J’y étais
Au groupe d’escadrons Muong. Les souvenirs de l’adjudant-chef Marcel Rouby, garde au pays Muong de 1948 à 1950
Ronan L’HEREEC
Aspirant de gendarmerie issu du volontariat
Service historique de la Défense -DEER
Dans cet entretien, l’adjudant-chef Marcel Rouby, revient sur sa carrière et plus particulièrement sur son affectation en Indochine d’avril 1948 à juin 1950, alors que la guerre contre le Vietminh fait rage. La Gendarmerie nationale se trouve alors engagée dans ce conflit au travers des Légions de marche de Garde républicaine (LMGR) qui sont créées dès le début de 1947. Trois légions sont formées et leurs effectifs, réunissant au total 95 officiers et 2 840 gradés et gardes, sont prélevés sur les forces françaises en Allemagne et, bientôt, dans toutes les subdivisions de l’Arme. Si elles participent dans un premier temps aux opérations en unités constituées, dès la fin avril 1947, elles sont plus spécifiquement affectées à l’encadrement des Autochtones. Par la 3e légion à laquelle il appartient Marcel Rouby est d’abord affecté dans l’île de Bao/Bentré, à 100 km au Sud de Saïgon. Puis il est muté au Nord, à Hoa-Binh, à 100 km à l’Ouest d’Hanoï. Cette 3e légion déployée au Tonkin, est chargée de surveiller l’organisation et l’emploi de la garde tonkinoise, et des gardes-frontières. Elles prennent à leur compte la construction et la garde de postes, constamment au contact du Vietminh. Dans ces postes parfois très isolés, deux ou trois gardes français vivent en autarcie au milieu des gardes autochtones. Ils subissent les embuscades sur le parcours des convois ou des patrouilles, et les fréquentes attaques de postes, surtout la nuit…
Section de partisans Muongs du garde Rouby (2e à l’extrême droite).
Pouvez-vous évoquer en quelques mots votre jeunesse ?
Je suis né le 19 février 1926 à Anlezy (Nièvre) dans une famille très pauvre d’ouvriers agricoles. Je suis l’aîné d’une fratrie de six enfants. Mon père était pupille de l’Assistance publique, alors que ma mère était elle-même issue d’une grande famille de huit enfants.
Après l’obtention du certificat d’études primaires en 1938, où je me suis classé « 1er du canton », j’aurais aimé poursuivre mes études. Mais, mes parents m’ont placé dans des fermes où j’ai travaillé jusqu’en 1944. Sans aucun confort, pas même l’eau, et sans repos hebdomadaire, les longues journées y étaient rythmées par le soin quotidien au bétail. En 1945, je suis devenu mineur de fond dans les mines de charbon de La Machine (Nièvre).
Comment débute votre carrière militaire ?
En 1946, j’effectue mon service militaire au 27e régiment d’infanterie à Dijon. Je suis alors chargé avec ma section d’encadrer six cents prisonniers allemands incarcérés au fort de La Motte Giron. Les tentatives d’évasion y sont nombreuses. Après quelques semaines, je suis désigné pour suivre un stage de sous-officiers à Saint-Maixent-l’École (Deux-Sèvres). J’y obtiens le brevet de chef de section et le diplôme de moniteur d’éducation physique. Ces qualifications me vaudront plus tard en Indochine d’être nommé chef de section, bien que simple garde, et d’être affecté en unité opérationnelle ou en poste isolé…
Quand entrez-vous dans la Gendarmerie ? Quelles sont vos conditions de vie ?
En 1947, je suis admis à ma demande à un stage de formation au Centre d’instruction de la Gendarmerie à cheval à Philippeville, en Algérie. L’école, plutôt spartiate, est dotée d’une salle d’instruction unique, d’une importante écurie avec une vingtaine de chevaux, et d’un manège non couvert. On y apprend l’équitation, le seul sport pratiqué au centre à raison d’une heure par jour, la discipline et le service intérieur. On y reçoit également des cours de rédaction des procès-verbaux, de langue arabe et un enseignement militaire. Outre les soins quotidiens aux chevaux, deux élèves sont désignés chaque jour en renfort de la brigade locale. Cela nous permet de participer aux enquêtes judiciaires et à la police de la route et par là même, de tester nos connaissances de la langue arabe.
