Dossier : aux origines du GIGN
Intervenir autrement : le prélude au GIGN dans les années 1971-1973
Gérard Rémy
Général (2s) de corps d’armée
Ancien commandant de l’EPIGN
Á Mont-de-Marsan
Un service public tel que la Gendarmerie nationale ne trouve sa raison d’être que dans son utilité et sa performance. Ne pas progresser, c’est régresser et se condamner à disparaître. S’adapter, se développer en permanence dans tous les secteurs de l’activité missionnelle, le tout au moindre coût bien sûr, (que n’ai-je entendu le « sous plafond des effectifs et à budget constant »), c’est au fond toute l’histoire de la gendarmerie. Les conditions de création du GIGN illustrent parfaitement cette capacité d’adaptation. Comment la gendarmerie a-t-elle développé l’intervention pour neutraliser forcenés, preneurs d’otages et terroristes ?
Le GIGN de Mont-de-Marsan en novembre 1973.
Un besoin crucial d’unités spécialisées d’intervention. Vers la création d’un escadron Parachutiste d’Intervention de la Gendarmerie nationale (EPIGN)
Au début des années 1970, alors qu’elle est déjà pleinement engagée dans toute une série de réformes pour accroître sa performance dans les domaines de la police judiciaire, du maintien de l’ordre (on tire les leçons de mai 68), de la sécurité routière, de la recherche du renseignement, la gendarmerie se trouve confrontée à un nouveau défi : comment faire face au développement du terrorisme, à la multiplication des prises d’otages ?
Un événement a particulièrement marqué les esprits. L’affaire du forcené de Cestas en février 1969. Les médias et l’opinion publique se déchaînent contre les gendarmes qui pensent avoir fait leur devoir, tout en étant conscients des limites de leur savoir-faire et de l’inadéquation des moyens employés au regard de la situation. Cette dramatique affaire déclenche une réflexion générale dans les rangs de la gendarmerie. Le constat est simple : les moyens propres à la défense opérationnelle du territoire ne sont pas adaptés pour neutraliser un ou plusieurs individus retranchés, dans le cadre d’une opération de police judiciaire. De quel outil se doter alors pour affronter les situations extrêmes impliquant un risque létal ? Comment former les intervenants, comment les équiper ?
En réalité, depuis mai 1968, la gendarmerie s’est principalement souciée des différentes formes d’intervention au maintien de l’ordre, en faisant un effort sur la formation et les équipements. La circulaire n° 8400 MA/GEND/T du 27 février 1969 (moins d’un an après mai 68 !) donne naissance à l’Escadron léger d’intervention rapide (ELIR). L’innovation tient à l’intrusion du terme « intervention » dans le vocabulaire et à la dotation de 23 véhicules légers tous chemins équipés de postes radio. D’abord des jeeps, qui ont plus de 25 ans, puis des Méhari, pratiques pour circuler un peu partout mais n’offrant aucune protection. L’ELIR intervient au maintien de l’ordre (MO) face à des groupes de manifestants très mobiles et participe aux missions de sécurité générale, notamment la nuit. Parallèlement, une tenue spécifique au maintien de l’ordre voit le jour : la tenue 4S. Celle-ci va évoluer au fil du temps pour aboutir aujourd’hui à la panoplie dite « Robocop ». Curieusement, aucune unité spécifique, dévolue à l’intervention, hors cadre MO ou DOT, n’est mise sur pied, immédiatement après le drame de Cestas. Les affaires de cette nature continuent à être traitées par les unités de gendarmerie départementale renforcées par la gendarmerie mobile. Pourtant, mai 68 a laissé des séquelles révolutionnaires et des groupes armés font leur apparition. Il est vrai qu’« Action directe » ne se fera connaître qu’en 1979, alors que la « Rote Armee Fracktion » (RAF-bande à Baader) intervient dès 1968 en Allemagne. Ce n’est pas la réflexion qui manque ; l’idée de l’intervention adaptée chemine dans les esprits et nombre de militaires de la gendarmerie évoquent la création d’un outil de lutte antiterroriste, mais la direction de la gendarmerie et de la justice militaire doit faire face à de nombreuses priorités. « On ne peut pas tout faire en même temps ». En 1970, une loi et un décret vont largement occuper nos stratèges : la gendarmerie doit incorporer des appelés du contingent(1). Les gendarmes auxiliaires font leur apparition. Une priorité en chasse une autre… La gendarmerie s’active pour accueillir ses appelés : il faut rapidement mettre sur pied des centres de formation et organiser la logistique relative à l’habillement, l’hébergement, la nourriture. Ce bouleversement n’a pas suscité que de l’enthousiasme, au début.
