J’y étais...
Souvenirs du gendarme Eugène Papelard
Aline Labre
Aspirante,
Service historique de la Défense - département de la Gendarmerie nationale
En avril 2008, avec le décès de Lazare Ponticelli, la France a perdu son dernier « Poilu », témoin direct de la Première Guerre mondiale. Cette disparition rend plus précieux encore le témoignage des combattants de la Deuxième Guerre mondiale dont le nombre ne cesse de se réduire. Parmi ces hommes figure le gendarme Eugène Papelard. En octobre 2008, l’aspirante Aline Labre du département gendarmerie du Service historique de la Défense a recueilli ses souvenirs.
Pouvez-vous me dire quelques mots sur votre enfance ?
Je suis né le 21 mai 1918 à Azy-sur-Marne (Aisne). Mes parents étaient vignerons en Champagne. J’ai perdu ma mère à l’âge de quatre ans et mon père à l’âge de six ans. J’ai été élevé par mes frères et sœurs. Nous étions quatre, une fille et trois garçons. J’étais le plus jeune. Mes frères et sœurs étaient viticulteurs. À l’âge de douze ans, j’ai quitté l’école et ma famille pour garder des vaches dans une ferme. J’ai aussi été quelques temps dans une boulangerie. Personne ne s’occupait de moi.
À quel moment avez-vous quitté la France pour rejoindre l’Algérie ? Quelles étaient vos principales motivations ?
Je n’avais pas passé mon certificat d’études. Je n’avais aucune éducation. Je savais juste lire et écrire. À l’âge de dix-huit ans, je me suis engagé le 24 décembre 1936 dans l’armée pour rejoindre l’Afrique du Nord. L’Algérie me plaisait beaucoup à l’époque. Je me suis donc engagé pour trois ans au 9e Zouaves. C’est l’une des meilleures choses que j’ai fait dans ma vie. Nous étions à la caserne d’Orléans à Alger. Nous y étions très considérés.
D’où venaient vos camarades ?
Il y avait très peu d’arabes et beaucoup d’européens. Parmi ces derniers, la majorité avait des origines italiennes. Mon engagement s’est très bien passé. J’ai commencé à travailler pour mon éducation personnelle.
Quels sont vos souvenirs de la campagne 1939-1940, puis de l’Occupation ?
Lorsque la guerre s’est déclarée en France en septembre 1939, j’ai été envoyé dans l’extrême sud tunisien. La situation est restée calme. Après la défaite de juin 1940, j’ai été démobilisé. Nous avons été rapatriés en France.
Je serais bien resté en Tunisie, mais nous avons été démobilisés de force sous Pétain. J’ai embarqué à Bougie et débarqué à Marseille. Je suis remonté chez moi en Champagne. J’ai retrouvé un emploi grâce à mes connaissances. Je travaillais dans une grosse entreprise spécialisée dans les beaux arts. Je faisais de la rénovation dans les églises et les châteaux. Je refaisais des toitures, attaché à une corde autour des clochers. J’étais bien payé. J’avais une très bonne place. Mais je ne me plaisais pas là-haut, à cause des Allemands. Au bout de sept ou huit mois, j’ai pensé que je ne pouvais pas rester en France. Je me suis renseigné tant bien que mal pour m’ « évader ». J’ai pu le faire.
Vous avez pris la décision de vous « évader » de France. Comment s’est organisé votre périple ?
Je suis parti avec un sac de pommes de terre comme porte bagage. Je l’ai mis en sac à dos. C’était mon seul bagage. Je suis parti à pied, puis j’ai fait du stop pour venir sur Paris. Voyant qu’il y avait trop d’Allemands à la gare de Lyon, j’ai préféré choisir un autre moyen pour me rendre dans la zone libre. Je suis passé par Champagne, Mouton et Romazière. Dans le train, j’ai été contrôlé par des policiers français en civil qui avaient des cartes. Je me suis expliqué avec eux et ils m’ont laissé partir.
Arrivé à Marseille, je suis allé directement à la gendarmerie qui se trouvait sur le vieux port. J’ai été reçu par des gendarmes qui n’étaient pas très loin de la retraite. Il y avait d’autres jeunes, comme moi, qui voulaient repartir en Afrique du Nord. Les gendarmes nous ont demandé de repasser le lendemain soir. Quand nous sommes revenus, les gendarmes nous ont emmenés au port. Il y avait le Champollion, un gros paquebot qui faisait la ligne Marseille-Alger. C’était la dernière fois qu’il faisait ce trajet. Je suis monté à bord clandestinement avec un autre camarade. Nous ne sommes pas passés par les portes principales mais par les cales sèches en bas. Au bout de deux heures, nous avons entendu les vibrations du bateau qui gagnait la mer. De là, on est venu nous chercher pour monter sur le pont. Nous y sommes restés jusqu’à Alger. On regardait la France qu’on quittait. Nous sommes arrivés le lendemain matin à Alger. Nous avons été à la gendarmerie. J’ai signé un nouvel engagement pour les zouaves. Je suis retourné à la caserne d’Orléans.
Comment êtes-vous entré dans la Garde ?
À Alger je me suis réengagé pour six mois au 1er régiment de zouave le 15 septembre 1941. Quelques temps après, on m’a dit que la Garde recrutait. J’ai répondu que je n’avais pas le certificat d’études. On m’a expliqué qu’on me prendrait en raison de mon passé militaire. En effet, on m’a pris. J’ai passé un petit examen, une petite dictée, une petite rédaction, des multiplications.
Comment s’est déroulée votre formation ?
