Dossier : aux origines du GIGN
La question des origines, le GIGN est-il né à Cestas en février 1969 ?
Benoît Haberbusch
Capitaine
Docteur en histoire,
Service historique de la Défense - DEER
Selon une légende tenace, le GIGN serait exclusivement le fruit des leçons tirées du désastre de la prise d’otages lors des jeux olympiques de Munich en juin 1972. En réalité, la réflexion menée au sein de la gendarmerie, en vue de la création d’une unité d’intervention spécialisée pour la gestion de ce type de crise, remonte à quelques années auparavant. Un fait divers ayant eu un retentissement national remet effectivement en cause les pratiques de la gendarmerie en matière de maîtrise de forcené et de libération d’otages.
Extrait du film Fait d’hiver de Robert Enrico.
Une simple affaire de famille ?
Le délicat problème du droit de garde Au départ, les faits qui se déroulent à Cestas, à quelques kilomètres de Bordeaux, en ce début d’année 1969, ne semblent pas devoir dépasser le cadre de la querelle de famille. La désunion d’un couple, dans la banalité du quotidien, n’a souvent guère de témoin, sauf les gendarmes, si les disputes dépassent une certaine mesure et surtout quand les enfants sont en cause. Or, c’est justement le cas du ménage Fourquet qui habite à la ferme du Sayet près de Cestas. Le père, André Fourquet, 40 ans, conducteur d’engin dans une entreprise locale, est l’archétype du pater familias imposant sa loi à toute la maisonnée. Sobre, travailleur, c’est aussi un solitaire qui voue un amour exclusif à ses enfants. Selon sa conception de la vie, partagée par de nombreux hommes à l’époque, la place de l’épouse, soumise, est naturellement au foyer. Qu’importe si la maison familiale est un endroit isolé où les visites sont rares. Cette vision étriquée de l’existence ne convient justement plus à la mère, Micheline, la trentaine. Mariée trop tôt, à 19 ans, elle n’a connu de sa vie de femme que l’univers limité de la ferme aux murs blanchis à la chaux. Après quatre grossesses et la perte d’un bébé, elle n’a que ses trois enfants pour horizon : Chantal 14 ans, Aline 13 ans et Francis 10 ans(1). Micheline appartient à cette génération de femmes qui, au terme d’une décennie riche en revendications féministes, n’accepte plus le carcan du quotidien. La violence de l’époux ruine tout espoir de conciliation et rend le départ inéluctable. Ce choix est d’autant moins facile à assumer que le divorce demeure encore mal vu par une partie de la société française et qu’il faut trouver de quoi subvenir à ses besoins et à ceux des enfants. Cette perspective est inconcevable pour André Fourquet.
En octobre 1967, il se barricade une première fois avec les enfants et met le feu à sa propre grange. Au bout de quelques jours, ayant épuisé ses réserves, André Fourquet consent à sortir de chez lui pour se rendre au village. C’est là que les gendarmes procèdent à son arrestation. Lors de cette première interpellation, le père fait la connaissance avec le chef d’escadron Cardeilhac, commandant la compagnie de Bordeaux. Saint-cyrien de formation, vétéran de la guerre d’Indochine et d’Algérie, ce père de cinq enfants prend à cœur ce dossier. Il souhaite à la fois aider Micheline tout en comprenant les motivations d’André Fourquet. Il sait l’amour que ce dernier porte à ses enfants. Comme le curé d’autrefois, il se fait tour à tour confident, conseiller ou diplomate. Adepte de la négociation et de la patience, il souhaite laisser le temps agir pour désamorcer le conflit parental.
Malheureusement, il va être confronté à la plus douloureuse alternative imposée à un officier de gendarmerie. Incarcéré à titre préventif à la prison de Gradignac, André Fourquet est condamné à six mois de prison en décembre 1967. À l’issue de sa détention au fort du Hâ, la vie reprend son cours dans une apparence de normalité. En juillet 1968, le divorce est prononcé à ses torts. Il ne peut plus recevoir ses enfants que deux week-ends par mois(2). Dépité, l’homme rumine son amertume en se laissant gagner par de sombres pensées. Il se décide finalement à répéter le scénario de non-restitution d’enfant opéré quelques mois auparavant. Cependant, cette fois, une implacable mécanique va conduire à la tragédie.