Premier insigne de l’EPIGN
Dans le même temps, le 1er janvier 1971, est décidée la création d’un escadron parachutiste pour répondre à plusieurs préoccupations(2). Il s’agit tout à la fois de fournir à la 11e division parachutiste une unité prévôtale adaptée, de participer à des opérations de MO nécessitant un engagement « à caractère rude », d’assurer des missions de sauvetage ou de secours, et bien sûr de contribuer à la Défense Opérationnelle du Territoire. Sans aucun moyen spécifique, l’escadron démarre sur les chapeaux de roues, enchaînant formation physique et manœuvres. Les pionniers de 1971 évoquent encore, avec des trémolos dans la voix, les premières manœuvres - « Teckel » - dans le piémont pyrénéen. Sous une pluie battante et sans aucun équipement de protection, les bérets noirs s’étaient munis, au gré de leurs trouvailles, de sacs en plastique ou de morceaux de bâche agricole qui faisaient office de ponchos. Il y en avait de toutes les couleurs et le chef n’avait pas apprécié. C’est à ce moment-là qu’a été adopté le « plastique noir », marque déposée Escadron Para, rectangle à taille réglementaire, plié et roulé sur le sac à dos et servant à la fois de sac de couchage et de toile de tente. Rustiques les paras, certes, mais uniformes !
Peu de temps après, une demande de moyens appropriés aux missions commando est agréée par le commandement de la région de gendarmerie qui envoie rapidement à l’unité un bric-à-brac, type « vide grenier », issu du stock de la mobilisation. Des gourdes datant de la Première Guerre mondiale, avec bouchon en liège, des tentes US de la même époque, des lampes à pétrole, des treillis difformes, quelques cordes à nœuds et autres objets antédiluviens qui auraient pu intéresser un petit musée militaire de province, et encore. Pourtant, la gendarmerie dispose avec l’escadron para d’un outil multifonctions qui acquiert des savoir-faire spécifiques et « les jeunes loups aux fesses maigres » ne demandent qu’à en découdre. L’escadron parachutiste de GM ne tarde pas à devenir, sous l’impulsion de son premier commandant, une pépinière de spécialistes, notamment dans le domaine des techniques commandos. Mais, la crédibilité tient aux succès opérationnels et, à ses débuts, l’escadron parachutiste n’a pu se distinguer qu’au MO. La direction de la gendarmerie hésitait à lui confier un rôle qui aurait pu hypothéquer sa mission prévôtale.
L’onde de choc de l’attentat de Munich et la création du GIGN
En 1972 survient un événement dramatique qui va conditionner la réflexion des décideurs et entraîner la création d’un autre type d’unité. Au cours des jeux olympiques d’été de Munich, le 5 septembre, un commando de l’organisation palestinienne « Septembre noir » prend en otages et tue 11 athlètes israéliens. Les forces de l’ordre allemandes interviennent pour neutraliser les assaillants. Le bilan est lourd - 11 Israéliens, 1 policier allemand et 5 terroristes sont tués - et le monde entier prend soudain conscience de la réalité de la menace terroriste et de la complexité à s’en prémunir ou à intervenir à chaud.