Quelle est votre première affectation ? En quelle année êtes-vous envoyé en Indochine ?
Portrait du garde Rouby
durant son séjour en Indochine.
Après avoir été titularisé gendarme à cheval le 1er février 1948 à l’issue du stage, je suis affecté à la brigade à cheval de Trolard Taza, située aux confins du Sahara, dans la compagnie d’Affreville. Nous y effectuons des tournées de communes à cheval, qui durent souvent plus d’une semaine.
Le 26 avril 1948, je suis désigné d’office pour l’Indochine. J’embarque avec joie à Marseille le 5 mai 1948 sur le Maréchal Joffre en direction de l’Extrême-Orient. Je fais partie de la « première maintenance » mise sur pied pour remplacer les tués et les disparus d’Indochine. Débarqué le 29 mai 1948 au Cap Saint-Jacques, je suis finalement affecté en unité opérationnelle à Bentré sur l’île de Bao, au sein de la 3e LMGR qui relève le 7e régiment de tirailleurs-algériens.
Dès le 17 juin 1948, au cours d’une opération au village de Binh Chanh, dans l’île de Bao(1), Bentré, nous sommes pris à partie, pendant près d’un quart d’heure, avec notre section d’une trentaine de partisans, par des tireurs isolés cachés dans des cocotiers. Repliés dans un cimetière, j’essaie de me protéger au mieux, mais une balle m’atteint à l’avant-bras gauche, avant que notre riposte ne finisse par mettre les soldats Vietminh en fuite. Ce baptême du feu me vaut une hospitalisation de quarante jours à Mytho. Toutefois, comme au cours de cette embuscade nous n’avons fait aucun prisonnier, ni ramené aucune arme, mes chefs ne jugent pas nécessaire de m’accorder la moindre récompense alléguant que je suis arrivé très récemment de France et que les anciens doivent passer avant…
Comment se poursuit votre affectation en Indochine ?
Le 21 septembre 1948, je suis affecté en unité opérationnelle à Hoa-Binh, au groupe d’escadron Muong(2) de la 3e légion de marche, formant le bataillon Thaï de montagne. Ce groupe qui relève le 6e régiment de tirailleurs marocains est commandé par le capitaine Gauthier-Brillant. Nous sommes répartis avec des partisans et des supplétifs(3) dans une cinquantaine de postes isolés dans la jungle tropicale. Les conditions sont difficiles pour rejoindre Hoa-Binh. La dernière partie du trajet à partir d’Hanoï qui s’effectue à pied sur près de 100 km, s’engage en zone Vietminh au bout de 15 km. Des troupes de choc (parachutistes, légionnaires, tirailleurs, tabors…) nous ouvrent la voie sur la route coloniale n° 6, entièrement déformée et coupée en « touches de piano » (tranchées de plusieurs mètres de profondeur tous les 2 mètres environ). Nous l’empruntons à partir du 7 octobre. Nous y essuyons de nombreux tirs ennemis. Les rizières et les villages que nous traversons sont tous abandonnés, les populations ayant fui ou rejoint les zones ennemies.
Beaucoup de morts jalonnent les bas-côtés de la route et nous offrent une bien triste perspective… Le 12 octobre 1948, nous traversons la rivière Noire, large d’environ 400 mètres, au moyen de barges parachutées. Le lendemain, je suis affecté au poste de la Tour-Réduit avec les gardes Jean Darciaux et Pierre Ducas, ainsi que deux groupes de partisans. Cette tour sans porte ne possède que des meurtrières. On y accède par une échelle de plusieurs mètres, que l’on retire pour la nuit. Ainsi, nous sommes coupés du monde et bientôt gagnés par l’angoisse…
Jeune femme Muong sur la route
de Xom May/Hoa-Binh.
Fin octobre 1948, je suis muté au poste de Tu Vu en bordure de la rivière Noire, avec une section franche de partisans. Le poste est entièrement découpé de profondes tranchées et toutes les toitures des bâtiments sont recouvertes de palétuviers, afin de se protéger des tireurs ennemis postés en face de nous sur le mont Bavi. Nous protégeons également la circulation fluviale, de jour comme de nuit, et en particulier les Dinassaut(4) servant aux convois fluviaux qui, quand les eaux le permettent, apportent du ravitaillement et des véhicules aux divers postes. Sans eux, l’approvisionnement et la distribution du courrier se font par largage.
