AVANT-PROPOS
L’histoire du 45e bataillon de chars de la gendarmerie résume à elle seule toutes les hésitations, les ambiguïtés, les tergiversations politiques et militaires qui caractérisent l’évolution de la gendarmerie des années Trente.
Résolument orientée, après la guerre, par son premier directeur, le colonel Plique, vers des missions civiles, la Gendarmerie est bien obligée de s’adapter aux circonstances qui, pour ce qui la concerne, touchent d’abord aux menaces de troubles à l’ordre public qui apparaissent très nettement à la fin des années Vingt, puis aux risques de guerre qui ne cessent de croître à partir de 1934.
Certes, des pelotons mobiles de Gendarmerie sont bien créés au début des années Vingt, mais ils seront la plupart du temps utilisés, par la gendarmerie départementale, comme troupes auxiliaires pour exécuter les tâches ingrates que les gendarmes départementaux répugnent à exécuter.
L’année 1927 marque un tournant. Devant la multiplication et l’ampleur des certaines manifestations, notamment dans le Nord de la France, le gouvernement décide la création d’une Garde Républicaine Mobile organisée en légions. En 1931, nouvelle étape dans la constitution d’une force de maintien de l’ordre à toute épreuve : création du Groupe Spécial autonome de la Garde Républicaine Mobile de Satory, près de Versailles, suffisamment isolé pour être discret et suffisamment proche de son lieu éventuel d’emploi : Paris. Mais la nouveauté, c’est l’équipement de ce groupe : des chars et des automitrailleuses.
Dans le même temps de la constitution de ce groupe, la menace change progressivement de nature. À partir de 1936, la guerre apparaît inéluctable. Jusqu’en 1938, la direction de la gendarmerie rechigne à préparer la guerre ; mais la nomination d’un général de l’armée, le général Billotte, comme inspecteur de la gendarmerie, va l’y contraindre. Et en octobre 1939, la direction de la gendarmerie revendique l’honneur de participer au combat avec une unité constituée. Cette unité existe, même si elle est loin d’être prête. C’est le Groupe spécial qui devient, le 1er décembre 1939, le « 45e bataillon de chars de combat de la Garde Républicaine Mobile ».
La participation du 45e BCC à la bataille de Stonne en mai-juin 1940 est connue des historiens. Le bataillon y perdra la quasi-totalité de ses chars et une bonne partie de ses effectifs. Mais le mérite de Clément Têtevuide, c’est de faire émerger et d’analyser très finement des aspects très particuliers de l’histoire de cette unité totalement ignorés jusqu’à nos jours.
Général Georges PHILIPPOT
Président de la SNHPG
Remerciements
Cet ouvrage a été rédigé, sous la responsabilité de son auteur, à partir d’un mémoire de master II d’histoire contemporaine préparé, sous la direction du professeur Jean-Noël Luc, à l’Université Paris-Sorbonne, au sein du séminaire Acteurs, pratiques et représentations de la sécurité : gendarmes, policiers, douaniers, pompiers et société (XIXe-XXe siècles).
TABLE des sigles et abréviations
BCC : Bataillon de Chars de Combat
BCG : Bataillon de Chars de la Gendarmerie
BCP : Bataillon de Chasseurs Portés
DCA : Défense Contre Avion
DCR (ou Dcu) : Division Cuirassée de Réserve
DIM : Division d’Infanterie Motorisée
DLC : Division Légère de Cavalerie
DLM : Division Légère Mécanique
EMA : État-Major de l’Armée
GA : Groupe d’Armées
GBC : Groupement de Bataillons de Chars
GBGM : Groupement Blindé de la gendarmerie mobile
GRM : Garde républicaine Mobile
PzD : Panzerdivision (terme francisé pour désigner les panzerdivisionen allemandes)
RI : Régiment d’Infanterie
RCC : Régiment de Chars de Combat
SHD : Service Historique de la Défense
Introduction
Le 5 février 1934, une rumeur court dans Paris. Des chars pilotés par des gardes mobiles seraient entrés dans la capitale française pendant la nuit afin de renforcer le dispositif des forces de l’ordre ! Ainsi, le matin même de la journée des émeutes antiparlementaires du 6 février 1934, les parisiens peuvent lire dans L’Humanité, qu’ « hier, ostensiblement, ont circulé dans Paris des compagnies de mitrailleuses ; une division de cavalerie, des tanks, des pelotons de gardes mobiles y sont arrivés en renfort »(1). Pourtant, ni les mitrailleuses, ni les chars, dont parle le journal ne montrent le bout de leur canon face aux manifestants. D’où vient cette rumeur ? Dans son étude sur les événements du 6 février 1934, Yann Galera confirme l’appel des autorités à des blindés de manière préventive le 4 dans la nuit mais en ajoutant qu’ils ne seront pas engagés contre la foule : venue de Satory, la colonne ne dépasse pas Saint-Ouen et ne rentre pas dans Paris.(2)
Ces chars appartiennent à un groupe spécial de la Garde républicaine mobile créé officiellement le 15 mai 1933 et rebaptisé groupe spécial de la Garde républicaine mobile le 1er avril 1934. Basée à la caserne de Satory, près de Versailles, cette nouvelle unité, composée de deux compagnies de chars et une compagnie d’automitrailleuses, placée sous l’autorité directe du Gouvernement jusqu’en avril 1934, puis rattachée à la première légion de la Garde républicaine mobile. Dissout après la défaite française en 1940, puis recréé en 1944, ce corps existe toujours sous le nom de groupement blindé de la gendarmerie mobile (GBGM). Depuis sa création, il fait preuve d’une extraordinaire discrétion, alors que son matériel ne devrait pas lui permettre de passer inaperçu dans le paysage policier français. Inconnu du grand public, le groupe spécial blindé de Satory n’a pas non plus suscité un grand intérêt chez les historiens de la gendarmerie malgré la multiplication des travaux, par exemple à l’université Paris-Sorbonne, depuis le début des années 2000(3). Seuls quelques études spécialisées y font très brièvement allusion, et le plus souvent pour évoquer le bataillon de chars de combat auquel le groupe spécial donne naissance en octobre 1939, unique unité combattante de la gendarmerie au cours de la campagne de France. Le paradoxe de la présence d’un groupe spécial blindé au sein de la Garde républicaine mobile, puis de la gendarmerie mobile, sa descendante, contribue sans doute à sa confidentialité. Une institution qui prône, depuis les années 1930, la mise en œuvre d’une police des foules non létale ne peut pas mettre en avant une unité dotée d’engins blindés potentiellement meurtriers.
La création officielle, en 1927, de la GRM au sein de la gendarmerie constitue une nouvelle étape dans la républicanisation du maintien de l’ordre amorcée progressivement en France depuis la fin du XIXe siècle(4). Les autorités ne veulent plus faire appel systématiquement à la troupe pour réprimer les mouvements de foules. Les militaires répugnent à dégrader l’image de l’armée victorieuse en participant à de telles opérations et les responsables civils craignent de voir se répéter des drames comme celui de Fourmies, en 1891. La GRM est donc créée pour doter l’État d’une force professionnelle spécialisée dans le maintien et le rétablissement de l’ordre. Grâce à l’expérience accumulée entre 1918 et 1927 par des pelotons mobiles alors rattachés à la gendarmerie départementale, et aux exemples de certaines polices étrangères, les cadres de la GRM inventent une doctrine de la police des foules qui privilégie la dissuasion, le refoulement et l’adaptation de la réponse à l’intensité des troubles. Après sa gestion efficace, sans morts ni brutalités dénoncées par la presse, des grèves du Nord, au cours de l’été 1930, la GRM est chargée seule, des grosses opérations de maintien de l’ordre en province au cours des années suivantes(5). Comment peut-elle concilier l’usage de chars avec son objectif de réduire la violence publique en général et de supprimer la violence létale en particulier ?
On ne peut pas comprendre l’apparition d’un groupe spécial blindé au sein de la GRM sans considérer l’évolution de la gendarmerie depuis 1918. Pour le colonel Plique, placé à la tête de la première direction de l’arme, créée en 1920, l’héritière de la maréchaussée « doit, avant tout, remplir une mission de police à l’intérieur du pays ». Une dizaine d’années plus tard, dans un nouveau contexte, ce programme n’est plus entièrement d’actualité. La politique d’optimisation de toutes les ressources dont dispose le ministère de la Guerre entraîne, dès 1929, une revalorisation de l’instruction militaire tactique des personnels de la GRM. La suppression, en 1933, de la direction autonome de l’arme aboutit, l’année suivante, à la nomination d’un inspecteur général de la gendarmerie, le général Billote, qui réalise aussitôt, un « véritable audit », selon la formule de Georges Philippot(6). Le constat est inquiétant en cas de nouveau conflit : l’orientation exclusivement policière des gendarmes a réduit leurs capacités militaires. La réponse des autorités ne tarde pas : dès le mois de juin 1935, deux circulaires prescrivent de renforcer l’instruction militaire des gendarmes départementaux et des gardes républicains mobiles. Parmi ces derniers, tous les candidats à l’avancement doivent désormais posséder un brevet de chef de section ou de peloton. Pour les responsables de l’armée, il faut améliorer la capacité de la GRM à former les recrues, encadrer des troupes mobilisées et des gardes frontaliers, garder des blockhaus en amont de la ligne Maginot et constituer des unités combattantes. On comprend que le groupe spécial blindé de cette force ne naît pas par hasard : il participe à un processus de (re) militarisation, qui fait cependant débat au sein d’un corps toujours chargé d’importantes missions policières(7). La création de cette unité peut aussi apparaître comme le seul événement positif de l’année 1933 pour une institution très déçue, à la même époque, par la disparition de sa direction autonome et par le refus d’attribuer la Croix de guerre aux prévôtaux mobilisés au cours du dernier conflit.
C’est à partir du groupe spécial blindé que la gendarmerie forme en octobre 1939, un bataillon de chars légers de combat, le 45e BCC, qui prend part à la campagne de France en 1940 et s’illustre en particulier au cours de la bataille de Stonne. Beaucoup plus connu des historiens, cet épisode de l’existence du groupe spécial est présenté comme l’une des pages de gloire de l’arme au front. De nombreux articles publiés dans des revues consacrées à l’histoire de la gendarmerie ou à celle des armées françaises en mai-juin 1940 retracent le parcours du 45e BCC lors des combats qui le conduisent de Satory jusqu’à Saulieu, lieu de la capture de l’essentiel de son effectif par les troupes allemandes, le 17 juin 1940.
Le groupe spécial de Satory comme le 45e BCC ont laissé peu de traces dans les archives militaires. Les archives du groupe représentent une demi-douzaine de cartons de la série 2007 ZM 1, dédiée à la gendarmerie. Ces quelques cotes contiennent essentiellement les registres R/4 des trois compagnies de l’unité entre 1934 et 1938. Ces registres confidentiels fournissent de précieuses indications sur la formation professionnelle, l’état d’esprit et la vie quotidienne des hommes de Satory. Les journaux des marches et opérations (JMO) des compagnies et des pelotons du groupe éclairent la gestion concrète du maintien de l’ordre sur le terrain. Les rapports sur l’instruction dispensée à partir de 1934 permettent d’apprécier la militarisation progressive d’un corps chargé de fournir à l’armée d’active une réserve de cadres pour les formations de chars d’assaut. Un lecteur déjà informé de l’histoire du groupe spécial blindé s’étonnera de ne pas rencontrer le peloton motocycliste d’escorte présidentielle dans cet ouvrage. C’est un choix délibéré. D’une part, notre enquête s’intéresse surtout à la spécificité d’une unité dotée de chars et d’automitrailleuses. D’autre part, les informations relatives à un peloton particulier dépourvu d’existence officielle sont rares parmi les archives du groupe spécial. Jamais explorées encore, ces archives constituent les matériaux privilégiés de cette étude. Il faut cependant les considérer pour ce qu’elles sont, des documents écrits par des acteurs influencés par leur culture professionnelle et leur subjectivité.
Les archives du 45e BCC posent un autre problème. Comme celles de l’immense majorité des unités françaises, elles ont été presque intégralement détruites pendant la retraite de juin 1940. Ainsi les pièces rassemblées dans le carton 34 N 437 sont-elles en grande partie des rapports relatifs à la campagne de France rédigés a posteriori, et à partir de leurs souvenirs, par quelques officiers, comme le commandant du bataillon (le chef d’escadron Bézanger), ou des chefs de section (les lieutenants Chambert, Bonardi et Arthaud). L’épopée du 45e BCC a, de toute façon, été déjà assez étudiée pour que l’on puisse se dispenser d’en refaire ici le récit détaillé. En revanche, les archives ‒ conservées ‒ relatives à la création de ce bataillon permettent de comprendre comment et dans quel contexte le groupe spécial a servi de creuset à la formation de la seule unité combattante de la gendarmerie en 1939-1940. Composés de dépêches et de notes internes au ministère de la Guerre, elles éclairent les étapes de l’organisation de cette unité et les polémiques simultanées entre la gendarmerie et la direction de l’infanterie, qui fournit le personnel de la troupe.
Pour bien inscrire l’histoire du groupe spécial blindé de la Garde républicaine mobile dans la double orientation, policière et militaire, de la gendarmerie au cours des années 1920-1930, cet ouvrage est divisé en deux parties. Dans un premier temps, il analyse l’organisation de cette unité, l’identité professionnelle et le mode de vie de son personnel, ainsi que son intégration dans la doctrine et les missions du maintien de l’ordre. Dans un deuxième temps, l’enquête s’étend à la militarisation accrue du groupe spécial, à partir de 1935, et à sa transformation en unité combattante, dont l’engagement et les faits d’arme au cours de la campagne de France seront rappelés.
Partie I - Les chars des gendarmes
Chapitre I - Le groupe spécial de Satory
La France des années 1930 est un pays traversé par d’intenses mouvements sociaux et politiques, marqués aussi bien à droite qu’à gauche. Les répercussions de la crise de 1929 commencent tout juste à se faire sentir en 1931. Ce retard de quelques années par rapport aux pays anglo-saxons est principalement lié à la politique économique protectionniste voulue par le Gouvernement et pratiquée par l’immense majorité de l’industrie française. Bien que plus tardive, la crise n’en est pas moins grave et affecte durablement la société française. La décennie de troubles sociaux, sur fond d’idéologies politiques, dans laquelle s’engage le pays inquiète fortement les différents chefs d’État successifs à mesure que les manifestations et les contestations deviennent de plus en plus importantes, allant jusqu’à menacer le Gouvernement en place, voire la forme politique même de la République française. Pour le pouvoir politique, il convient alors de se doter d’un instrument de dissuasion, et en dernier recours de répression, capable de faire face efficacement à l’éventualité d’un soulèvement violent et armé d’une partie de la population. Depuis la fin des années 1920, la toute nouvelle Garde républicaine mobile satisfait de plus en plus à cette volonté étatique de dédier une force de spécialistes aux tâches du maintien de l’ordre. La création en 1933 du groupe spécial de Satory répond à ce besoin en en couvrant un nouvel aspect technique.
À partir des archives du groupe spécial pour la période 1933 à 1939, conservées au Service historique de la Défense à Vincennes, l’observation de l’organisation de cette unité et de son fonctionnement, ainsi que l’étude de ses missions, donnent un aperçu du mode de vie particulier de ces gendarmes très proches du pouvoir politique en place qu’ils sont chargés de défendre. Qui sont ces hommes et comment vivent-ils ? Répondre à ces deux questions informe plus avant l’historien sur la façon dont ces gendarmes très secrets traversent les années 1930. Le cadre institutionnel et humain qui s’en dégage doit alors permettre de mieux connaître cette unité pour appréhender ultérieurement son évolution.
Organisation et mission du groupe spécial
Le Krach boursier de Wall Street en 1929 et la crise qui en découle n’affecte la France qu’au début des années 1930. Bien que tardifs, ses effets n’en sont pas moins bouleversants pour l’économie française dont elle révèle les dysfonctionnements. La fermeture de nombreuses entreprises et les difficultés financières que la crise entraîne concernent beaucoup de Français. Or, les pouvoirs politiques se montrent incapables de remédier rapidement à la situation. Le manque d’efficacité des gouvernements successifs finit par lasser une population française de plus en plus sceptique face au modèle républicain tel qu’il est incarné depuis la fin de la Grande Guerre. Les tensions sociales s’intensifient alors que les mouvements d’extrême-gauche et d’extrême-droite font de la rue un véritable champ de bataille idéologique sur lequel des armées de manifestants défilent très régulièrement. L’ampleur des manifestations de 1931 et surtout la menace de débordements importants qui pourraient compromettre le pouvoir en place amène le gouvernement Daladier à se doter de forces de gendarmerie capables de répondre au besoin de protection éprouvé par le pouvoir.
Ainsi, au mois de mai 1933, alors qu’en Allemagne Hitler commence à s’emparer du pouvoir depuis le début de l’année, en France, le groupe spécial autonome de la Garde républicaine mobile (GRM) est créé sur décision du ministre de la Guerre. Il s’agit d’une unité de la GRM, composée d’un état-major et de trois compagnies blindées se déclinant sous la forme de deux compagnies de chars légers Renault FT-17 et d’une compagnie d’automitrailleuses Panhard-Schneider P16. Il convient de préciser d’emblée que le Groupe Spécial de Satory n’est pas la première unité de gendarmerie à disposer d’un équipement blindé. Déjà en 1931, des budgets supplémentaires alloués à la GRM avaient permis de doter ses légions de quelques engins blindés(8). La même année, des unités de gardes s’étaient servies de ces moyens blindés mis à leur disposition pour lutter contre le grand banditisme en Corse(9). En revanche, le groupe spécial est bien la première unité de GRM qui concentre en un même point de tels moyens blindés. Les gendarmes du groupe constituent tout d’abord une réserve gouvernementale pouvant agir sur demande des autorités au profit du maintien de l’ordre ou de la protection des intérêts de la France. Par conséquent, cette force est cantonnée dans une caserne bâtie spécialement pour eux, celle de Versailles-Satory, située à une heure de voiture de Paris à peine, pour être rapidement utilisable sur décision des autorités politiques.
D’abord constituée en groupe autonome et indépendant du reste des légions de l’ancêtre de la gendarmerie mobile à sa création, l’unité échappe à l’autorité du commandant de la première légion de GRM dont le quartier-général est situé à Montrouge. Au lendemain des émeutes antiparlementaires du 6 février 1934, d’après l’historien Yann Galera, le colonel Nicolet, commandant la légion de Montrouge, évoque ainsi devant la commission d’enquête parlementaire chargée de faire la lumière sur les événements, « l’intervention d’un groupe spécial de la Garde républicaine mobile, commandé par le lieutenant-colonel Picquet et ne relevant pas de l’autorité du chef de la 1re légion de GRM »(10). Peu après, le groupe est ensuite rattaché administrativement le 1er avril 1934 à la première légion de GRM dont la circonscription s’étend à toute l’Île-de-France. Elle dépend dès lors directement de ses services pour son approvisionnement en matériel et répond aux directives du commandement de la légion. Au changement du statut administratif, s’ajoute celui du nom de l’unité, le groupe spécial autonome devient alors le groupe spécial blindé, soulignant par cette nouvelle dénomination la spécificité de sa fonction et la spécialisation de son personnel.
Le groupe est placé sous les ordres d’un lieutenant-colonel. Entre 1933 et 1940, quatre hommes se succèdent à ce poste, les lieutenants-colonels Piquet de 1933 à 1934, Lavit de 1934 à 1935, Durand de 1936 à 1937, et enfin Barrière de 1938 à 1940. Le commandant du groupe a sous ses ordres directs l’état-major de l’unité qui comprend une section de commandement et une section d’atelier. Chacune des trois compagnies du groupe spécial est commandée par un capitaine, lui-même épaulé par trois ou quatre lieutenants selon le nombre de pelotons que comporte l’unité. Dans les années 1930, le capitaine Monmasson commande la première compagnie de chars, les capitaines Delpal puis Meygret-Collet la deuxième compagnie de chars et le capitaine Faverot la troisième compagnie d’automitrailleuses. En 1936, en plus du véhicule de commandement, une compagnie de chars se compose de trois pelotons de quatre chars FT-17 équipés de canons et de deux autres armés de mitrailleuses, tandis que la compagnie d’automitrailleuses comprend quatre pelotons de trois voitures chacun(11), d’abord des Panhard-Schneider P16 puis, à partir de 1937, des Citroën-Kegresse P28 et finalement en 1938 des White TBC hors d’âge. À ce matériel blindé il faut ajouter divers véhicules utilitaires dont des porte-chars, des camions, des voitures et des motocyclettes de liaison qui contribuent tous à mettre en œuvre et coordonner l’action des blindés sur le terrain. En 1935, la deuxième compagnie possède ainsi pas moins de « 68 véhicules divers » dont ses 18 chars selon un rapport du capitaine Meygret-Collet(12).
Lors de la création du groupe, l’effectif réglementaire des compagnies est fixé à quatre officiers et 80 gardes et gradés. En plus de leur service, ces hommes ont à charge l’entretien des engins du groupe. Dès 1934, cependant, les servitudes liées à l’entretien des machines occupant un temps bien trop important et qui finit par gêner la bonne conduite de leur formation et des services hors du camp, les commandants de compagnie demandent l’augmentation de leurs effectifs. Ainsi, le capitaine Monmasson estime-t-il dans un rapport secret rédigé en décembre 1934 que « l’effectif en personnel est insuffisant pour le service de matériel existant au Groupe Spécial »(13). Le message est entendu par la hiérarchie, puisqu’à partir de 1936, le nombre des gardes et gradés est porté à une centaine d’hommes par compagnie, auxquels s’adjoignent une dizaine de gardes stagiaires en formation au camp de Satory, selon le tableau d’effectifs fournis pour l’unité du capitaine Monmasson(14). Les deux compagnies de chars comprennent alors, en plus d’un état-major fort de vingt militaires, trois pelotons de vingt-six hommes chacun(15). La compagnie d’automitrailleuses, compte elle aussi un groupe de commandement mais ses pelotons se répartissent en quatre unités d’une quinzaine d’hommes. La devise du groupe de Satory résume bien l’emploi que le commandement peut faire de ses hommes. « Parfois brutal, toujours loyal » : ces quelques mots traduisent l’engagement très particulier des militaires du groupe, puisqu’ils peuvent agir à la fois en tant que force blindée équipée d’un matériel militaire au potentiel destructeur important et, en même temps, en tant qu’unité spécialisée dans la protection des hautes personnalités et intérêts de la France.
Le temps de service des hommes de Satory se partage entre les diverses tâches de maîtrise, d’entretien et de perfectionnement de la connaissance de leur matériel à la caserne et l’accomplissement des différentes missions traditionnellement allouées aux gardes mobiles. Les hommes du groupe participent donc à la police de la route dans les alentours de leur caserne. Comme pour le reste de la GRM, le contrôle de l’espace routier devient l’une des prérogatives de ces gendarmes équipés de moyens imposants et qui peuvent sembler disproportionnés par rapport à leur mission. Mais la surveillance des routes n’est pas leur principale mission, les hommes du groupe sont aussi très souvent sollicités dans le cadre de missions de maintien de l’ordre, au même titre que les gardes des autres unités de la légion. Chaque compagnie est susceptible de former un peloton de maintien de l’ordre organisé sur le modèle des pelotons à pied de la GRM. Il s’agit donc d’un détachement de 30 gardes, commandé par un officier et disposant de moyens automobiles spécifiques, en l’occurrence un camion de trois tonnes et demie pour le transport du personnel, une voiture pour le commandant et une motocyclette pour assurer les liaisons(16). En raison, de l’importance de leurs moyens automobiles, les hommes de Satory peuvent aussi être chargés de missions de transfèrements de détenus et par conséquent de divers services de garde à la cour d’assises de Versailles.
Les services d’ordre et la police de la route, conventionnellement attribués à la GRM depuis la fin des années 1920, ne sont pas les seules tâches dont sont chargés les gardes du groupe. Il leur incombe d’autres missions, très particulières, liées à leur statut de force de réserve lourdement armée et très mobile. À partir de 1935, un groupe d’une quarantaine de motocyclistes est formé au sein de l’unité afin de servir d’escorte au chef de l’État, ministres ou souverains étrangers en visite en France(17). Ces militaires constituent une unité sans caractère officiel à l’intérieur du groupe. Il s’agit généralement des meilleurs pilotes de motocyclettes des différentes compagnies rassemblés en une formation spéciale lorsqu’il est fait appel à eux. Le peloton d’escorte du groupe spécial est l’ancêtre indirect du peloton d’escorte motocycliste de la Garde dont se dote le maréchal Pétain en 1941, supprimé en 1945 et recréé en 1953 au sein de la Garde républicaine de Paris, cette fois-ci avec l’organisation et les fonctions que nous lui connaissons de nos jours. Le service du peloton motocycliste peut conduire ses hommes très loin de la caserne de Satory, les jetant sur toutes les routes de France sillonnées par les personnes qu’ils ont à escorter. En 1939, les gardes à moto suivent ainsi le président du conseil, Daladier, lorsqu’il se rend en visite en Algérie. Le caractère officieux de ce peloton motocycliste le rend cependant difficile à suivre dans les archives et son organisation en particulier n’apparaît pas clairement.
Les hommes du groupe peuvent aussi être chargés de l’escorte de « matériel secret, de munitions, d’armes, [d’] expérience ou [d’] essais de matériel »(18). Au vu de la vitesse des chars FT-17 limitée à 7,5 km/h sur route, les pelotons chargés de ces missions n’interviennent pas avec leur matériel blindé, en particulier lors des déplacements sur routes. Les automitrailleuses P16 puis P28 semblent plus appropriées avec leur vitesse de 50 km/h qui leur permet de suivre un convoi sans trop le ralentir. Mais ce sont surtout les motocyclettes, bien plus rapides, qui sont utilisées pour ces services. Il apparaît assez rapidement que la troisième compagnie se charge en priorité des missions d’escorte sur route. Les deux compagnies de chars, quant à elles, sont plus susceptibles de monter la garde sur les terrains d’essais. Ces missions placent les hommes de Satory au cœur du secret militaire français puisqu’ils sont amenés à côtoyer du matériel expérimental, comme les nouveaux chars lourds B1, et dont le développement est un objectif primordial pour un pays qui doit entièrement rénover son arsenal en vue d’un affrontement de plus en plus plausible avec l’Allemagne nazie.
Les hommes du groupe sont donc des militaires chargés de missions qui nécessitent une discrétion particulière. De plus, l’emploi de leur matériel implique des compétences spécifiques liées au maniement des engins blindés faisant d’eux une unité spéciale et spécialisée. L’observation du cadre institutionnel de cette unité permet d’en comprendre les mécanismes de fonctionnement. Pour poursuivre le travail de compréhension il est nécessaire de contextualiser cette unité en s’attachant à l’observation de son lieu de vie et de travail. Cette focale doit permettre d’approcher de plus près où et comment vivent les hommes du groupe pour comprendre comment cet espace très particulier inscrit les militaires du groupe spécial blindé dans une ambiance de travail participant de leur mission.
Une unité spéciale dans un cadre spécial
Le choix de Satory n’a rien d’un hasard. Ce petit quartier, situé au sud de Versailles, est suffisamment éloigné de la ville pour éviter que les gardes ne se mêlent aux habitants et suffisamment proche de Paris pour permettre aux éléments du Groupe de rejoindre rapidement la capitale si la nécessité s’en fait sentir. De plus, les grands espaces autour du camp devaient permettre à des engins blindés de manœuvrer pour l’instruction. Par le passé, le terrain de Satory a été un lieu de cantonnement de troupes ou de concentration de prisonniers, comme lors de la Commune. Des installations militaires comme une ancienne position d’artillerie fortifiée précèdent historiquement le groupe spécial sur ce lieu. Mais il n’existe pas de structures pour accueillir une unité de gardes mobiles telle que le groupe spécial avant sa création. La caserne du groupe est donc un ensemble de bâtiments entièrement neufs qui émerge du sol à la fin de l’année 1933. Contrairement aux casernes qui abritent la plupart des unités de l’armée et de la GRM durant la même période, celle des hommes de Satory présente l’intérêt d’être relativement moderne et confortable. L’adjudant Laury commandant provisoirement le deuxième peloton de la troisième compagnie peut ainsi mentionner dans un rapport datant de décembre 1935 que « le casernement occupé par le Peloton est neuf, sa mise en service date du mois d’octobre 1933, aucune réparation importante n’a été faite à ce jour. Les logements sont spacieux et confortables. Aucun ménage n’occupe un logement de capacité réduite »(19). Plus laconique sur ce sujet, le capitaine de la deuxième compagnie se contente de constater que les « gradés et gardes sont satisfaits de leur installation matérielle »(20) ou encore qu’il n’y a « rien à signaler »(21).