Fort Chabrol à Cestas.
Le samedi 1er février 1969, André Fourquet se présente au domicile de sa femme à Bordeaux, afin de prendre les enfants pour le week-end. La plus âgée de la fratrie, Chantal, comprend rapidement que quelque chose d’anormal est en train de se produire. Son père dévoile clairement son intention de se barricader à la ferme et évoque froidement la perspective de la mort. Aussi, dans la nuit, la jeune fille prend la décision de se rendre à pied chez sa mère. Elle tente, sans succès, de convaincre son frère de la suivre. Malgré son jeune âge, elle parvient à parcourir la vingtaine de kilomètres la séparant du domicile familial. Micheline se rend aussitôt à la gendarmerie.
C’est un half-track de ce modèle (actuellement exposé à Satory)
qui a servi pendant le siège de Cestas.
Rapidement prévenu, le chef d’escadron Cardeilhac espère répéter le scénario précédent et, avec de la patience, faire entendre raison au père. Toutefois, plusieurs éléments démontrent la gravité de la situation. Le 4 février, sa femme reçoit le courrier menaçant suivant : « Reviens, je te tuerai et je libérerai ensuite les enfants ». Par ailleurs, retranché dans sa ferme, André Fourquet ouvre le feu sur tous ceux qui approchent de sa propriété. Quelques vaches et des chasseurs sont ainsi visés. L’homme est d’autant plus dangereux qu’il dispose de près de 300 cartouches et de trois fusils dont une carabine 22 long rifle avec lunette de visée. Il va ainsi tirer pas moins de 70 coups de fusil durant tout le siège.
Dès lors, c’est l’impasse, faute d’avoir pu convaincre Fourquet, les gendarmes sont contraints au blocus. Un dispositif de surveillance est mis en place autour de la ferme. Afin de hâter la reddition du forcené, le courant de la ferme est coupé. Cette mesure reste toutefois sans effet car le père avait prévu cette éventualité. S’éclairant à la lampe à pétrole, il charge son fils de ramener du bois de la remise. Pour protéger la vie des enfants, toute intervention est exclue dans un premier temps. Les forces de l’ordre n’ont plus qu’à guetter patiemment l’épuisement du stock de vivres.
Le 11 février, alors que l’attente s’éternise dans le froid et l’ennui, un drame fait basculer l’affaire. Placé à un poste d’observation à 150 mètres de la ferme, un gendarme mobile de l’escadron 10/11, Jean-Lucien Carratala, est visé par le forcené. Malgré le port d’un gilet pare-balles, mal ajusté, il est atteint par une balle qui le frappe en plein cœur. Son évacuation rapide ne peut empêcher son décès. Curieusement, cette tragédie n’influe en rien sur l’attitude des autorités vis-à-vis du père désormais meurtrier. Aux journalistes qui commencent à affluer et lui demandent ce qu’il compte faire après l’échec de ses démarches, le chef d’escadron Cardeilhac demeure imperturbable sur la stratégie à adopter : « Attendre… Attendre… Attendre… Même si cela doit prendre des semaines »(3).
Cette politique de conciliation, particulièrement favorable au forcené, témoigne de la volonté affichée de préserver au maximum la vie des jeunes otages qui, aveuglés par leur amour paternel, ne cherchent même pas à fuir. Privilégiant la négociation à l’intervention, les autorités s’efforcent de conserver le fil du dialogue en faisant appel à plusieurs intervenants. Micheline Fourquet est sollicitée à plusieurs reprises, mais elle refuse de voir son ex-mari par crainte d’être aussitôt abattue. En revanche, un médecin venu spécialement de Paris pour ausculter Aline s’improvise négociateur. Après avoir gagné la confiance du père, il tente de plaider la cause des enfants. Le dialogue menace de s’interrompre quand André Fourquet reproche au médecin d’être resté évasif sur le sort du gendarme mobile abattu, alors qu’il a appris son enterrement en bricolant son transistor. Néanmoins, le docteur parvient à rétablir la situation en annonçant la mesure exceptionnelle prise par le procureur de retirer la garde des enfants à la mère(4). Cette nouvelle semble faire fléchir la résolution de Fourquet, mais celui-ci tergiverse à la perspective de son emprisonnement et rabâche sa volonté de revoir sa femme. Le docteur essaie encore d’obtenir une réaction en jouant sur la fierté du père. Il lui explique que si les médias saluent jusqu’à présent son combat pour conserver la garde de ses enfants, les journalistes commencent à penser qu’il se réfugie lâchement derrière ses enfants par peur de la prison. En désespoir de cause, le médecin se propose même comme otage en échange des enfants. Devant l’entêtement d’André Fourquet, le docteur part sans lui serrer la main.