Pouvez-vous évoquer les événements tragiques du 9 janvier 1949 ?
Reconstruction du poste de Suyut.
Début janvier 1949, je suis affecté au poste de Suyut, avec une section de partisans. J’y fais la connaissance du père Louviaux, un capitaine aumônier militaire d’une grande bonté. Dès le 9 janvier 1949, mon poste est attaqué par plus de 1 000 rebelles. Après nous être battu toute la nuit, au petit matin, nos munitions sont presque épuisées. Le père Louviaux, persuadé que nous sommes tous perdus, nous donne alors l’absolution collective. Je n’ai conservé aucun souvenir de ce qui s’est passé ensuite… Ce n’est que 50 ans plus tard que j’ai appris les conditions de mon sauvetage, par un camarade travaillant au Service historique de Vincennes. Un compte rendu de la prise du poste révèle que j’ai été découvert en pleine brousse, inanimé et complètement déshydraté, dix jours après les combats, par des montagnards Muong. Ils m’ont ramené, au péril de leurs vies, au moyen d’un brancard de fortune, au poste de commandement d’Hoa-Binh, où ils m’ont laissé pour mort. Un gendarme m’a reconnu, mais malheureusement il ne m’en informa jamais. J’ai cherché toute ma vie…
Pouvez-vous dire quelques mots du terrible épisode du 29 août 1949 ?
Le 28 août 1949, le poste de Xom May, situé à une vingtaine de kilomètres au Nord d’Hoa-Binh en pleine forêt tropicale, signale qu’il est attaqué et harcelé. Il est occupé par mes camarades Jean Darciaux, Pierre Ducas, chef du poste et Bernard Boisnard, avec une trentaine de partisans. Dès le lendemain matin, je reçois l’ordre de me porter avec ma section au secours de ce poste qui ne répond plus. Je suis sous les ordres du capitaine Sanson et accompagné d’un médecin, le lieutenant Chenillet. À notre arrivée, nous découvrons un bien triste spectacle. Le poste, qui a été enlevé et incendié, fume encore et les corps de cinq hommes, trois Européens dont nos deux camarades Ducas(5) et Darciaux(6) et deux partisans, nous apparaissent la gorge tranchée, le ventre ouvert, les membres coupés et en partie brûlés… Nous n’avons pas pu identifier formellement le garde Boisnard(7) tellement il présentait de plaies… Le poste a vraisemblablement été pris par trahison en l’absence d’une partie des effectifs attirés par un mariage au village voisin.
Départ pour l’enfer dont beaucoup ne reviendront pas
(7 octobre 1948).
Après avoir pris quelques photographies, nous brûlons toutes les paillotes du village déserté et nous ramenons les cinq corps à Hoa-Binh où nos camarades sont inhumés. À l’issue d’une cérémonie commune aux cinq victimes, les corps de nos partisans sont ramenés dans leurs familles toutes proches. Mon moral est au plus bas. J’ai alors la nette impression que je ne reverrai jamais les miens, ni la France…
Comment se sont déroulés vos derniers mois en Indochine ?
De fin 1949 à avril 1950, malgré d’autres opérations et une légère blessure occasionnée par une grenade piégée au cours d’une patrouille, je passe entre les gouttes. En mai 1950, ma mission au Tonkin se termine(8). Soulagé de rentrer en France, j’ai quand même le cœur bien lourd d’abandonner mes partisans et leurs proches qui croient en moi, en mon pays, et je leur suis tellement attaché.
Je regagne Hanoï où je ne peux obtenir le bateau prévu pour mon départ, lequel est affecté prioritairement aux candidats à l’École des officiers de la Gendarmerie nationale à Melun. Dans l’attente du départ suivant, fixé un mois plus tard, le colonel, ne voulant sans doute pas me laisser inactif trop longtemps, m’affecte comme chef de poste de la centrale électrique d’Hanoi, point hautement sensible qui alimente toute la ville en électricité. J’y commande une section de partisans vietnamiens. Un jour, on m’informe que je dois être rapatrié par avion, ayant dépassé le temps normal de séjour. Ce départ ne se fait pourtant pas car, une nouvelle fois, la priorité est donnée aux volontaires pour partir en école. Cet avion n’arrivera jamais à destination. Il s’abîmera en mer Rouge, sans aucun survivant…
Petit avion naviguant à vue (rivière et route)
apportant du ravitaillement à Hanoï.