La caserne de Satory offre un cadre de vie agréable aux hommes du groupe. Ils n’ont pas à s’en plaindre avant que, les années et la pratique aidant, les premiers inconvénients n’apparaissent. Ils se révèlent essentiellement d’ordre pratique. Les rapports sur l’état d’esprit du groupe sont l’occasion pour les officiers de les relever. Le commandant de la deuxième compagnie se fait porteur d’une autre revendication concernant l’installation matérielle du camp, celle « d’autoriser les officiers à construire, à leur frais, un garage dans leur jardin » car « leurs voitures personnelles sont garées à l’intérieur du quartier, à 3 ou 400 mètres de leur habitation, ce qui nécessite un service fatiguant du planton de nuit chargé de surveiller ces véhicules »(22). Deux ans plus tard, le capitaine Monmasson signale dans un autre rapport le fait qu’au camp de Satory, il n’existe pas de chambre pour les élèves-gardes stagiaires et qu’il a donc fallu transformer des salles de théorie en chambrées pour les accueillir. Il n’existe pas non plus de salle de réunion pour réunir le personnel de la compagnie(23). D’apparence bénins, ces problèmes d’infrastructure ont des répercussions directes sur la formation et le fonctionnement du groupe. L’inondation partielle des caves de l’un des bâtiments peut quant à elle avoir des conséquences néfastes sur la santé des gardes et de leurs familles qui y logent. Dans un rapport de 1936, le capitaine Meygret-Collet précise ainsi que
« les gradés et gardes sont satisfaits de leur installation matérielle, sauf toutefois ceux habitant le Bâtiment L, où un certain nombre de caves se trouvent périodiquement partiellement inondées par grosses pluies. Le fait a été signalé au Génie ; un rapport du Médecin du Groupe a fait ressortir le gros inconvénient de cette évacuation défectueuse au point de vue médical ».(24)
En dépit du désagrément que ces inondations provoquent, le problème n’est toujours pas réglé un an plus tard puisque dans son rapport sur l’état d’esprit de sa compagnie pour l’année 1937, le capitaine fait à nouveau remonter cette doléance à sa hiérarchie(25). Si sur le plan du logement, la caserne du groupe est satisfaisante, elle apparaît néanmoins beaucoup moins pratique en termes d’espace de garage et de rangement pour l’important matériel de l’unité. Le capitaine Monmasson pointe du doigt en particulier l’inadaptation des garages de la caserne. Il s’avère que les magasins de la caserne sont trop petits pour abriter correctement les très nombreux véhicules du Groupe et en particulier les lots de bord et l’armement. La construction de nouveaux magasins fait l’objet d’une demande d’amélioration transmise à ses supérieurs en juillet 1938. Déjà, en 1935, l’officier signale que « ces garages n’abritent pas le matériel contre le froid, ni contre l’humidité, ni contre la poussière parce que, de par leur construction, ils n’offrent aucune étanchéité. Ils ne protègent pas complètement contre le vol puisqu’il est facile d’escalader et de passer entre les rideaux métalliques et la bordure du toit ». Dans le même ordre d’idée, les hommes de Satory se rendent vite compte que la piste d’entraînement pour les chars de la caserne est trop étroite pour leur permettre de s’entraîner correctement. À la suite des revendications concernant les garages du groupe, le commandant de la première compagnie fait remarquer dans son rapport que :
« Les possibilités qu’offrent le terrain du camp de Satory ne permettent d’étudier le combat (avec matériel) que dans quelques situations particulières. Les possibilités du tir à Satory ou dans les champs de tir utilisables dans la région (Maison-Laffitte et Fontainebleau) sont très réduites. L’instruction du combat de char et du tir ne pourraient être menées convenablement que pendant un séjour de deux semaines dans un camp comportant un champ de tir pour chars. »(26)
Le camp de Satory semble donc avoir été prévu pour loger correctement une force de la GRM mais il répond mal aux critères d’utilisation d’une formation blindée puisqu’il n’a pas une capacité de garage et de rangement suffisante pour les engins du groupe. Il ne permet pas non plus un entraînement complet avec les chars et les automitrailleuses en service, ce qui a pour conséquence directe de pénaliser l’instruction du fait de son inadaptation aux exigences d’espace qu’un tel matériel implique en termes de manœuvres et d’exercices de tir. Mais ce caractère d’inadaptation du lieu répond toutefois à une logique de casernement propre à la Garde républicaine mobile dans l’entre-deux-guerres.
Jusqu’au début du XXe siècle, lorsque de grands mouvements de foules devaient être contenus, les gendarmes mobilisés étaient généralement hébergés chez l’habitant. Cette méthode de logement des effectifs supplétifs présentait cependant de nombreux désavantages. Les habitants n’étaient pas forcément très heureux de devoir accueillir sous leur toit ou dans leur grange des représentants de la loi venus réprimer des manifestations dont ils pouvaient eux-mêmes se sentir proches. Et dans le cas inverse, lorsque les hommes de l’arme logeaient chez des personnes hostiles aux manifestants, ils pouvaient être tentés d’adhérer à cette hostilité, faisant alors des opérations de maintien de l’ordre à venir une affaire personnelle et souvent violente. Le souci de professionnalisation des forces de l’ordre porté par les officiers de la GRM les amène à penser chacun des aspects de la relation des gardes aux citoyens. La question du logement est bien évidemment posée et les théoriciens de la gestion des foules soulèvent la nécessité pour leurs troupes de se mêler le moins possible à la population. Dans cette logique, il n’est pas étonnant que les casernes de la GRM soient bâties en bordure voire en dehors des villes afin de ne pas s’inscrire dans le quotidien des Français et de maintenir autour d’elles l’aura de mystère qu’évoque une force de militaires d’élites(27).
La position excentrée par rapport aux villes les plus importantes de son environnement direct de la caserne du groupe spécial répond aux mêmes exigences que celles de tous leurs collègues de la GRM. L’isolement du groupe est vite ressenti par ses militaires. Une grande majorité des rapports sur le moral des militaires de Satory pour la période 1933 à 1939 fait ressortir cette sensation. « Les officiers et la troupe sont un peu isolés de la société de par leur logement au camp » constate le capitaine Monmasson en novembre 1934, avant de poursuivre, « le transport en commun (autobus) n’est assuré (sauf le dimanche) qu’aux heures de commencement et de fin de travail. La rentrée au camp après dîner en particulier n’est pas assurée »(28). Toute vie sociale n’est cependant pas proscrite pour les hommes du groupe, comme le fait remarquer le commandant de la deuxième compagnie dans un rapport daté de la même année. Ainsi, « logés au camp les officiers sont peu mêlés à la population civile. Ils entretiennent de bonnes relations de camaraderie avec les officiers des corps voisins »(29). De même pour les gardes et gradés, qui « semblent entretenir de bonnes relations de camaraderie entre eux et avec les sous-officiers des corps voisins ». Même s’il peut être péniblement ressenti au quotidien par les officiers et sous-officiers du groupe, cet isolement a l’avantage de contribuer à créer un esprit de corps au sein d’une unité nouvellement constituée. Par ailleurs, sa situation de retrait par rapport à la société civile favorise les relations avec les unités militaires voisines. Les gardes et leurs supérieurs sont plus facilement amenés à échanger et évoluer au sein d’un univers exclusivement militaire de manière à mieux s’intégrer dans le dispositif local. Les relations privilégiées qu’ils développent avec les régiments des alentours jouent un rôle non négligeable dans la formation des gardes et dans l’acquisition d’une vision interarmes de la vie militaire. Les contacts entre le groupe spécial et les régiments voisins sont facilités par les missions d’encadrement et de formation des appelés et des recrues dont est chargée la GRM depuis sa création officielle sous ce nom. Dans ce cadre, les gardes de Satory travaillent avec les unités de la région parisienne comme le 503e régiment de chars de combat ou le 24e régiment d’infanterie. En 1936, le remplaçant du capitaine Meygret-Collet, le lieutenant Petit, peut ainsi noter à propos des rapports entretenus par ses hommes avec ceux des formations locales,
« Neuf gardes de la compagnie, titulaires du brevet de chef de section de chars, ont été employés comme instructeurs des recrues au 503e RCC. Les notes très élogieuses qui leur ont été données par les officiers de ce régiment montrent combien le concours de ces gardes fut apprécié. Il en est de même en ce qui concerne le détachement provisoire de gardes titulaires du brevet de chef de section d’infanterie comme instructeurs au 24e RI. Il est à souhaiter que cette pratique de collaboration se poursuive au cours de l’année d’instruction 1935-1936. Elle permet aux gardes de se faire connaître et apprécier en dehors de leur arme. Elle développe le sentiment de camaraderie entre eux et les sous-officiers des régiments voisins et son influence morale est considérable sur le personnel. »(30)
Entretenir des liens de proximité avec les unités voisines permet aussi aux officiers du groupe de se tenir au courant des évolutions doctrinales, en particulier concernant les chars. Le groupe spécial dépendant de la direction de la justice militaire, du contentieux et de la gendarmerie n’est en effet pas informé des modifications apportées par la direction de l’infanterie, à laquelle est rattachée la sous-direction des chars, à ses règlements. Le commandant de la deuxième compagnie constate avec amertume que puisque,
« les deux compagnies FT du groupe spécial ne dépendent pas de la sous-direction chars ; il semble par suite que celle-ci les ignore complètement. C’est ainsi que les modificatifs aux dotations de guerre de la compagnie FT ne nous sont pas parvenus et que seuls la proximité du 503e RCC et nos excellents rapports de bonne camaraderie avec les officiers de ce corps, nous ont permis de connaître ces modificatifs ; de même les modificatifs au programme du brevet de chef de section ont été connus jusqu’en fin d’année d’instruction lorsque le lieutenant-colonel du 503e RCC président de la commission d’examen nous le fit savoir. »(31)
L’isolement du camp de Satory présente enfin l’incontestable avantage d’être situé sur les hauteurs au sud de Versailles, assez loin de la ville pour être discret. Le caractère de discrétion du lieu est parfaitement adapté pour accueillir des essais de matériel secret. Les militaires du groupe sont « presque quotidiennement des militaires chargés d’escorter du matériel secret et des munitions ou encore de surveiller les évolutions et les essais de matériel secret sur le terrain de Satory »(32). Le cadre dans lequel évolue le groupe spécial répond aussi bien à des critères de confort qu’à des besoins liés au service de ses militaires. Il est conçu comme une base excentrée par rapport à la ville qui doit permettre de maintenir dans le secret une unité appelée à jouer un rôle de gardienne des intérêts de la République, que ce soit en surveillant ses projets secrets à Satory ou en se faisant soldats de la loi face aux manifestants. Ce cadre spécial souligne la spécificité des missions des hommes du groupe et les entoure d’un certain secret auprès de la société civile.
Toutefois, l’éloignement de la caserne de tout centre urbain pénalise grandement une importante partie de ses occupants, les femmes et enfants des officiers et sous-officiers du groupe. En effet, les hommes de Satory, en tant que militaires de la Gendarmerie nationale, ont le droit de vivre à la caserne avec leur famille. Rien que pour la première compagnie, un effectif de 92 épouses et 139 enfants s’ajoutent aux quatre officiers et 98 sous-officiers de l’unité du capitaine Monmasson(33). Derrière l’institution, ce sont bien des hommes qui vivent au camp et doivent composer au quotidien sans les avantages liés à la ville que sont les commerces et les distractions. Dès 1934, il apparaît que l’approvisionnement des familles est rendu difficile et onéreux, puisque « le camp est éloigné de tous les marchés et les ménages ayant des enfants en bas âge ne peuvent s’y rendre ». Ils sont alors « obligés d’acheter au prix fort les denrées, de plus ou moins bonne qualité, que veulent bien débiter les commerçants installés dans la cour du quartier »(34). La vente des excédents du mess permet dans une large mesure de contenir la hausse des prix liée à l’inflation rampante dans les années 1930, mais l’épuisement de ses réserves en 1937 fait craindre un réel coup dur pour les ménages. Autre inconvénient majeur pour les familles des hommes de Satory, l’ennui. Les distractions sont rares dans un camp militaire et d’autant plus rares qu’il n’est pas aisé de se rendre à Versailles en raison de la mauvaise desserte du camp par les transports publics. Le commandant de la deuxième compagnie de chars constate en 1935 que « neuf sur dix des demandes de changement de résidence proviennent du manque de distractions à Satory et de l’impossibilité de profiter de celles que procure la ville de Versailles »(35). Pour parer à ce problème, le capitaine de la deuxième compagnie propose, en 1936, que soit envisagée « la construction d’une salle de réunions permettant d’organiser des causeries et des spectacles […] non seulement pour distraire les familles [mais aussi] pour permettre de réunir tout le personnel du Groupe en vue de conférences »(36). L’isolement du groupe, s’il répond à des mesures théoriques comme le secret et le renforcement de l’esprit de corps, a cependant des répercussions très pratiques sur la vie des sous-officiers et de leurs familles. Au-delà du cadre institutionnel et spatial du groupe, il convient enfin de s’intéresser aux hommes de l’unité.
Des gendarmes proches du pouvoir
Qui sont les hommes du groupe ? Ils viennent des deux subdivisions de l’arme, la gendarmerie départementale et la GRM. Comme tous les militaires de l’institution dans les années 1930, les gardes de Satory ont servi dans les corps de troupe avant de rejoindre la Gendarmerie nationale, ce sont donc des sous-officiers comptant déjà plusieurs années de service dans l’armée. Si tous les hommes ont une expérience militaire, tous ne sont pas des vétérans de l’arme. Les deux cinquièmes de l’effectif de la première compagnie n’ont pas cinq ans d’ancienneté dans la Gendarmerie nationale en 1937(37). Les motivations qui les poussent à rejoindre le groupe spécial blindé ne sont pas facilement identifiables à la lecture des archives du corps, si ce n’est peut-être le goût de ces hommes pour les engins blindés qui se reflète au travers d’un certain enthousiasme lors de l’instruction technique. Il n’est pas à exclure non plus que les possibilités de promotion plus rapides liées à la création récente de l’unité ont exercé un certain attrait sur les militaires comme le sous-entend le capitaine Monmasson dans l’un de ses rapports, en 1937. Il y évoque les possibilités d’avancement aux grades de maréchal des logis chef, adjudant, adjudant-chef qui ont été assez grandes à la formation du groupe, mais qui au moment où il écrit sont maintenant fortement réduites(38).
Les années 1930 sont une période difficile pour les Français et un grand nombre de militaires cherchent à obtenir une certaine stabilité financière en rejoignant la GRM. Contrairement aux ouvriers, dont les revenus dépendent de leur patron, et aux commerçants de leur clientèle, les fonctionnaires de l’État ont le soulagement d’être assurés de percevoir une solde chaque mois, aussi réduite soit-elle. Le commandant de la première compagnie de chars voit dans les nouveaux admis au groupe spécial en 1936 des hommes que « les difficultés de la vie plutôt que la vocation semble avoir amenés à la gendarmerie »(39). Il est bien évident que l’attrait d’une solde « en rapport avec le coût de la vie [qui] permet à chacun une vie facile et agréable »(40) comme celle que perçoivent en 1936 les hommes du deuxième peloton de la troisième compagnie, joue un rôle dans l’engagement de certains militaires. Un indice dans les rapports de la première compagnie apporte un élément de confirmation de cette hypothèse. En 1938, alors que beaucoup de Français traversent une période très difficile et que les mouvements sociaux ont connu moins d’un an plus tôt un épisode paroxystique lors de la fusillade de Clichy, la situation matérielle des gradés, de 120 francs plus élevée que celle des gardes, est jugée comme étant assez bonne par leurs supérieurs. Les gardes s’estiment cependant insuffisamment rémunérés et certains d’entre eux décident alors d’aller chercher leur bonheur dans la police sitôt qu’ils pensent pouvoir gagner mieux leur vie dans un autre corps que la Garde républicaine mobile. Entre les mois d’octobre 1937 et 1938, à la première compagnie un garde est passé dans la police municipale de Paris et quatre gardes ont établi des demandes d’emplois réservés dans la police(41).
La motivation financière, aussi pragmatique qu’elle puisse paraître, est importante pour des hommes qui sont dans une large majorité mariés et qui ont des enfants à charge. Le fait que les militaires de l’arme doivent servir un certain temps dans les différentes subdivisions de l’armée avant de rejoindre la gendarmerie implique que ce sont souvent des personnes ayant entre 25 et 30 ans lorsqu’elles rejoignent le groupe. Le tableau suivant donne un état statistique par tranches d’âge des sous-officiers de la première compagnie (42):
Pelotons |
Moins de 25 ans |
25 à 30 ans |
30 à 35 ans |
35 à 40 ans |
40 à 45 ans |
Plus de 45 ans |
Services Généraux |
2 |
2 |
11 |
4 |
1 |
0 |
1er |
3 |
11 |
8 |
2 |
0 |
2 |
2e |
0 |
6 |
17 |
2 |
1 |
0 |
3e |
2 |
10 |
8 |
5 |
1 |
0 |
Totaux |
7 |
29 |
44 |
13 |
3 |
2 |
Il ressort nettement que près des trois-quarts de l’effectif a entre 25 et 35 ans. Les gradés et gardes étant mélangés dans ce tableau, il est fort probable que la part la plus âgée de l’effectif, entre 35 et plus de 45 ans, se compose des gradés, plus expérimentés et souvent plus anciens dans l’arme. Dans tous leurs rapports, les officiers des trois compagnies reconnaissent tout de même à leurs hommes un véritable intérêt pour leur travail et un bon état d’esprit. Le nombre très réduit de punitions par an au groupe montre bien que malgré les incidents qui émaillent parfois la vie en caserne et le service, les commandants sont peu souvent amenés à devoir sanctionner leurs hommes. L’atmosphère de travail dont ils se félicitent permet de conduire malgré de nombreux motifs de retard, une instruction dont beaucoup ont le plus grand besoin.
En effet, à sa création, le groupe spécial blindé de la GRM est encore loin d’être la force de spécialistes qu’il est appelé à devenir à partir des années 1930. Il lui manque l’essentiel de ce dont il a besoin pour fonctionner à la pleine mesure de ses capacités, c’est-à-dire des militaires spécialisés dans le service des engins blindés. Par conséquent les hommes du groupe suivent auprès des officiers et gradés une formation portant sur trois volets. Tout d’abord une instruction technique pour comprendre le fonctionnement du matériel qu’ils ont à mettre en œuvre, puis une instruction militaire, qui englobe les exercices de tirs, de tactique et de maniement des chars en unité constituée, et enfin, dans certains cas, une instruction élémentaire visant à donner aux gardes le niveau du certificat d’études primaires élémentaires s’ils ne l’ont pas. Les rapports sur l’instruction de leur troupe rédigés par les commandants de compagnie à la fin de l’année 1934, année de l’entrée en service du groupe, témoignent des difficultés qu’ils rencontrent dans l’instruction des militaires de Satory. Dans un premier temps, les hommes qui sont affectés pour constituer le groupe sont des gardes ou des gendarmes qui n’ont pour la plupart aucune expérience des chars et des automitrailleuses. Certains n’ont même pas les permis de conduire nécessaires pour s’en servir ! À la deuxième compagnie de chars, quarante-huit gardes, soit près de la moitié de l’effectif, passent divers permis entre octobre 1933 et novembre 1934(43). À titre d’exemple, le deuxième peloton de la troisième compagnie, une unité d’une quinzaine de gardes, « a été formé avec des éléments venus de la Garde républicaine mobile, de la gendarmerie à pied et à cheval, [mais] aucun de ces militaires n’a servi pendant son service militaire dans les autos mitrailleuses ».(44)
Durant la phase d’installation du groupe dans sa caserne versaillaise, il est difficile pour les commandants de peloton et de compagnie de mener à bien l’instruction de leurs hommes. En décembre 1934, le capitaine Monmasson rapporte que, « du fait de la constitution récente du groupe spécial, les moyens d’instructions (règlements, planches, appareils de démonstration, séjour dans une caserne) ont été insuffisants. L’instruction militaire en liaison avec d’autres corps a été à peu près inexistante »(45). Aux contraintes matérielles s’ajoutent les contraintes du service qui elles aussi retardent et gênent l’instruction. Les services d’ordre, même s’ils ne sont pas forcément très nombreux ni particulièrement longs, finissent par ralentir la marche de l’instruction comme le relèvent les chefs des trois compagnies. Toujours en 1934, le capitaine Delpal estime que « l’instruction [militaire] a été normalement poussée pendant l’année, sans que les programmes puissent être complètement vus cependant, par suite du temps insuffisant consacré à cette instruction »(46). Chiffres à l’appui, son successeur à la tête de la deuxième compagnie de chars démontre un an plus tard à quel point les servitudes liées à l’entretien de l’important matériel automobile de la compagnie perturbent la bonne marche de l’instruction, ainsi,
« la compagnie possède 68 véhicules divers (chars, autos, etc.) pour un effectif d’entretien à ce jour de 75 gardes. Effectif dont il faut déduire 29 gardes (ordonnances, secrétaires, détachés, etc.). En ajoutant 15 permissionnaires, l’effectif employé à l’entretien de ces véhicules est donc environ de 75-(29+15)=34, soit 2 véhicules par hommes (non compris les malades). Dans ces conditions, le nettoyage, l’entretien et le graissage du matériel demandent un temps considérable, qui empêche de pousser l’instruction du personnel comme il le serait désirable. »(47)
Menée tant bien que mal, l’instruction des premiers éléments du groupe porte tout de même ses fruits, en particulier dans le domaine militaire, puisque ces hommes sont généralement très bien notés lorsqu’ils servent comme instructeurs dans les corps voisins. Mais dès l’arrivée des nouvelles recrues à partir de 1935 et 1936, tout le travail est à refaire. Les rapports des trois commandants de compagnie font notamment remonter à leurs supérieurs un problème particulier, celui de la provenance des élèves-gardes affectés au groupe spécial. Leurs mots sont presque les mêmes pour le décrire. Sous la plume du capitaine Meygret-Collet,
« il y aurait intérêt pour le groupe spécial, et les pelotons motorisés, à affecter dans ces formations le plus grand nombre de gardes ayant leur permis de conduire, ou des notions suffisantes en technique et pratique auto, et en particulier les gardes ayant fait leur service militaire dans des unités mécaniques motorisées, chars, autos, aviations, etc. L’instruction du personnel qui souffre des servitudes imposées par le matériel et les nombreux services extérieurs, en serait grandement facilitée et le rendement des unités considérablement augmenté. »(48)
Plus sobrement, selon les mots du capitaine Monmasson, « il serait désirable de voir faire appel pour la désignation des élèves-gardes affectés au groupe spécial à des volontaires ayant servi dans des unités motorisées et titulaires du permis de conduire avec extension poids lourds. Cette façon de faire permettrait de préparer plus rapidement ces élèves-gardes au service du groupe spécial »(49).
Sur le plan de l’instruction élémentaire, le niveau d’éducation des gardes du groupe est majoritairement bon. La plupart d’entre eux ont un niveau d’étude correspondant à celui du brevet des collèges actuel, ce qui pour l’époque se révèle déjà bien. Ainsi, en 1935, à la troisième compagnie, 70 gradés et gardes sur un effectif présent de 79 possèdent le certificat d’études primaires(50). Mais, il arrive parfois que certains d’entre eux fassent « preuve d’une faiblesse excessive en instruction élémentaire (orthographe et français) »(51). La mise en place de cours prodigués au niveau de la compagnie par un officier ou un gradé permet aux gardes les plus en retard d’obtenir le niveau d’instruction élémentaire requis pour servir correctement dans la GRM. Jusqu’à une quinzaine de gardes du groupe par an peuvent être amenés à passer le certificat d’études primaires élémentaires. Dans certains cas très rares, des gardes n’ont pas encore acquis le certificat d’aptitude à la gendarmerie, il s’agit pour le plus grand nombre d’élèves-gardes encore en formation qui complètent leur instruction au groupe avant de passer leurs examens. Dans cette optique de formation des élèves-gardes, dès 1934, bien qu’aucun candidat ne soit présenté à l’examen du certificat d’aptitude à la gendarmerie de l’École de Versailles, le centre de formation des sous-officiers de l’arme, des cours d’arithmétique, d’algèbre, d’histoire et de géographie sont donnés à la caserne de Satory par des officiers.
Le dernier élément de la formation des gardes de Satory, et pas des moindres, concerne le contre-espionnage. Les traces de cet aspect de l’instruction apparaissent relativement tard dans la période considérée au regard de l’importance que revêt le secret dans le service quotidien des hommes du groupe spécial blindé. Il n’en est pas fait mention dans les rapports R/4 avant 1937. Lorsqu’elle est enfin prodiguée aux hommes du groupe, l’instruction en matière de contre-espionnage se présente sous la forme de « causeries faites pour l’ensemble de la compagnie, par le commandant de compagnie et complétées en ce qui concerne chaque peloton par des théories faites par les officiers commandants de peloton ». Ces cours couvrent surtout « la nécessité d’une discrétion absolue et constante relative aux services exécutés, l’exécution stricte des consignes données, sans aucune tolérance au cours de l’exécution de ces services et la conduite à tenir en cas de soupçons se portant sur un inconnu à la recherche de renseignements secrets ». Il est essentiel aux yeux des commandants de compagnie que leurs hommes soient « bien pénétrés de l’importance de la mission qui leur est confiée en ce qui concerne la surveillance des matériels secrets essayés journellement sur le terrain de Satory et les itinéraires routiers de la région »(52). Tous les gardes et gradés doivent donc signer une déclaration individuelle dans laquelle ils s’engagent à respecter les consignes de secret absolu qui entourent leur service spécial. Des affiches, d’abord jugées inutiles par les officiers, viennent décorer les murs de la caserne à partir de 1937 pour rappeler les hommes à la plus grande discrétion. Les commandants de compagnie demandent même la confection d’un petit manuel résumant brièvement l’importance des missions de contre-espionnage, la façon dont il faut les conduire et les sanctions, très lourdes, qu’encoure celui qui ne les remplirait pas correctement. La plus grande attention est portée par les officiers à toutes les manifestations potentiellement subversives qui feraient douter de la loyauté de leurs hommes envers leurs chefs ou la République.
Dès la constitution du groupe spécial blindé, les rapports R/4 sur l’état d’esprit de l’unité, rédigés par les chefs de compagnie et de peloton, contiennent une rubrique traitant de la portée de la propagande antimilitariste et communiste sur les gardes et gradés. Pas un seul cas de militaire concerné n’est relevé cependant, preuve de l’attachement du corps aux valeurs militaires et républicaines du régime dont ils sont, dans leur nom même, les gardiens depuis 1926… ou de la grande discrétion des propagandistes, ce qui paraît peu plausible. De manière générale, la GRM n’a jamais été séduite par les théories communistes, et l’institution gendarmique dans son ensemble n’a eu que peu de liens avec le Parti Communiste Français dans les années 1930, les gardes se révélant trop difficiles à approcher dans leurs casernes, justement éloignées de la population civile à cet effet. Cette surveillance des habitants de la caserne s’étend aux familles des gardes et gradés, car il n’est pas question que la propagande communiste atteigne les hommes de Satory ni directement, ni indirectement par l’intermédiaire de leur famille(53).
Mais les communistes ne sont pas la seule source potentielle de subversion. Les officiers surveillent de près l’influence de la presse corporatiste sur leurs hommes. « Les revendications formulées par les associations de retraités en faveur des militaires de l’armée d’active, publiées dans les journaux de l’arme, ne semblent pas influer d’une façon notable sur l’état d’esprit et le moral des gardes »(54), note le capitaine Meygret-Collet en juin 1937. L’importance prise par des revues corporatistes, dans les années 1930, fait craindre à l’institution la naissance d’une contestation de l’autorité en son propre sein. La question des soldes en particulier peut se montrer litigieuse et constituer un point d’appui pour retourner certains gardes contre leur hiérarchie, voire contre l’État qui les paye. L’ardeur que mettent les instances supérieures de l’arme à interdire la diffusion dans les casernes de GRM de cette presse corporative montre à quel point ils s’en inquiètent. Toutefois, pour la période observée, les rapports sur l’état d’esprit de la troupe témoignent toujours de la confiance des officiers en leurs hommes. « Le personnel suit dans les journaux de l’arme et dans les grands quotidiens, les revendications des fonctionnaires et des retraités », révèle l’adjudant Laury en 1937, sans qu’à sa connaissance « des militaires du peloton aient collaboré ou soutenu ces revendications. Tous ont pleine et entière confiance en leurs chefs et dans le gouvernement dont la sollicitude à leur égard ne s’est jamais démentie »(55). Si leur surveillance est ferme, ils se montrent très compréhensifs envers leurs subordonnés. Ils n’hésitent pas à évoquer dans leurs rapports le rythme de travail et de vie difficile de ces hommes qui « dans la pratique habituelle de leur service, […] sont souvent chargés de missions délicates et parfois difficiles, de régulariser des plaisirs, de contrarier des habitudes prises, de calmer des impatiences »(56). Aux yeux de leurs chefs, l’abnégation et le mérite des militaires du groupe en font une force tout à fait digne de confiance.
Chapitre II - Des chars face aux foules ?
La période de l’entre-deux-guerres est un temps de redéfinition des modalités d’action des forces de l’ordre dans leur gestion des foules. Jusqu’à la Première Guerre mondiale, il est courant que les autorités françaises fassent appel à l’armée pour les opérations de maintien de l’ordre. Les mouvements populaires massifs, en particulier chez les ouvriers et les paysans, sont considérés d’un œil très méfiant par les pouvoirs publics qui ont toujours à l’esprit la Révolution de 1789 et les multiples épisodes insurrectionnels du dix-neuvième siècle. Mais si les masses populaires font peur à juste titre aux régimes monarchiques et impériaux, peut-il en être de même pour un régime républicain censé tirer sa légitimité du peuple ? Et qu’en est-il lorsqu’elles lui témoignent son adhésion de la plus forte des manières lors de la Grande Guerre en se sacrifiant sans compter ? C’est pourquoi, la nécessité de la création d’une force spécialisée dans un maintien républicain de l’ordre fait loi à partir de 1921 avec la création des pelotons mobiles de gendarmerie qui deviennent, en 1927, la GRM, ancêtre direct de la gendarmerie mobile actuelle.
En tant que composante de la légion francilienne de la GRM, le groupe spécial blindé est nécessairement l’un des éléments de la stratégie de maintien de l’ordre de la région d’Île-de-France. Comme tout les autres gardes de l’ancêtre de « la Jaune », ses hommes et leur matériel peuvent être sollicités pour intervenir face aux foules. Or, les engins blindés du groupe semblent être en contradiction totale avec la volonté étatique d’une police des foules respectueuse de la vie humaine. Pourquoi alors doter des gendarmes avec des chars ? Comment ces engins et le personnel qui les sert sont-ils inclus dans les stratégies de maintien de l’ordre de la GRM ? Pour répondre à ces questions, un retour sur l’histoire de l’action des blindés en maintien de l’ordre s’impose afin de comprendre dans quelle logique cet outil militaire s’inscrit en France. Parmi les archives du groupe spécial blindé conservées à Vincennes, les rapports R/2 et R/4 ainsi que les journaux des marches et opérations des années 1933 à 1938 permettent de voir comment les hommes de Satory sont employés concrètement dans les opérations de maintien de l’ordre.
