ÉDITORIAL
Pour une histoire de la gendarmerie…
…utile
Pourquoi l’histoire de la gendarmerie est-elle sans influence notoire sur les décideurs d’aujourd’hui, qu’il s’agisse des hommes politiques ou même du haut commandement de la Gendarmerie ? Pourtant, que de questions très actuelles la concernant qui n’aient déjà été posées au moins une fois, souvent trois ou quatre fois, voire davantage, depuis le XVIe siècle ? Que de réponses parfaitement ignorées de ceux qui devraient pourtant en connaître du fait de leur fonction, avant qu’ils ne prétendent, à chaque génération, découvrir une nouvelle solution déjà appliquée, avec ou sans succès, plusieurs fois au cours des siècles précédents ? D’où vient cette ignorance ? Mais peut-on parler d’ignorance ? À l’examen, on s’aperçoit qu’il existe bien un accord tacite assez général sur ce que l’on appelle aujourd’hui les fondamentaux de l’institution, résultat d’une sorte d’imprégnation culturelle diffuse. Mais le problème n’est pas là. Le problème réside dans l’incapacité de ces responsables à répondre aux multiples formes que prend la question essentielle, récurrente, permanente « pourquoi ? », autrement que par des arguments actuels, immédiats, bien souvent d’ordre économique ou social. Les réactions instantanées, souvent conjoncturelles, sans la profondeur que permet l’histoire, font souvent illusion. Ces solutions de communication, à effets immédiats, engagent souvent, hélas, l’avenir. Les remèdes de circonstance calment la douleur mais ne soignent pas le mal. Pire, parfois ils l’aggravent.
D’où vient cette non prise en compte de l’histoire de la Gendarmerie dans la construction de son futur ? Cela tient probablement à la manière dont elle a été enseignée et au-delà, à la manière dont l’histoire est encore parfois considérée en France aujourd’hui. Pour être plus direct, oser parler de l’utilité de l’histoire est encore iconoclaste pour certains puristes universitaires comme d’ailleurs pour une large part du corps des officiers de gendarmerie pour lesquels la connaissance de l’histoire de la gendarmerie n’est rien d’autre qu’un élément de culture. On est encore loin de la recherche scientifique sur l’histoire de la gendarmerie considérée comme science politique appliquée.
Les réticences, voire le refus de considérer ce que, depuis Bérida, on appelle l’Histoire du Temps Présent, expliquent aussi, pour une large part, ce décalage. Pour bon nombre d’historiens français de la vieille école, pas question d’intégrer dans la recherche historique scientifique, une histoire récente insuffisamment « sédimentarisée » ou refroidie. Derrière le motif avancé de l’absence de recul se cachent aussi d’autres raisons dont certaines sont recevables, tel le système français de communication des archives, d’autres beaucoup moins. Certains chercheurs en histoire préfèrent revisiter dans la facilité et le confort, des thématiques anciennes où existent encore quelques niches inexplorées plutôt que de faire preuve d’audace dans des recherches nouvelles sur des sujets d’histoire récente qui comportent, il est vrai, quelques risques. Appliquée à la recherche scientifique sur l’histoire de la gendarmerie, cette conception, qui conduit à laisser dans l’ombre les quarante dernières années de son histoire, a un effet désastreux. Elle rend impossible le lien, pourtant indispensable pour comprendre la gendarmerie d’aujourd’hui, entre le passé ancien, le passé récent et l’actualité. Elle interdit toute approche chronologique continue des thématiques récurrentes des dernières décennies. Elle crée une rupture. Elle empêche toute projection vers le futur autre que celles fournies par des disciplines de court terme telle la sociologie. C’est bien là l’une des raisons profondes du désintérêt de ceux qui, pour le bon exercice de leurs responsabilités, devraient pourtant en connaître.
La balle est donc dans le camp des historiens qui doivent sortir des multiples ghettos protecteurs qu’ils se sont créés pour conserver et se répartir le pouvoir alors qu’il serait de l’intérêt général, comme du leur d’ailleurs, de faire partager leur savoir au plus grand nombre et surtout à ceux qui en ont besoin pour décider, y compris et surtout sur des périodes récentes. Ils feraient œuvre utile.
Général (2s) Georges PHILIPPOT
Président de la SNHPG
Ancien chef du Service Historique de la Gendarmerie nationale
Docteur en histoire