dont la fonction particulière soit de prêter main-forte aux exécuteurs des lois… soldée, permanente… composée de manière qu’elle ne puisse, ni être insuffisante à ses fonctions, ni attenter à la liberté publique… le nombre de ces hommes soldés doit donc être exactement proportionné aux besoins de la société et calculé en raison des désordres possibles… » et affirme : « la France possède cette force toute prête et toute organisée, soumise à une discipline très exacte, ennemie sévère des perturbateurs du repos public, accoutumée à les signaler, à les connaître, à les découvrir et à les poursuivre… : c’est la maréchaussée ». Mais la maréchaussée de l’Ancien Régime, non conforme au principe de la séparation des pouvoirs, ne convient pas tout à fait. Aussi dans son plaidoyer Rabaut Saint-Étienne ajoute, toujours à propos de la maréchaussée : « vous lui ôterez tout ce que lui avait donné la volonté arbitraire et qui contrasterait avec l’ordre judiciaire que vous avez établi ; vous lui conserverez tout ce qui dans ses précédentes fonctions lui fournissait les moyens de suivre les traces du délit et de le constater juridiquement, tout ce qui peut lui attirer la confiance des peuples ».

Ainsi naquit la Gendarmerie nationale, force publique. En effet ce rapport fut suivi du décret du 22 décembre 1790 sur « l’organisation du corps de la maréchaussée » dont l’article I stipule : « La maréchaussée portera désormais le nom de Gendarmerie nationale ». Ce décret sera sanctionné par la loi du 16 février 1791, conformément aux pratiques de l’Assemblée Constituante rappelées et inscrites ultérieurement à l’article 8, alinéa 4 du tire VII de la constitution de 1791 : « Les décrets rendus par l’Assemblée nationale constituante, qui ne sont pas compris dans l’acte de constitution, seront exécutés comme lois ». Marquée du sceau de l’Assemblée Constituante, la gendarmerie apparaît bien comme une force publique constitutive de la nation française.

Général Georges Philippot
Président de la Société Nationale
Histoire et Patrimoine de la Gendarmerie