Les blindés et le maintien de l’ordre
Avant les années 1920, le Gouvernement ne peut recourir à de véritables forces de l’ordre pour faire la police des foules. L’absence de véritables professionnels contraint les autorités à faire appel à l’armée pour contenir et disperser les vastes mouvements sociaux. Au regard de l’histoire, le maintien de l’ordre en France s’inscrit dans une tradition militaire souvent violente. Le terrible massacre de Fourmies en 1891 est l’un des épisodes où culmine cette radicalité des services d’ordre avant la naissance d’une force professionnalisée dans ce domaine. Or, dans un régime républicain en principe respectueux des Droits de l’homme et du Citoyen, il est inconcevable de faire tuer des Français par leurs compatriotes, d’autant plus que l’armée doit jouer un rôle d’arche sacrée rassemblant tous les citoyens dans un but commun, la défense de la patrie. Les tueries et les abus qu’elle commet lors des services d’ordre entachent son image et démoralisent ses troupes. Elles peuvent aussi conduire à la défection de certains régiments comme les 17e et 100e régiments d’infanterie dont les soldats sympathisent avec la foule en 1907 lors de grandes manifestations dans le Sud de la France. Dès 1905, l’idée de constituer une force de police spécialisée dans la gestion des foules fait son apparition mais il faut attendre la fin de la Première Guerre mondiale pour qu’elle voie véritablement le jour(57).
La troupe ne peut plus être tournée contre une population qui a en partie servi dans ses rangs durant la Grande Guerre ou a donné sang et eau pour la faire tenir au front. Les épreuves traversées par les Français durant les années éprouvantes de la guerre sacralisent la vie d’un peuple qui a côtoyé la mort de trop près et durant trop longtemps. Le pouvoir républicain doit alors se doter d’une nouvelle force capable de faire la police des foules sans se faire le bourreau des nouveaux innocents. Ce rôle est dévolu à la branche de l’armée qui, aux yeux de certains, n’a pas de gloire à salir en allant se frotter au peuple, la Gendarmerie nationale. Les forces de l’arme se sont en effet cantonnées à un travail relevant essentiellement de la police des armées et de la zone arrière durant le conflit mondial et en sont ressorties sans médailles, mais fortes d’une expérience de la gestion des foules, qu’elles soient militaires ou civiles. L’historien Louis Panel a montré comment, au lendemain de la guerre, Clemenceau réussit à faire accepter la création d’un corps de gendarmerie mobile constitué des forces prévôtales de 1914-1918 rassemblées en pelotons mobiles(58). Ces groupes de gendarmes devaient remplir la même mission que celle qu’ils avaient au front en opérant à la manière de force d’appoint pour rétablir l’ordre. Longtemps évoquée mais jamais créée avant la guerre, la gendarmerie mobile n’est pas une idée neuve en 1921. En 1927, les pelotons deviennent des légions et forment la GRM. Elle constitue une subdivision autonome de la Gendarmerie nationale appelée à se renforcer pour compléter le maillage territorial serré de la gendarmerie départementale.
Une fois que l’euphorie de la victoire retombe et que les Français se rendent compte que la fin de la guerre n’a pas entraîné la fin des restrictions et de la vie chère, d’intenses mouvements sociaux commencent à traverser la décennie. Ce sont les grèves des cheminots dans le Nord, des ouvriers et des paysans un peu partout en France. Dans un contexte de peur du communisme révolutionnaire chez les autorités, de violents mouvements de contestation agitent le pays comme en 1927 ou 1931, et font craindre au pouvoir républicain un coup de force à son encontre. Les officiers des pelotons de gendarmerie mobile puis de GRM élaborent alors une science de la gestion des foules pour répondre aux impératifs éthiques de la tâche qui leur est dévolue. Cette nouvelle conception de la police des foules s’appuie sur une professionnalisation du corps. Il n’est plus question pour les gardes de céder aux pulsions violentes qui lançaient leurs prédécesseurs contre les manifestants et donnaient aux charges de police des allures de rixes géantes. Grâce au dynamisme des officiers de la GRM en matière de théorie et à une ferme volonté de faire de leur métier une science, la pratique du maintien de l’ordre en France devient progressivement la chasse gardée des hommes de l’arme. Patrick Bruneteaux décrit de manière très précise le mouvement de professionnalisation du corps et la façon dont les cadres vont, aiguillonnés par une expérience qui anime leur réflexion, constituer une doctrine d’emploi. Ce nouveau « catéchisme » de la police des foules est mis en forme par l’instruction confidentielle sur le maintien de l’ordre par la gendarmerie du premier août 1930. Selon Patrick Bruneteaux, ce document consacre une nouvelle approche des services d’ordre. En 1930, « les officiers de gendarmerie inaugurent une technologie de dispersion fondée sur l’autocontrainte. La gradualisation de l’usage de la force, la recherche de l’intimidation de l’adversaire, l’économie des troupes, la perception différenciée des contestataires procèdent de cette nouvelle conception du «maintien de l’ordre» »(59).
Il est assez aisé de percevoir en quoi les engins blindés peuvent contribuer à la police des foules. Il convient de rappeler avant toute chose que les chars et automitrailleuses n’apparaissent véritablement en Europe qu’à l’occasion de la Grande Guerre. L’émergence de l’artillerie d’assaut du colonel Estienne est donc encore très récente dans les années 1930. De plus, dans l’imaginaire collectif des Français, et peut-être plus généralement des Européens, les chars ont joué un rôle décisif dans la victoire. Pétain n’avait-il pas déclaré que pour gagner, il attendait les chars et les Américains ? Après la guerre, les blindés jouissent donc d’une image de puissance et de dangerosité incontestable. Ce sont des véhicules dont la nouveauté et la capacité de destruction sont à même d’impressionner les foules et de participer ainsi à « la recherche de l’intimidation de l’adversaire ». En effet, même si les blindés qui équipent le groupe spécial en 1933 peuvent paraître aujourd’hui d’une facture antique et peu impressionnante, pour un Français des années folles, et de surcroît un vétéran de la Grande Guerre, la vision d’un monstre de métal avançant toutes armes dehors devait avoir un impact psychologique puissant.
Les chars et automitrailleuses présentent l’avantage d’être un excellent moyen de dissuasion et de mise à distance des manifestants. Personne ne souhaite se frotter à de telles machines à moins d’être déjà dans un processus de contestation violent voire insurrectionnel. L’emploi de blindés pour des services d’ordre n’est pas un fait nouveau en 1933. Plusieurs expériences françaises précèdent celle du groupe spécial. En effet, lors de l’occupation de la Ruhr et de la Rhénanie par l’armée française dans les années 1920, et en particulier durant les grèves de 1923, la présence de nombreuses automitrailleuses avait déjà contribué à impressionner les Allemands et à maintenir le calme dans les zones où les troupes d’occupation étaient déployées. Il ne faisait aucun doute pour les populations occupées que les Français, à qui la rumeur attribuait les pires exactions, seraient capables de se servir de leurs armes contre elle. Il n’en fallait pas moins pour contenir des grèves aussi importantes et contestataires. L’expérience s’était montrée à ce point concluante que les forces de l’ordre de la République de Weimar puis du Troisième Reich perpétuèrent la pratique de l’affichage d’automitrailleuses pour faire une police des foules musclée mais efficace. Considérés comme des modèles sur la question de la police des foules par les théoriciens de la gendarmerie, ce sont d’ailleurs les Allemands qui réapprennent l’efficacité de tels moyens aux Français lors des émeutes de Berlin en 1929. Dans une étude sur la gendarmerie des années 1930, le capitaine Aude Piernas évoque le fait que, dans les rapports des observateurs de la GRM au sujet du traitement de ces événements, « l’automitrailleuse est appréciée pour son effet dissuasif radical »(60). Pas de chars à Berlin toutefois, il est interdit à l’Allemagne vaincue d’en posséder. En revanche, rien n’empêche les Français de se servir des leurs s’ils le désirent. En 1931, au cours d’une opération de maintien de l’ordre en Corse étudiée par Simon Fieschi, la GRM envoie six cents hommes, onze automitrailleuses, deux tanks(61) prêter main-forte aux gendarmes de l’Île de Beauté pour venir à bout des bandits qui y font la loi. Un tel déploiement de force amusa la chronique à l’époque, surtout au vu des maigres résultats que les gardes et gendarmes obtinrent dans un premier temps, mais la présence d’engins blindés entre les mains des hommes de l’arme montre que leurs supérieurs envisageaient bien leur entrée en service dans le cadre de leur mission de garants de l’ordre public.
Si cette opération est révélatrice d’un précédent dans l’usage des chars par la gendarmerie avant la création du groupe spécial blindé, elle témoigne aussi d’un changement de la conception que l’institution se fait de leur emploi. Contrairement à la recherche d’un « effet dissuasif radical », les chars et automitrailleuses de la GRM servent ici un but répressif. Ils sont employés en dernier échelon avec pour objectif la neutralisation par la force d’un groupe de hors-la-loi prêts à se battre pour leur liberté. Les blindés de l’arme entrent en action dans un cadre correspondant à celui édicté pour les chars de l’armée de Terre dans les opérations de maintien de l’ordre. Les conditions d’emploi des formations de chars face aux foules sont définies en 1920 par le ministre de la Guerre André Lefèvre dans une circulaire adressée aux généraux gouverneurs des places militaires de Paris, Lyon, Metz et Strasbourg et aux généraux commandant les corps d’armée 1 à 21(62). Ce document apparaît comme le texte fondateur de l’emploi des chars pour un service d’ordre en France et il ne fait aucun doute qu’il a influencé sinon dirigé l’organisation des unités de blindés de la GRM.
Tout d’abord, il souligne le caractère exceptionnel de l’intervention des chars dans une opération de maintien de l’ordre. En principe, les formations de char d’assaut ne doivent utiliser leurs véhicules que si « les circonstances venaient à rendre nécessaire l’emploi de leurs moyens d’action » (les chars) et cet emploi doit rester subordonné à l’autorisation du ministre de la Guerre lui-même. Il garde donc en théorie la main-haute sur l’usage qui est fait des chars de l’armée. Il est évident que le ministre cherche ainsi à prévenir une utilisation abusive de ces machines qui pourrait conduire à des drames. Il exclut ensuite formellement l’emploi de chars lourds en maintien de l’ordre. Les modèles de chars lourds disponibles en 1920 se limitent aux imposants Schneider CA-1 et Saint-Chamond pesant respectivement quatorze et vingt-deux tonnes, armés de mitrailleuses multiples et d’un canon de 75 millimètres. Peu maniables et potentiellement trop meurtriers, de tels blindés étaient inadaptés à un environnement urbain et auraient à coup sûr entraîné un carnage bien trop important en cas d’intervention. Le Renault FT-17, plus petit et plus léger, se montre tout à fait en mesure d’évoluer dans des rues et offre une meilleure adaptabilité à son équipage face aux mouvements de foules. C’est donc tout naturellement que les troupes du groupe spécial s’en trouvent équipées en 1933. D’une part parce que ce char répond aux critères de souplesse et de fermeté que s’impose la GRM pour faire la police des foules, et d’autre part en raison de l’absence de chars plus modernes dans l’armée française. La remarque vaut tout aussi bien pour les automitrailleuses qui, grâce à leur vitesse nettement supérieure à celle des FT-17, pouvaient aisément se dégager ou se déployer en cas de contact avec les manifestants. Les Panhard-Schneider P16 qui équipent le groupe à sa création font figure de matériel moderne et sont adaptées à l’utilisation que peut en faire l’unité.
« Le char léger est un instrument de combat puissant, mais brutal », poursuit la circulaire. Outre la référence avant la lettre à la devise du groupe spécial, le texte rappelle le caractère hautement meurtrier du char d’assaut. Mais au lieu de suggérer une certaine retenue dans son emploi, une fois mis en œuvre, l’instruction recommande au contraire qu’il ne soit « engagé qu’à condition d’être libre d’employer tous ses moyens d’action (mitrailleuses et canons). Il ne doit donc être employé que pour réduire par le feu, des rebelles armés ». Plus étonnant, le ministère de la Guerre ne veut pas que le blindé, « organe d’action violent, [soit] employé comme moyen d’intimidation ». Le basculement du char d’assaut dans l’arsenal répressif de l’armée est alors consommé. Dans cette perspective, la mission que mènent les chars n’est plus tant une mission de maintien de l’ordre qu’une mission de combat. C’est dans cette logique que les troupes de la GRM qui sont envoyées en Corse en 1931 pour traquer les bandits dans le maquis débarquent sur l’île avec chars et automitrailleuses. Les conditions d’engagement des unités de renfort permettent l’usage de tous les moyens d’action des blindés puisqu’ils ont affaire à des hommes armés et déterminés à se battre. S’il est conscient du danger que représente un char face aux foules, le ministère n’en oublie pas, pour autant, que des émeutiers décidés peuvent eux aussi venir à bout de chars isolés. À ses yeux, les chars seuls ne pouvant « assurer leur flanquement propre, ils doivent être flanqués de forces à pied assurant leur sécurité, sans quoi il serait relativement facile pour les émeutiers de les flamber ». Au groupe spécial, l’invitation à assurer la protection des chars se traduit par des exercices de combat en commun avec les différentes unités à pied et à cheval de la 1re légion de GRM. L’entraînement doit permettre de peaufiner les manœuvres que les hommes de Satory peuvent être amenés à exécuter de concert avec les cavaliers et les fantassins de la légion. Leur instruction militaire s’inscrit par conséquent dans un cadre interarmes. En novembre 1934, lorsque le capitaine Delpal fait le point sur la formation des gardes durant l’année écoulée, il mentionne ainsi un exercice de combat de section de chars en collaboration avec l’infanterie de la 1re légion de GRM(63). La même année, la troisième compagnie d’automitrailleuses a, quant à elle, exécuté quelques exercices avec les unités à cheval de la 1re légion de Garde républicaine mobile et le 6e régiment de dragons(64).
La circulaire se conclut sur une note qui préfigure la création du groupe spécial blindé de la GRM. Évoquant le fait que « l’action des chars légers, une fois déclenchée, est difficile à arrêter » car « le personnel du char, assourdi par le bruit du moteur et ayant des vues très limitées, ne peut rester en liaison avec le commandement », le texte met en évidence la nécessité que « le personnel des chars légers mis en action doit être choisi de façon spéciale, étant donné le peu d’influence du commandement sur les chars une fois engagés ». Il invite particulièrement les commandants à « employer, le cas échéant, comme mécaniciens et mitrailleurs de chars, des officiers et sous-officiers rengagés ». La porte est alors ouverte à la création d’une unité de spécialistes des chars et automitrailleuses dans la gendarmerie qui, depuis l’attribution, en 1918, du statut de sous-officiers à tous ses membres, ne compte dans ses rangs que des sous-officiers et officiers rengagés, puisqu’il est nécessaire d’avoir servi dans les corps de troupe avant de rejoindre l’arme. Ce personnel est fourni à la GRM par les hommes de Satory à partir de 1933. Unité spécialisée dans l’utilisation des tanks et automitrailleuses, elle apporte une expertise supplémentaire à l’institution dans l’élaboration de la science de la gestion des foules en en couvrant un aspect technique singulier. Mais le cadre réglementaire qui définit leur mode d’engagement en fait une unité rare sur le terrain et dont l’intervention signifie l’échec d’un maintien de l’ordre contrôlé et soucieux de la vie humaine.
Des spécialistes ou des gardes comme les autres ?
L’engagement des chars et des automitrailleuses dans une opération de maintien de l’ordre est loin d’être un acte courant. Il témoigne en général du haut degré de violence que les affrontements entre contestataires et forces de l’ordre ont atteint. Tout le monde connaît aujourd’hui l’image des chars soviétiques à Prague en 1968, ou sur la place Tian’anmen en 1989 et à Bucarest. Pris dans ce contexte, les chars sont alors synonymes de répression violente et parfois meurtrière. Ils incarnent la réaction autoritaire d’un gouvernement qui ne peut plus contenir les masses populaires autrement qu’en recourant à ses moyens militaires lourds. Dans le cadre de la doctrine du maintien de l’ordre conçue par la Garde républicaine mobile, l’emploi de blindés contre la foule peut être interprété comme un échec de la résolution pacifique des troubles. Sur l’échelle de la gradualisation des moyens, les chars du groupe spécial blindé se situent juste avant le recours à la troupe.
À la lecture des rapports du groupe, un constat s’impose d’emblée : les gardes de Satory ne font pas une seule fois usage de leurs véhicules blindés contre la foule pendant la période allant de 1933 à 1939 ! Uniquement mis en alerte lors des événements de février 1934, pourtant d’une extrême violence, le groupe spécial n’intervient pas. Deux conclusions ressortent de ce constat. En dépit des nombreuses attaques qu’elle s’attire dans la presse au lendemain du 6 février 1934, la GRM s’est affirmée comme une force de maintien de l’ordre efficace et qui a suffisamment bien rempli sa mission pour ne pas avoir besoin des chars. Les autorités à qui revenait la décision de lancer les chars du groupe contre les manifestants ont répugné à le faire ou ont fait confiance aux troupes à pied et à cheval de la première légion pour accomplir leur travail jusqu’au bout. Peut-être aussi les responsables militaires et civils ne savaient-ils tout simplement pas comment utiliser l’outil particulier du groupe spécial en cas de besoin ? Car, si la circulaire ministérielle de 1920, définit un cadre d’action elle ne précise pas, en revanche, la conduite tactique et technique de l’intervention de cette unité. Un vide théorique existe ici dans la police des foules françaises.
À la lecture des archives du groupe, il apparaît en effet qu’aucun règlement ne précise la doctrine ou les modalités d’emploi des chars pour le maintien de l’ordre. Trois ans après la création de l’unité, le capitaine Monmasson constate qu’ « aucun règlement ne traite de la mise à pied d’œuvre et de l’emploi des chars de combat dans les opérations de maintien de l’ordre »(65). L’année suivante, le capitaine Meygret-Collet, son homologue à la deuxième compagnie de chars fait remonter, lui aussi, le problème en rappelant l’instruction du 1er août 1930, qui réglemente toute l’action de la Garde républicaine mobile lors des services d’ordre, « ne prévoit pas le mode d’emploi des chars et automitrailleuses au cours de [ces] services ». Pourtant, les cadres du groupe se sont penchés activement sur la question de l’élaboration d’une doctrine d’emploi des chars. L’officier poursuit alors en proposant que
« ces principes d’emploi qui ont été étudiés en détail au groupe spécial, gagneraient à être arrêtés d’une façon définitive. Approuvés et diffusés sous forme d’opuscule ou de directives, ils fixeraient l’unité de doctrine et éviteraient toute interprétation erronée aux formations de Garde républicaine mobile qui peuvent avoir à travailler en liaison avec ses unités motorisées ».(66)
Un compte rendu d’expérience, adressé au colonel commandant la première légion de GRM, montre pourtant que les officiers du groupe spécial se livrent à des expérimentations sur l’action des chars en milieu urbain et tiennent leurs supérieurs informés des résultats. Mieux : le commandant de la légion invite les cadres du groupe à élargir leurs tests et leur réflexion afin d’apprécier avec précision ce dont sont capables les blindés. En avril 1936, le capitaine Monmasson peut ainsi « avoir l’honneur de rendre compte des résultats d’expériences destinées à déterminer l’angle de site maximum sous lesquels peuvent tirer les armes dont sont munis les chars FT du groupe spécial » avant de préciser que « cette étude a été faite dans l’esprit des recommandations du général commandant la légion à Paris »(67). Le document témoigne d’un véritable souci du détail dans la préparation tactique et technique de la mise en œuvre des chars du groupe. D’une certaine manière, ces tests de matériel préfigurent les essais tactiques qui seront menés plus tard au centre de formation de Saint-Astier avec les différents véhicules blindés de la gendarmerie, et notamment celui qui est utilisé actuellement, le VBRG (Véhicule Blindé à Roues de la Gendarmerie).
Le groupe spécial se propose donc de jouer un rôle pédagogique en diffusant le fruit de son travail pratique et théorique auprès des autres formations de l’arme. L’émergence d’une doctrine pour les blindés de la GRM ne se produit pas au sommet de la hiérarchie, c’est au bas de la pyramide, au niveau des acteurs sur le terrain. Dans le rapport déjà cité, le commandant de la deuxième compagnie fait état de plusieurs opérations d’instruction d’autres unités de la légion au sujet de leur coordination avec les chars au cours de services d’ordre. Il présente ces séances comme des occasions pour les fantassins et les cavaliers de l’arme d’en apprendre plus sur les blindés de la gendarmerie, mais aussi, pour les officiers du groupe, de mieux identifier les points de l’articulation obligatoire entre chars et infanterie, qu’ils auraient ignorés, faute de pratique.
« Une manœuvre en commun avec des unités de GRM a été effectuée au camp de Satory, et des présentations de matériel ont été faites à plusieurs formations de GRM. Il serait souhaitable au plus haut point que ces manœuvres soient intensifiées, aussi bien pour le personnel du groupe spécial que pour les formations de GRM qui peuvent avoir à travailler avec lui ; le problème liaison char-infanterie ne peut être résolu que lorsque les intéressés connaîtront parfaitement leurs besoins et leurs possibilités réciproques. »
Les officiers du groupe se révèlent donc très soucieux de ne pas voir leur unité sollicitée à contre-emploi par les autorités. La façon dont leurs hommes interviennent dans les services d’ordre de la légion peut, en effet, faire craindre des problèmes.
Durant la période considérée, les chars ne sont pas utilisés face aux foules. Seule la compagnie d’automitrailleuses est amenée à fournir plusieurs fois des pelotons, avec leur matériel, pour les services d’ordre, mais les véhicules sont gardés en réserve et n’interviennent jamais. Pour autant, les gardes de Satory sont loin d’être inactifs dans le dispositif mis en place par la première légion de GRM en Île-de-France. Mais, en tant que formation de chars d’assaut, ils ne fournissent, pour le maintien de l’ordre, que des unités à pied, selon le principe édicté par la circulaire de 1920. L’organisation du groupe pour les services d’ordre tend alors à se calquer sur celle des pelotons à pied de la GRM. Un bref rappel concernant la structure des formations d’infanterie de l’institution s’impose ici. Dans les années 1930, chaque légion de la GRM est composée de trois à quatre groupes, eux-mêmes subdivisés en trois compagnies de trois pelotons(68). Le modèle du groupe d’infanterie de la légion semble donc être le même que celui du groupe spécial, ce qui laisse supposer ainsi que les hommes de Satory peuvent être employés dans les mêmes conditions que leurs collègues fantassins dès lors que leurs montures de métal leur sont retirées. Dans les faits, la pratique s’éloigne de la théorie.
Un peloton d’une compagnie à pied de la GRM est une unité comprenant une quarantaine d’hommes avec leurs cadres et leurs véhicules de transport. Un peloton de l’une des deux compagnies de chars du groupe ne compte quant à lui que vingt-six gardes et un peloton de la compagnie d’automitrailleuses ne se compose, en tout et pour tout, que d’une quinzaine de gardes. De plus, ces hommes ont à charge l’entretien d’un nombre très important de véhicules divers (blindés, voitures, camions, motocyclettes), qui mobilise en permanence une partie du personnel, ne laissant disponible qu’une maigre fraction de l’unité. Or, l’instruction confidentielle de la gendarmerie sur le maintien de l’ordre d’août 1930 précise que les pelotons à pied fournis pour les services d’ordre doivent être forts d’une trentaine d’hommes avec leur encadrement. S’il est facile pour une troupe de quarante gardes de satisfaire à ces critères, c’est une toute autre affaire pour un peloton de chars ou d’automitrailleuses, qui n’en compte que quinze ou vingt-six. Par ailleurs, les servitudes nombreuses des compagnies d’engins blindés gênent la formation d’un groupe de trente hommes. En décembre 1935, le capitaine Meygret-Collet estime que, pour un effectif de soixante-quinze gardes et gradés servant dans les trois pelotons de sa compagnie, il faut en déduire au moins vingt-neuf, détachés dans d’autres corps ou affectés à diverses tâches de secrétariat et d’ordonnance, et prendre en compte l’absence d’une quinzaine de permissionnaires, ce qui ramène l’effectif disponible à trente-quatre gardes et gradés. Si la compagnie ne dispose, dans la pratique, que d’une trentaine d’hommes pour assurer l’entretien et la mise en service de ses véhicules, elle ne peut pas fournir plus d’un peloton de marche pour les services d’ordre.
Pour cette raison, chacune des compagnies du groupe spécial fournit un peloton de marche seulement lorsque le corps est requis pour des missions de maintien de l’ordre. Dans le dispositif de la légion, ces pelotons de marche sont différenciés de ceux des autres unités par l’appellation de CC1, CC2 et CC3 qu’ils prennent. Le sigle CC correspond aux initiales de compagnie de chars, et est appliqué même pour la compagnie d’automitrailleuses. Le numéro renvoie à celui de la compagnie au sein du groupe. Pour former le CC3, l’unité du capitaine Faverot est constituée par prélèvement sur chaque unité de 7 gradés et gardes, car aucun peloton organique de la compagnie, à cause de son effectif restreint (15 gradés et gardes), ne peut constituer un peloton de marche(69). Les pelotons de marche ainsi fournis par le groupe sont donc bien conformes à l’instruction confidentielle d’août 1930. Ils ont, de plus, le luxe de bénéficier d’un vaste parc automobile au sein de la caserne, dont ils peuvent disposer pour transporter le personnel jusque sur les lieux de l’intervention. Chaque peloton organique du groupe spécial possède en dotation propre un camion de trois tonnes et demie pouvant contenir trente personnes, une voiture de type tourisme et une moto. Pour les services d’ordre, le camion assure le transport des gardes et gradés du peloton de marche, la voiture, celui du commandant de peloton tandis que la motocyclette assure les liaisons. Les officiers du groupe s’estiment très satisfaits de ce mode de transport. « Cette dotation donne à chaque peloton du Groupe Spécial une indépendance, une souplesse et une rapidité de déplacement particulièrement précieuse. Toutes ces qualités sont appréciées, non seulement par les usagés, mais particulièrement par les autorités qui ont à les employer », se félicite le capitaine Meygret-Collet dans un rapport rédigé en 1935. Il considère même qu’« il semblerait intéressant d’étendre cette dotation à tous les pelotons de GRM »(70).
Une fois descendus des véhicules de transport, les hommes des pelotons de marche du groupe spécial sont en tout point semblables à ceux des unités d’infanterie de la légion. Revêtus non plus de leurs vestes de cuir propres aux unités de chars d’assaut, mais de l’uniforme régulier de la GRM, ils sont équipés et armés conformément aux principes qui régissent les formations à pied de cette institution pour les services d’ordre. Pour toute protection, les hommes troquent la coiffe légère des tankistes contre le casque Adrian noir, portant les insignes dorés qui valent à la GRM son surnom de « la Jaune », par opposition à ceux, argentés, de la gendarmerie départementale, qui font d’elle « la Blanche ». Défini lors de la création de l’institution, en 1927, l’uniforme est composé d’une vareuse noire avec des cartouchières et d’un pantalon bleu sombre, parcouru sur l’extérieur de chaque jambe d’une bande noire. Le mousqueton de cavalerie et le pistolet constituent l’armement individuel réglementaire des gardes et gradés des pelotons de marche du groupe. Ainsi équipés, les pelotons de marche du groupe spécial perdent toute spécificité d’emploi et obéissent aux mêmes doctrines et tactiques de maintien de l’ordre que n’importe quelle autre unité à pied de la légion. Les spécialistes des blindés se fondent dans la masse.
Mais, même utilisées comme des pelotons de marche traditionnels, les unités du groupe acquièrent une connaissance plus fine des besoins du terrain pour les formations d’infanterie de la légion et participent au retour d’expérience des services d’ordre. Dans le rapport déjà évoqué, le commandant de la deuxième compagnie de chars s’accorde à dire que, si « l’armement et l’équipement […] donnent entière satisfaction et semblent devoir être maintenus, il serait souhaitable que tous les services d’ordre soient exécutés avec casque et mousqueton ». Lorsqu’il écrit ces lignes, en 1935, le capitaine Meygret-Collet a probablement en tête les événements tragiques de février 1934, et en particulier la part que les gardes de la première légion y ont pris durant les émeutes. En effet, une instruction du préfet de police de Paris, en 1927, interdit alors à toute troupe d’entrer en armes dans la ville. Elle s’étend naturellement aux forces de la gendarmerie qui interviennent et qui circulent dans la capitale, à l’exception de la Garde républicaine de Paris. Comme les autorités préfectorales n’ont pas voulu transiger sur cette règle, le 6 février 1934, les gardes mobiles venus prêter main-forte aux policiers, aux gardes républicains de Paris et aux gendarmes départementaux, n’ont pu opposer aux manifestants que leurs poings et leurs pistolets. Le sentiment d’insécurité lié à cette position délicate de désarmement face à la foule entraîna les conséquences que l’on connaît : quinze morts chez les manifestants et des dizaines de blessés dans les deux camps(71). Pourtant, comme le rappelle le capitaine Meygret-Collet, l’instruction de 1930 spécifie que le mousqueton ne doit jamais être enlevé des mains des gardes, sauf pour des travaux à effectuer. Une autre instruction, publiée en octobre 1934, rappelle la nécessité, pour les gardes, d’être toujours armés en précisant que les militaires de la gendarmerie, armés normalement du mousqueton en seront obligatoirement munis.
En dehors des interventions très ponctuelles des automitrailleuses de la troisième compagnie, souvent cantonnées au rôle de sentinelles dissuasives ou de réserve de choc, les blindés de Satory ne sortent pas dans les rues face à la foule. Cette absence d’engagement montre que la mise en œuvre, par la GRM, dans les années 1930, d’un maintien de l’ordre basé sur la gradualisation de la violence et l’évitement du contact entre manifestants et force publique fonctionne bien. Mais, pour les hommes de Satory, la médaille a un revers.