J’ai effectué ma formation à Gafsa dans le sud tunisien. J’ai fait un stage de six mois. J’ai pu travailler mon instruction. Nous étions environ quatre-vingt à suivre la formation. Il y avait quelques arabes. Beaucoup étaient des militaires coincés en Algérie ou en Tunisie. D’autres étaient des Européens natifs de la Tunisie ou de l’Algérie. L’état d’esprit était très bon.
La formation était très physique avec beaucoup de marches et de sport. Il y avait aussi des cours de mathématiques, de français et des examens militaires.
Votre future femme est venue vous rejoindre en Tunisie. Quelles étaient vos conditions de vie ?
J’avais connu ma future épouse lors de mon premier séjour à Alger. Au cours de mon stage, je me suis dit que je pouvais me marier avec elle maintenant que j’allais avoir une bonne situation. Je me suis marié le 19 septembre 1942 à la fin du stage, à Gafsa. Ma femme est venue habiter avec moi. Nous étions logés dans une école pour enfants, dans une petite chambre. Les lits étaient des lits militaires. On avait une petite cuisine, mais on pouvait manger au mess. J’étais heureux.
Barge du débarquement de Provence
conservée à Saint-Raphaël
Quelles ont été les étapes successives de votre participation à la campane de Tunisie ?
J’ai été titularisé garde à la 8e légion de la Garde le 1er septembre 1942. En novembre, quand les Allemands sont entrés en Tunisie, nous nous sommes repliés sur la frontière algérienne. Les femmes étaient restées à Gafsa, en zone occupée. Nous n’avions pas voulu les prendre avec nous. C’était moins dangereux de les laisser en Tunisie car nous savions que nous serions accrochés sur les routes. Par la suite, elles ont pu regagner Alger.
A cette époque, l’armée américaine avait déjà débarqué en Algérie. Nous étions sous les ordres du général Welvert qui a été tué plus tard en Tunisie. L’armée américaine nous a pris en main. Nous avons fait toute la campagne de Tunisie avec elle. Nous avions de bons rapports avec les GI’s.
Quelles étaient vos missions pendant la campagne de Tunisie ?
Pendant la campagne de Tunisie, nous avons beaucoup circulé avec l’armée française et l’armée américaine. Nos missions consistaient à récupérer des militaires et des civils.
J’ai fait la campagne de Tunisie à pied et en voiture. C’était l’un ou l’autre. Nous avions l’uniforme américain à l’époque car nous n’avions rien d’autre à nous mettre. Nous portions leurs blousons et leurs rangers.
Après la victoire des Alliés en Tunisie, je suis retourné en Algérie en octobre 1943. J’ai été affecté au 10e régiment de la Garde. A Oran, nous avons été rassemblés avec d’autres soldats parmi lesquels se trouvaient des tabors marocains. Nous avons fait des exercices militaires sans savoir pourquoi.
Les troupes de débarquement
aux abords des côtes de Provence
Quels sont vos souvenirs du débarquement de Provence ?
Nous avons embarqué à Mers-el-Kébir sans savoir où nous allions. Il y avait des avions qui survolaient nos bateaux. Nous sommes restés deux jours au large des côtes italiennes. Nous croyions que nous allions y débarquer. Un matin, des bateaux français et anglais sont venus nous rejoindre.
Le 16 août 1944, nous sommes arrivés au large des côtes françaises mais on ne nous a toujours rien dit. C’est seulement lorsque nous avons pris place sur les barges de débarquement que l’on nous a dit que nous allions débarquer en France, à Saint-Tropez. Nous n’étions pas les premières troupes à débarquer. Arrivés sur la plage, nous avons été dispatchés sur le terrain. Nous étions détachés avec les troupes, notamment les unités tabors.
Le gendarme Papelard lors
de son séjour en Allemagne
Pendant le débarquement, nous avions des missions de surveillance. Nous avons participé à des accrochages à droite à gauche, mais ça ne s’était pas trop mal passé. Au niveau des conditions de vie, nous devions nous débrouiller pour dormir. Nous couchions dans les jardins. C’était plutôt agréable parce qu’il ne faisait pas froid à l’époque.
Nous étions très bien accueillis par la population locale. Ce sont des gens qui savaient par où nous étions passés, d’où nous arrivions, tous les évènements que nous avions eus, tous les déboires. Nous étions considérés comme des héros.
Par la suite, j’ai assisté à la prise de Toulon, puis nous avons remonté la vallée du Rhône jusqu’à Lyon qui a été libérée. De là, nous sommes montés en Alsace, puis nous sommes entrés en Allemagne avant de poursuivre jusqu’en Autriche. Nous avons appris la fin de la guerre sur la frontière autrichienne.
Quelles ont été vos impressions à votre arrivée en Allemagne ? Comment la population locale vous a-t-elle accueilli ?
Lors de notre arrivée en Allemagne, nous avons pu observer quelques dégâts. La population allemande nous a bien accueillis. Elle était bien forcée. Les habitants voyaient bien la situation dans laquelle ils se trouvaient. En Autriche nous sommes allés jusqu’à Vienne avant de nous installer à Innsbruck. Nous sommes restés de cinq à six mois. Nous faisions partis de la prévôté. Nous logions chez l’habitant.
Une fois la guerre terminé, j’ai été réaffecté non pas à Gafsa mais à Kérouan (ville religieuse de Tunisie). Par la suite, j’ai poursuivi ma carrière en gendarmerie en Algérie de 1945 à 1961. J’ai ensuite été affecté à la 1ère légion de gendarmerie mobile au Plessis Robinson. J’ai pris ma retraite en septembre 1971.