Avec cette nouvelle déconvenue, la marge de négociation des autorités devient étroite. L’attente pourrait se prolonger encore plusieurs jours, mais une formidable pression médiatique va contribuer à précipiter la funeste décision finale.
Le grand cirque médiatique
Sur place, les forces de l’ordre maîtrisent difficilement les effets de cette curiosité malsaine. « On ne savait plus exactement qui surveillait qui », peut-on lire dans un article du Monde de l’époque. Les gendarmes doivent faire face à un afflux de curieux sans cesse plus nombreux. La perspective d’un scoop donne toutes les audaces aux journalistes pour s’infiltrer à travers les barrages de gendarmerie afin d’accéder à la ferme. Le photographe Gérard Leroux parvient ainsi à réaliser un reportage « sensationnel » publié dans Paris-Match(6).
Un correspondant du journal Sud-Ouest obtient, quant à lui, une interview exclusive du forcené. De manière moins prosaïque encore, des illuminés et des justiciers amateurs tentent à leur tour d’approcher la ferme. On arrête de faux journalistes, tandis qu’à Cestas des lettres destinées à Fourquet arrivent de la France entière. Le journal France-Soir a parfaitement retranscrit cette ambiance irréelle : « Pendant que Fourquet joue les vedettes entouré de ses deux enfants éperdus d’admiration, vivant au naturel les aventures de Zorro, une extraordinaire animation règne en dépit du froid -7°c. Contenus par les gendarmes des dizaines de curieux battent la semelle sur la petite route à deux kilomètres de la ferme du Sayet. Quoiqu’il arrive, ils ne verront rien mais ils restent là dans une attente vaine. Chaque jour, un resquilleur plus ou moins illuminé parvient à franchir le barrage et à atteindre le quartier général des forces de l’ordre afin de proposer ses services. Mercredi, c’est un mari trompé qui dit au commandant : laissez-moi approcher, je suis sûr que nous nous comprendrons. Jeudi, un homme au regard étrange déclare : depuis 1939 je suis l’homme à abattre. Autour de moi, ils tombent comme des mouches alors qu’est-ce que je risque. Enfin hier, une femme, mère de trois enfants, qui arbore au revers de son manteau le ruban de la Résistance dit au colonel : Là où les hommes ont échoué, je peux réussir »(7).
Tout ce battage médiatique a des incidences sur les comportements des protagonistes de l’affaire et, en premier lieu, sur le principal intéressé, André Fourquet. L’avocat chargé de le représenter, le bâtonnier Rozier, en est convaincu. « Il est bien certain, analyse l’un des journalistes venu l’interviewer, que maintenant Fourquet joue un rôle. Le modeste chauffeur de bulldozer qu’il était en impose, apparemment, à des personnages – bâtonnier, haut magistrat, officiers supérieurs – à qui il n’aurait pas osé adresser la parole autrefois. Ces gens attendent un signe de sa part pour accourir, discuter avec lui sur un pied d’égalité, sinon en inférieurs, portant du lait et des gâteaux à ses enfants, s’inquiétant de leur santé. Il entend sur sa personne à la radio, les commentaires les plus flatteurs. Tout cela risque de lui monter à la tête et certains commencent à se demander si le remède n’est pas pire que le mal. Toutes ces gentillesses dont on fait preuve à son égard ne passent-elles pas, à ses yeux, pour de la faiblesse, et ne va-t-il pas désormais chercher à faire durer le plaisir »(8).
Or, justement, après plusieurs jours d’atermoiements, les autorités ne souhaitent plus faire « durer le plaisir ». Ne supportant plus la pression médiatique mettant en cause le bon déroulement de la Justice, elles sont fermement décidées à prendre les mesures qui s’imposent(9). Le choix d’intervenir est pris le dimanche 16 février à l’issue d’une réunion à Bordeaux entre le procureur de la République, le directeur du cabinet du préfet de la Gironde et le colonel Lepoivre, commandant la circonscription régionale de gendarmerie d’Aquitaine.