Quelles ont été vos affectations à votre retour en France ?
Le 13 juin 1950, je suis rayé des contrôles de la 3e légion. Embarqué à bord du Pasteur, je débarque à Marseille le 3 juillet 1950 et j’obtiens un congé de fin de campagne jusqu’au 6 octobre 1950, date à laquelle je suis affecté à la brigade de Varzy (Nièvre). J’y fais la connaissance de Monique, mon épouse, et me marie le 29 décembre 1951. Le 1er février 1952, je suis muté à la brigade de Saint-Saulge (Nièvre). Puis, le 15 juin 1954, on m’informe officiellement que je suis reçu au concours d’officier de police judiciaire (OPJ). Ayant quitté l’école à 12 ans, la préparation de ce concours ne fut pas une sinécure. À cette époque, les candidats ne disposaient d’aucun document, ni d’aucune fiche de préparation. Il fallait acheter en librairie les livres de droit à ses frais et faire une synthèse du programme. D’autre part, la hiérarchie ne nous accordait aucun temps de repos, pas même un stage. Pendant plusieurs années, j’ai dû me lever quotidiennement vers quatre heures du matin pour étudier, avant de prendre mon service. J’y consacrais également tous mes jours de repos hebdomadaires et mes congés… Le 1er mars 1955, je suis affecté à la brigade de Nevers, en tant qu’adjoint du commandant de brigade.
Dans quelles circonstances avez-vous effectué un retour en Algérie ?
Le 9 avril 1956, je suis désigné d’office parmi les cinquante plus jeunes OPJ de France pour reprendre les enquêtes consécutives aux massacres du 20 août 1955 à El-Halia. Je suis affecté à ma demande à Philippeville. Chargé en particulier de reprendre les enquêtes sur le massacre de trente-cinq civils à la mine de fer d’El-Halia(9), je dois également enquêter sur l’assassinat de deux gendarmes français de la brigade de Saint-Charles, à environ 50 kilomètres de Philippeville. Au bilan, au cours de ces quelques mois en Algérie, j’ai mis à exécution une centaine de commissions rogatoires et ai procédé à une centaine de gardes à vue. Par ailleurs, courant mai, au cours d’un de mes déplacements avec le gendarme Segard, je suis braqué par un fellagha embusqué sous les arcades de l’avenue principale de Philippeville. Fort heureusement, son pistolet automatique s’enraye et mon collègue l’abat avec son P38.
Le garde Rouby avec un couple de Muongs noirs.
La femme porte des cheveux coupés à ras et
l’homme un chignon retenu par une défense d’animal.
Quelle a été la suite de votre carrière en gendarmerie ?
Après avoir rejoint la brigade de Nevers en juillet 1958, je suis détaché à compter du 19 août 1958 comme instructeur à l’École préparatoire de gendarmerie de Chaumont (Haute-Marne) jusqu’au 1er septembre 1959. Je suis ensuite nommé maréchal des logis chef de la brigade de gendarmerie de Baugy (Cher). Le 10 septembre 1965, je suis muté à la brigade mixte de Châteaudun (Eure-et-Loir). En 1966, j’effectue un stage de formation motocycliste à Châtellerault. Le 1er mars 1968, je suis nommé adjudant et détaché au commandement de la brigade de Bonneval (Eure-et-Loir). Le 16 mai, je suis affecté à la brigade motocycliste de Dreux (Eure-et-Loir). Le 1er février 1970, je suis nommé commandant de la brigade d’Olivet (Loiret). En 1975, je suis gravement blessé au cours d’une manœuvre à Sissonne. Souffrant de multiples fractures, je dois subir deux opérations chirurgicales et reste près de sept mois en convalescence. Souffrant atrocement des broches que l’on m’a posées, je me rends à la Faculté et prépare une Capacité en droit.
Le 1er janvier 1977, je suis nommé adjudante-chef, avant d’être finalement mis à la retraite, à ma demande, le 30 juin 1977, après 32 années de service.
