Histoire et Patrimoine des Gendarmes

Dossier : aux origines du GIGN

Entretien avec Christian Prouteau, le premier chef du GIGN

Rédaction


C’est bien connu, vous êtes tombé dans la gendarmerie quand vous étiez petit.
Cette expérience familiale a-t-elle représenté un atout ou un inconvénient, lorsque vous avez débuté votre carrière dans la gendarmerie mobile ?

Très certainement un atout. Tout d’abord, j’ai été influencé par l’exemple de mon grand-père, ancien adjudant de gendarmerie, dont j’ai admiré le maintien, la rigueur, le propos, l’autorité, typique d’une formation militaire rigoureuse axée sur un certain nombre de valeurs. Puis, bien sûr, mon père a beaucoup compté dans mon choix. Je l’ai vu dans l’exercice de son commandement. J’ai pu apprécier sa relation particulière avec son personnel qui l’estimait beaucoup et ceci dès sa première mutation comme lieutenant de la compagnie de Ghisonaccia en Corse.

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Le capitaine Christian Prouteau du GIGN à son bureau de Maisons-Alfort.

Nous habitions au-dessus des bureaux et étions étroitement mêlés à la vie de la compagnie. Du haut de mes six ans, j’ai compris et appris beaucoup en regardant et en écoutant. À cette époque la gendarmerie était démunie de tout. Nous n’avions ni l’eau courante, ni l’électricité. Heureusement, mon père faisait preuve d’une grande ingéniosité. Il était capable de tout réaliser avec ses mains. Je me souviens notamment du groupe électrogène qu’il avait récupéré et remis en état. En tirant une ligne de près d’un kilomètre, il avait pu équiper tous les locaux et les appartements des familles en électricité. Malgré le manque de moyens (papier, essence, véhicules…), ses hommes et lui ne se plaignaient jamais et leurs résultats professionnels étaient exceptionnels. Cet esprit pionnier alla jusqu’à la construction en particulier d’un immense garage, qui, une fois par mois, avec la complicité d’un ami de mon père qui faisait du cinéma itinérant, devenait une salle de projection réunissant tout le village. Cela renforçait ce lien étroit avec la population qui faisait la force de la gendarmerie.

Entre-temps, je suis parti deux ans aux enfants de troupe à Autun. Cette formation a également compté. Quand je retournais dans ma famille, je continuais à suivre la carrière de mon père. À la compagnie de Pithiviers, il conservait le même esprit qu’en Corse. Il n’était jamais découragé, quels que soient les obstacles. À la direction de la gendarmerie, il eut l’occasion de réaliser plusieurs projets novateurs. Ainsi, il conçut et développa le rapprochement judiciaire automatisé, en créant les centres de rapprochement des renseignements judiciaires (CRRJ) en 1967, puis en favorisant la mise en place des sections de recherche en 1975. Par ailleurs, le système optique qu’il a développé (système Prosam) a servi de référence pendant plusieurs années avant d’être remplacé totalement par l’informatique en 1983. De cette époque, j’ai appris l’esprit pionnier et la conviction qu’il ne faut pas attendre les moyens de réussir, mais qu’il faut se les donner soi-même. Cela m’a beaucoup servi pour la création du groupe.

Quelles étaient vos fonctions avant de prendre le commandement du GIGN ? Quelles étaient vos aspirations professionnelles avant de rejoindre le GIGN ?

Comme tous mes camarades de promo, j’ai été muté en gendarmerie mobile en juillet 1972 à la sortie de Melun. Mon classement, plus que moyen, m’a conduit à l’escadron de Saint-Denis. Cela m’arrangeait plutôt, ayant, pour des raisons familiales, opté pour la région parisienne. C’était une période difficile avec un maintien de l’ordre dur. Mais, la vie en escadron m’a plu. Chargé de l’instruction, j’ai pu me rendre compte du faible niveau de la formation à l’époque. Malgré la bonne volonté du personnel, les résultats étaient plus que médiocres, tant sur le plan de la manœuvre que celui de l’emploi des armes, des grenades à main, des lance-grenades, des séances de tir… Concernant ce domaine, j’avais d’ailleurs relevé une phrase dans la circulaire sur l’instruction qui m’avait laissé perplexe, ne sachant si le rédacteur avait fait preuve d’humour ou s’il était sérieux. Voici ce que l’on pouvait y lire : « Le manque de munition sera compensé par de solides connaissances techniques. »

