Dossier : aux origines du GIGN
GIGN, comment c’était quand tu étais petit ?
Claude Gervais
Général (2s) de division
Ancien commandant de l’escadron 2/2 de GM
de Maisons-Alfort
Si aujourd’hui le GIGN est un peu devenu le « Rafale » de la Gendarmerie nationale et qu’à la lecture du long développement qui lui est consacré sur Wikipédia, on pourrait être tenté de croire que sa création s’est imposée comme une évidence, en fait il n’en fut rien. La conception, l’accouchement et la petite enfance furent tout sauf un long fleuve tranquille et sans la conviction, oserai-je écrire la foi, de quelques-uns, heureusement à peu près harmonieusement répartis dans la hiérarchie, le risque eut été grand que l’Institution ne manquât cette occasion de résolument innover.
Curieusement (?) une décennie plus tard le même scénario se reproduisit pour le futur IRCGN qui ne dut sa place, chèrement conquise dans le paysage de la police judiciaire scientifique, là encore, qu’à une poignée de « croisés du progrès » qui prirent pas mal de risques et bousculèrent de sérieuses réticences.
Ne vous méprenez pas. Je n’entends pas ici décerner des lauriers, même s’ils sont mérités, encore moins régler des comptes. Simplement j’aime trop l‘Histoire pour croire qu’elle puisse se résumer à sa version officielle, bien astiquée pour être présentable, tout en taisant les hasards ou les arrangements qui parsèment la frontière ténue entre le succès et l’échec. En voici donc relatés quelques-uns, à partir de l’an de grâce 1972.
Le capitaine Gervais en séance de debriefing lors d’un entraînement
commando de gendarmerie mobile à Mondésir en 1972.
La Genèse
Si on a vu par ailleurs comment la dramatique affaire de Cestas en 1969 avait mis en évidence les carences en matière d’intervention de la gendarmerie départementale, les enseignements des rudes engagements au maintien de l’ordre, l’année précédente, avaient de même incité à la réflexion sur la nécessité de disposer au sein des escadrons d’éléments légers et dynamiques, capables d’aller appréhender au sein même des manifestants les « pousse-au crime », courageusement embusqués derrière les premiers rangs.
La synthèse de ces analyses, sous l’égide du général commandant la 1re région de gendarmerie (précédemment en poste à Bordeaux) et l’impulsion vigoureuse du nouveau patron de la Légion de gendarmerie mobile d’Île-de-France (LGMIF) à la fin de l’année 1972, a vu la création, au sein des escadrons de cette dernière, de petites équipes, baptisées sans aucun complexe commandos, plus dynamiques et entraînées que le commun de leur unité, à même de remplir ce genre de mission. Comme le budget peinait à suivre, on dénicha à proximité d’Étampes une base aérienne pratiquement désaffectée, au nom prédestiné de Mondésir, où l’on rassembla, dans des conditions pour le moins précaires et rustiques, pour un stage de formation, puis quelques entraînements périodiques, ces équipes franciliennes. Chaque escadron désigna un officier, en principe lieutenant jeune et sportif, pour entraîner, encadrer et commander sur le terrain la formation de son unité. Un véritable vivier s’était ainsi progressivement constitué, nimbé parfois, il faut le dire, du scepticisme amusé et un rien condescendant des « vieux de la vieille », vétérans des campagnes de 1968. Puis germa tout naturellement, dès 1973, l’idée d’en extraire « l’huile essentielle », dégagée de toutes les autres contraintes de service, afin de la consacrer exclusivement à un entraînement intensif, qualifiant ce noyau dur pour venir prêter main-forte à la Départementale lorsqu’elle se trouvait confrontée à des situations extrêmes que seule une intervention de vive force pouvait résoudre.
C’est sur cette tour à la caserne de gendarmerie
à Maisons-Alfort que les premiers membres
du GIGN ont débuté leurs entraînements.
Pour un certain nombre de raisons, l’escadron 2/2 de Maisons-Alfort fut choisi comme structure d’encadrement et de soutien de cette Équipe régionale commando d’intervention (ECRI), forte d’une petite vingtaine d’hommes, recrutés sur l’ensemble de la région dans toutes les subdivisions d’Arme, y compris au sein de la Garde républicaine, et placée sous le commandement direct du lieutenant Prouteau. La personnalité, hors normes, de ce dernier, qui se morfondait jusque-là dans un escadron du 3e groupement, avait en effet émergé lors des périodes à Mondésir. Car il allait bien falloir un chef sortant du commun, voire un as de l’improvisation pas vraiment inhibé par le TTA(1), pour parvenir à créer de toutes pièces un outil performant, presque sans moyens.
Une grossesse pas vraiment désirée
La vérité oblige à dire en effet que la haute hiérarchie considérait alors d’un œil un peu torve cette initiative. L’adage « la Gendarmerie est une vieille dame » incitait à la circonspection les gardiens des mânes de Gallois de Fougières devant ces velléités d’y introduire des pratiques, estimaient-ils, de western. Il fallut donc faire avec « les moyens du bord » et là, l’imagination épaulée, osons le mot - il ne m’en voudra pas, même s’il est aujourd’hui auréolé de la respectabilité préfectorale - du culot du lieutenant Prouteau et de sa garde rapprochée fit merveille grâce, il est vrai, à la myopie et la surdité complices de l’encadrement du 2e groupement de gendarmerie mobile.