Une unité à contre-emploi ?
Les modes de participation des pelotons du groupe spécial dans les services d’ordre tendent presque toujours à les confondre avec de simples pelotons de marche de la GRM. Un décalage prononcé voit le jour entre leurs compétences théoriques et leur utilisation pratique. Employés comme de simples gardes à pied, l’expertise professionnelle dont disposent les hommes de Satory ne voient pas leur expertise professionnelle mise à profit par les autorités, à l’exception des rares fois où les automitrailleuses du groupe sont requises. Peut-être faut-il encore nuancer le recours aux engins mécanisés de la troisième compagnie ? Les automitrailleuses sont mieux inscrites dans le paysage policier de la gendarmerie en raison de l’usage que les unités chargées de la police de la route en font et de son aspect moins brutal que celui du char. Les autorités répugnent donc moins à s’en servir mais elles ne jouent alors qu’un rôle dissuasif en bordant un itinéraire ou en restant en réserve derrière le dispositif principal du service d’ordre. D’une certaine manière, il semble que le rôle des pelotons de marche du groupe spécial ne soit conçu par beaucoup de responsables civils et militaires d’Île-de-France que comme celui de réserve opérationnelle. Mais, pour une unité de blindés, le rôle de réserve de force de l’ordre de la légion n’est-il pas pénalisant ?
Dans une région aussi turbulente et industrielle que Paris et ses alentours, les forces de l’ordre ne manquent pas d’intervenir très régulièrement. Il en va de même pour les hommes de Satory, souvent appelés en renfort par les autorités locales. Aussitôt créé, le groupe spécial devient une réserve de force dans laquelle les responsables de l’ordre dans les Yvelines et la région parisienne n’hésitent pas à se servir s’ils se sentent en sous-effectif. Les chiffres des sorties effectuées par les pelotons de marche du groupe, donnés par les commandants de compagnie dans leurs rapports, révèlent l’importante sollicitation de l’unité dans le dispositif de maintien de l’ordre local. Ainsi, à partir de janvier, et pour la seule année 1934, le peloton CC1 a été déplacé 36 fois, précise le capitaine Monmasson, soit une moyenne de trois fois par mois avec une durée moyenne des déplacements allant de 6 à 8 heures(72). Le peloton CC2 de la deuxième compagnie s’est, lui aussi, déplacé trente-trois fois durant l’année, et, par ailleurs, l’année 1935 semble marquer une augmentation sensible des interventions puisqu’en cinq mois seulement, entre janvier et mai 1935, le peloton CC2 participe dix-neuf fois à des services d’ordre(73). La moyenne des sorties pour la compagnie monte alors à plus de trois missions de maintien de l’ordre mensuelle. La compagnie d’automitrailleuses a fourni 33 pelotons à pied de 30 gardes entre janvier et décembre 1934, auxquels s’ajoutent quatre pelotons avec matériel(74). La moyenne de trois sorties par mois à partir de 1934 va en s’intensifiant en 1935. Mais si les missions de service d’ordre sont toutes de courte durée, atteignant un maximum de trois journées de déplacements d’affilée, que disent-elles à propos du degré d’intensité d’implication des hommes du groupe dans le service d’ordre ?
Le vingt-neuf août 1934, à dix-neuf heures trente, les pelotons CC1, CC2 et CC3 du groupe spécial blindé se rendent sur réquisition du préfet de Seine-et-Oise à la caserne de gendarmerie de Versailles. Ils doivent participer au service d’ordre établi par les forces de police et de gendarmerie de la ville autour de la place d’arme afin d’interdire à des éléments communistes de s’y réunir, conformément à un arrêté municipal. Une heure après l’arrivée des hommes de Satory à la caserne, le peloton CC2 est libéré par le commissaire central en même temps que les pelotons de gardes à cheval réquisitionnés pour le même service. À peine dix minutes plus tard, les pelotons CC1 et CC3 sont envoyés disperser un attroupement de communistes qui auraient proféré des cris séditieux, mais tout est déjà fini lorsqu’ils arrivent sur place. Vers dix heures et quart, les pelotons sont redirigés vers la bourse du travail unitaire où se sont rassemblés des membres du parti. Au bout d’une demi-heure d’inaction, le capitaine Delpal, qui commande alors le détachement des éléments du groupe, demande à ce que le peloton CC1 puisse être libéré. Les hommes de la première compagnie rentrent à la caserne de Satory. Une autre demi-heure plus tard, le peloton CC3 participe à la dispersion des individus quittant la Bourse du travail unitaire. Aucun heurt n’est relevé par le capitaine Delpal entre ses hommes et ces personnes. Le peloton restant peut donc être libéré vers onze heures et demie. Au terme de ce déplacement des trois pelotons de marche du groupe, il apparaît très nettement que leur action est essentiellement celle de réserve. Ils sont très vite démobilisés, et leur intervention n’est jamais vraiment nécessaire. Le capitaine Delpal fait, par ailleurs, remarquer que le nombre des manifestants a été constamment inférieur à 100 et l’ordre n’a pas véritablement été troublé. Ce déploiement en force d’effectifs de la GRM, pelotons du groupe et à cheval, s’explique en partie par la prudence extrême des autorités face aux manifestations politiques après les journées de février 1934. Il faut probablement voir là une surévaluation des risques par le commissaire central nouvellement arrivé et le préfet de Seine-et-Oise. Alors que le commissaire fait la demande de quatre pelotons pour son service d’ordre, le préfet va au-delà de sa demande en lui fournissant plus de troupes qu’il n’en avait réellement besoin. Pour les professionnels du maintien de l’ordre que sont le capitaine Delpal et son homologue, le capitaine commandant la section de gendarmerie de Versailles, deux pelotons auraient largement suffi à assurer ce service(75).
Une fracture se lit entre les autorités civiles et les forces de l’ordre sur la conception de l’emploi qui doit être fait des pelotons de GRM. En effet, pour un service d’une durée de quatre heures, le commissaire central de Versailles mobilise presque tout l’effectif disponible du groupe spécial et le libère au fur et à mesure que le dispositif ainsi mis en place apparaît comme disproportionné par rapport aux dangers encourus. Lors d’un autre service d’ordre en décembre 1938, destiné à permettre aux ouvriers de l’usine d’aviation des Mureaux d’aller travailler malgré la grève générale débutée à la fin du mois précédent, les hommes de Satory se révèlent encore une fois à peu près inutiles et passent les neuf heures que dure ce service à attendre en réserve avant de pouvoir rentrer à la caserne(76). Le journal des marches et opérations du deuxième peloton de la troisième compagnie d’automitrailleuses, pour la période courant du quinze avril 1934 au dix-sept février 1936, confirme la nature du rôle de réserve que joue le personnel du groupe lorsqu’il est réquisitionné pour des missions de service d’ordre. Durant cette période, le peloton CC3 effectue vingt déplacements sous le commandement du chef du deuxième peloton de la troisième compagnie. Seize fois sur vingt, il est « mis en réserve »(77) et dix-huit fois sur vingt, il rentre à la caserne « sans avoir eu à intervenir »(78). De tels services, « pénibles et ingrats »(79) selon les mots de l’adjudant Laury, pourraient se révéler accablants ou démoralisants pour les hommes du groupe. Il n’en est rien cependant, le capitaine Delpal note à la fin de l’année 1934 qu’ « il a été effectué un certain nombre de services d’ordre de courte durée […] mais ils n’ont aucune répercussion sur le bon moral des hommes »(80). De même, à la troisième compagnie, si « les attaques injustifiées de la Presse après les événements du 6 février ont été péniblement ressenties […] les services d’ordre exécutés l’ont toujours été avec allant et dévouement, le moral des gardes restant élevé »(81). En revanche, les commandants de compagnie signalent que les services d’ordre retardent et gênent l’instruction.
Le temps de service des hommes du groupe de Satory se répartit entre les servitudes d’entretien du matériel, très importantes, les services de garnison au corps, les services à l’extérieur, tels que l’encadrement des recrues et appelés et le maintien de l’ordre, et enfin, l’instruction auprès des chefs de peloton ou de compagnie. Dans la mesure où l’entretien des nombreux véhicules du groupe occupe une bonne partie du temps des gardes et ralentit déjà considérablement la formation, l’organisation de l’instruction s’en trouve très serrée. L’élément imprévisible que représentent les réquisitions des pelotons de marche du groupe ne peut donc que perturber le bon déroulement du programme d’instruction des gardes et gradés. Le capitaine Monmasson note au sujet des services d’ordre effectués en 1934, « Répercussions sur l’instruction : léger ralentissement »(82). Pour la même année, le capitaine Delpal ne nuance pas ses propos, pour lui « ces services ont retardé la marche de l’instruction »(83). Les hommes désignés pour constituer les pelotons de marche doivent en effet rattraper leur retard une fois rentré à la caserne, ce qui contraint les officiers et gradés à adapter leur rythme à celui, aléatoire, des réquisitions. Le capitaine Meygret-Collet dresse un tableau très sombre de l’influence des déplacements sur la marche de l’instruction durant l’année 1935.
« Chaque service d’ordre effectué par la compagnie arrête totalement l’instruction pendant la durée du déplacement et quelques fois le lendemain lorsque celui-ci s’est prolongé tard dans la nuit. Il en résulte des à-coups extrêmement préjudiciables à un bon rendement, des difficultés très grandes pour les instructeurs et une impossibilité de suivre le programme. »(84)
Les perturbations qu’entraînent les déplacements des pelotons de marche du groupe sont donc sérieuses. Elles peuvent compromettre le bon fonctionnement sur le long terme de la formation des hommes de Satory ou tout du moins la gêner considérablement. En 1936, le lieutenant Petit, provisoirement placé à la tête de la deuxième compagnie pendant que son capitaine effectue un stage de formation, explique dans un rapport sur l’instruction des gardes de son unité que les services désorganisent partiellement le déroulement de l’instruction. En particulier, du fait que les séances d’instruction manquées par les gardes doivent être rappelées par la suite, il en résulte un retard considérable dans l’application des programmes mensuels établis. « Un mois avant l’examen du brevet de chef de section, les candidats ont dû fournir un travail personnel très considérable pour rattraper ce retard forcé au lieu de n’avoir que des révisions à faire », déplore le capitaine(85). Pire, les officiers du groupe peuvent se retrouver dans la délicate position de démissionnaires au moment de participer à des exercices communs avec d’autres corps de troupe faute de personnel disponible. Le capitaine Monmasson relève cette toute autre difficulté entraînée par la fréquence de ces services, celle d’organiser et d’effectuer des entraînements avec d’autres unités. Ainsi, même si « les déplacements des pelotons du groupe spécial sont de courtes durées […] ils retardent néanmoins la marche de l’instruction surtout quand ils se répètent dans la même semaine ou quand ils surviennent au moment où des exercices importants ont été préparés en collaboration avec des corps voisins, exercices qui le plus souvent ne peuvent être repris »(86).
Si, lors des missions de maintien de l’ordre, les gardes du groupe ne sont pas au contact des militaires des autres corps, ils se retrouvent en revanche aux côtés des policiers de Paris. Ce dont se passeraient bien les officiers, car, comme le rapporte le chef de la première compagnie en 1938, « les services d’ordre faits en liaison avec la police permettent aux gardes de faire des comparaisons avec les traitements des gardiens de la paix et surtout avec les retraites de ces derniers. De ce fait d’une façon générale les gardes s’estiment insuffisamment rémunérés »(87). Rien d’étonnant au vu des réductions de solde qui frappent les gardes mobiles, comme les autres fonctionnaires, durant les années 1930. L’année 1938 s’accompagne d’une nette dégradation du niveau de vie des hommes du groupe, constate le capitaine Meygret-Collet.
« Du fait de la hausse constante du coût de la vie, la situation matérielle des gradés et gardes de la compagnie n’est pas aussi bonne que l’année dernière surtout pour les chargés de famille comptant 4, 5, 6 ou 7 enfants en bas âge. Ceci malgré l’appoint considérable apporté aux familles par le magasin de vente du cercle-mess, qui fournit des denrées à des prix nettement inférieurs aux prix des commerçants de la ville [de Versailles]. »(88)
* * *
Le groupe spécial blindé s’affirme comme une force de spécialiste, dans les années 1930. Mais le potentiel du matériel blindé, chars et automitrailleuses, est encore mal compris par les autorités civiles et militaires. Le caractère très récent de ce nouveau moyen de faire la guerre et l’évolution rapide de ses capacités durant l’entre-deux-guerres en font un outil sur lequel les théoriciens de la stratégie militaire et du maintien de l’ordre n’ont pas encore une bonne estimation de ses performances réelles. Dès lors, on comprend que l’unité fait face aux mêmes tâtonnements et incohérences dans la doctrine d’emploi de ses véhicules que les autres formations de chars et d’automitrailleuses de l’armée française. Les engins blindés, chars comme automitrailleuses, s’inscrivent dans des principes d’action mal définis et ne trouvent pas encore leur place dans l’arsenal de maintien de l’ordre de la GRM. Ce corps se montre alors plus intéressé par l’emploi des chiens policiers ou des gaz lacrymogènes, déjà utilisés par les Allemands à la même période, et qui correspond à sa volonté de pratiquer une police des foules qui ne tue pas. Même dans les heures les plus critiques des années 1930, le savoir-faire spécifique des hommes de Satory ne trouve pas de terrain d’application concret en dehors de celui de la caserne versaillaise. Perçu comme trop dangereux ou simplement ignoré, l’outil que le groupe tient à la disposition du pouvoir est exclusivement envisagé comme une force de réserve pour une action traditionnelle de troupes à pied. Le décalage entre la spécialité du groupe et son emploi concret se révèle vite frustrant. Les nombreux services d’ordre pour lesquels cette unité est sollicitée, sans pour autant y jouer un rôle à la mesure de ses capacités, finissent par apparaître comme pénalisants et pénibles. Privés de leurs moyens d’action dans le domaine du maintien de l’ordre, les hommes du groupe spécial se tournent vers la dimension militaire de leur statut, dont ils attendent des missions bien plus valorisantes.
Livraison des premiers chars Hotchkiss H39 au 45e Bataillon de Chars de Combat à Satory (Versailles) début 1940
Livraison des premiers chars Hotchkiss H39 au 45e Bataillon de Chars de Combat, à Satory (Versailles) début 1940
Atelier à Satory
Quatre gendarmes du 45e BCC
Rescapés du 45e Bataillon de Chars de Combat, Manzac-sur-Vern (Dordogne) le 20 juillet 1940
Inauguration du monument 45e BCC à Sy (Ardennes) le 23 mai 1959
Le colonel Bézanger, ancien commandant du 45e BCG à Stonne,
en 1940
Insigne du 45e BCC
Fanion du 45e BCC
Partie II - Les gendarmes des chars
Chapitre III - Une force combattante en devenir
Parmi les forces armées françaises, la Gendarmerie nationale occupe une place très particulière. C’est la seule force militaire dont la fonction n’est pas, par essence, combattante. Elle a pour vocation d’agir comme une armée de l’intérieur chargée de surveiller la population et de maintenir l’ordre sur le territoire français, mais pas de fournir des contingents aux armées en campagne. Au front, son implication se résume en deux volets : la police des armées, sous la forme des prévôtés, et la police de la zone arrière. Depuis sa création en 1791, l’institution est cependant plusieurs fois intervenue sur le champ de bataille, comme le rappelle, par exemple, l’inscription sur son drapeau du nom des victoires de Hondschoote en 1793 et de Villodrigo en 1812. Ainsi, le corps peut-il s’inscrire dans une tradition combattante dont il est fier, et qui le conforte dans sa militarité. Le premier conflit mondial remet en cause cette tradition en ne donnant pas aux gendarmes l’occasion de combattre sous leurs propres couleurs. Une grande partie d’entre eux passe la guerre à la brigade tandis que, dans la zone des armées, les forces de l’institution sont cantonnées à leurs missions prévôtales traditionnelles ou de police de l’arrière. À l’heure de la victoire, en 1918, le bilan de la guerre est très mitigé pour la gendarmerie. Seul corps à n’avoir pas combattu, ses membres ne bénéficient pas des avantages qui récompensent les vétérans de la Grande Guerre, à commencer par le statut d’ancien combattant. Par ailleurs, les missions de police aux armées laissent une image très négative des gendarmes prévôtaux parmi les poilus. Le gendarme bonhomme de la chanson devient la brute qui abat le déserteur dans le dos.
Le groupe spécial blindé de la GRM s’affirme pourtant dans les années 1930 comme une unité emblématique de la dimension militaire de la gendarmerie, car la singularité de son matériel le rapproche professionnellement des autres corps de chars d’assaut. Dans le contexte, déjà évoqué, de l’arme, comment cette unité participe-t-elle à la dynamique de constitution d’une force potentiellement combattante au sein de l’arme ?
Un corps qui revendique sa militarité
Si la gendarmerie développe sa vocation policière, on l’a dit, dès le lendemain de la Grande Guerre, son statut reste celui d’une force militaire, encore placée exclusivement sous la tutelle du ministre de la Guerre ? La présence récente d’une direction de la gendarmerie autonome au sein de ce ministère souligne d’ailleurs la spécificité et l’importance de l’institution au sein de l’appareil militaire français. Pourtant, en 1926, une partie du budget de la gendarmerie est rattachée au ministère de l’Intérieur, qui devient, de ce fait, la seconde autorité tutélaire de l’arme. La place occupée par l’arme dans le ministère de la Guerre est, de plus, progressivement réduite à mesure que les effets de la crise de 1929 se font sentir en France. Les coupes budgétaires imposées par les difficultés économiques conduisent le Gouvernement et l’état-major à revoir l’organisation de ce ministère. L’autonomie acquise par ce corps militaire, qui dispose de l’essentiel des forces du maintien de l’ordre du pays inquiète par ailleurs certains hommes politiques et officiers généraux. En 1933, après douze ans d’existence seulement, la direction de l’arme est supprimée. La gendarmerie dépend désormais de la sous-direction du contentieux, de la justice militaire et de la gendarmerie, dont un civil, le magistrat Marcel Oudinot, prend la tête. Au niveau de sa direction, l’institution prend ses distances avec son statut militaire.
Parallèlement, la perspective de faire de la gendarmerie une réserve de force combattante commence à faire son chemin dans une partie des milieux militaires qui s’intéresse particulièrement à la GRM. En effet, l’organisation de ce corps en compagnies d’une centaine d’hommes logés en casernes lui confère une structure beaucoup plus martiale que celle des légions de gendarmerie départementale, dispersées en petites brigades d’une dizaine d’hommes sur tout le territoire français. La GRM devient le principal vecteur privilégié d’une possible remilitarisation de l’institution. Le processus se met en route avec la loi de 1927 sur l’organisation de l’armée, qui prévoit de donner aux gardes mobiles le rôle d’instructeurs de la troupe en temps de paix et de cadres des formations mobilisées en temps de guerre(89). Puis, en 1931, une loi de finance attribue au Gouvernement des crédits suffisants pour doter l’institution de chars et d’automitrailleuses. Enfin, deux ans plus tard, le groupe spécial autonome, puis blindé en 1934, voit le jour. La création de cette unité s’inscrit donc dans une démarche progressive de remilitarisation de la gendarmerie par les gouvernements successifs à partir de la fin des années 1920. L’octroi par les autorités civiles et militaires d’un matériel de guerre lourd et de missions d’encadrement de la troupe au groupe spécial sanctionne leur volonté d’associer la gendarmerie, s’il est nécessaire, à l’action combattante.
La formation des officiers du groupe spécial montre bien que leur préparation, et de manière plus générale celle de tous les officiers de la première légion de GRM, obéit à des préoccupations plus militaires que policières. Avant même le mois de juin 1935 et le renforcement de l’instruction militaire dans l’institution, les officiers du groupe suivent deux conférences par mois, la première au quartier général de la légion, à Montrouge, et la seconde, à la caserne de Satory, sur des sujets d’ordre militaire ou technique(90). Au cours de l’année d’instruction 1934-1935, les capitaines et lieutenants de Satory sont ainsi entretenus de l’organisation et de l’emploi des divisions de cavalerie et des groupes de reconnaissance, des principes d’emploi des formations motorisées de cavalerie, des chars dans la bataille, de l’artillerie au combat ou encore de l’emploi du char D1 adopté au début des années 1930 par l’armée française(91). En dehors de ces conférences, des exercices sur la carte sont proposés aux cadres du groupe par leurs supérieurs de la première légion afin de mettre en pratique l’enseignement tactique qu’ils reçoivent. Pour finir, divers stages et formations complémentaires permettent aux officiers d’acquérir une bonne connaissance de la tactique des différents corps de l’armée française. Le parcours du lieutenant Croisil, de la première compagnie de chars, durant l’été 1935 souligne la volonté des officiers du groupe d’être le mieux informés possible sur la réalité du monde militaire français. « Il effectue un stage d’aviation au Bourget du 3 au 8 juin. [Puis] il fera un stage au 503e régiment de chars de combat du 11 au 15 juin, un stage de génie à Versailles du 24 au 29 juin, un stage de cavalerie au camp des Loges du 1 au 6 juillet, un stage d’artillerie au camp de Mourmelon du 7 au 14 août, un stage d’infanterie au camp de Mourmelon des 15 au 23 août »(92). Les officiers du groupe se forment donc avant tout comme des chefs militaires capables d’occuper des fonctions de commandement au combat. Mais dans un corps, une tête n’est rien sans un bras pour exercer sa volonté. Au groupe spécial, ce sont des hommes et des chars qui forment l’ossature du corps. Comment sont-ils façonnés pour constituer une force militaire à la hauteur des attentes de leurs chefs ?
Pour l’époque, la dotation initiale du groupe est de bonne qualité sur le plan technique. Bien que leurs performances en termes de vitesse ne dépassent pas les sept kilomètres à l’heure, les chars Renault FT-17 ne sont pas encore complètement déclassés. Leur armement, qui se compose d’un canon de trente-sept millimètres ou d’une mitrailleuse de huit millimètres, reste tout à fait efficace. Et de toute façon, en 1933, l’armée française ne dispose pas encore d’autres modèles de chars légers. Les remplaçants du FT-17 n’existent qu’au stade de prototypes et ne verront le jour qu’en 1935. Pour une formation de chars d’assaut pouvant prendre part à des opérations de maintien de l’ordre, le groupe spécial ne peut donc envisager de s’équiper d’un véhicule différent. Selon la circulaire du ministre de la Guerre de 1920 sur l’emploi des formations de chars d’assaut pour le maintien de l’ordre, seuls des chars légers sont autorisés à effectuer ce service. Il est probable que les chars FT du Groupe ne soient pas neufs lorsque les hommes de Satory les reçoivent. La France finit la Première Guerre mondiale avec une commande massive de ces engins dont elle ne sait trop que faire une fois la guerre finie. Il n’est pas nécessaire d’en produire davantage pour l’usage des armées françaises dans les années 1920, les ingénieurs se contentant seulement de moderniser la mitrailleuse du modèle d’origine(93). Les automitrailleuses Panhard-Schneider P16 sont quant à elles d’un type récent. Mis en service dans l’armée française à partir de 1929, seuls les véhicules Panhard 165-175 et les Laffly-White modernisés constituent une alternative décente aux P16. Les pelotons du groupe disposent donc d’un matériel satisfaisant au point de vue technique et en bon état lorsqu’ils l’obtiennent. Le commandant du troisième peloton d’automitrailleuses peut se féliciter à la fin de l’année 1935 du peu de soucis que lui occasionne le matériel de son unité. En effet, « le matériel automobile a été perçu neuf, son entretien est donc facile il en est de même pour l’armement dont le fonctionnement est bon »(94). Encore faut-il savoir l’entretenir correctement.
Le personnel recruté au sein des deux subdivisions de la gendarmerie pour former le groupe spécial en 1933 est loin d’être familier des engins blindés. La première année de service du groupe est une période de dégrossissement de l’instruction des gardes du groupe sur l’emploi technique et tactique des chars et des automitrailleuses. En dépit des diverses difficultés d’installation et des contraintes du service qui ralentissent cette formation, les capitaines des trois compagnies du corps peuvent s’estimer satisfaits des résultats obtenus à la fin de l’année. Le capitaine Delpal note qu’à la deuxième compagnie de chars, « l’instruction a été normalement poussée pendant l’année, sans que les programmes puissent être complètement vus cependant, par suite du temps insuffisant consacré à cette instruction. Sept gardes ont obtenu le Brevet de Chef de Section de Chars »(95) à la fin de l’année 1934. Ce faible résultat se retrouve à la troisième compagnie d’automitrailleuses, mais son chef provisoire, le lieutenant Maréchal se veut rassurant sur ce point. Pour lui, l’instruction militaire « a donné de bons résultats au point de vue technique où tout était à apprendre », rappelle-t-il. Le fait que trois gardes seulement ont obtenu le brevet de chef de section d’automitrailleuses de combat « s’explique par la nouveauté des principes à enseigner »(96). Au cours des années qui suivent sa création, le manque de temps à consacrer à l’instruction tactique empêche les compagnies du groupe d’obtenir de bons résultats dans ce domaine. Toutefois, l’instruction technique fait de bons progrès. En 1934, dans le rapport du capitaine Delpal évoqué précédemment, celui-ci relève que « les gradés et gardes s’intéressent à leur travail et particulièrement à l’instruction technique. Ils obtiennent des résultats satisfaisants dans l’utilisation du matériel char et auto ». Un an plus tard, son successeur à la tête de l’unité peut toujours affirmer que « les militaires de la Compagnie s’intéressent vivement à leur travail et particulièrement à leur matériel et à l’instruction technique »(97). Ce constat est partagé par le capitaine Monmasson sur l’instruction technique des hommes de la première compagnie qu’il juge « bonne »(98) lui aussi.
Un esprit de corps naît à l’intérieur du groupe spécial autour du matériel dont ses hommes ont la responsabilité. La spécificité de leurs engins et le rôle singulier que la mise en œuvre de tels moyens confèrent aux gardes de Satory se révèlent fédérateurs pour eux. Les hommes du groupe cherchent à se démarquer des autres corps en revendiquant les couleurs de la gendarmerie. Les chars et automitrailleuses sont donc peints en noir, de la couleur des uniformes des gardes mobiles. Outre la couleur de leurs engins, les militaires du Groupe tiennent à se différencier des autres formations blindées de l’armée française en tenant fermement à conserver leur tenue noire. L’adoption d’un uniforme de couleur kaki au début des années 1930 est généralement mal suivi par les corps de troupe, qui se prévalent d’un caractère d’élite par rapport aux masses de l’infanterie. Les chasseurs à pied, par exemple, se montrent si inconditionnellement attachés à leur uniforme bleu sombre, qui leur a valu le surnom de « diables bleus » chez les Allemands pendant la Première Guerre mondiale, que le commandement finit par leur accorder la conservation partielle de cette couleur dans leur tenue(99). Les gendarmes et les gardes font partie des éléments réfractaires au kaki, à la fois pour des raisons esthétiques et pratiques. Les rapports rédigés par les commandants de compagnie et de peloton en 1934 témoignent du peu d’empressement que mettent les hommes du groupe et leurs officiers à considérer l’éventualité même de porter la nouvelle tenue kaki. « Le port de ces effets n’a pas été envisagé au groupe »(100), rapporte simplement le capitaine Monmasson, c’est pourquoi, « il n’a pas été proposé au personnel de porter des effets kaki. Il semble d’ailleurs qu’ils ne tiennent pas à se procurer des effets de cette couleur, par crainte des frais d’habillement supplémentaires »(101), explique le capitaine Delpal. Le lieutenant Maréchal développe.
« Il n’a été commandé aucun effet kaki pour garde ancien au cours de l’année 1934. Le manque d’empressement constaté tient au fait que tout service étant pris en tenue ordinaire, le port des effets kaki est limité à de trop rares occasions (service en campagne, période de manœuvres). L’achat d’une nouvelle tenue viendrait grever le budget déjà si péniblement équilibré dans les ménages et ceci sans grande utilité. Du reste, la remarque suivante s’impose : dans les automitrailleuses, le personnel sera toujours revêtu de la veste de cuir et du pantalon de treillis. »(102)
La dernière remarque vaut aussi bien pour le personnel des chars. Enfin, l’adjudant Laury, plus proche de la perspective des gardes du groupe que les officiers résume ainsi la situation, « Le port obligatoire des effets kaki n’est pas désiré par le personnel du peloton qui tout en reconnaissant les commodités de cette teinte voit aussi dans cette mesure : 1° l’impossibilité de déclasser les différentes tenues de l’arme, 2° l’achat de ces effets grèverait lourdement un budget souvent difficilement équilibré, particulièrement chez les jeunes gardes »(103).
Les militaires du groupe se montrent attachés au maintien du prestige de l’arme par rapport aux autres corps. En 1937 notamment, les rapports des officiers comportent une rubrique « prestige », renseignant sur la place attribuée au groupe lors des rassemblements militaires auxquels il participe. « Le groupe spécial participe régulièrement à des prises d’armes en troupe constituée et le rang auquel il a droit lui est donné »(104), indique le capitaine Monmasson. Son homologue à la deuxième compagnie estime qu’« au cours des prises d’armes en troupes constituées, auxquelles la compagnie a assisté à Versailles, le rang et les prérogatives de la Garde républicaine mobile ont toujours été respectés »(105). Les officiers sont très soucieux de la place que leur unité tient parmi les unités voisines. Il n’est pas question de transiger avec le caractère de « troupe d’élite »(106) qui doit lui être conféré. Les contacts avec les régiments des alentours sont en effet l’occasion pour les militaires du groupe d’entretenir le moral des gardes et gradés en leur faisant sentir qu’en dépit des difficultés du service et de la vie quotidienne, ils tiennent une place importante dans les armées.