Très rapidement, j’ai appris à mes dépens qu’il était sérieux et je découvrais une gendarmerie, au contact de sa hiérarchie, très éloignée de celle que j’avais connue à travers mon père. Ceux qui ne m’ont pas déçu par contre, c’était les hommes… En parallèle de ce travail dans mon escadron, j’ai accepté d’être officier instructeur au centre de formation commando, destiné à former des équipes solides, mobiles, souples, rapides, capables dans les escadrons de maîtriser des meneurs en manifestations dures ou de pénétrer dans des locaux occupés ce qui était fréquent à cette époque… Ce centre était sous la responsabilité du capitaine Jean-Pierre Baux, un officier brillant, exemplaire, qui a compté dans ma vie. C’est lui qui m’a choisi pour CRÉER et commander ce qui allait devenir le GIGN.

Au moment de la création du GIGN, quelles étaient les affaires de référence ? Le forcené de Cestas en 1969, la prise d’otage de Clairvaux en 1971, la prise d’otage de Munich en 1972 ?

Les trois : je connaissais bien la malheureuse opération de Cestas. Elle avait été conduite par un camarade de promotion de mon père qui ne s’est jamais remis de cet échec. Qui pouvait lui reprocher l’erreur d’appréciation consistant à penser qu’un père ne pouvait tuer ses deux enfants, ce qu’il a pourtant fait au moment de l’assaut ?

Concernant les deux mutins de Clairvaux, il s’agit d’une nouvelle erreur d’appréciation. Les autorités estimaient que les preneurs d’otages ne pouvaient pas égorger de sang-froid une femme. Malheureusement, les deux détenus, acculés, ont mis leur menace à exécution. Par ailleurs, l’escadron de gendarmerie qui est intervenu possédait des moyens dérisoires. De plus, une mauvaise utilisation de l’explosif, faute d’expérience, a ralenti la progression des gendarmes vers l’infirmerie où étaient barricadés Claude Buffet et Roger Bontemps. Avant l’assaut final, les deux hommes ont pu se retourner contre leurs otages.

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Le GIGN a très tôt mis en place une politique de communication
pour mieux faire connaître son action.

Enfin, l’intervention policière, lors des Jeux olympiques de Munich, est une opération dans laquelle on trouve tout ce qu’il ne faut pas faire. Ce serait trop long à expliquer, mais, en analysant cet échec et les deux autres, j’ai su qu’il fallait créer une unité spécialement préparée pour ce type de mission. Il importait d’établir un mode de schéma tactique novateur, sans rapport avec le schéma commando spécifique à la guerre. En effet, en temps de paix, toute action des forces de l’ordre est immédiatement jugée par les médias. Cela rend souvent les politiques incapables de décider et d’agir. Il fallait donc que la gendarmerie puisse proposer à ces autorités une unité d’intervention spécialement formée pour mener des négociations et, éventuellement, des assauts garantissant au maximum la vie des otages et même… celle des ravisseurs.

Quelles étaient les missions prioritaires du GIGN à sa création ? L’intervention contre des forcenés ? La lutte contre le terrorisme ?

Les deux, mais aussi les prises d’otages à caractère crapuleux ou désespéré (comme Cestas) plus le soutien aux brigades pour les arrestations difficiles.

Avez-vous rencontré des réticences au moment de la création du GIGN ? Au sein de la gendarmerie ? À l’extérieur (préfets de région) ?