Il est clair que la gendarmerie a naturellement vocation à intervenir en pareille circonstance : une prise d’otages s’inscrit dans un cadre juridique qui relève de l’emploi des forces de l’ordre, et, parmi les forces de l’ordre, celle qui dispose d’un armement adapté et d’un savoir-faire militaire se trouve plus spécifiquement impliquée. C’est logique. Mais, il faut néanmoins compter un an après les JO de Munich (à l’époque il n’y a ni informatique ni téléphone portable, et on prend le temps de la réflexion et de la rédaction manuelle revue et corrigée) pour que la direction de la gendarmerie décide de créer une Équipe commando régionale d’intervention (ECRI) au sein de l’escadron de gendarmerie mobile 2/2 de Maisons-Alfort. Il est intéressant de noter dans cette dénomination l’emploi de « commando » et d’« intervention », ce qui indique que les membres de cette unité auront suivi une formation militaire particulière leur conférant un savoir-faire bien spécifique. Le virage est pris. Plus question de laisser une unité territoriale classique seule aux prises avec des terroristes ou des forcenés puissamment armés. La polyvalence, qui veut que le gendarme de base sache tout faire, trouve ses limites, comme l’a démontré Cestas.
Un membre de l’EPIGN à l’entraînement
au début des années 1980.
À l’heure où la gendarmerie s’engageait résolument dans la création d’unités spécialisées pour devenir plus performante, et donc plus crédible, en police judiciaire, en sécurité routière, dans sa mission de renseignement et de maintien de l’ordre, il était temps qu’elle investisse le créneau de l’intervention pour contrer une menace émergente qui allait prendre de l’ampleur. On sait comment l’impérieuse nécessité d’agir vite, et surtout bien, s’est concrétisée sous l’impulsion de quelques caractères bien trempés, au prix, parfois, de quelques courts-circuits de la hiérarchie, pour que l’ECRI cède la place, fin 1973, au Groupe d’intervention de la Gendarmerie nationale (GIGN n° 1), tandis que le GIGN n° 4 s’organisait au sein de l’escadron para. Après la sélection des militaires à Maisons-Alfort comme à Mont-de-Marsan, un stage de tir aux armes de poing et au fusil à lunette à l’école interarmées des sports de Fontainebleau, en novembre 1973, a donné le coup d’envoi d’une formation aux multiples facettes (tir, explosifs, franchissement, sports de combat et plus tard négociation, moyens spéciaux…) en perpétuelle évolution, prix à payer pour garantir à la gendarmerie le label « pôle d’excellence » dans l’intervention.
La circulaire du 27 juin 1977 fusionne les GIGN n° 1 et n° 4 en une nouvelle unité à compétence nationale basée à Maisons-Alfort. Rattachée au 2e groupement de gendarmerie mobile, elle est commandée par le capitaine Christian Prouteau. En octobre 1983, la création du Groupement de sécurité et d’intervention de la Gendarmerie nationale (GISGN) permet de réunir le GIGN et l’EPIGN au sein d’une même formation.
En quelques années l’intervention a tracé son chemin en gendarmerie au point de déferler dans de nombreux sigles : ELIR-ECRI-GIGNEPIGN-PSIG-ELI-BRI-PI-PI2G… Évidemment elle ne recouvre pas, dans chacune des unités qui s’en prévalent, les mêmes notions, mais elle démontre la volonté de la gendarmerie d’apporter en toutes circonstances une réponse rapide et adaptée aux problèmes qui sont de son ressort. Elle se décline à tous les niveaux et constitue en elle-même un puissant motivateur pour la performance. Porter un écusson ou un badge comportant ce « I » incite à ressembler, au moins un peu, au GIGN… Et c’est tout un symbole !
(1) Loi n°70-596 du 9 juillet 1970 (article 14) et décret n°70-1347 du 23 décembre 1970.
(2) Décision n°46.393 du 28 novembre 1970.