C’est en particulier le statut d’instructeur des recrues et des appelés qui se montre le plus gratifiant pour les hommes du groupe. En 1927, la loi sur l’organisation de l’armée charge les gardes mobiles de la formation des corps de troupe en temps de paix. À partir de cette date, des gardes et gradés formés à l’École de Joinville et titulaires du brevet de chef de section d’infanterie, ou de peloton de cavalerie ou de chars légers, sont envoyés dans les différentes unités de l’armée française pour remplir la mission d’encadrement que la gendarmerie doit jouer auprès des autres corps. Cependant, en raison du faible nombre de chefs de section brevetés au sein du groupe spécial à sa création, aucun homme du groupe n’est détaché pour l’instruction avant 1935. Cette année est marquée par une étape importante de la remilitarisation de la gendarmerie. Le 28 juin 1935, l’instruction militaire de l’institution est réorganisée par deux circulaires, chacune concernant l’une des deux subdivisions de l’arme, parues en même temps au journal officiel. Celle ayant trait à la GRM est manifestement conçue dans une volonté de renforcer la collaboration entre « la Jaune » et les corps de troupe. Les candidats à l’avancement doivent désormais être titulaires du brevet de chef de section ou de peloton. Une telle mesure sous-entend que tous les gardes souhaitant progresser sont obligés de passer par une formation militaire poussée. Par ailleurs, la circulaire prévoit des séjours dans les camps et des stages individuels dans les régiments pour les unités de la GRM. L’accès aux stages et formations des autres corps de troupe est également prévu par le document(107).
Au groupe spécial, la réorganisation de l’instruction militaire de l’institution suscite un regain d’intérêt des officiers pour la mission d’encadrement des formations voisines par les hommes de Satory. En particulier, la proximité du 503e régiment de chars de combat basé à Mourmelon-le-Grand intéresse beaucoup le commandant de la deuxième compagnie. En septembre 1935, le lieutenant Petit propose l’emploi des gardes titulaires du brevet de chef de section comme instructeurs des recrues de ce régiment. « Cette collaboration aurait sur le moral des gardes, trop souvent astreints au travail effectué par les chasseurs des corps de troupe, un effet moral certain »(108), écrit-il. L’idée s’avère porteuse à partir de l’année 1936, le groupe spécial de Satory prend l’habitude de détacher des gardes et gradés au 503e RCC pour l’instruction des recrues, ce qui permet de nouer une relation de confiance basée sur une connaissance mutuelle entre les deux unités. En septembre 1936, le lieutenant Petit peut se féliciter des résultats obtenus sur le plan de l’instruction comme de l’image de l’arme.
« Neuf gardes de la compagnie, titulaires du brevet de chef de section de chars, ont été employés comme instructeurs des recrues du 503e RCC. Les notes très élogieuses qui leur ont été données par les officiers de ce régiment montrent combien le concours de ces gardes fut apprécié. Il en est de même en ce qui concerne le détachement provisoire de gardes titulaires du brevet de chef de section d’infanterie comme instructeurs au 24e RI. Il est à souhaiter que cette pratique de collaboration se poursuive au cours de l’année d’instruction 1935-1936. Elle permet aux gardes de se faire connaître et apprécier en dehors de leur arme. Elle développe le sentiment de camaraderie entre eux et les sous-officiers des régiments voisins et son influence morale est considérable sur le personnel. »(109)
L’année suivante, le capitaine Meygret-Collet, de retour à la tête de la deuxième compagnie, se montre encore plus satisfait par les résultats obtenus en termes de prestige pour l’arme que son subordonné. Les termes qu’il emploie pour décrire les bienfaits de cette collaboration sont forts :
« La compagnie a fourni 3 gardes titulaires du brevet de chef de section de chars pour l’instruction du dernier contingent incorporé au 503e RCC. Il n’est pas exagéré de dire que ces sous-officiers sont revenus « couverts d’éloges » par les officiers qui les ont employés, non pas comme des subalternes, mais comme de véritables collaborateurs. C’est à coup sûr, pour l’arme toute entière, la meilleure façon de se faire connaître et apprécier par la majorité des officiers des corps de troupe qui nous ignorent ; grâce à ces détachés, la garde fut une révélation. »(110)
Avec le 503e RCC, le 24e régiment d’infanterie devient l’un des partenaires d’échanges privilégiés du groupe spécial. Chaque année, des gardes sont détachés dans sa caserne pour instruire les recrues ou bien les fantassins viennent eux-mêmes à Satory suivre des stages de formations de plusieurs jours auprès des chefs de section d’infanterie brevetés. Les deux compagnies de chars du groupe spécial couvrent donc un aspect de l’instruction des corps de troupe que la GRM ne pouvait pas assurer avant leur création, la formation des unités de chars de combat. Dans la doctrine militaire française des années 1930, les chars sont encore étroitement liés à l’infanterie. Les régiments de chars tels que celui de Mourmelon dépendent en effet de la sous-direction des chars rattachée à celle de l’infanterie. Les automitrailleuses en revanche sont plutôt des engins intégrés à la cavalerie. Elles sont censées effectuer des missions de reconnaissance et de prise de contact avec l’ennemi qui les rapprochent du fonctionnement des régiments de cavalerie. Dans cet esprit, la troisième compagnie se trouve mise en rapport avec des unités comme le 3e groupe d’automitrailleuses, le 6e régiment de dragons ou le 4e régiment de hussards.
Si le rapprochement de l’institution avec sa dimension militaire dans les années 1930 a des répercussions gratifiantes pour les hommes du groupe qui participent à ce processus, il met aussi en lumière les nombreuses limites de la remilitarisation de l’arme.
Une militarisation difficile
Moins d’un an après le rattachement de la gendarmerie à une sous-direction du ministère de la Guerre dirigée par un civil, les autorités militaires françaises désirent être en possession d’un moyen de contrôle et d’uniformisation de la formation de la gendarmerie départementale et de la GRM. Le rôle d’instruction de la troupe dévolu à l’arme depuis 1927 implique effectivement que la culture militaire du corps soit entretenue et encadrée. Une inspection générale de la gendarmerie est donc créée, à cet effet, le 27 mars 1934, et le général Billotte, un général de l’armée et non de la gendarmerie, est désigné pour en prendre la tête. Dès la fin de l’année 1934, le nouvel inspecteur général de la gendarmerie rend son verdict, « La gendarmerie ne pourrait plus, comme jadis, présenter d’unités sur le champ de bataille »(111). Ce rapport, à l’origine des circulaires sur l’instruction militaire de l’arme publiées en 1935, marque le début d’un véritable effort de remilitarisation de l’institution par le sommet.
Pour former des hommes, encore faut-il savoir quoi leur enseigner. C’est le premier problème qui se pose aux militaires de Satory. Or, la doctrine des unités blindées est encore très flottante jusqu’en 1935. Le haut-commandement semble en particulier très hésitant quant au rôle des automitrailleuses de cavalerie. Ce flou est tel que le lieutenant Bouloc, qui se trouve provisoirement placé à la tête de la troisième compagnie du groupe en juin 1935 en attendant que son capitaine rentre de stage, signale dans un rapport destiné à l’inspection générale que « les grandes difficultés rencontrées par les cadres de la compagnie au point de vue de l’instruction militaire tiennent en grande partie au fait que les règlements qui concernent l’emploi des automitrailleuses sont périmés ou inexistants »(112). Il ajoute alors, qu’« il serait désirable que la compagnie reçoive les notes qui peuvent être rédigées dans l’attente d’un règlement par les centres compétents de cavalerie ». En effet, les règlements relatifs à l’emploi des chars et des automitrailleuses sont produits respectivement par la direction de l’infanterie et la direction de la cavalerie dont la gendarmerie ne dépend pas. Les unités de la GRM ne reçoivent donc pas les notes internes de ces directions qui composent pourtant l’essentiel de l’appareil doctrinal des formations d’infanterie, chars inclus, et de cavalerie. Dans son ouvrage consacré à l’étude de l’arme blindée française, Gérard de Saint-Martin met en évidence le manque de cohérence et de consistance de la doctrine d’emploi des chars et des automitrailleuses avant 1936(113). L’instruction sur l’emploi tactique datant de 1921 et l’instruction sur l’emploi des chars de combat, rédigée en 1929, sont les seuls textes qui évoquent les principes d’utilisation des formations de chars au moment où le groupe spécial est créé. Faute de recevoir les notes de la cavalerie et de l’infanterie, l’unité ne peut suivre l’évolution de la doctrine. Si cette situation est tenable avant 1936, l’étoffement du règlement d’emploi des blindés chez les fantassins et les cavaliers prend de court les officiers qui éprouvent les plus grandes difficultés à se tenir au courant des changements. Dès lors, comment les gardes peuvent-ils se former et par suite, former les nouveaux tankistes ? En 1938, dans un rapport adressé à l’inspection générale de l’arme, le capitaine Meygret-Collet relève cette situation qui confine à l’absurde pour les hommes de Satory.
« Les deux compagnies FT du groupe spécial ne dépendent pas de la sous-direction chars ; il semble par suite que celle-ci les ignore complètement. C’est ainsi que les modificatifs aux dotations de guerre de la compagnie FT ne nous sont pas parvenus et que seuls la proximité du 503e RCC et nos excellents rapports de bonne camaraderie avec les officiers de ce corps, nous ont permis de connaître ces modificatifs ; de même les modificatifs au programme du brevet de chef de section ont été connus jusqu’en fin d’année d’instruction lorsque le lieutenant-colonel du 503e RCC président de la commission d’examen nous le fit savoir. »(114)
Les rapports entre les officiers du groupe et ceux des corps voisins se trouvent donc inversés. Si les gardes instruisent les tankistes de Mourmelon, c’est grâce à l’enseignement que les cadres du régiment de chars veulent bien transmettre aux officiers du groupe spécial. Dès 1936 pourtant, les commandants des compagnies et pelotons de l’unité signalent au commandement de l’arme que la formation de leurs hommes ne saurait être complète sans une fréquentation régulière des écoles des autres corps. Dans la rubrique « Améliorations-Desiderata » de son rapport sur l’instruction de la deuxième compagnie, le lieutenant Petit, suggère que soit mise à profit, pour les officiers du groupe,
« La proximité de l’école d’application d’infanterie et des chars de combat dont les nombreux cours (en particulier ceux des lieutenants d’instruction) comportent des conférences très intéressantes sur le matériel et les doctrines d’emploi car ayant à faire l’instruction en vue de préparer leur personnel au brevet de chef de section, il est nécessaire qu’eux-mêmes suivent de près cette évolution. »(115)
L’officier poursuit en montrant qu’il y aurait aussi intérêt, pour les gradés et gardes les plus qualifiés du groupe, à suivre le cours de perfectionnement des sous-officiers de carrière donné dans cette même école, arguant du fait qu’ « au profit d’ordre militaire que ces gradés et gardes en retireraient viendrait s’ajouter une satisfaction morale certaine en donnant aux militaires de l’arme l’occasion de se faire juger et apprécier par leurs camarades des corps de troupe ». Toujours dans le même rapport, le lieutenant Petit propose que les hommes du groupe complètent leur instruction en matière de technique automobile auprès du Centre d’Instruction Automobile de Versailles car « la salle de démonstration de ce centre abondamment fournie de tous les genres de matériel utilisés et très bien installée permettrait un enseignement moins théorique et plus complet ». Le recours à des écoles de formation extérieures pour compléter l’instruction des officiers et des sous-officiers du groupe spécial de Satory répond donc à un impératif de plus en plus fort à partir de 1936. Pourtant, le rapport suivant du lieutenant sur l’instruction pour l’année 1935-1936 répète presque point par point les mêmes demandes, signe que la situation ne s’est guère améliorée pour les officiers(116). Tant du point de vue doctrinal que matériel, l’isolement du groupe dans la direction du contentieux, de la justice militaire et de la gendarmerie gêne l’instruction militaire de l’unité. En effet, la dixième direction se soucie peu de fournir au corps les moyens de se tenir à jour des évolutions des autres directions. Mais, si les évolutions en matière de règlements peuvent être suivies par les officiers grâce à l’entremise de leurs homologues des corps voisins, le matériel du groupe ne peut être renouvelé sans l’approbation de sa hiérarchie et risque de se retrouver peu à peu dépassé par les progrès techniques des nouveaux modèles de blindés.
En effet, en 1933, lorsque le groupe spécial est constitué avec des chars Renault FT-17, ces engins sont encore très répandus dans l’armée française qui ne dispose pas encore d’une réelle alternative à ce modèle de char léger. Cependant, dès la fin des années 1920, un projet de remplacement du FT-17 est mis à l’étude par l’entreprise Renault. Il en résulte le char Renault D1, adopté par l’infanterie en 1929 mais qui, en raison de nombreux problèmes au niveau de la tourelle, n’est pas produit en grand nombre. Toutefois, ce matériel est présenté aux officiers du groupe dans le cadre d’une conférence de garnison par le commandant Devaux durant l’année d’instruction 1934-1935(117). Vivement intéressés par la présentation, les commandants de compagnie et de peloton souhaitent pouvoir à leur tour faire connaître le char D à leurs subordonnés. Dans son rapport déjà cité, le lieutenant Petit juge qu’ « il serait également utile de présenter au personnel le nouveau matériel D1 », pour lui c’est « chose fort possible à réaliser puisqu’un détachement de ce matériel appartenant à l’École d’Application de l’Infanterie et des Chars de Combat se trouve à proximité ». Mais le char D1 n’est que l’un des nombreux modèles dont l’armée française se dote progressivement au cours des années 1930.
Le Renault D1 puis son successeur, le D2 développé en 1931, ne satisfont pas complètement les autorités militaires car le projet initial dérive vite vers un char moyen et, par conséquent, n’offre pas l’alternative au char de la victoire que recherche le commandement. Le ministère de la Guerre décide alors de lancer un nouveau programme de remplacement du char léger FT-17 en août 1933. D’abord très timide, le programme prend une ampleur plus significative lorsqu’Hitler décide de réarmer l’Allemagne, en 1935, puis, l’année suivante, de remilitariser la Rhénanie. La France veut elle aussi disposer d’engins blindés modernes et capables de meilleures performances techniques que le FT-17, largement dépassé par les chars allemands. Entre 1935 et 1936, les constructeurs conçoivent pas moins de trois modèles de chars légers différents, à savoir le Renault 35, le Hotchkiss 35 et le FCM 36. Tous se révèlent bien supérieurs au FT-17, tant sur le plan de la vitesse que de l’armement. Une partie des essais de ces nouveaux matériels a lieu sur le terrain de Satory, sous la surveillance des hommes du groupe qui ont donc l’occasion d’observer leurs capacités. Dès 1936, les officiers du groupe sentent que les nouveaux chars légers surclassent leurs FT-17 et demandent à en être équipés. Le lieutenant Petit se fait la voix du changement en septembre 1936.
« Le groupe spécial ne détient que des chars Renault F.T. Actuellement, plusieurs régiments de chars de combat sont dotés de matériel plus moderne plus rapide (B1-D1 et D2-R35) dont l’emploi et la technique diffèrent totalement de ceux des chars F.T. Il serait souhaitable que le groupe spécial dont la mission principale est de former des chefs de section de chars reçoive, lui aussi, quelques-uns de ces nouveaux engins adoptés ou en cours d’expérimentation. »(118)
La demande, pourtant justifiée en raison de la mission d’instruction du groupe, ne trouve pas d’écho à la dixième direction. Pourtant, l’écart se creuse de plus en plus entre les capacités des nouveaux chars et ceux du groupe. La situation alarme les commandants des deux compagnies de chars qui constatent le déclassement de leur matériel sans pouvoir y remédier. Le capitaine Meygret-Collet adresse à nouveau une demande de mise à jour du matériel char du groupe spécial dans le rapport secret sur l’instruction de la deuxième compagnie qu’il rédige en 1937 à l’intention de ses supérieurs. Le ton est plus pressant que celui du lieutenant Petit un an auparavant : de « souhaitable », il devient « nécessaire » que le groupe soit doté de chars modernes.
« Le matériel char évolue rapidement et l’année 1937 a vu l’éclosion de nombreux prototypes nouveaux adoptés et livrés aux corps de troupe. Ce matériel nouveau a des caractéristiques techniques qui ont profondément modifiées le mode d’emploi des chars dans la bataille. Il est nécessaire que le groupe spécial, dont la mission principale est de former des chefs de section de chars, reçoive à bref délai, quelques-uns de ces nouveaux engins, si l’on ne veut pas aller au-devant de surprises désagréables et inévitables ; le char Renault, avec ses possibilités modestes, peut à l’heure actuelle être considéré comme engin de dégrossissage pour l’instruction, et ne peut être employé que pour des missions particulières (nettoyage). »(119)
Avec l’accélération des événements en Europe au cours de l’année 1937, la menace d’une guerre avec l’Allemagne devient de plus en plus concrète et préoccupe les officiers du groupe, qui se sentent à la traîne sur le plan de l’emploi technique et tactique du matériel qu’ils sont censés maîtriser. Ces rapports ne suscitent cependant aucune réaction de la direction qui ne leur fournit pas de nouveaux chars, peut-être en raison d’un manque de moyens financiers et peut-être aussi parce que les chars qui sortent d’usine sont aussitôt envoyés là où la direction de l’infanterie les juge utiles, c’est-à-dire dans les régiments de chars, et non dans une unité d’instruction servie par des gendarmes. Il semble donc qu’en 1937, la perspective de se servir du groupe spécial de Satory comme d’une unité combattante n’est pas encore d’actualité. Cette formation reste avant tout une force de maintien de l’ordre pour la GRM. Conscient de ce fait, le capitaine Meygret-Collet rajoute que la modernisation de ses chars « affranchirait les unités du groupe de la servitude très lourde du camion porte-char si l’on envisageait l’emploi de chars en maintien de l’ordre dans la région parisienne ». Mais rien n’y fait, pas de nouveaux engins pour les compagnies de chars de Satory.
Pourtant, une unité du groupe reçoit tout de même du matériel neuf en 1937, il s’agit de la troisième compagnie d’automitrailleuses. Elle échange ses voitures Panhard-Schneider P16 datant de 1929 contre des engins plus modernes, des Citroën-Kegresse P28. Cette automitrailleuse conçue en 1932 n’est adoptée par l’armée que l’année suivante et produite en petite quantité. D’un aspect plus ramassé que la P16, elle présente cependant l’avantage de ne requérir que deux hommes pour son service, ce qui libère une partie de l’effectif lors des exercices avec matériel. Cette dotation laisse entrevoir un espoir de modernisation du groupe mais il est vite déçu lorsqu’en 1938, les P28 sont retirées à la troisième compagnie et remplacées par des modèles Laffly-White datant de la Première Guerre mondiale et qui viennent vivre leurs dernières heures au sein du groupe spécial. À une époque où les unités de cavalerie française commencent à être dotées d’engins comme les Panhard 178, qui resteront en service bien après la Seconde Guerre mondiale, l’attribution au groupe spécial de modèles d’automitrailleuses datant des années 1910 sonne comme un désaveu de son importance au sein des forces armées françaises. En quelque sorte, par ce geste, l’unité est renvoyée à sa dimension de corps d’instruction.
Les Laffly-White ne sont pas les seuls vestiges de la Grande Guerre encore en la possession des hommes de Satory. Les mitrailleuses des chars FT sont, elles aussi, d’un calibre datant de la fin des années 1910, ce que le capitaine Monmasson fait remarquer dans ses rapports sur l’instruction en 1937 puis en 1938. Dans le second, il constate que dans son ensemble, « l’armement dont dispose la 1re compagnie de chars est vieux et usé (particulièrement les mitrailleuses de 8 mm qui ne sont plus en service que sur les chars du groupe spécial, et les pistolets de 6,35) »(120). En raison de son ancienneté, l’armement du groupe se révèle de moins en moins adapté au besoin de son temps et présente le danger de ne plus s’accorder aux calibres en circulation dans les autres unités de l’armée. En effet, les chars FT des autres formations de chars d’assaut sont modernisés à partir de 1931 grâce au remplacement de la mitrailleuse de calibre huit millimètres par celle du calibre de sept millimètres et demi. Le capitaine Meygret-Collet fait ainsi état du danger que « les gradés et gardes qui ont ou qui obtiennent le brevet de chef de section de chars et qui en cas de conflit seraient affectés à une unité combattante, ignorent complètement cette arme »(121). Les retards matériels des hommes de Satory les pénalisent aussi sur le plan tactique.
Alors qu’à partir de 1936, la guerre civile espagnole donne aux états-majors européens un aperçu de l’utilisation de l’aviation par les Allemands dans le domaine du combat au sol et que les modèles de chasseurs font d’énormes progrès techniques durant les années 1930, le groupe spécial ne dispose d’aucun moyen pour se former dans la lutte antiaérienne. Ainsi, toujours dans son rapport sur l’instruction de 1938, le commandant de la première compagnie de chars informe sa hiérarchie que « l’instruction de la défense contre les attaques aériennes à basse altitude ne peut être guère que théorique étant donné que la compagnie ne dispose ni de support de tir contre avion pour mitrailleuse de 8 mm, ni de support de tir contre avion pour fusil-mitrailleur, ni d’appareil de visée pour ces deux armes ». Alors qu’ils forment une unité de chars d’assaut, les gardes ne reçoivent pas non plus d’instruction pratique sur la défense contre les engins blindés puisque le groupe ne dispose d’aucuns moyens de défense passive, les obstacles de tout genre qui peuvent être dressés sur la route du char, ou active, comme les mines portatives. Cependant, si une unité de blindés peut faire à ses risques et périls l’économie d’une instruction concernant la défense antiaérienne et antichar, il est inconcevable qu’elle ne puisse s’exercer au tir au canon de char. C’est pourtant bien ce qui arrive aux hommes de la première compagnie en 1937 et en 1938, faute d’avoir les munitions suffisantes pour l’exercice. Le capitaine Monmasson signale dans son rapport de juin 1937 sur l’instruction que « le parc d’artillerie n’a pas pu pendant le premier trimestre 1937 fournir d’obus d’instruction (cartouches à boulet modèle 1917) pour le tir au stand de tir réduit pour char de Satory. L’instruction du tir a été retardée »(122). Un an plus tard, il dresse le même constat, « l’instruction de tir n’a pu être qu’ébauchée faute de munitions ». Au défaut de munitions s’ajoute le problème de l’exiguïté du champ de tir de Satory qui empêche les gardes de s’exercer à l’ensemble des différents types de tirs pratiqués par une unité de chars de combat. Les hommes du groupe doivent donc se rendre au champ de tir de Fontainebleau et de Maison-Laffitte pour s’entraîner au tir au canon et à la mitrailleuse. À mesure que le matériel du groupe spécial ne lui permet plus de suivre les principes d’action en vigueur dans l’armée française à la fin des années 1930, la formation militaire de ses hommes devient de plus en plus théorique.
Bon pour la guerre ?
La circulaire de 1935 sur l’organisation de l’instruction militaire de la GRM prévoit que les unités de gardes mobiles effectuent des stages et des séjours en camps avec les autres corps de l’armée française afin d’apprendre à manœuvrer au sein de grandes unités. Les grandes manœuvres ont généralement lieu durant l’été et elles font office de répétitions des grands mouvements qu’une force armée peut être conduite à effectuer en temps de guerre. Elles sont aussi l’occasion pour le commandement et les chefs de corps de faire travailler ensemble les différentes armes et de mettre à l’essai la stratégie française en la confrontant à des cas tactiques particuliers. C’est dans cet esprit, par exemple, que la première grande unité blindée dont dispose la cavalerie, la première division légère mécanique (1re DLM), se livre, en 1936, à un exercice d’attaque de la ligne Maginot. À cette occasion, les automitrailleuses et les motocyclistes trouvent un grand nombre de points morts dans le dispositif de défense et s’infiltrent profondément derrière la ligne, révélant à la fois à l’état-major de nombreuses failles dans le bouclier que le pays s’est forgé contre l’Allemagne et les possibilités stratégiques que recèle un corps cuirassé(123). Or, aucune des compagnies du groupe spécial de Satory, qui, en théorie, doivent effectuer un séjour au camp par an, n’en fait avant 1938. Il est donc difficile de concevoir que les hommes de l’unité puissent acquérir une expérience de la façon dont manœuvre une formation blindée sur le champ de bataille avant la fin des années 1930.
En 1934, le groupe récemment créé ne peut pas faire de séjour au camp pour deux raisons, d’une part, l’instruction technique des gardes et gradés du corps nécessite d’être plus avancée avant de pouvoir se préoccuper de l’aspect tactique du combat de chars au sein de grandes unités, et d’autre part, l’institution n’encourage pas encore ses troupes à prendre part à des manœuvres. Une certaine concordance des intérêts du groupe et de l’arme fait que l’absence de cet exercice n’embarrasse pas encore les officiers de Satory. Cependant, une fois que la pratique du séjour au camp est instituée par la circulaire de juin 1935 et que les hommes du groupe sont en mesure d’approfondir leur instruction militaire, le besoin se fait sentir d’aller séjourner quelques jours dans les camps proches pour parfaire la formation du personnel. En septembre 1935, suite à la possibilité offerte par l’instruction de juin, le lieutenant Petit informe l’inspection de l’arme qu’ « il serait souhaitable que les gradés et gardes titulaires du brevet de chef de section de chars accomplissent dans un camp, chaque année, au moins un séjour minimum de 10 jours prévus par la nouvelle circulaire sur l’organisation de l’instruction de la GRM ». Pour lui le bénéfice serait très important car,
« bien que ces gradés ou gardes ne fassent pas partie de l’encadrement des unités de chars à la mobilisation, un séjour au camp leur permettrait de se confirmer en commandant effectivement une section ou une demi-section de chars dans les principales circonstances du combat, ce qu’ils n’ont pu faire jusqu’à présent. Elle leur permettrait également de participer comme exécutants à des manœuvres faisant intervenir l’emploi des différentes armes. En outre, ces militaires pourraient exécuter toute la série des tirs de combat. »(124)
Pourtant, à l’exception d’un séjour effectué au camp de Sissones par la deuxième compagnie de chars en 1938, les unités du groupe ne séjournent pas une seule fois au camp entre 1934 et 1938, et ce en dépit des demandes répétées des commandants de ces unités d’après les rapports sur l’instruction qu’ils produisent. Deux des compagnies n’ont donc pas la moindre expérience des manœuvres d’ensemble en unité constituée. Pour leurs chefs, c’est regrettable car leurs hommes ont besoin d’acquérir la connaissance de l’emploi tactique des chars en situation de combat. Le stage effectué par la deuxième compagnie donne un exemple bien tardif des fruits qu’un tel exercice permet de recueillir en termes d’instruction militaire.
« Pour la première fois depuis la formation du groupe (5 ans) la compagnie a effectué un séjour au camp de Sissonne du 10 au 25 mai 1938 avec tout son personnel et tout son matériel […] des exercices et mouvements communs ont été effectués avec la 3e DIC [division d’infanterie coloniale]. Tout le personnel de la compagnie (officiers, gradés et gardes) en ont retiré un bénéfice énorme et extrêmement profitable. »(125)
Mais ce séjour fait aussi ressortir les lacunes et les retards dans l’instruction militaire des hommes de Satory. Le capitaine Meygret-Collet, fort des enseignements qu’il a recueillis durant les jours de mai passés à Sissonne, indique que « de nombreuses manœuvres en commun avec les corps de garnison ou des unités de la légion sont nécessaires pour mettre au point la liaison infanterie-char au combat ». Or, jusqu’en 1938, « soit pour une raison de service d’ordre, soit pour toute autre cause, ces manœuvres en commun ont été difficiles à monter et par suite très rares ». Quelle expérience les hommes du groupe ont-ils du combat interarmes ?
En dépit de la rareté des exercices en commun avec les corps de troupe voisins évoquée par le capitaine Meygret-Collet, depuis leur création, les unités du groupe spécial ont tout de même trouvé l’occasion de s’entraîner au combat de la formation blindée en liaison avec l’infanterie ou la cavalerie. Au cours des années 1934 à 1938, chacune dans leur spécialité, les compagnies de chars ou la compagnie d’automitrailleuses acquièrent une expérience, aussi réduite soit-elle, de la manœuvre tactique à petite échelle. La plupart des manœuvres communes entre le groupe et d’autres unités ont lieu dans le cadre d’entraînement avec des pelotons et des escadrons de la première légion de Garde républicaine mobile. Ces manœuvres servent à mettre au point la coordination des unités du groupe avec celles des autres troupes de la légion aussi bien dans le cadre d’opérations de maintien de l’ordre que de missions de combat. Les deux sont de toute façon conçues de la même manière. Fantassins et chars doivent se fournir une assistance mutuelle, les chars abritant les fantassins derrière leur masse tandis que l’infanterie empêche les éléments adverses de venir détruire les chars au contact. Les automitrailleuses sont utilisées comme un outil de reconnaissance du terrain et de prise de contact en liaison avec les cavaliers qui doivent lui fournir un soutien rapide en cas de besoin. Ainsi en 1934, la deuxième compagnie de chars réalise un exercice de combat de la section de chars avec l’infanterie de la légion(126) pendant que les automitrailleuses de la troisième compagnie s’entraînent avec les cavaliers de la Garde républicaine mobile de Montrouge et les hommes du sixième régiment de dragons basé à Vincennes(127). L’année suivante, une section de chars de la première compagnie prend part à une manœuvre commune avec le quatrième régiment de hussards(128). Les officiers assistent, quant à eux, à plusieurs exercices de cadres sur la carte, à la légion pour tous les officiers du groupe, et au troisième groupe d’automitrailleuses pour les officiers de la troisième compagnie. À bien des égards, l’année 1935 est la plus active du point de vue de l’entraînement pratique du groupe. Par la suite, les hommes de Satory prennent part à moins de manœuvres communes. Au cours des années 1936 à 1938, outre les exercices de la deuxième compagnie avec le vingt-quatrième régiment d’infanterie et les fantassins de la légion, l’instruction militaire pratique sur le terrain semble être mise de côté à cause des aléas et du poids du service.