Après l’assaut tragique les questions lancinantes
La veille de l’assaut, le petit Francis dont on voyait souvent la frêle silhouette quitter furtivement la maison pour aller chercher du bois, lance ce cri déchirant à l’attention des journalistes : « Du pain, j’ai faim ! ». Ce même jour, le chef d’escadron Cardheilac tente une ultime fois de faire entendre raison à André Fourquet. Ce dernier accable l’officier de reproches et réitère ses menaces de mort pour lui-même et ses enfants. Le militaire se retire en lui disant que la force doit rester à la loi.
Le lundi matin, le dispositif d’assaut est mis en place. À l’arrière, trois ambulances et deux voitures de pompiers sont prêts à intervenir. Il est 8 heures lorsque les trois half-tracks s’engagent en direction de la ferme où flottent un drapeau noir et un drapeau tricolore. Placé dans le véhicule de tête, le chef d’escadron Cardeilhac procède aux sommations légales, quand retentissent deux coups de feu, suivis d’un troisième. Les gendarmes mobiles, coiffés du casque lourd et vêtus du gilet pare-balles qui descend jusqu’aux genoux se précipitent vers l’habitation. Trois d’entre eux montent sur le toit et lâchent dans la cheminée une dizaine de grenades lacrymogènes. L’assaut n’a pas duré plus de dix minutes. Les gendarmes n’ont tiré aucun coup de feu.
Le spectacle qui attend les premiers assaillants est épouvantable. Fourquet gît dans la salle commune, la gorge à demi arrachée, son fusil à côté de lui. Il râle. Dans la pièce voisine, dans un grand lit campagnard, Aline et le petit Francis sont mourants. Avant de se donner la mort, le forcené a tiré une balle dans la tempe de ses enfants. Ils étaient encore en pyjama. Fourquet meurt le premier, puis Francis qui aurait eu onze ans le mois suivant. Aline vit encore quand elle arrive à l’hôpital. On la conduit au centre de traumatologie. Les médecins décident une opération désespérée mais elle meurt avant d’arriver au bloc.
L’émotion suscitée par ce terrible dénouement est considérable. Le visage livide, le chef d’escadron Cardhailac rend compte de l’échec de l’opération devant les caméras de la télévision. L’onde de choc se propage à une vitesse accélérée dans les médias avec cette principale question : comment a-t-on pu lancer une action aussi brutale, aussi lourde de conséquences après 15 jours de discussions, de négociations, d’atermoiements ? « La justice a songé au criminel avant de songer aux innocents », commente Jean Ferniot(10). Ironie du destin, dans un des journaux relatant le triple décès figure une publicité pour la sortie du film de Tony Richardson, La charge de la brigade légère, avec ce slogan : « Plutôt mourir que se déshonorer ». Loin de se cantonner à la sphère médiatique, le débat rebondit dans la sphère politique. Le sénateur Marcilhacy envoie une lettre au ministre de la Justice pour connaître qui est à l’origine responsable de l’ordre donné aux gendarmes d’investir la ferme de Cestas, ordre dont la conséquence a été de précipiter le sort tragique de deux enfants. Il réitère sa question lors d’une séance au Sénat le 18 mars 1969(11). Le député Boudet, quant à lui, estime inadmissible qu’en 1969 des enfants et son père puissent être amenés à mourir pour l’exécution d’un jugement de divorce(12).