Oui, c’est incontestable même si quelques soutiens nous ont été rapidement acquis. C’est le cas du général Héraud, commandant la 1re région, qui était à l’origine de cette création. C’est lui qui m’avait reçu pour me confier cette mission. Je ne veux pas oublier non plus le capitaine Gervais qui commandait l’escadron 2/2 auquel nous étions rattachés avant de devenir une unité à part entière, qui m’apporta un soutien indéfectible. Mais également un peu plus tard le colonel Beaudonnet commandant le groupement, officier au parcours exceptionnel, dont la sagesse et les conseils m’ont été précieux pendant les heures difficiles. De même, le directeur de la gendarmerie et de la justice militaire, Jean Cochard, successeur de Jean-Claude Périer, est venu nous voir en présentation au centre de Mondésir dès 1974. Il réalisa immédiatement l’importance de cette unité. Malgré cela, nous avons dû affronter une réelle hostilité durant plusieurs années. Pour beaucoup d’officiers, nous n’étions que des « cow-boys ». Rien que ce sujet prendrait des pages pour vous faire mesurer les obstacles et l’opposition systématique que nous avons rencontrés. Paradoxalement, nous avons été tout de suite acceptés par les autorités judiciaires et administratives, tant au niveau des procureurs que des préfets. Très rapidement, il a été organisé un tour de France avec des démonstrations pour présenter cette nouvelle unité. J’avais élaboré avec mes hommes un véritable spectacle qui permettait de juger de notre niveau de compétence et qui faisait son effet auprès des autorités. J’ai, en particulier, mis au point et développé la descente en rappel avec corde lisse à partir d’hélicoptère pour approcher les bâtiments élevés. Cette technique a naturellement été copiée par les unités à travers le monde à partir de 1974. La plupart sont venues se former chez nous, comme le groupe Delta en 1980. Le réalisateur Henri Verneuil, impressionné par cette technique (nous descendions 120 m à partir d’un hélico en 15 secondes), nous a même fait tourner une séquence mémorable avec Jean-Paul Belmondo dans son film Peur sur la ville.

Quels étaient vos moyens, au moment de la création du GIGN ?

Ridicules. Nous n’avions rien, pas d’arme spécifique, pas de munition. Mais, à force de ténacité, j’ai pu obtenir des 49/56 à lunette et des MAC 50 préalablement sélectionnés. J’ai surtout demandé le versement de FRF1, des fusils de tireurs d’élite que l’armée abandonnait en supprimant les tireurs de précision des sections. Nous avons tout sélectionné, développé : les armes, les munitions, les moyens de dispersion de CB en poudre, les explosifs, les moyens d’observation, d’investigation, de radio, de protection avec le kevlar… Nous sommes ainsi arrivés au plus haut niveau technique et tactique jamais atteint par une unité. Personnellement, j’ai inventé et développé le tir simultané fusil avec une technique spécifique permettant de toucher au milieu d’otages plusieurs preneurs d’otages dans la même seconde, ce que nous avons fait le 4 février 1976 à Djibouti (Loyoda). Ce côté pionnier, dont je parlais dans ma première réponse, a permis à cette petite unité, partie de rien, de devenir la meilleure unité d’intervention du monde dès 1975.

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L’emploi de tireurs d’élite a donné toute sa force au GIGN
dès ses premières interventions.

Quels étaient les profils des premiers gendarmes du GIGN ? Avaient-ils des parcours atypiques ?

Non, mais la plupart étaient plus ou moins en rupture de ban avec une gendarmerie « traditionnelle » n’arrivant pas à gérer les fortes personnalités atypiques. Ce sont eux qui ont fait ma force. Je n’ai jamais eu de mal à être suivi par les hommes. Mon passage chez les éclaireurs de France, comme chef de troupe, y est sans doute pour quelque chose, même si chez moi, c’est naturel…

On dit qu’après un accident grave survenu lors d’un entraînement, l’existence même du GIGN a été remise en cause. On dit aussi que la fille du ministre de la Défense, Charles Hernu, a joué un rôle dans le maintien du GIGN. Qu’en est-il exactement ?