L’année 1936 marque le début d’un retour officiel de la gendarmerie dans le dispositif militaire défensif du pays. En juillet 1936, le rôle de force de couverture de la frontière est confié aux gardes mobiles des légions frontalières. Leurs missions consistent à fournir des éléments de reconnaissance et de retardements aux troupes qui devront assurer la protection de cette portion du territoire national. Si cette mesure est loin de concerner le groupe spécial, elle signale tout de même le fait que les autorités militaires envisagent sérieusement l’emploi de la GRM pour des missions de combat à la frontière même si elle ne doit pas servir de troupe de choc. L’institution est intégrée comme partie prenante dans le système de défense active du territoire prévu par le haut commandement militaire français. Toutefois, la mission principale de la gendarmerie reste de faire un travail de couverture de l’espace national pour débarrasser le reste de l’armée des tâches de protection des lieux stratégiques, voies de communication et ouvrages d’art. Dans cet esprit, d’après les archives du groupe, le rôle qui est d’abord dévolu aux hommes de Satory en cas de conflit est celui d’une unité de couverture du territoire versaillais. Les traces de la préparation de missions de ce type apparaissent dans un rapport sur une reconnaissance d’ouvrages d’art à surveiller rédigé par le capitaine Monmasson à la fin de l’année 1936(129). Son contenu indique que le commandement de la gendarmerie de la région de Paris fait établir par ses troupes des rapports sur la capacité des unités de gendarmerie départementale et de GRM de la région francilienne à protéger une liste, qui leur a été préalablement fournie, d’ouvrages d’art situés à proximité de leur casernement. En février 1936, un rapport sur un exercice de mise en état de défense de la caserne laisse penser que le groupe s’entraîne surtout pour des missions de défense fixe, dans ou autour de la caserne de Satory, et que son action n’est pas envisagée en dehors de la circonscription de la première légion(130).
Ce n’est qu’en 1937 qu’un document relatif à la planification et à l’organisation de la mobilisation du groupe spécial semble indiquer un changement dans la conception de l’emploi de cette unité en situation de guerre(131). Au lieu de se répartir en petits groupes de surveillance autour des ouvrages d’art de la région versaillaise, le rapport prévoit que le groupe rassemble ses trois compagnies blindées au complet, prêtes à partir au combat avec armes et munitions. Un an plus tard, le démantèlement de la Tchécoslovaquie et la crise des Sudètes font craindre au plus haut point l’ouverture d’un nouveau conflit en Europe. Sur le pied de guerre, le Gouvernement français procède préventivement à une mobilisation partielle de l’armée en septembre. Le groupe y participe dans de bonnes conditions. En novembre 1938, le capitaine Monmasson note dans un rapport sur l’état d’esprit de son unité que « la mobilisation partielle de la compagnie a été réalisée dans les délais prévus. Les militaires de l’unité ont fait preuve de calme et de discipline au cours des différentes opérations »(132). À la deuxième compagnie de chars, le capitaine Meygret-Collet remarque que « les gradés et gardes de la compagnie ont fait preuve d’une conscience professionnelle développée et d’un moral particulièrement élevé, au cours de la période de tension politique que [le pays vient] de traverser »(133). À la veille de la Seconde Guerre mondiale, le groupe spécial est donc une force de la GRM dont l’emploi en tant qu’unité de chars de combat est envisageable. Renonçant à opérer sous la forme d’une simple réserve de troupes à pied comme il le fait en temps normal dans le cadre des missions conduites au sein de la légion, le groupe spécial se prépare à agir avec tous ses moyens, chars et automitrailleuses, si le besoin s’en fait sentir. En dépit des nombreuses difficultés rencontrées par les hommes de Satory pour recevoir un entraînement nécessaire à une intervention en tant que formation blindée, c’est dans ce format-là que les autorités de la première légion semblent vouloir les employer en cas de guerre.
* * *
Le groupe spécial blindé de Satory s’affirme dans les années 1930 comme une composante très militarisée de la Garde républicaine mobile. Dans l’éventail des unités dont dispose l’institution, le groupe s’impose à l’observateur comme l’une de celle possédant le potentiel militaire le plus important en raison du matériel de guerre lourd dont elle est équipée. Les chars et les automitrailleuses apparaissent comme des outils difficilement intégrables dans l’arsenal du maintien de l’ordre si ce n’est en tant qu’échelon de dernier recours face à une foule violente et incontrôlable. En revanche, ces engins s’affirment comme d’excellents moyens pour les gardes mobiles, et à travers eux toute l’arme, de revendiquer leur place au sein des forces combattantes de l’armée française. En effet, frustrée de sa part de gloire au terme de la Première Guerre mondiale, la gendarmerie trouve en constituant le groupe spécial un argument irréfutable pour justifier le retour en première ligne d’une unité marchant sous son drapeau. Né dans un contexte de remilitarisation progressive de l’arme au cours des années 1930, le groupe spécial développe rapidement sa culture militaire et ses officiers se montrent soucieux de donner aux autres corps de troupe l’image d’une unité d’élite dont le prestige doit rejaillir sur la gendarmerie tout entière. Les difficultés de la militarisation de ce corps blindé sont nombreuses pourtant. Les retards matériels et administratifs freinent la formation tactique et technique de l’unité, le service ordinaire de la caserne et extraordinaire des services d’ordre et d’escorte gênent la bonne conduite de l’instruction. Mais en dépit de toutes ces limites, que partage du reste une bonne partie des unités de la Garde républicaine mobile, chacune dans leur spécialité, l’invasion de la Pologne par Hitler en septembre 1939 et l’entrée en guerre de la France introduisent un nouveau chapitre dans l’histoire du groupe spécial blindé, celui d’une force combattante qui s’apprête à connaître l’épreuve du feu.
Chapitre IV - L’épreuve du feu
Le 1er mai 1937, à Berlin, une panzerdivision aux effectifs gonflés pour la circonstance défile sous les yeux des dirigeants politiques et militaires des nations européennes. Le spectacle d’une telle puissance militaire leur donne la pleine mesure du danger que représente le Troisième Reich(134). Face à la perspective d’un déferlement blindé allemand, l’armée française, pourtant la plus vaste d’Europe, ne dispose pas encore de grandes unités blindées et seulement la moitié des régiments de chars de combat qu’elle comptait dans ses rangs au lendemain de la Première Guerre mondiale existent encore, soit douze régiments en métropole et un dans les colonies d’Afrique du Nord. Diverses formations viennent compléter le dispositif des forces françaises d’Outre-Mer mais il n’est pas envisageable de faire appel à elles en cas de conflit, à courte échéance du moins. C’est pourquoi, en 1938, un projet de grande unité blindée est mis à l’étude par la direction de l’infanterie à la demande du Conseil Supérieur de la Guerre. En février 1938, un groupement d’instruction des chars voit le jour à Nancy, il comprend plusieurs des théoriciens de l’arme blindée, dont le colonel De Gaulle, et fait œuvre pionnière en étudiant le fonctionnement et les possibilités tactiques offertes par une division dont l’ossature serait constituée de chars. Au début du mois suivant, le 2 décembre, le conseil supérieur de la guerre décide de créer officiellement deux divisions cuirassées qui sont aussitôt mises en chantier mais dont la réalisation ne serait terminée qu’en 1941 selon les estimations du général chef d’état-major. Leur organisation, encore mal définie, laisse tout de même à croire qu’elles mobiliseront d’importants moyens blindés.
Mais le temps est compté pour préparer l’armée française à l’affrontement. De plus, la création d’une force blindée suffisamment importante pour équilibrer le rapport de force entre les armées françaises et allemandes demande des moyens financiers et humains colossaux, que le pays peine à mobiliser dans l’urgence. C’est dire que les dirigeants militaires doivent piocher dans toutes les réserves de spécialistes des engins blindés dont ils disposent pour mettre sur pied une force mécanisée. Par exemple, l’École des Chars de Versailles, fournit deux BCC et sera amenée à en créer un troisième. Avec l’emploi des réservistes, les 43e et 44e BCC voient le jour. C’est à cette occasion que la gendarmerie, soucieuse de renouer avec sa tradition combattante, offre de transformer son groupe spécial blindé en unité de chars de combat. Dans un contexte d’urgence, les volontés de la gendarmerie et du ministère de la Guerre concordent et aboutissent à la création du 45e BCC en 1939.
Du groupe spécial au 45e BCC
Le 1er septembre 1939, à l’annonce de l’invasion de la Pologne par l’armée allemande, la France mobilise ses troupes. Un important dispositif de gendarmes et de gardes mobiles est alors mis en place à la frontière Est du pays. Pas moins de trois mille d’entre eux sont regroupés au sein de seize compagnies frontalières pour remplir le rôle de force de reconnaissance et de retardement de l’ennemi que le haut commandement lui a attribué en 1936. Dans le reste du pays, 6.000 autres gardes et gradés titulaires du brevet de chef de section rejoignent les rangs des différents corps de troupe pour encadrer les formations mobilisées. La gendarmerie est sur le pied de guerre, et, cette fois-ci, elle entend bien prendre sa part des combats à venir. Si le rôle des gardes mobiles de l’Est ne doit pas être oublié ni minimisé, comme l’a déjà montré Georges Philippot(135), l’institution veut faire plus que d’assumer des actions de couverture : elle souhaite former une troupe combattante marchant sous son drapeau.
Dès l’entrée en guerre de la France, la sous-direction de la gendarmerie fait campagne pour avoir le droit de former une unité combattante. Elle réclame l’application de l’article 301 du décret organique du 20 mai 1903, qui prévoit la constitution de l’arme en bataillons, escadrons ou régiments susceptibles de combattre si le besoin existe, tout en mettant en avant la question de prestige attachée à sa demande. Il est d’autant moins question pour l’institution de revivre la frustration de la Grande Guerre, que ses unités, et surtout la GRM, se sont préparées activement à servir au front en cas de conflit. Cependant, le ministère de la Guerre est peu enclin à se passer des gardes et des gendarmes, qui constituent la seule force de contrôle du territoire dans la main du Gouvernement, une fois les troupes d’active et de réserve envoyées dans la zone des armées. Toutefois, il se montre intéressé par l’emploi d’une petite formation supplémentaire : le groupe spécial blindé de la GRM.
Le 19 octobre 1939, l’état-major de l’armée fait savoir à la sous-direction de l’arme que, « d’une manière générale, il ne peut être question d’utiliser les effectifs de la gendarmerie, autrement qu’en les utilisant comme instructeurs et comme chefs dans les formations mobilisées »(136). Mais à ce refus de détourner les hommes des légions et des brigades de leur fonction principale, l’état-major ajoute qu’ « il apprécie, toutefois, les raisons de prestige qui ont dicté la démarche de la 10e Direction, et estime que satisfaction peut lui être donnée en chargeant le Groupe Spécial de Satory de mettre sur pied l’un des bataillons de chars légers modernes, dont la constitution est actuellement prévue et dont l’envoi aux Armées doit intervenir au cours de l’hiver ». Mieux, l’état-major propose que le groupe spécial fonctionne à la manière d’un régiment de chars de combat classique en fournissant non pas un, mais deux bataillons de chars. Ainsi, « ultérieurement, le groupe spécial pourra être appelé à mettre sur pied un bataillon identique (armé du même matériel que le premier) et un commandement de Groupe de Bataillons ». Oubliés les escadrons de gendarmes à cheval de Hondschoote et de Villodrigo, en 1940 : les hommes de l’arme chargeront sur des montures de métal !
Cependant, l’état-major de l’armée précise bien dans sa note du 19 octobre 1939 relative à la constitution d’un bataillon de chars de la GRM que le rôle de la gendarmerie n’est pas de transformer purement et simplement le groupe spécial de Satory en bataillon de chars de combat puisqu’il doit par ailleurs survivre à la mise sur pied du nouveau bataillon. L’état-major attend de l’arme qu’elle soutienne son programme de création des BCC en lui apportant un concours en effectifs qualifiés pour servir dans les formations de chars. L’organisation du groupe spécial en un corps formé de trois compagnies permet de le transformer aisément en BCC, puisque ceux-ci sont composés de trois compagnies de combat et d’une compagnie d’échelon. Cependant, l’unité est loin d’avoir les effectifs et le matériel nécessaires pour équiper un puis deux BCC. Un bataillon de chars légers type 1935, comme ceux que les hommes de Satory doivent préparer, comprend réglementairement près de six cents officiers, sous-officiers et soldats, soit près du double de l’effectif disponible au groupe spécial. Or, il n’est pas question de dégarnir le front intérieur en envoyant les gardes d’Île-de-France combattre avec les chars. La mission confiée au groupe spécial est ambitieuse : fournir des combattants à deux bataillons de chars et assurer, éventuellement, ses tâches traditionnelles. La sous-direction de la gendarmerie comprend qu’il lui faut étoffer rapidement les rangs de cette unité si elle veut pouvoir satisfaire à la demande de l’état-major. Le 26 octobre 1939, elle lance un appel auprès de ses troupes pour réunir des volontaires souhaitant s’engager dans l’unité que le groupe est en train de former. Les résultats sont satisfaisants : une centaine de gardes et gendarmes, venus de diverses formations, rejoignent le groupe spécial.
Comme l’état-major veut continuer à disposer d’une force de réserve autour de la capitale, il décide que le bataillon de chars légers de la GRM,
« sera encadré par les Officiers et sous-officiers du Groupe Spécial ou des autres subdivisions d’arme de la Gendarmerie, [et que] le personnel troupe (caporaux et chasseurs) sera prélevé sur les ressources de la Ire Direction […], étant entendu que le Groupe Spécial devra pouvoir être reconstitué pour pouvoir faire face, éventuellement, à l’aide de son matériel ancien, à ses missions spéciales dans la région parisienne. »
Par ailleurs, le commandement de l’arme s’est mis en relation avec la direction de l’infanterie pour obtenir le personnel de troupe que celle-ci doit lui fournir. Les deux administrations s’accordent sur le fait que des caporaux et chasseurs du 505e dépôt de chars de Vannes seront versés dans le bataillon, essentiellement dans des postes de mécaniciens en laissant aux gardes et gendarmes le soin de garnir les sections de combat. Ainsi l’effectif théorique fixé pour un bataillon de chars légers est atteint. Cette idée laisse planer une certaine ambiguïté sur l’appartenance dont se réclamerait le bataillon ainsi créé. Est-il un bataillon de chars commandé par la gendarmerie ou une unité dépendant de la direction de l’infanterie encadrée par des gardes mobiles ? Le double statut de son personnel contribue à maintenir un doute puisqu’ils doivent être administrés par leur direction respective. Une forme de compétition s’engage alors entre la première et la dixième direction quant à la paternité de l’unité.
En effet, la note du 19 octobre 1939 précise les conditions dans lesquelles le bataillon serait constitué et invite la première direction à bien vouloir « procéder en liaison avec la 10e Direction, à cette réalisation ». La formulation sous-entend donc que le bataillon dépend bien de la direction de l’infanterie et non de celle de la gendarmerie. L’arme craint alors de voir ses effectifs combattants lui échapper et devenir des subordonnés de l’infanterie, au même titre que les cadres des formations mobilisées. Cette perspective agite le spectre de la Grande Guerre sous les yeux de l’institution qui redoute de voir une fois de plus les gendarmes volontaires pour le front devenir de simples fantassins et cavaliers. Par la suite, la dépêche ministérielle du 13 novembre 1939 donne un statu quo aux deux directions en donnant au bataillon deux dépôts d’affiliation. Le dépôt 505 de Vannes pour les caporaux et chasseurs du 505e RCC, et la première légion de Garde républicaine mobile pour les effectifs fournis par la gendarmerie(137). Cette mesure place donc le bataillon sous la tutelle des deux directions puisqu’il dépend d’elles pour le renouvellement et de son personnel et de son matériel. Cela ne convient pas à la gendarmerie qui fait savoir dans un message adressé à la première direction le 23 novembre 1939 que « la Dépêche Ministérielle N° 5195 BT/ICCS du 13 novembre 1939 fixe les conditions dans lesquelles un Bataillon de Chars sera constitué aux Armées par les soins de la 10e Direction »(138). La lecture que l’institution fait du document évoqué est simple. Le Gouvernement a confié à l’Arme la mise sur pied d’une unité combattante qui la représente au front. Ce message déclenche aussitôt la riposte de la direction de l’infanterie. Le 29 novembre, la première direction réplique à la gendarmerie que « quelle que soit l’origine de ses personnels, le 45e Btn de Chars est une unité dépendant exclusivement de la Ire Direction et non pas une unité constituée à l’intérieur de la gendarmerie au titre du décret du 20 mai 1903 »(139). Très ferme, cette réponse conclut le débat sur la question de l’appartenance du 45e BCC à la gendarmerie, d’autant qu’à ce moment-là, les directions sont déjà en train de travailler de concert à la mise sur pied de l’unité. Des concessions doivent donc être faites pour permettre au travail de se faire dans de bonnes conditions. Toutefois, privée de sa propre unité combattante, l’institution cherche alors à marquer la filiation du bataillon en lui donnant le nom de Bataillon de Chars de la Gendarmerie. Une autre situation litigieuse se noue alors autour de la désignation du bataillon.
Dans l’esprit de l’état-major de l’armée, il n’est pas question de prélever des troupes dans les rangs de la gendarmerie départementale pour créer le 45e BCC. Il réserve à la subdivision de l’arme la plus militarisée le soin de fournir un personnel déjà qualifié pour le service des chars de combat. Il est donc logique puisque la GRM est désignée pour verser une partie de ses effectifs dans cette nouvelle unité que dans sa note du 19 octobre 1939, l’état-major propose au paragraphe trois que « le bataillon de chars légers porterait l’appellation de Xe bataillon de chars de la GRM »(140). Sur le moment, la gendarmerie paraît se satisfaire de se voir accorder ce qu’elle désire depuis 1918 et ne fait pas d’objection à la proposition. Aussi, à la création du bataillon, le ministre décide « de créer à la date du 1er décembre 1939, un bataillon de chars de la Garde républicaine mobile »(141). De plus, dans un souci de coordination des différents éléments composants le bataillon, son organisation est entreprise par « le chef d’escadron de la gendarmerie, en liaison avec le lieutenant-colonel commandant le groupe spécial de la GRM de Satory et le commandant du groupe de dépôts de chars de Vannes ». Il semble donc que ce ne soit pas deux mais trois éléments différents des forces armées françaises qui doivent opérer la singulière fusion qu’est le 45e BCC. La gendarmerie se trouve presque dans une situation de collaboration d’égal à égal avec l’une de ses propres subdivisions. Toutefois, le ministre spécifie que les renforts, en ce qui concerne les militaires de la gendarmerie, sont fournis « par la 1re légion de GRM alimentée en personnel chars à la diligence de l’administration centrale (sous-direction de la gendarmerie) ». La préférence est donnée à la GRM pour représenter l’arme au sein du bataillon puisque c’est sous nom que l’institution participe à sa création.
Le 13 novembre 1939, par dépêche ministérielle, le général directeur de l’infanterie, sur ordre du ministre de la Guerre, Édouard Daladier lui-même, crée officiellement un bataillon de chars de la GRM à la date du 1er décembre 1939(142). Ce nouveau bataillon prend le numéro 45. Selon le texte officiel et conformément au plan dessiné par les première et dixième directions du ministère de la Guerre, le personnel est fourni conjointement par la GRM et le dépôt 505 de Vannes. L’effectif se monte à 269 caporaux et chasseurs et 270 gardes et gendarmes. Pour les commander, la sous-direction de la Gendarmerie est chargée de désigner dans les rangs de l’arme un chef d’escadron qui prendra la tête du 45e BCC. Le choix se porte sur le capitaine breveté d’état-major Martial Bézanger, promu chef d’escadron à la fin du mois de mars 1940, afin de faire correspondre son grade à sa fonction. En collaboration avec le lieutenant-colonel Barrière, du groupe spécial, et le lieutenant-colonel Hahn, du dépôt 505 de Vannes, Bézanger est chargé de l’organisation du bataillon. Les trois hommes ont comme tâches principales de préparer l’acheminement des chasseurs et caporaux de Vannes jusqu’à Satory, d’aménager les locaux et le bureau du bataillon et enfin d’instruire leurs troupes.
Une dizaine de jours après la notification de la création du bataillon par le Gouvernement, la sous-direction de la gendarmerie adresse un message à la direction de l’infanterie pour lui faire savoir qu’elle « attache un prix tout particulier à ce que le Bataillon de Chars N° 45 porte le nom de BATAILLON DE CHARS DE LA GENDARMERIE », et insiste « pour que soit modifiée en conséquence la dépêche de création déjà parue »(143). La gendarmerie justifie cette requête en montrant qu’en prenant l’initiative de demander la création du bataillon, elle a voulu « qu’une unité combattante marque aux armées la place de la gendarmerie au milieu des autres armes [et] que l’arme tout entière de la gendarmerie reçoive l’honneur qu’elle mérite ». Elle rappelle alors que le groupe spécial de Satory n’est pas le seul élément de la gendarmerie qui contribue à former le bataillon, car l’appel aux engagements des volontaires de l’arme du 26 octobre 1939 a permis de rassembler un nombre de volontaires provenant de la gendarmerie départementale « sensiblement égale à celui de ceux fournis par la Garde républicaine mobile ».
Comme pour la question de l’appartenance du bataillon à la gendarmerie, la réponse de la direction de l’infanterie ne se fait pas attendre. Dans le message du 29 novembre 1939 que le général directeur de l’infanterie adresse à la dixième direction, celui-ci expose clairement les arguments qui motivent l’appellation de bataillon de chars de la GRM. Pour lui, d’une part l’arme aurait dû faire connaître plus tôt son désaccord sur la question et d’autre part, il considère que,
« la gendarmerie apparaît comme une magistrature sédentaire, exerçant son autorité à l’intérieur du territoire. Au contraire, poursuit-il, la Garde républicaine mobile constitue l’élément combattant, actif de l’arme. Ses personnels coopèrent à la formation des unités d’infanterie alors que les personnels de la gendarmerie n’y participent que très peu. Il apparaît donc plus logique de donner au Btn de Chars N° 45 l’appellation de Btn de la GRM. »(144)
Cependant, le 12 décembre 1939, la première direction accepte de revenir sur sa décision et consent à ce que le 45e BCC prenne l’appellation de Bataillon de Chars de la Gendarmerie par égard pour le prestige de l’arme(145). C’est par ce nom que les documents d’archives conservés à Vincennes dans le carton du 45e BCC désignent l’unité. Faute d’avoir sa propre grande unité, la gendarmerie réussit donc tout de même à associer son nom, et par là sa gloire, au bataillon qu’elle forme avec le concours de la direction de l’infanterie. Mais ce faisant, l’institution rejette au second plan la spécificité du groupe spécial qui demeure toujours l’essentiel vivier de recrutement des cadres du bataillon.
La double provenance des personnels de l’unité est rappelée à travers les uniformes adoptés par le bataillon. Le 4 mars 1940, deux mois avant le départ au front de l’unité, la tenue des formations combattantes de chars de combat est fixée par une note. Deux uniformes sont alors distingués puisque deux institutions comportent des unités blindées, un pour le personnel de l’infanterie et un pour les troupes de la gendarmerie. Si celui des chasseurs des chars de l’infanterie ne diffère en rien de la tenue qu’ils portent déjà, l’uniforme des gendarmes des chars mérite un commentaire. En effet, le Gouvernement décide que le personnel de l’arme servant dans les formations de chars d’assaut sera vêtu de la « tenue de campagne de la gendarmerie départementale »(146). En apparence, les gendarmes et gardes du 45e BCC ne doivent donc pas se distinguer de leurs collègues des autres formations de l’institution. Pour marquer leur appartenance à une unité blindée, le texte établit tout de même que leur tenue comporte les pattes de collet des chasseurs de chars et que le képi est facultatif, il est remplacé par le béret porté par les hommes des régiments de chars d’assaut. Cette décision est surprenante compte tenu du fait que le service dans les unités blindées exige le port d’une tenue spécifique dont les hommes du groupe spécial sont déjà dotés dans les années 1930 et qu’ils ne souhaitent en rien les échanger contre la tenue de campagne classique de la gendarmerie. Seule la volonté de l’arme de voir les hommes du 45e BCC porter son uniforme explique un tel choix. Autrement, la logique aurait voulu que la tenue adoptée s’apparente plutôt à celle des hommes du groupe spécial de Satory. Dans les faits, les hommes du 45e BCC portent tous la tenue des tankistes français durant la campagne de France, bien plus pratique et adaptée au besoin de leur service.
Le commandement de l’unité devant être assuré par un officier de l’arme, et l’encadrement, par les hommes de Satory, la caserne du groupe spécial est tout naturellement désignée pour recevoir le personnel du bataillon au complet. Or, il s’agit d’un véritable défi pour des bâtiments qui ne comportaient toujours pas assez de salles, en octobre 1938, pour loger les élèves-gardes et les pelotons de renfort(147) ! Faute de documents relatant l’installation des effectifs supplémentaires et comme il est peu probable que l’institution ait eu le temps de faire construire des nouveaux bâtiments, l’hypothèse la plus plausible est le recours à la solution habituelle lorsque des renforts imprévus sont reçus à Satory : en transformant des salles de cours, de démonstration et de transmissions en dortoir. Le 1er décembre 1939, date de la prise de corps du bataillon, un contingent de 331 hommes du dépôt de Vannes, comprenant deux officiers, 32 sous-officiers et 303 chasseurs, est acheminé vers Satory(148). L’intégralité de cet effectif n’est pas désignée pour des missions de combats, car une cinquantaine de sous-officiers et chasseurs remplissent des fonctions de services administratifs ou auxiliaires. De plus, 114 de ces hommes n’ont pas le permis de conduire et leur formation doit être achevée au groupe spécial avant la mobilisation du bataillon.
Quand le matériel ne suit pas
Une part très importante de l’instruction des membres de l’unité concerne la maîtrise d’un nouveau matériel. En tant que formation de combat, le 45e BCC se voit attribuer des chars différents de ceux que les hommes de Satory emploient traditionnellement : il s’agit des Hotchkiss modèle 1939, beaucoup plus modernes que les FT-17 du groupe spécial. Développé en 1938, contrairement à ce que pourrait laisser croire son appellation, le H39 n’est ni plus ni moins qu’une version plus rapide, légèrement mieux blindée et mieux armée du H35. Désigné comme devant être le char léger de l’armée française, le H39 est produit en masse dès la fin de l’année 1938 afin d’équiper dans les plus brefs délais les bataillons de chars légers. Au moment de sa création, aucun de ces chars n’étant encore disponible pour doter le 45e BCC dans l’immédiat, la dépêche ministérielle du 13 novembre 1939 précise que « la dotation réglementaire en chars 1935 H M 39 sera réalisée au fur et à mesure des sorties de fabrication » ! Toutefois, depuis la création du groupe spécial de la GRM, les hommes de Satory n’ont jamais eu l’occasion de s’entraîner sur du matériel moderne, si bien qu’aucun d’entre eux, à l’exception de quelques officiers peut-être, n’a fait l’expérience de la manœuvre ou du tir avec un autre char que le Renault FT-17. Cela n’échappe pas au ministère de la Guerre qui prescrit que « 1 capitaine, 3 lieutenants et 12 sous-officiers du dépôt de chars n° 505 connaissant le char 1935 H M 39 seront détachés comme instructeurs du bataillon n° 45 au dépôt 503 du 15 novembre au 1er janvier 1940 »…
Cependant, si les instructeurs arrivent bien en novembre, les chars H39 eux n’ont toujours pas montré le bout de leur canon à Satory à la fin de l’année. Le 30 avril 1939, le capitaine Bézanger est donc obligé de signaler à la direction de l’infanterie que « le bataillon de chars portant le n° 45 a bien été créé à Satory dans les conditions prévues. Le personnel désigné, appartenant à l’infanterie et à la gendarmerie, a rejoint en temps opportun le groupe spécial de la Ire légion de Garde républicaine mobile », mais que si les hommes sont en place, « en ce qui concerne la dotation de cette unité en matériel, aucun char 1935 H M 39 n’est encore parvenu à Satory »(149). Les chaînes de montage tournent pourtant à plein régime mais le retard français en matière d’armement et le peu de H39 produits depuis la fin de l’année 1938 ralentissent la distribution des moyens aux nombreux BCC qu’il faut équiper en même temps. L’état-major doit donc choisir quels bataillons il souhaite mettre sur pied en priorité pour décider ensuite comment répartir le matériel qui sort d’usine. En janvier 1940, le dépôt 505 de Vannes envoie trois chars H39 à Satory afin d’aider les hommes du groupe spécial à se former à l’usage d’engins plus rapides et modernes que leurs vieux FT-17. Répartis à raison d’un engin par compagnie pour l’instruction de la conduite, ces trois chars permettent aux hommes du bataillon de commencer à s’initier au maniement du H39(150).
Mais presque trois mois après la création du 45e BCC, celui-ci n’a toujours pas reçu de chars H39, et il n’est pas prêt de les recevoir car le haut commandement fait savoir à la direction de l’infanterie qu’elle doit prélever les chars justes sortis d’usine et destinés aux 40e et 45e BCC pour les attribuer au bataillon de chars polonais qui se forme, au même moment, au camp de Coëtquidan. Cette redistribution ayant une incidence directe sur l’instruction des hommes de Satory et sur leur capacité à combattre, le général directeur de l’infanterie s’empresse de le signaler à l’état-major dans une note datant du 28 février 1940. En se basant sur le calendrier de mobilisation initial, il montre qu’en raison du prélèvement des quinze chars H39 destinés au 45e BCC, il résulte que « le bataillon de chars n°45, dont la date de mobilisation avait été fixée au 15 mars 1940, ne pourra percevoir ses derniers chars qu’entre le 15 et le 31 mars. Il ne sera donc pas mobilisable avant cette date. Le bataillon qui devait être prêt pour partir aux armées le 31 mars 1940, subira également un retard de quinze jours et ne sera mobilisable que le 15 avril »(151). La décision du commandement est pourtant maintenue. D’autres retards dans la livraison des véhicules surviennent encore entre les mois de février et d’avril 1940. Dans un rapport sur le comportement du char Hotchkiss 1939 au cours des combats, rédigé par le chef d’escadron Bézanger après la défaite française, cet officier précise que, pour son bataillon, « le matériel fut livré à partir du 15 avril »(152), soit un mois plus tard que ce que le directeur de l’infanterie avait estimé en février 1940. Il n’est donc pas exagéré d’estimer que, sans le temps d’apparente inactivité de la drôle de guerre, le 45e BCC n’aurait jamais été prêt à combattre.