Du petit écran au grand écran, Fait d’hiver de Robert Enrico
Les principaux griefs portent à la fois sur la décision de justice à l’origine de l’intervention et sur les conditions même de cette intervention. Voici ce que l’on peut lire dans France-Soir : « Si les deux petits étaient sortis de cet enfer, les officiers de gendarmerie auraient droit aux félicitations de tous les corps constitués. Devant les frêles cadavres, ils se sentent des assassins »(13). Interrogé par les journalistes, le colonel Lepoivre assume la responsabilité de l’exécution du mandat d’amener qui avait été signé dimanche par le juge. Il estime qu’il était impossible d’agir autrement. « Fourquet était sur ses gardes, justifie-t-il. Il pensait que nous pouvions l’attaquer par surprise et c’est pour cette raison qu’il a toujours refusé de recevoir deux personnes à la fois. J’espérais encore lundi matin qu’un sursaut de raison et d’humanité allait prévaloir et que Fourquet allait se rendre »(14). Également sollicitée, la direction de la gendarmerie de l’époque adresse le communiqué suivant : « Nous ne sommes pas sur place pour pouvoir juger de la situation, nous savons seulement qu’aucun des moyens envisagés au cours de la réunion qui s’est tenue à Bordeaux dimanche matin n’a été retenu. La meilleure solution pour nous, répètent les gendarmes, était sans doute le retrait des troupes mais les autorités voulaient une action rapide. Nous le répétons, nous n’avons fait qu’obéir »(15).
Après avoir cherché des responsables, les journalistes s’interrogent sur les moyens dont disposaient les forces de l’ordre. « On ne brûle plus les sorcières » ironise L’Humanité. « Comment tout cela a-t-il pu arriver ? » s’interroge La Nation. « Et si nous étions tous des assassins ? », titre Le Figaro. Le Parisien Libéré, pose quant à lui, cette question lancinante : « N’y avait-il pas d’autres moyens de réduire le forcené à l’impuissance ? »(16). Il est intéressant de noter que parmi les propositions formulées certaines seront reprises ou adaptées par le GIGN. Ainsi, l’usage de produits incapacitants est souvent évoqué. Toutefois, les médecins interrogés estiment que les effets ne sont pas toujours maîtrisés et les gendarmes expliquent qu’ils ne possèdent pas de tels produits(17). Parmi les autres enseignements à tirer, les journalistes s’interrogent sur l’absence de spécialistes pour mener la négociation. Plusieurs d’entre eux affirment que les autorités ont commis une erreur psychologique fondamentale en se persuadant que Fourquet n’allait pas mettre ses menaces à exécution. La présence d’un psychiatre aurait peut-être évitée cette erreur d’appréciation. « Vouloir discuter avec Fourquet était inutile et dangereux, réagit d’ailleurs un psychiatre parisien. Je ne méconnais en rien la valeur du dévouement ni celle de la bonne volonté ni celle de la sympathie. Mais je pense qu’il ne faut pas confondre ces sentiments, même inspirés par les meilleurs motifs, avec deux choses : la compétence et l’efficacité »(18).
En dehors de la négociation, le reproche du manque de spécialistes concerne l’intervention en elle-même. Les gendarmes mobiles paraissent ne pas avoir la formation suffisante pour mener un assaut efficace et rapide. L’absence de tireurs d’élites représente par exemple un handicap certain. Plus globalement, certains journalistes militent pour le recours à une unité spécialement entraînée de type « commandos légers ». L’expression apparaît déjà dans les colonnes d’un journal quelques jours après le drame. Face à cette dernière proposition, les gendarmes interrogés se montrent pour le moins sceptiques. Ces militaires considèrent effectivement que l’action d’un commando léger aurait été vouée à l’échec, la maison étant dégagée et inabordable, même par surprise. Toutefois, loin d’être abandonnée, cette idée de commando léger d’intervention de la gendarmerie a été reprise par quelques officiers de l’arme conscients du formidable potentiel offert par une telle formation. Afin de disposer de gendarmes spécialement formés pour gérer notamment les prises d’otages, ils ont œuvré avec détermination pour mettre en place les conditions favorisant la création du GIGN.
Pour conclure, l’affaire de Cestas représente incontestablement une étape fondamentale dans le processus de réflexion qui a mené à la création du GIGN, même si d’autres événements ont favorisé la création de cette unité d’élite. Cette première prise d’otage médiatisée par la télévision a clairement démontré la carence de la gendarmerie en matière de gestion de ce type de crise. Le drame, engendré par l’assaut mené avec un personnel insuffisamment formé, a provoqué une véritable onde de choc amplifiée par les médias au niveau national. La gravité de l’affaire a été telle que son écho s’est répercuté au plus niveau de l’État. Au sein de la gendarmerie, cette tragédie a convaincu quelques officiers supérieurs de doter l’institution de commandos légers d’intervention précurseurs du GIGN.