Non, après la mort du maréchal des logis-chef Raymond Pasquier, survenue le 23 avril 1977, il n’a jamais été question de supprimer le groupe. En revanche, c’est moi qui ai voulu partir. Ce gradé est mort à mes pieds lors d’une démonstration sur un immeuble à la caserne de Maisons-Alfort. Même si c’est lui qui avait commis une erreur technique qui lui a coûté la vie, je me sentais responsable. Ce sont mes hommes qui m’ont soutenu et retenu… Dure, dure cette vie…

En réalité, c’est à l’arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981, que l’existence du GIGN a été remise en cause. J’ai d’abord été informé par un journaliste. J’avais d’autant plus de mal à y croire, qu’en janvier 1981, nous avions résolu, sans un coup de feu, une des plus belles opérations du groupe en obtenant la reddition de 36 hommes armés du FLNC avec des otages à l’hôtel Fesch à Ajaccio. Quelque temps après, j’ai été reçu par le directeur de la gendarmerie et de la justice militaire, Charles Barbeau, qui m’a confirmé la décision du Gouvernement en me demandant juste que mes hommes ne fassent pas de troubles… Durant cette période, personne n’a bougé le petit doigt pour nous défendre, ni dans la hiérarchie, ni ailleurs… Nous avions pourtant un palmarès opérationnel inégalé avec 67 opérations depuis mars 1974 et près de 400 otages libérés. C’est moi et moi seul qui a réussi, avec l’aide du gouverneur militaire de Paris, le général Perier, à rencontrer Charles Hernu. Je l’ai convaincu de venir voir le GIGN pour qu’il juge par lui-même de « ce que nous étions capables de faire et surtout de ne pas faire… ». C’est ce qu’il a fait en mars 1982, en présence de toute la commission parlementaire de défense… À titre anecdotique, c’est moi qui ai informé le directeur Barbeau de cette visite… La fille d’Hernu n’a donc rien à voir avec tout ça ; encore une légende urbaine…

Quels ont été vos apports personnels au GIGN ?

C’est simple tout. Je suis personnellement intervenu dans tous les choix techniques et tactiques ainsi qu’en en matière d’entraînement technique de formation opérationnelle, de techniques de franchissement et d’entraînement au tir (je pense avoir été un des meilleurs tireurs au 357.mag au monde, j’ai même donné des cours au FBI à Quantico). Je suis à l’origine de la mise en place du stand de tir à Maisons-Alfort et de la construction de la caserne de Satory (la flèche), etc. Je ne suis pas mytho, demandez à mes hommes ils vous le confirmeront…

À partir de quelle affaire avez-vous compris que le GIGN avait gagné l’adhésion de tous ?

Le GIGN a acquis une renommée internationale à partir de 1976 à l’issue de la libération des enfants retenus en otage par des terroristes à Djibouti. C’est après cette opération que j’ai demandé et obtenu avec l’aide du général Raynaud commandant la 1re région, le brevet n°43, la qualification parachutiste pour le GIGN…

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Au moment de la création du GIGN, et lors des premières années qui ont suivi, quelle a été l’attitude de la police ? Avez-vous eu des contacts avec les GIPN ?

À la fois envieuse et admirative. Les GIPN n’existaient pas en dehors de celui de Marseille avec un « maniaque de la gâchette » à leur tête qui s’appelait N’Guyen van Lok. Sa seule gloire est d’avoir descendu une femme désaxée dans une caravelle à Marseille en juillet 1973. On croisait aussi les gens de l’anti Gang avec Broussard et de l’OCRB, mais, coté opérationnel c’était des folklos sachant à peine tirer, mais c’est une autre histoire…

Pour conclure, l’histoire de la création du GIGN est certainement la plus belle aventure militaire de temps de paix du XXe siècle. J’ai eu, à 29 ans, le privilège d’être choisi pour créer cette unité à laquelle j’ai inculqué des principes éthiques, dont le respect de la vie, auquel elle n’a jamais dérogé. Plus que le geste opérationnel, c’est sans doute ce dont je suis le plus fier… Ma vie, grâce à mes hommes, a été exceptionnelle et sans eux, je n’étais rien. Sur 67 opérations en 9 ans, j’en ai commandé 64 et je n’avais pas besoin de me retourner, ils étaient toujours là… J’espère, en ayant répondu à vos questions, vous avoir permis de mieux comprendre cette aventure…

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