Moins d’un mois avant l’engagement de l’unité dans les combats de Stonne, la situation matérielle du bataillon n’est toujours pas réglée. D’après les informations données par le chef d’escadron Bézanger après la bataille de France dans son rapport sur le comportement du char H39 durant la campagne, le 45e BCC ne dispose de ses chars légers qu’à partir du 15 avril et « encore y eu-t-il un accroc », comme il le précise(153). En effet, « on constata en prenant livraison, que presque tous les patins de chenilles étaient fendillés ». Aussitôt signalée à la direction de l’infanterie, cette avarie trouve une solution de fortune grâce au remplacement des chenilles des H39 par celles, moins larges, de chars H35, « qui furent considérées comme suffisantes pour permettre au Bataillon de gagner la Zone des Armées et d’y faire son instruction pratique ». Ce remède censé être provisoire devient en fait définitif. Non sans une certaine pointe d’ironie résignée, le chef d’escadron Bézanger ajoute ainsi dans son rapport, « le 45e BCC fit bien entendu, toute la campagne avec ses chenilles d’instruction ».
Enfin, l’urgence de la situation commandant l’envoi express de chars aux BCC, les H39 du bataillon arrivent à Satory avec des composants manquants que les services de l’armée doivent leur installer dans la zone des armées. Dans le cas du 45e BCC, il s’agit d’un élément pourtant crucial pour la manœuvre de l’unité, les radios. En avril 1940, alors que la première compagnie du bataillon se trouve affectée en renfort à la septième armée, le capitaine Petit adresse un rapport sur l’effectif et le matériel de son unité au général commandant la 1er Division Légère Mécanique (DLM) dont il dépend temporairement. Sur les quinze chars placés sous son commandement, il relève que « 5 au total, sont munis de poste E.R.28 », l’émetteur-récepteur en usage dans les chars français. Les appareils ainsi équipés sont ceux du commandant de compagnie et des quatre chefs de section qui sont susceptibles de devoir donner des ordres à leurs subordonnés directs et d’en recevoir de leurs supérieurs. Mais « ces postes ne sont pas en état de fonctionnement. Les pièces manquantes doivent être fournies et l’achèvement de l’installation exécutée par les soins du parc de transmissions des Chars d’Issy-les-Moulineaux »(154). Comme pour les chenilles, le problème n’est en réalité pas réglé avant la montée en ligne du bataillon. La communication entre les unités du bataillon s’en trouve considérablement compliquée car, comme le raconte le commandant du bataillon, « dès que l’action est engagée et les ordres initiaux donnés, le Chef de Bataillon ne peut pratiquement pas rattraper ses unités, sauf sur les objectifs ou les zones de ralliement fixées à l’avance »(155). Les chefs des différents échelons du bataillon n’ont d’autre choix que de transmettre leurs ordres par motos ou de vive voix à leurs hommes, s’exposant par ce procédé au feu ennemi lorsqu’ils se trouvent au combat.
Les chars H39 sortant tout juste d’usine au moment où le bataillon s’entraîne au camp de Mourmelon, « certains d’entre eux n’avaient pas encore leurs 500 km permettant la première vidange d’huile ». Les équipages ne les maîtrisent pas et, le rodage des appareils n’étant pas terminé, il ne leur est pas possible de déceler à temps certains défauts pour essayer d’y remédier avant les combats. L’immense majorité des problèmes mécaniques auxquels le bataillon est confronté durant la bataille de Stonne est liée à des vices de fabrication ou de conception du H39 : il est trop tard pour changer quoi que ce soit. Et si les hommes du bataillon pâtissent des défauts du H39, tous ne jouissent pas de ses avantages. Une partie du bataillon quitte Boult-sur-Suippes avec un armement qui laisse à désirer. Les H39 que les hommes de Satory ont reçus sont équipés d’une arme précise et performante pour les standards de l’époque : le canon de 37 millimètres allongé, modèle 1939. C’est l’amélioration principale du H39 par rapport à l’ancien modèle H35 et l’un des seuls atouts qui peut jouer en faveur des chars légers français contre les modèles allemands, plus lourds. Sauf que le chef d’escadron signale que cette arme n’équipe pas tous les chars du bataillon, car « sur ordre du commandement, il dut passer un certain nombre d’appareils au 42e BCC, qui lui donna en échange des appareils munis de l’ancien canon de 37 »(156)…
Entre-temps, en décembre 1939, le général Billotte parvient à convaincre le général Gamelin de créer une troisième division cuirassée de réserve (3e DCR) pour augmenter la puissance de frappe française face aux dizaines de panzerdivisions qui se tiennent prêtes à l’attaquer. La création effective de cette division doit avoir lieu en mars 1940(157). Comme les deux premières DCR, la troisième division cuirassée de réserve s’articule autour d’une demi-brigade de chars lourds B1-bis, formée par les 41e et 49e BCC, et une demi-brigade de chars légers H39, forte des 42e et 45e BCC. Aux deux demi-brigades blindées s’ajoutent un bataillon de chasseurs portés, un régiment d’artillerie et les services de la division. L’action des hommes de Satory n’est désormais plus envisagée au sein d’un groupe de bataillons de chars de la gendarmerie, mais elle est au contraire conçue au cœur d’un dispositif mettant en avant l’action offensive des chars. Sur le plan de l’instruction, cela signifie que les hommes du 45e BCC doivent découvrir, dans des délais très brefs, la tactique et la manœuvre des bataillons de chars agissant massivement et de concert, contrairement à la doctrine de l’accompagnement de l’infanterie que les hommes du groupe spécial ont étudiée durant des années 1930. Lorsque l’occasion s’offre enfin au 45e BCC de combattre, en mai 1940, c’est donc une unité encore mal préparée, mais qui a réussi sa transformation, qui s’ébranle, avec une division encore en cours de création vers le front.
Au combat avec la 3e DCR : l’épreuve des faits
Le parcours du 45e bataillon de chars de la gendarmerie durant la campagne de mai-juin 1940 est connu. De nombreux articles de passionnés et d’historiens de l’arme, comme celui publié par le chef d’escadron Dagnicourt, en 2008(158), en font le récit par le menu. La participation du bataillon de chars, en mai 1940, à la bataille de Stonne intéresse particulièrement ces auteurs. Cette page glorieuse, et très largement méconnue du grand public, permet d’évoquer les combats de la bataille de France sous un jour nouveau. Il serait peu pertinent de relater ici l’intégralité des mouvements et actions du bataillon de chars de la gendarmerie entre le 10 mai et le 17 juin 1940. Les conditions dans lesquelles l’unité entre dans la bataille, tant sur le plan de l’équipement que de la stratégie méritent cependant d’être présentées pour comprendre comment et dans quelles circonstances elle a vécu la plus totale des défaites militaires françaises.
Mais pour l’état-major, l’urgence est au déploiement de ses forces blindées et non à des tergiversations sur des considérations matérielles. Un BCC qui peut rouler peut combattre ! Dès que le bataillon de chars de la gendarmerie commence à entrer en possession de ses blindés, le haut commandement décide d’envoyer certains de ses éléments dans la zone des armées. Ainsi, la première compagnie du bataillon, commandée par le capitaine Petit, l’un des officiers du groupe spécial passé dans la gendarmerie départementale en 1938 et volontaire pour servir au 45e BCC en 1939, est détachée du reste de l’unité pour former une compagnie de chars autonome dont la mission est d’aller appuyer la septième armée. Le 15 avril 1940, la première compagnie, renforcée par la section de remplacement de la compagnie d’échelon, embarque à la gare de Versailles-Matelot en direction du Pas-de-Calais(159). Elle représente alors un convoi de quinze chars H39, à raison de quatre pelotons de trois engins, deux voitures de liaison, six camionnettes, six camions et quatorze motos side-car(160). Le 16 avril, la compagnie autonome s’installe dans le village de Heuringhem où elle reste jusqu’à la fin du mois. Au cours de la deuxième quinzaine d’avril, les quatre sections de chars et la section de DCA de l’unité se familiarisent autant que possible avec leur matériel neuf en exécutant des manœuvres à Laires et des tirs à Calais. La septième armée semble vite pouvoir se passer des éléments du bataillon et le trente avril, l’unité est mise en route vers l’est de la France pour rejoindre le reste du BCC(161). Ce séjour dans la zone des armées offre à la première compagnie l’occasion d’acquérir une meilleure expérience du char H39 que le reste du bataillon.
En effet, les autres compagnies stationnent à Satory le temps d’être, elles aussi, équipées en chars jusqu’au 28 avril, date à laquelle elles s’ébranlent en deux convois, l’un par train et l’autre par route, qui se dirigent respectivement vers Reims et Meaux(162). De là, elles gagnent la zone de la deuxième armée commandée par le général Huntziger au sein de laquelle la troisième division cuirassée figure en tant qu’unité de réserve générale. Entre le 29 et le 30 avril, les différents éléments du bataillon arrivent dans la commune de Boult-sur-Suippes, dans la Marne, où le poste de commandement et les services du bataillon établissent leurs quartiers. Une fois sur place, profitant de la proximité du camp de Mourmelon, le commandant de la 3e DCR y envoie la deuxième compagnie du capitaine Delpal et la troisième compagnie du capitaine Pobet afin de pousser l’instruction de leurs hommes. Entre le 7 et le 12 mai, les tankistes du 45e BCC sont donc soumis à un rythme effréné que le chef d’escadron Bézanger qualifie de « cycle minimum d’instruction pratique »(163) dans un autre rapport publié après les combats de 1940 et portant, lui, sur les opérations de la division cuirassée. Au 12 mai, les équipages des chars de toutes les compagnies ont ainsi « pu exécuter une marche de nuit, quelques séances d’école de section aux petits terrains de Bétheny et de la Ferme de l’Espérance, un seul tir sur cible au camp ». Même si le personnel est au complet, le commandant du bataillon estime qu’il n’est pas prêt à être engagé au combat et le fait savoir au commandement de la division lorsque celui-ci fait mobiliser l’unité le 13 mai. Mais les événements ont déjà rattrapé les hommes de Satory, car la situation de la bataille à laquelle se livrent Français et Allemands au nord de Sedan est alors critique. Le 10 mai 1940, l’armée allemande déclenche le Plan Jaune, attaquant simultanément les forces alliées aux Pays-Bas et par les Ardennes. L’état-major de l’armée, qui ne s’attendait pas à ce que s’ouvre cette deuxième route d’invasion, est contraint de mettre en œuvre toutes les forces dont il dispose dans la région de la Marne car une importante partie des troupes françaises disponibles dans le Nord de la France sont déjà parties livrer bataille aux Pays-Bas et en Belgique.
Pourtant, Sedan a déjà été, à deux reprises, la ville par laquelle le malheur arrive. En 1870 et en 1914, les Allemands avaient lancé leur offensive dans sa direction et y avaient porté de rudes coups à l’armée française. En 1940, Sedan est, une fois encore, le défaut dans l’armure, car la ville est située à la charnière des deuxième et neuvième armées françaises. Le couloir des Ardennes ayant été jugé impraticable par le haut commandement français, seules des divisions d’infanterie de série B, c’est-à-dire formées de réservistes et d’appelés, sont placées en couverture de la ville. C’est pourquoi le 10 mai, les troupes françaises des 55e et 71e divisions d’infanterie ne sont absolument pas prêtes à affronter l’assaut des troupes blindées allemandes passées par le massif ardennais(164). En trois jours, les fantassins français sont violemment bousculés par les panzerdivisions du général von Kleist qui atteignent puis dépassent Sedan le 14 mai. Aussitôt informé de la percée allemande, l’état-major craignant de voir le front se rompre et la route vers Paris s’ouvrir, il demande au général Georges, qui commande alors le groupe d’armée nord, de lancer une contre-offensive pour endiguer le flot des panzers. Le général Georges prépare donc un plan d’attaque pour le 14 mai dont le point de départ se situe dans la région du village de Stonne. En guise de fer de lance, il choisit de faire appel aux unités de la deuxième armée placées en réserve, seules capables de soutenir le choc contre les blindés allemands. Sur son ordre, le général Flavigny prend la tête du 21e Corps d’Armée (CA), une force motorisée et mécanique consistant en trois divisions, la 3e Division Cuirassée de Réserve du général Brocard, relevé le 15 mai par le général Buisson, la 3e Division d’Infanterie Motorisée (DIM) du général Bertin-Boussu et la 5e Division Légère de Cavalerie (DLC) du général Chanoine. Dès le 12 mai au soir, les chefs de toutes les unités du corps d’armée Flavigny sont convoqués d’urgence au poste de commandement de leur division pour recevoir l’ordre de mise en route vers Stonne.
La troisième division cuirassée est alors loin d’être prête à l’action. Pour le spécialiste de l’arme blindée française Gérard Saint-Martin, le 10 mai, la 3e DCR « n’est ni rodée, ni soudée »(165). Au manque de préparation tactique de la division s’ajoutent de nombreuses absences en termes de matériel ou de personnel dans la plupart de ses unités organiques. Par exemple, la première compagnie du capitaine Dublineau appartenant au 42e BCC se trouve en Norvège avec le corps expéditionnaire allié et ne participera pas aux combats en France. Le 16e BCP (Bataillon de Chasseurs Portés) n’est en fait qu’à moitié porté puisqu’il « ne possède que 50 % de ses véhicules de combat tous terrains ; il n’a pas de peloton d’automitrailleuses, ni de peloton d’éclaireurs motocyclistes »(166). Au total, la division ne compte que 140 chars de combat lourds et légers sur les 170 qu’elle devrait aligner. Dans son ouvrage sur la bataille de Stonne, Jean-Paul Autant signale de plus qu’outre « l’inexistence du dépannage tout terrain, du ravitaillement mobile en munitions et carburant, la 3e DCR ne dispose d’aucune compagnie du génie pour lui aménager les passages en cas de nécessité. L’escadrille de reconnaissance [aérienne] prévue au sein de la 3e DCR n’y figure pas, et sa batterie antichar est purement théorique : elle n’existe pas »(167). La troisième division cuirassée est donc encore très incomplète lorsqu’elle monte en première ligne le 13 mai 1940. Le même aspect d’impréparation se dégage de l’état du 45e BCC.
En ce qui concerne le bataillon de chars de la gendarmerie, les hommes n’ont alors participé à aucune manœuvre avec l’infanterie ou avec les autres éléments de la DCR. Ils ne sont absolument pas prêts à prendre la tête d’une offensive blindée. Sur le plan du matériel, le bataillon n’est pas au complet, car il lui « manquait les appareils de dépannage de la compagnie échelon (porte-chars), une citerne et des trousses d’armement passées au dernier moment à une autre division cuirassée ». Constituée tardivement, la troisième division cuirassée de réserve sert en effet à aligner les deux premières divisions cuirassées sur leur dotation réglementaire. Une partie de son matériel est donc reversée aux autres DCR peu avant qu’elle ne monte au front. De plus, les nombreux défauts liés à la conception des chars français viennent s’ajouter au tableau déjà évoqué mais il n’est pas nécessaire d’en faire la liste exhaustive pour comprendre que le bataillon de chars de la gendarmerie n’est pas avantagé matériellement lorsqu’il s’élance vers Stonne et entre dans la bataille le 14 mai. Aussi bien les équipages de chars que les mécaniciens de l’unité du chef d’escadron Bézanger, tous livrent, entre le 14 mai et le 16 juin 1940, des combats acharnés de la colline de Stonne jusqu’à la ville de Saulieu où l’essentiel de la division est capturé par les Allemands. S’il serait trop long de retracer en détail le parcours du 45e BCC, il ressort toutefois de l’analyse de son expérience que la préparation matérielle de l’unité ne lui permet pas de remplir le rôle d’une unité de division cuirassée au sens où le haut commandement l’entend quand il la lance dans la bataille.
Au lendemain de la bataille de France, dans un pays encore traumatisé par la défaite et occupé par l’Allemagne, le chef d’escadron Bézanger revient, dans deux rapports successifs destinés au cabinet du ministre de la guerre, sur la façon dont son unité est employée et s’est comportée pendant les mois de mai et juin 1940. L’un des points essentiels qu’il soulève dans son propos est l’absence, déjà signalée, de radios. De ce fait, le commandant du bataillon estime que le 45e BCC « ne se différenciait pas d’un autre bataillon non endivisionné en division cuirassée ». En effet, dès lors que les liaisons n’étaient pas assurées verticalement, du commandant du corps d’armée jusqu’aux chefs de char, et horizontalement, avec les unités voisines, il n’a pas été possible d’envisager l’exécution d’une manœuvre d’ensemble, comme l’offensive à laquelle était destiné le 21e CA. L’absence de communications radios conduit à des retards dans la transmission des ordres dont les effets peuvent être tragiques, comme le 14 mai, où des éléments français isolés déclenchent l’offensive prévue la veille, alors qu’elle a été annulée entre-temps, et attaquent donc sans aucun soutien(168). De même, au matin du 15 mai, les hommes de Satory ont la surprise de voir des automitrailleuses françaises surgir de Stonne dans leur direction, alors qu’ils pensent que seules des troupes allemandes occupent le village(169). Pour cette raison, c’est sans surprise que la contre-attaque, prévue pour le 14 mai, est repoussée à deux reprises les jours suivants, en raison des retards dans la mise en place des unités, pour être finalement abandonnée le 17 mai, privant l’armée française de sa seule chance de fermer la brèche de Sedan par laquelle s’engouffre le corps blindé allemand. L’historien allemand Karl-Heinz Frieser juge rétrospectivement qu’à ce moment-là, la France a manqué de peu son rendez-vous avec une victoire potentielle. La mission première du corps d’armée est donc abandonnée et ses éléments ne mènent plus, à partir du 15 mai, qu’une bataille d’arrêt.
Du 17 au 25 mai 1940, les bataillons de chars de la division du général Buisson sont fractionnés par sections et renforcés avec de l’infanterie pour former des barrages sur les différents itinéraires de la région de Stonne. De cette manière, les troupes françaises interdisent aux éléments d’infiltration allemands de s’aventurer au sud de la ligne de front du 21e CA et, au terme d’une bataille d’une grande violence, le général Buisson peut féliciter ses unités de la 3e DCR d’avoir « brisé la ruée d’un ennemi très supérieur en nombre sur une position capitale pour la manœuvre du commandement »(170). Mais ce résultat ne doit pas faire oublier qu’à l’origine la division est placée en tête d’une contre-offensive française en direction de Sedan qui, elle, n’a jamais eu lieu. Sur le plan stratégique, la bataille de Stonne s’achève donc plutôt à l’avantage des Allemands, car, si la bataille est coûteuse en effectifs pour eux, elle n’empêche nullement les panzerdivisions de poursuivre leur grand mouvement tournant pour prendre à revers l’armée française et donner ce « coup de faucille » entre Sedan et Dunkerque qui leur assura la victoire. Ainsi, en quelques jours à peine, le bataillon de chars de la gendarmerie, d’abord fer de lance, devient cuirasse pour couvrir les assauts des fantassins français. Comme c’était le cas pour le maintien de l’ordre, les hommes de Satory font un usage de leurs chars limité par la tactique que définit, ici, le général commandant le corps d’armée. Cantonnés à des missions d’accompagnement de l’infanterie, ils ne livrent pas avec leurs chars la bataille à la vitesse du moteur dont rêvaient le colonel De Gaulle et les penseurs de la division cuirassée. C’est en tout cas le constat du rapport du lieutenant Bonardi, adjoint technique à l’état-major du bataillon, après la bataille de France : « À aucun moment le bataillon n’a fait un combat de division cuirassée. Toutes les actions ont revêtu l’aspect classique du combat d’infanterie-chars ou bien l’allure de coup d’arrêt sans profondeur »(171). Sur près de deux mois de combats, l’officier recense à peine cinq journées au cours desquelles le bataillon prend part à des assauts menés par des groupements de chars assez importants, celle des 15, 16 et 23 mai et celles du 10 et du 12 juin.
En définitive, la troisième division cuirassée n’a pas eu l’a possibilité de jouer le rôle qu’elle aurait dû avoir à Stonne. Jetée bien trop tôt dans la mêlée, elle devient, sur le terrain, une réserve d’unités blindées dont l’infanterie dispose pour appuyer ses actions défensives. Les limites de l’équipement et de la préparation tactique du 45e BCC sont révélatrices de l’impréparation de la grande unité à laquelle il appartient. Pour autant, ces troupes n’ont en rien démérité, si l’on considère les conditions matérielles dans lesquelles elles sont envoyées au combat. Gérard Saint-Martin cite d’ailleurs les propos d’un officier allemand pour qui, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, trois batailles sont inoubliables, celles de Stonne, de Stalingrad et de Montecassino(172). La retraite qui s’amorce ensuite pour les unités du 21e CA se révèle tout aussi dangereuse à cause des blindés allemands qui talonnent sans cesse les Français et parfois les devancent. S’impliquant à fond dans un engagement majeur, les hommes du 45e bataillon de chars de la gendarmerie n’ont ménagé ni leurs efforts, ni leurs montures.
Au moment de sa capture à Saulieu, le 17 juin 1940, il ne reste plus au bataillon aucun char en état de fonctionnement sur les quarante-cinq dont il était équipé à son arrivée à Stonne. Près d’une centaine d’hommes sont morts, blessés ou portés disparus. Plusieurs faits d’armes, comme ceux du lieutenant Pichard ou de l’adjudant-chef Guichard, tous deux issus du groupe spécial, témoignent également de l’engagement intensif du 45e BCC, de la valeur de ses membres, et, au-delà, de la militarisation réussie du groupe spécial blindé de Satory. De plus, les journées de mai et juin 1940 sont l’occasion pour les hommes de la gendarmerie de prouver qu’ils sont à la hauteur du rôle d’unité d’élite que le haut commandement leur a conféré en les intégrant à une division cuirassée. Consciente de ce rôle, l’arme a veillé très tôt à ce que la gloire du 45e BCC rejaillisse sur toute l’institution et devienne emblématique non pas seulement de l’implication au combat du groupe spécial de la GRM mais bien de toute la gendarmerie.
* * *
Au cours de la campagne de France, ce n’est pas seulement le port des mêmes uniformes qui a achevé de donner sa cohésion au bataillon, mais les épreuves que les hommes de l’infanterie et de la gendarmerie partagent côte à côte. En 37 jours de combats, l’unité a pu se souder. En particulier, les volontaires issus de la gendarmerie départementale se montrent aussi vaillants que leurs camarades du groupe spécial ou du 505e RCC. Dans le carton contenant les archives du bataillon de chars de la gendarmerie, le lecteur peut trouver huit rapports de proposition de décoration d’hommes de l’unité rédigés par le chef d’escadron Bézanger. Sur ces huit propositions, quatre concernent des hommes issus de la gendarmerie départementale volontaires pour servir au 45e BCC. C’est donc autant le souvenir de la valeur des hommes de la gendarmerie départementale que de ceux du groupe spécial que l’ancien chef du bataillon souhaite mettre à l’honneur au lendemain des combats. De même, le monument construit à Versailles, le 6 juillet 1946, puis an plus tard, la citation de l’unité à l’ordre de l’armée le 17 novembre 1947, confondent tous deux en un seul symbole les actions des chasseurs et des gendarmes du bataillon. Cependant, tour étrange de l’histoire, alors que la sous-direction de l’arme a insisté, en 1939, pour bien marquer le fait que le 45e BCC n’était pas le représentant direct du groupe spécial blindé mais celui de toute l’institution, c’est l’unité descendant du groupe de Satory qui hérite du prestige du bataillon de chars. Dissoute après l’armistice en septembre 1940, puis reconstituée en novembre 1944, la formation blindée de Satory perpétue encore aujourd’hui le souvenir du 45e BCC dans sa salle de tradition.
Conclusion
En sept années d’existence, de 1933 à 1940, le groupe spécial blindé de la Garde républicaine mobile s’impose comme un élément incontournable du dispositif gendarmique en Île-de-France. Né dans un contexte d’expérimentation en matière de police des foules, cette unité fait d’abord figure de force placée directement dans la main du Gouvernement. Son potentiel répressif n’est pas négligeable : une soixantaine d’engins blindés. Le groupe spécial constitue le dernier recours du pouvoir politique ‒ avant l’engagement des troupes classiques ‒ si des troubles graves mettent en danger le régime. Mobilisé lors de l’offensive antiparlementaire du 6 février 1934, il est cependant maintenu hors de l’action. Dans les faits, les autorités destinent ce corps particulier à d’autres missions que celle de fendre la foule tout canon dehors.
L’organisation du groupe spécial en dit long sur la conception que les dirigeants se font de son rôle. Sa dotation en matériels blindés et en véhicules divers très nombreux au regard du personnel disponible témoigne du caractère expérimental d’une formation dont les besoins réels ne sont pas clairement perçus. En créant une réserve de gendarmes équipés de chars et d’automitrailleuses, les autorités veulent d’abord se doter d’une force de frappe fiable et discrète pour renforcer le dispositif policier et militaire de la région francilienne. Les missions attribuées au groupe la désigne plus comme une unité d’appoint pour les gardes mobiles de la légion chargée de la police de la route et du transfert des détenus, que comme une troupe de confiance destinée à protéger, au-delà, les intérêts du pays. La lenteur de ses chars FT limite considérablement les possibilités de déplacement de l’unité hors de l’Île-de-France. Le groupe spécial reste une force attachée à un territoire très circonscrit.
Le choix d’établir le groupe spécial au sud de Versailles répond à une double volonté. Il s’agit d’abord de permettre aux hommes de Satory de réagir très rapidement en cas de troubles sans résider pour autant dans un espace parisien placé sous l’autorité de la Préfecture de Police et qui dispose déjà de la Garde républicaine de Paris. Conscient de la vieille hostilité des habitants de la capitale à l’introduction de nouvelles troupes, le Gouvernement choisi une implantation qui n’est pas sans rappeler la démarche d’Adolphe Thiers à propos des unités chargées de réprimer la Commune en 1871. Une fois de plus, le salut du pouvoir face à la foule parisienne passerait potentiellement par Versailles si la Garde républicaine de la capitale ne pouvait pas assurer seule la protection du régime. L’isolement de la caserne de Satory permet ensuite au groupe spécial de réaliser sur son terrain de manœuvre des essais de matériel secrets. Le caractère confidentiel de l’unité prend alors toute sa mesure. Les hommes du groupe apparaissent à la fois comme des acteurs et des garants du secret militaire français en Île-de-France. Ils escortent, en plus, les convois de munitions et de matériels. Réunis au sein d’un peloton d’escorte, certains d’entre eux participent également à la protection des hautes personnalités au cours de leurs déplacements sur le territoire national.
C’est dire que le gouvernement doit s’assurer de la loyauté sans faille de ces gardes mobiles particuliers. Coupés de la société civile, ils sont moins exposés aux propagandes antiparlementaire et antimilitariste. Mais cet éloignement n’est pas sans inconvénient : il prive les personnels et leurs familles des nombreux avantages de la ville, comme les commerces et les lieux de loisirs. Dans leurs rapports sur le moral de leurs troupes, les commandants de compagnie de l’unité n’hésitent pas à qualifier d’ennuyeuse la vie quotidienne de leurs hommes. Les seules relations sociales sont effectivement professionnelles, nouées avec les militaires des corps de troupe voisins avec qui les gardes travaillent, comme ceux du 503e RCC ou du 24e RI. De ce fait, le groupe spécial évolue dans un environnement exclusivement militaire qui contribue, à la fois, à développer des liens privilégiés avec les garnisons voisines et à créer un esprit de corps au sein de l’unité. Un tel dispositif peut surprendre au regard de l’orientation policière de la gendarmerie depuis les années 1920.
Depuis que la Garde républicaine mobile est devenue le principal acteur du maintien de l’ordre en France, à partir de la fin des années 1920, ses cadres se livrent à diverses expérimentations en matière de police des foules. L’instruction confidentielle de 1930 sur le maintien de l’ordre jette les bases d’une doctrine qui reste valable tout au long de la décennie. L’expérience unique et singulière du groupe spécial n’y change rien. Bien que les officiers de cette unité profitent de son isolement pour en faire un laboratoire de l’apport des blindés dans des opérations de maintien de l’ordre, ce nouveau savoir-faire n’est pas intégré à la doctrine officielle de la Garde républicaine mobile. Cette force ignore ce nouvel élément de son arsenal qu’elle considère, avec raison, comme trop dangereux et trop éloigné de l’esprit dans lequel elle entend opérer face aux foules. Trop militaires et meurtriers, les chars et les automitrailleuses du groupe spécial de Satory n’ont pas leur place dans les pratiques imaginées par la GRM pour maintenir l’ordre en essayant de réduire la violence publique. Les hommes de Satory ne sont pas pour autant exclus du dispositif policier de la région francilienne, mais quand ils participent à des opérations de police des foules autour de Paris, c’est sans leurs véhicules blindés : ils interviennent comme de simples pelotons à pied.
Frustrantes, sur le plan professionnel, les activités policières classiques imposées au groupe spécial constituent-elles un handicap pour l’unité ? Les nombreuses sorties exigées par les opérations de maintien de l’ordre ralentissent l’instruction militaire d’un corps qui se sent plus proche des tankistes que des gardes mobiles d’Île-de-France. La situation change lorsque, comme toutes les autres troupes de la GRM, le groupe spécial est appelé, en application de la circulaire de 1935 sur l’instruction militaire de l’arme, à jouer un véritable rôle au sein des forces armées françaises. Une partie des gardes et des gradés de la GRM sont désormais formés pour pouvoir encadrer et instruire des unités de l’armée d’active ou de réserve. Ce corps fait par ailleurs office de réserve de cadres en cas de conflit. Tandis que les hommes des pelotons à pied et à cheval de la première légion de GRM participent à l’instruction des unités de cavalerie et d’infanterie de la région, les gardes du groupe spécial interviennent dans celle des soldats d’une formation récente et encore mal intégrée des troupes françaises : les chars d’assaut.