Les deux mutins de Clairvaux
Le 21 septembre 1971, une nouvelle prise d’otages dramatique démontre cruellement le manque de personnel spécialement formé pour faire à ce type de crise. Elle est menée par deux détenus de la centrale de Clairvaux : Claude Buffet, 38 ans, condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour meurtre, et Roger Bontemps, 35 ans, condamné à 20 ans de réclusion pour attaque à main armée. Retranchés dans l’infirmerie de la prison, les deux mutins menacent avec leur couteau le gardien de prison Guy Girardot et l’infirmière Nicole Comte, mère de deux enfants. Après une journée de siège au cours de laquelle les deux mutins exigent, sans succès, des armes pour s’échapper, les deux otages sont exécutés à l’arme blanche. Cette tragédie soulève une profonde indignation au sein de l’opinion publique en plein débat sur la peine de mort. L’attitude trouble de Claude Buffet, qui revendique l’assassinat de l’infirmière et qui réclame la mort, contribue à attiser les passions. Les deux inculpés sont condamnés à mort à l’issue du procès qui se tient à la cour d’assises de l’Aube du 26 au 29 juin 1972. Ils sont guillotinés à la prison de la Santé le 28 novembre 1972. C’est la dernière exécution à avoir lieu à Paris. Après Buffet et Bontemps, quatre condamnés sont encore guillotinés en France, jusqu’à l’abolition de la peine de mort en 1981.
(1) « A. Fourquet, le forcené criminel de Cestas », Détective, n°1778, 20 février 1969, p. 14-17.
(2) Pierre Dupuy, « La vérité sur le geste criminel de Fourquet, le forcené de Cestas », Détective, n°1179, 27 février 1969, p. 2-7.
(3) Charles Blanchard et Jean Coussy, « "six visiteurs" ont tenté en vain de décider le forcené de Cestas », France-Soir, 15 février 1969, p. 3.
(4) Le procureur a appliqué l’article 377 de la loi du 23 décembre 1958 pour prononcer une ordonnance de garde provisoire prévue en cas d’urgence.
(5) René Barjavel, « Moi téléspectateur », Journal du Dimanche, 16 février 1969.
(6) « Cestas, fou d’orgueil et d’amour », Paris-Match, n°1033, 22 février 1969, p. 36-39.
(7) Charles Blanchard et Jean Coussy, « "six visiteurs" ont tenté en vain de décider le forcené de Cestas », France-Soir, 15 février 1969, p. 3.
(8) Ibid.
(9) « Samedi, André Fourquet restait encore sourd à tous les appels », Le Monde, n°7495, 16/17 février 1969, p. 9.
(10) Jean Ferniot, « La justice est responsable mort », France-Soir, 19 février 1969, p. 4.
(11) Journal officiel des débats au Sénat, 18 mars 1969, p. 88.
(12) JC Guillebaud, « André Fourquet s’est suicidé après avoir tué ses deux enfants », Le Monde, n°7496, 18 février 1969, p. 24.
(13) Extraits de presse cités dans « Le drame de Cestas, la procédure de divorce et les moyens employés pour mettre fin au siège sont mis en cause », Le Monde, 19 février 1969, n°7497, p. 11.
(14) Extraits de presse cités dans « Le drame de Cestas, la procédure de divorce et les moyens employés pour mettre fin au siège sont mis en cause », Le Monde, 19 février 1969, n°7497, p. 11.
(15) Extraits de presse cités dans « Le drame de Cestas, la procédure de divorce et les moyens employés pour mettre fin au siège sont mis en cause », Le Monde, 19 février 1969, n°7497, p. 11.
(16) Extraits de presse cités dans « Le drame de Cestas, la procédure de divorce et les moyens employés pour mettre fin au siège sont mis en cause », Le Monde, 19 février 1969, n°7497, p. 11.
(17) « Commandos ou somnifère étaient voués à l’échec et nous n’avons pas de gaz paralysants, disent les gendarmes », France-Soir, 19 février 1969, p. 9.
(18) Extraits de presse cités dans « Le drame de Cestas, la procédure de divorce et les moyens employés pour mettre fin au siège sont mis en cause », Le Monde, 19 février 1969, n°7497, p. 11.