En voulez-vous des exemples ? Je n’en citerai que deux, même s’ils sont légions, parmi les plus avouables : le premier concerne l’entraînement au tir et le second la dépose par hélicoptère. Il était indispensable d’obtenir des membres du groupe une maîtrise absolue du tir instinctif au pistolet. La lourdeur de la gestion des stands de tir en région parisienne, avec sa multitude de parties prenantes, était incompatible avec une pratique intensive. Il nous fallait donc, à défaut d’un stand, un pas et une butte de tir à demeure. Les glacis du Fort de Charenton (aujourd’hui entièrement occupés par des immeubles) offraient certes l’espace nécessaire mais pas un liard n’était disponible pour réaliser l’installation ! Fort heureusement la gendarmerie mobile de Maisons-Alfort accueillait encore à l’époque en son sein une brigade motocycliste qui prêtait main-forte à la GD pour la circulation routière. Or, la RN 19 qui longeait le quartier était alors régulièrement empruntée par de lourdes bennes qui emmenaient les déchets des chantiers de l’agglomération vers une décharge proche, sise à Créteil (94). Une soudaine intensification des contrôles de « coordination des transports », comme on disait à l’EOGN, permit de proposer à nombre de transporteurs en infraction d’éviter une coûteuse répression de la « surcharge à l’essieu » en venant déverser leurs gravats dans le fossé voisin du fort. La butte de tir prit ainsi rapidement un solide embonpoint.
Une séance d’entraînement au stand de tir de Maisons-Alfort.
Le temps passant, l’aguerrissement de l’équipe progressant rapidement, grâce à un entraînement plus que soutenu, le moment vint aussi d’innover dans les méthodes. Les exercices conduits avec la section d’hélicoptère de la gendarmerie de Satory avaient mis en évidence, entre autres, le point faible de la dépose d’un élément d’assaut sur le toit d’un immeuble : le bruit de l’appareil équivalait à prévenir la cible qui y était barricadée de l’imminence et du point de départ de l’intervention. Toutefois plusieurs expérimentations nous démontrèrent qu’un survol de l’objectif supérieur à 50 m, ne permettait plus de déterminer précisément le point d’application de la manœuvre. Prouteau mit alors au point une audacieuse technique de descente en rappel express depuis l’hélico, aujourd’hui devenue courante pour les forces dites spéciales, mais alors révolutionnaire et absolument pas cautionnée par une DGGN plutôt frileuse. Très rapide et spectaculaire, la méthode présentait hélas l’inconvénient d’user les cordes (rappels de 120 m particulièrement onéreux) à une vitesse grand V à cause de l’échauffement et leur rythme de réforme dépassait très largement les ressources chichement allouées. Fort heureusement le concours de l’ECRI ayant été accordé sous convention pour le tournage du film Peur sur la Ville avec Jean-Paul Belmondo, la démonstration et la proposition faite à Henri Verneuil d’inclure la séquence sur une des tours de bord de Seine enthousiasma le metteur en scène. C’était toutefois sans compter avec le syndicat des cascadeurs professionnels, outrés de voir les gendarmes « casser les prix » de ce type de prestation. Comme il était exclu de sortir réglementairement du tarif de la convention, notre futur préfet, également fin négociateur, argua, auprès du producteur, du taux d’attrition des cordes consécutif à la répétition des prises de vues et… d’une solide compensation envisageable… Du coup l’ECRI se trouva pourvue en cordes de rappel pour un certain temps !
Un numéro complet de votre revue historique ne suffirait pas à relater tous les cas comparables dans lesquels il fallut pallier l’absence de crédits et de moyens matériels pour, à force d’imagination et de « débrouille », mettre peu à peu sur pied un outil performant. Certes, il n’est pas question, encore une fois de polémiquer ici, mais de relater avec honnêteté la naissance et la petite enfance laborieuses de ce qui est devenu l’un des fleurons de l’image de marque de notre Arme.
Car même les résultats probants des premières interventions peinèrent à convaincre les cerbères de la doctrine et il fallut dans ces premières années la conjugaison de la créativité et de la foi des principaux protagonistes, heureusement assurés du soutien sans faille de la très forte personnalité du commandant de la LGMIF d’alors(2), pour vaincre progressivement les réticences. De fait, elles ne s’estompèrent réellement qu’après la fusion avec l’unité formée au sein de l’escadron para de Montde-Marsan (la plateforme parisienne s’étant imposée d’évidence pour répondre aux besoins de la rapidité de projection sur le territoire et au-delà). Surtout, en février 1976, la superbe intervention de Loyada (Territoire de Djibouti), l’action à la fois déterminante et héroïque du tout nouveau GIGN, marqua définitivement les esprits.
Mais, comme disait ce cher Rudyard Kipling, ceci est une autre histoire que d’autres vont, je pense, continuer de vous raconter…
Une séance d’entraînement à la maîtrise de forcené à Maisons-Alfort en 1980.