Dans ce domaine, l’activité du groupe se révèle bien plus valorisante. Les militaires de Satory se montrent très soucieux de donner une image de soldats d’élite aux hommes des autres corps de troupe lorsqu’ils travaillent avec eux. Les officiers s’estiment très satisfaits de voir que grâce aux missions d’instruction des recrues des garnisons voisines, la Garde républicaine mobile et l’arme dans son ensemble trouvent un prestige nouveau aux yeux des autres branches de l’armée.
De manière générale, les formations de chars d’assaut dans les années 1930 sont surtout envisagées comme ayant essentiellement une fonction de corps d’accompagnement de l’infanterie. La révolution des blindés est mal perçue par un haut-commandement français qui a gagné ses galons dans la boue de la Marne ou de Verdun. Pour les cadres traditionnels de l’infanterie et de la cavalerie les chars et les automitrailleuses doivent être cantonnés dans des fonctions d’accompagnement et de couverture à l’écart des grandes opérations de rupture et d’exploitation. De plus, la volonté de pacifisme affichée par la France dans sa politique extérieure jusqu’en 1933, n’est pas compatible avec le développement d’une armée blindée, dont le caractère est avant tout offensif. C’est pour cette raison que dix milliards de francs sont enterrés dans la ligne Maginot, incarnation d’une stratégie défensive, alors qu’il aurait suffi de trois milliards pour mettre sur pied l’armée de métier prônée par le lieutenant-colonel de Gaulle. Le peu d’intérêt porté à la création d’une force blindée capable d’action autonome se traduit, dans les faits, par la quasi-inexistence d’une doctrine d’emploi des chars d’assaut et les automitrailleuses jusqu’au milieu des années 1930. Lorsque l’appareil doctrinal s’étoffe, enfin, le groupe spécial, qui ne dépend pas de la sous-direction des chars, éprouve de grandes difficultés à suivre les évolutions. Vite dépassé par les avancées techniques des blindés de l’armée française à partir de 1935, son matériel freine également ses interventions dans la formation de cadres pour les unités blindées.
Sur le plan militaire comme sur le plan policier, le groupe spécial semble dépourvu soit des moyens, soit d’une doctrine d’emploi adaptés à ses ambitions. Plus que dans toute autre unité de la gendarmerie, la double vocation policière et militaire s’avère contradictoire en raison de la singularité de l’armement employé. La spécificité du groupe spécial explique qu’ils sont, en 1939, la seule unité de l’arme autorisée à fournir une unité combattante. La transformation d’une partie de ses hommes en cadres d’un bataillon de chars de combat métamorphose des gardes, discrets en temps de paix, en symbole de militarité, au sens traditionnel du terme, de l’institution. Le parcours de ce bataillon durant les combats de mai-juin 1940 prouve d’ailleurs la réussite de la militarisation de l’unité dont il est issu malgré les nombreux retards doctrinaux et matériels.
Une nouvelle force blindée de la gendarmerie est recréée, par étapes, à partir de 1944. Appelée, dès 1951, premier groupe blindé de la Garde républicaine, elle prend en 1954, le nom de premier groupement blindé de la gendarmerie mobile (GBGM). Toujours basée à Satory, cette unité est dotée d’engins militaires modernes pour les époques considérées, par exemple, au cours des années 1960, de half-tracks, d’automitrailleuses légères (AML), de véhicules blindés à roue de la gendarmerie (VBRG), puis de véhicules blindés de combat (VBC). Le double contexte de la Guerre froide et de la Guerre d’Algérie a contribué au développement de l’héritier du groupe spécial d’avant 1939 et favorisé l’émergence d’une vraie doctrine d’emploi. Le GBGM est conçu comme une réserve gouvernementale utilisable lorsque les forces habituellement chargées du maintien de l’ordre sont dépassées, et si le recours aux troupes classiques n’est pas jugé indispensable ou possible. Ainsi ce corps est-il, par exemple, déployé en unité constituée, en avril 1961, pour protéger plusieurs rouages de l’État après le putsch d’Alger. En 1973, il est intégré comme unité combattante, dans la Défense opérationnelle du territoire (DOT), dont l’ensemble de la gendarmerie devient le principal instrument à partir de 1984 et de 1986. L’impressionnante quantité d’archives disponibles, au Service Historique de la Défense (SHD), sur le destin de l’unité blindée de la gendarmerie reconstituée en 1944 autorise à conclure cette recherche pionnière par un appel à de nouveaux travaux.
Bibliographie
Sources
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Les images du cahier central proviennent du musée de la gendarmerie à Melun (77) excepté le portrait du colonel Bézanger qui provient musée du 1er Groupement blindé de gendarmerie mobile à Satory (78)
(1) L’Humanité, 6 février 1934, p. 2, cité par Yann Galera, La garde républicaine mobile à l’épreuve du 6 février 1934, Millau, SHGN, 2003, p. 81.
(2) Yann Galera, ibid, p. 80.
(3) Parmi les travaux collectifs produits au sein du chantier ouvert dans cette université depuis seize ans, dans le cadre d’une convention avec la DGGN et en partenariat avec le SHGN, puis avec la SNHPG, on citera, notamment Jean-Noël Luc (dir.), Gendarmerie, État et société au XIXe siècle, Paris, Publication de la Sorbonne, 2002, 510 p., Id (dir.), Soldats de la loi. La gendarmerie au XXe siècle, Paris PUPS, 2010, 508 p. Et Arnaud-Dominique Houte et Jean-Noël Luc (dir.), La gendarmerie dans le monde, de la Révolution française à nos jours, Paris, PUPS, 2016, 413 p.
(4) Jean-Marc Berlière, « Du maintien de l’ordre républicain au maintien républicain de l’ordre ? Réflexions sur la violence », Genèses, n° 12, mai 1993, Maintenir l’ordre, pp. 6-29.
(5) Patrick Bruneteaux, Maintenir l’ordre, Mayenne, Presse de Science-Po, 1996, pp. 85-86.
(6) Les matériaux de ce paragraphe sont empruntés à Georges Philippot (général), « La garde républicaine mobile dans l’Est de la France (1935-1940) : d’une militarité de statut à une militarité d’emploi », in Jean-Noël Luc (dir.), Soldats de la loi, Paris, PUPS, 2010, pp. 135-148.
(7) La question divise la presse corporative en 1936 et 1937. Le Progrès de la Gendarmerie dénonce une poussée de « militarité aiguë » ; L’Écho de la gendarmerie rappelle que les membres du corps sont « aussi militaires mais surtout policiers » ; La Voix de la Gendarmerie propose une solution alternative : « militaires oui, mais fonctionnaires aussi ». Voir à ce sujet Jérémiah Erviel, « Ni bolchévisme, ni nazisme, ni fascisme, ni d’autres farces en -isme. Les gendarmes français face à la crise des années trente », Histoire, Économie & Société, « Histoire de la force publique aux XIXe et XXe siècles », sous la direction de Jean-Noël Luc et Laurent López, n° 4-2013, p.35.
(8) Georges Carrot, Le maintien de l’ordre en France au XXe siècle, Henry Veyrier, Paris, 1990, p. 39.
(9) Jean-Noël Luc, Frédéric Médard (dir.), Histoire et dictionnaire de la gendarmerie... , Jacob-Duvernet, Paris, 2013, p. 500, et Simon Fieschi, « Les gendarmes en Corse, 1927-1934 », in Jean-Noël Luc, Soldats de la loi, op.cit., p. 117.
(10) Yann Galera, La Garde républicaine mobile..., op. cit., p. 29.
(11) Plan de mobilisation du groupe spécial N° 23/4S par le capitaine Monmasson, 1936, G-SHD, 2007 ZM 1/ 5793.
(12) Rapport n° 35/4S du capitaine Meygret-Collet sur l’état d’esprit de la 2e compagnie du groupe spécial pour l’année 1935, 2 décembre 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(13) Renseignements n° 12/4 donné par le capitaine Monmasson en réponse au questionnaire 132/B du général Inspecteur du 1er arrondissement de gendarmerie, 8 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(14) Rapport n° 8/4S du capitaine Monmasson sur des renseignements demandés, 19 juin 1937, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(15) Rapport n° 6/4S du capitaine Monmasson sur des renseignements demandés, 3 juin 1937, G-SHD, 2001 ZM 1 / 5793.
(16) Rapport n° 15/4S du capitaine Monmasson sur des renseignements demandés, 4 juillet 1936, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(17) N° 9/4, Services de la GRM, 1938, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(18) N° 9/4, Services de la GRM, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(19) Rapport n° 4/4 de l’adjudant Laury sur des renseignements demandés par note n° 455/2 du 8 octobre 1935 du général de division, inspecteur du 1er arrondissement de gendarmerie, 3 décembre 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(20) Rapport n° 12/4S du capitaine Delpal, 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(21) Rapport n° 13/4S du capitaine Delpal, 20 mai 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(22) Rapport n° 35/4S du capitaine Meygret-Collet sur l’état d’esprit de la 2e compagnie du groupe spécial, 2 décembre 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(23) Rapport n° 8/4S du capitaine Monmasson sur des renseignements demandés, 19 juin 1937, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(24) Rapport n° 17/4S du capitaine Meygret-Collet sur l’état d’esprit de la 2e compagnie de chars pour l’année 1936, 1er décembre 1936, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(25) Rapport n° 9/4S du capitaine Meygret-Collet sur l’état d’esprit de la 2e compagnie de chars pour l’année 1937, 26 novembre 1937, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(26) Rapport n° 23/4 du capitaine Monmasson sur l’instruction de la 1re compagnie, 7 juin 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(27) Voir la démonstration de Patrick Bruneteaux sur l’invisibilité des forces de l’ordre à partir des années 1930 dans Maintenir l’ordre, op. cit., p. 117.
(28) Rapport n° 8/4 du capitaine Monmasson sur l’état d’esprit de la 1re compagnie, 30 novembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(29) Rapport n° 12/4S du capitaine Delpal sur l’état d’esprit de la 2e compagnie, 8 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(30) Rapport n° 15/4S du lieutenant Petit, commandant provisoirement la 2e compagnie de chars, sur l’instruction pendant l’année 1935-1936, 7 septembre 1936, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(31) Rapport n° 7/4S du capitaine Meygret-Collet sur l’état d’esprit des cadres et de la troupe de son unité, 20 octobre 1938, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(32) Compte-rendu n° 7/4S du lieutenant Petit sur l’instruction en matière de contre-espionnage, 3 décembre 1937, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(33) État statistique n° 222/2 du capitaine Monmasson faisant connaître les renseignements sur l’effectif de la 1re compagnie de chars pour l’établissement des statistiques du service de santé (deuxième trimestre 1938), juillet 1938, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(34) Rapport n° 4/4 de l’adjudant Laury sur des renseignements demandés, 5 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(35) Rapport n° 35/4S du capitaine Meygret-Collet sur l’état d’esprit de la 2e compagnie, 2 décembre 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(36) Rapport n° 17/4S du capitaine Meygret-Collet sur l’état d’esprit de la 2e compagnie, 1 décembre 1936, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(37) Rapportn° 6/4S du capitaine Monmasson sur des renseignements demandés, 3 juin 1937, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(38) Rapport n° 8/4S du capitaine Monmasson sur des renseignements demandés, 19 juin 1937, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(39) Rapport n° 15/4S du capitaine Monmasson sur des renseignements demandés, 4 juillet 1936, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(40) Rapport n° 10/4 de l’adjudant Laury sur l’état d’esprit des militaires du peloton pour l’année 1936, 8 décembre 1936, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(41) Rapport n° 340/2 du capitaine Monmasson sur la situation matérielle et morale des gradés et gardes, 20 octobre 1938, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(42) Rapport n° 6/4S du capitaine Monmasson, 3 juin 1937, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(43) Rapport n° 13/4S du capitaine Delpal sur des renseignements demandés, 8 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(44) Rapport n° 4/4 de l’adjudant Laury sur des renseignements demandés, 5 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(45) Rapport n° 12/4S du capitaine Monmasson sur des renseignements demandés, 8 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(46) Rapport n° 13/4S du capitaine Delpal sur des renseignements demandés, 8 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(47) Rapport n° 35/4S du capitaine Meygret-Collet sur l’état d’esprit de la 2e compagnie, 2 décembre 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(48) Rapport n° 11/4S du capitaine Meygret-Collet sur des renseignements demandés, 7 septembre 1936, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(49) Rapport n° 15/4S du capitaine Monmasson sur des renseignements demandés, 4 juillet 1936, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(50) Rapport n° 31/4 du lieutenant Bouloc sur des renseignements demandés, 5 juin 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(51) Rapport n° 11/4S du capitaine Meygret-Collet sur des renseignements demandés, 7 septembre 1936, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(52) Compte-rendu n° 7/4S du lieutenant Petit sur l’instruction en matière de contre-espionnage, 3 décembre 1937, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(53) Rapport n° 10/4 de l’adjudant Laury sur l’état d’esprit des militaires du peloton pour l’année 1936, 8 décembre 1936, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(54) États de renseignements n° 6/4S du capitaine Meygret-Collet, 3 juin 1937, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(55) Rapport n° 14/4 de l’adjudant Laury sur l’état d’esprit des militaires du peloton pour l’année 1937, 20 novembre 1937, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(56) Rapport n° 3/4 de l’adjudant Laury sur l’état d’esprit des militaires du peloton pour l’année 1935, 20 juin 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(57) Arnaud-Dominique Houte, « Gendarmes et Gendarmerie du XIXe siècle », in Jean-Noël Luc (dir.), Soldats de la loi..., op. cit., p. 41, et Patrick Bruneteaux, Maintenir l’ordre, op. cit., pp. 52 à 61.
(58) Louis Panel, La Grande Guerre des gendarmes, Paris, Nouveau Monde, 2013, 611 p.
(59) Patrick Bruneteaux, Maintenir l’ordre, op. cit., pp. 104-105. La démonstration sur la professionnalisation du corps court des pages 98 à 109.
(60) Aude Piernas (capitaine), « Un exemple, un modèle, un guide ? La Gendarmerie des années 1930 à la recherche d’une image moderne », in Jean-Noël Luc, Soldats de la loi..., op. cit., p. 107.
(61) Simon Fieschi, « Les gendarmes en Corse, 1927-1934 », in Jean-Noël Luc, Soldats de la loi..., op. cit., p. 117.
(62) Circulaire Ministérielle n° 1.021/11 du ministre de la Guerre André Lefèvre sur l’emploi des chars d’assaut pour le maintien de l’ordre, 28 janvier 1920, AT-SHD, 9 N 364.
(63) Rapport n° 13/4S du capitaine Delpal sur des renseignements demandés, 8 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(64) Rapport n° 15/4 du lieutenant Maréchal sur des renseignements demandés, 8 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(65) Rapport n° 15/4S du capitaine Monmasson sur des renseignements demandés, 4 juillet 1936, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(66) Rapport n° 8/4S du capitaine Meygret-Collet sur l’instruction pendant l’année 1936-1937, 8 septembre 1937, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(67) Compte-rendu d’expérience n° 10/4S du capitaine Monmasson sur l’emploi des chars FT dans la guerre de rue adressé au colonel commandant la 1re légion de GRM, 2 avril 1936, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(68) Organigramme de la gendarmerie au 1er septembre 1939 établi, par Benoît Haberbusch in Jean-Noël Luc (dir.), Histoire de la maréchaussée et de la gendarmerie. Guide de Recherche, op. cit., 1 105 p.
(69) Rapport n° 15/4 du lieutenant Maréchal sur des renseignements demandés, 8 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(70) Rapport n° 11/4S du capitaine Meygret-Collet sur des renseignements demandés, 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(71) Georges Carrot fait un récit développé de l’épisode du 6 février 1934 dans son ouvrage Le maintien de l’ordre en France au XXe siècle, op. cit., pp. 82 à 90.
(72) Rapport n° 12/4 du capitaine Monmasson sur des renseignements demandés, 8 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(73) États n° 17/4S du capitaine Delpal faisant connaître le nombre de journées de déplacement des unités entre janvier et mai 1935, 19 juin 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(74) Rapport n° 15/4 du lieutenant Maréchal sur des renseignements demandés, 8 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(75) Rapport n° 6/4S du capitaine Delpal sur un service d’ordre effectué le 29 août 1934, 30 août 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(76) Rapport n° 399/2 du capitaine Monmasson sur un service d’ordre effectué le 12 décembre 1938, 12 décembre 1938, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(77) Rapport n° 1 de l’adjudant Laury sur une réquisition du peloton CC3 pour une mission de maintien de l’ordre, 15 avril 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5867.
(78) Rapport n°2 de l’adjudant Laury sur une réquisition du peloton CC3 pour une mission de maintien de l’ordre, 23 février 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5867.
(79) Rapport n° 4/4 de l’adjudant Laury sur des renseignements demandés, 3 décembre 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(80) Rapport n° 13/4S du capitaine Delpal sur des renseignements demandés, 8 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(81) Rapport n° 15/4 du lieutenant Maréchal sur des renseignements demandés, 8 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(82) Rapport n° 12/4 du capitaine Monmasson sur des renseignements demandés, 8 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(83) Rapport n° 13/4S du capitaine Delpal, 8 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(84) Rapport n° 11/4S du capitaine Meygret-Collet sur des renseignements demandés, décembre 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(85) Rapport n° 15/4S du lieutenant Petit sur des renseignements demandés, 7 septembre 1936, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(86) Rapport n° 15/4S du capitaine Monmasson sur des renseignements demandés, 4 juillet 1936, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(87) Rapport n° 340/2 du capitaine Monmasson au sujet de la situation matérielle et morale des gradés et gardes, 20 octobre 1938, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(88) Rapport n° 11/4S du capitaine Meygret-Collet sur des renseignements demandés, 24 novembre 1938, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(89) Georges Philippot (général), « La garde républicaine mobile dans l’Est de la France (1935-1940) », in Jean-Noël Luc, Soldats de la loi, op. cit., p. 138.
(90) Rapport n° 13/4S du capitaine Delpal sur l’instruction pour l’année 1934-1935, 19 juin 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(91) Rapport n° 31/4 du lieutenant Bouloc sur des renseignements demandés, 5 juin 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(92) Rapport n° 23/4 du capitaine Monmasson sur l’instruction pour l’année 1934-1935, 7 juin 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(93) Gérard Saint-Martin (colonel e.r.), L’arme blindée françaises. Tome 1 : Mai-juin 1940 ! Les blindés français dans la tourmente, Mayenne, Economica, 2011, p. 81.
(94) Rapport n° 4/4 de l’adjudant Laury sur des renseignements demandés, 3 décembre 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(95) Rapport n° 13/4S du capitaine Delpal en réponse au questionnaire du 2 novembre 1934, 8 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(96) Rapport n° 15/4 du lieutenant Maréchal sur des renseignements demandés, 8 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(97) Rapport n° 35/4S du capitaine Meyret-Collet sur des renseignements demandés, 2 décembre 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(98) Rapport n° 23/4 du capitaine Monmasson sur l’instruction, 7 juin 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(99) Liliane et Fred Funcken, Les uniformes et les armes des soldats de la guerre 1939-1945, tome 1, Tournai, Casterman, 1972, p. 12.
(100) Rapport n° 12/4 du capitaine Monmasson sur des renseignements demandés, 8 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(101) Rapport n° 13/4S du capitaine Delpal sur des renseignements demandés, 8 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(102) Rapport n° 15/4 du lieutenant Maréchal sut des renseignements demandés, 8 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(103) Rapport n° 4/4 de l’adjudant Laury sur des renseignements demandés, 5 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(104) Rapport n° 6/4S du capitaine Monmasson sur des renseignements demandés, 3 juin 1937, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(105) Rapport n° 7/4S du capitaine Meygret-Collet sur des renseignements demandés, 3 juin 1937, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(106) Rapport n° 6/4 de l’adjudant Laury sur des renseignements demandés, 24 mai 1937, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(107) Georges Philippot (général ), « La garde républicaine mobile dans l’Est de la France (1935-1940) », in Jean-Noël Luc, Soldats de la loi, op. cit., p. 136.
(108) Rapport annuel du lieutenant Petit sur l’instruction, 7 septembre 1935, 2007 ZM 1 / 5794.
(109) Rapport n° 15/4S du lieutenant Petit sur l’instruction pendant l’année 1935-1936, 7 septembre 1936, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(110) Rapport n° 6/4S du capitaine Meygret-Collet sur des renseignements demandés, 3 juin 1937, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(111) Rapport n° 6/bis/1C du général Billotte, 1er novembre 1934, AT-SHD, in Georges Philippot, « La garde républicaine mobile dans l’Est de la France (1935-1940) », in Jean-Noël Luc, Soldats de la loi, op. cit., p. 140.
(112) Rapport n° 31/4 du lieutenant Bouloc sur des renseignements demandés, 5 juin 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(113) Gérard Saint-Martin, L’arme blindée françaises. Tome 1 : Mai-juin 1940 ! Les blindés français dans la tourmente, op. cit., pp. 33-36.
(114) Rapport n° 7/4S du capitaine Meygret-Collet sur l’état d’esprit des cadres et de la troupe de son unité, 20 octobre 1938, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(115) Rapport n° 35/4S du lieutenant Petit sur l’instruction pendant l’année 1934-1935, 7 septembre 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(116) Rapport n° 15/4S du lieutenant Petit sur l’instruction pendant l’année 1935-1936, 7 septembre 1936, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(117) Rapport n° 23/4 du capitaine Monmasson sur l’instruction pendant l’année 1934-1935, 7 juin 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(118) Rapport n° 15/4S du lieutenant Petit sur l’instruction pendant l’année 1935-1936, 7 septembre 1936, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(119) Rapport n° 8/4S du capitaine Meygret-Collet sur l’instruction pendant l’année 1936-1937, 8 septembre 1937, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(120) Rapport n° 289/2 du capitaine Monmasson sur l’instruction pour l’année 1937-1938, 3 septembre 1938, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(121) Rapport n° 7/4S du capitaine Meygret-Collet sur l’état d’esprit de son unité, 20 octobre 1938, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(122) Rapport n° 6/4S du capitaine Monmasson sur des renseignements demandés, 3 juin 1937, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(123) Gérard Saint-Martin (colonel), L’arme blindée française. Tome 1..., op. cit., p. 106.
(124) Rapport n° 35/4S du lieutenant Petit sur des renseignements demandés, 7 septembre 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(125) Rapport n° 7/4S du capitaine Meygret-Collet sur l’état d’esprit de son unité, 20 octobre 1938, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(126) Rapport n° 13/4S du capitaine Delpal sur des renseignements demandés, 8 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(127) Rapport n° 15/4 du lieutenant Maréchal sur des renseignements demandés, 8 décembre 1934, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5795.
(128) Rapport n° 23/4 du capitaine Monmasson sur l’instruction de son unité, 7 juin 1935, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(129) Rapport n° 14/4S du capitaine Monmasson sur une reconnaissance d’ouvrages d’art à surveiller, 15 septembre 1936, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(130) Rapport n° 7/4S du capitaine Monmasson sur un exercice de mise en défense du casernement, 28 février 1936, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(131) Rapport n° 21/S du capitaine Monmasson sur l’organisation de la mobilisation du Groupe Spécial, 1937, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(132) Rapport n° 15/4S du capitaine Monmasson sur l’état d’esprit de la compagnie pour l’année 1938, 25 novembre 1938, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5793.
(133) Rapport n° 11/4S du capitaine Meygret-Collet sur l’état d’esprit de la compagnie pour l’année 1938, 24 novembre 1938, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(134) Gérard Saint-Martin (colonel), L’arme blindée française. Tome 1..., op. cit., p. 98.
(135) Georges Philippot (général), « La Garde Républicaine Mobile dans l’Est de la France (1935-1940) », in Jean-Noël Luc (dir.), Soldats de la loi..., op. cit., pp. 135-148.
(136) Note n° 4483 I/EMA de l’état-major de l’armée relative à constitution d’un bataillon de chars légers par la gendarmerie, 19 octobre 1939, AT-SHD, 34 N 437.
(137) D.M. n° 5195 BT/ICC.S du ministère de la Guerre portant création du 45e BCC, 13 novembre 1939, AT-SHD, 34 N 437.
(138) Message de sous-direction de la Gendarmerie à la direction de l’infanterie, 23 novembre 1939, AT-SHD, 34 N 437.
(139) Note du directeur de l’infanterie à la direction du Contentieux, de la Justice Militaire et de la Gendarmerie, 29 novembre 1939, AT-SHD, 34 N 437.
(140) N° 4483 I/EMA de l’état-major de l’Armée relative à constitution d’un bataillon de chars légers par la gendarmerie, 19 octobre 1939, AT-SHD, 34 N 437.
(141) D.M. n° 5195 BT/ICC.S du ministère de la Guerre portant création du 45e BCC, 13 novembre 1939, AT-SHD, 34 N 437.
(142) D.M. n° 5195 BT/ICC.S du ministère de la Guerre portant création du 45e BCC, 13 novembre 1939, AT-SHD, 34 N 437.
(143) Message de sous-direction de la gendarmerie à la direction de l’infanterie, 23 novembre 1939, AT-SHD, 34 N 437.
(144) Message de la direction de l’infanterie à la sous-direction de la gendarmerie, 29 novembre 1939, AT-SHD, 34 N 437.
(145) Note n° 5883 BT/ICC de la direction de l’infanterie pour la sous-direction de la gendarmerie, 12 décembre 1939, AT-SHD, 34 N 437.
(146) Note n° 1719 T/10-G du président du conseil, ministre de la Défense nationale et de la Guerre, 4 mars 1940, AT-SHD, 34 N 437.
(147) Rapport n° 7/4S du capitaine Meygret-Collet sur l’état d’esprit de son unité, 20 octobre 1938, G-SHD, 2007 ZM 1 / 5794.
(148) Message du lieutenant-colonel Hahn au lieutenant-colonel Barrière, 28 novembre 1939, AT-SHD, 34 N 437.
(149) Note n° 2323/BT.ICC du capitaine Bézanger au Directeur de l’Infanterie, 30 décembre 1939, AT-SHD, 34 N 437.
(150) Rapport du chef d’escadron Bézanger sur le comportement du matériel Hotchkiss 1939 de son Bataillon au cours de la campagne de Mai-Juin 1940, 1942, AT-SHD, 34 N 437.
(151) Note n° 2030 BT/ICC de la direction de l’infanterie pour l’état-major de l’Armée (Ier Bureau), 28 février 1940, AT-SHD, 34 N 437.
(152) Ibid.
(153) Rapport du chef d’escadron Bézanger sur le comportement du matériel Hotchkiss 1939 de son bataillon au cours de la campagne de Mai-Juin 1940, 1942, AT-SHD, 34 N 437.
(154) Note n° 2.669/CH du capitaine Petit sur la composition de la 1re Compagnie autonome du 45e Bataillon de chars de la gendarmerie, 17 avril 1940, AT-SHD, 34 N 437.
(155) Rapport du chef d’escadron Bézanger sur le comportement du matériel Hotchkiss 1939 de son Bataillon au cours de la campagne de Mai-Juin 1940, 1942, AT-SHD, 34 N 437.
(156) Rapport du chef d’escadron Bézanger sur le comportement du matériel Hotchkiss 1939 de son Bataillon au cours de la campagne de Mai-Juin 1940, 1942, Dep. AT-SHD, 34 N 437.
(157) Gérard Saint-Martin (colonel), L’arme blindée française. Tome 1..., op. cit., p. 96.
(158) Éric Dagnicourt (chef d’escadron), « Le 45e Bataillon de Chars de la Gendarmerie », Histoire de Guerre, Blindés & Matériel, n° 82, avril-mai 2008, pp. 26-35.
(159) Compte-rendu n° 36/4 du chef d’escadron Bézanger, 15 avril 1940, AT-SHD, 34 N 437.
(160) Note n° 2.669/CH du capitaine Petit sur la composition de la 1re Compagnie autonome du 45e Bataillon de Chars de la Gendarmerie, 17 avril 1940, AT-SHD, 34 N 437.
(161) Note de service n° 10000-S/4 du colonel Oudin chef d’état-major de la VIIe armée, 25 avril 1940, AT-SHD, 34 N 437.
(162) Note n° 03250-S/4 du 4e Bureau de l’état-major de l’Armée sur le transport du 45e Bataillon de Chars, avril 1940, AT-SHD, 34 N 437.
(163) Rapport n° 1672/3 du chef d’escadron Bézanger sur les opérations de la 3e DCR en mai-juin 1940, 1942, AT-SHD, 34 N 437.
(164) Jean-Paul Autant, La bataille de Stonne, mai 1940, Bénévent, 2009, pp. 25-30.
(165) Gérard Saint-Martin (colonel), L’arme blindée française. Tome 1..., op. cit., p. 199.
(166) Ibid, p. 202.
(167) Jean-Paul Autant, La bataille de Stonne, op. cit., p. 60.
(168) Gérard Saint-Martin (colonel), L’arme blindée française. Tome 1..., op. cit., p. 203.
(169) Rapport du lieutenant Bonardi sur la guerre du 45e Bataillon de Chars de la Gendarmerie, sans date, AT-SHD, 34 N 437.
(170) Note n° 2094 de l’état-major reproduisant l’ordre n° 3 du général Buisson à la 3e DCR du 26 mai 1940, 26 mai 1940, AT-SHD, 34 N 437.
(171) Voir note 1.
(172) Gérard Saint-Martin (colonel), L’arme blindée française. Tome 1..., op. cit., p. 214.