Pouvez-vous évoquer vos engagements en faveur des Vietnamiens ?
En 1982, en accord avec les miens, je crée l’Association départementale des Anciens Combattants d’Indochine, victimes de guerre et réfugiés du Sud-est asiatique, qui vient en aide au millier de réfugiés et boat-people du département du Loiret(10). J’en suis le président jusqu’en 1993, puis président d’honneur.
En 1995, je crée une nouvelle association avec le soutien de mon épouse, celle des Anciens combattants de la Gendarmerie en Indochine dans l’île de Bentré/Bao, et dans la province d’Hoa-Binh, afin d’aider les plus démunis de ces régions et notamment les ethnies minoritaires (Muongs…). Ayant recherché au cours d’un de mes voyages dans la région d’Hoa-Binh, l’emplacement approximatif du poste de Suyut afin de faire un geste fort en direction du peuple Muong, je pense le reconnaître à la hauteur du petit village de Xomtre. Après concertation avec les autorités locales, nous nous mettons d’accord pour y construire ce dont ils ont le plus besoin à savoir une école. Nous avons le plaisir d’être conviés à son inauguration, en présence des autorités, le 11 octobre 2000. Depuis cette date, nous pourvoyons à son bon fonctionnement en fournissant du matériel scolaire et en réglant le salaire de son institutrice.
Femmes Muongs rencontrées en 2000 par Marcel Rouby
à Sapa sur le route de Dien Bien Phu.
Depuis 1995 et jusqu’à ce jour, nous parrainons deux orphelinats de 170 enfants et une crèche dans l’île de Bentré/Bao. Nous recueillons une dizaine d’enfants abandonnés chaque année et subvenons à leurs besoins jusqu’à l’âge de 15 ans. Les garçons apprennent le métier de menuisier, les filles celui de couturière. Nous faisons dire également chaque année des messes à Mylong, île de Bentré, à l’intention de nos morts en Indochine, et de tous les anciens et leurs familles qui nous le demandent. Ceci permet aux prêtres de vivre, car ils sont très peu rétribués. Je suis retourné 14 fois au Vietnam et j’ai eu le plaisir d’y emmener 187 anciens et leurs familles.
De 1995 à 2013, j’ai présenté 10 de mes anciens camarades de combat, morts ou disparus en Indochine, afin qu’ils soient « parrains » de compagnies d’élèves gendarmes, dans les diverses grandes écoles de gendarmerie de France. (Le Mans, Macon, Chaumont, Châteaulin, etc.) Certains ont séjourné à Bentré, au Sud, dans la Cochinchine, d’autres comme moi étaient dans les postes au Nord Tonkin, proches de la frontière de Chine.
Sur le plan personnel, quels souvenirs conservez-vous de l’Indochine ?
Si ma vie militaire me laisse de très riches souvenirs, c’est en Indochine que j’ai passé le meilleur de ma carrière. Le commandement d’un petit poste isolé en forêt tropicale, seul Européen au milieu des partisans Muongs, demeure un souvenir exaltant, malgré les menaces environnantes. La vie était simple et très rustique : pas de pesanteur hiérarchique, pas de soucis financiers et une nourriture simple, limitée à trois repas de riz par jour. Il y eut bien sûr les attaques, le stress, la chaleur étouffante, le paludisme, l’éloignement de la famille et des proches.
Pourtant, je n’en retiens que les bons moments au point de me demander parfois si je n’ai pas rêvé cette épopée… Vous avez sans doute compris, une partie de mon cœur est restée au Vietnam, pour toujours…
Pour finir, je voudrais rendre hommage à tous mes frères d’arme disparus à l’égard desquels je me sens un « irrépressible devoir de mémoire » car comme l’a écrit Saint-Exupéry : « Le disparu si l’on honore sa mémoire est plus puissant que le vivant ».
(1) Au bilan, la pacification de ces quatre îles du Mékong (Bao, Minh, Han Hoa et Tan Thoï) situées au Sud de l’Indochine coûtera à la gendarmerie 35 officiers, gradés et gardes, 45 blessés ou disparus et une centaine de Partisans. Les corps ont aujourd’hui tous été rapatriés au Mémorial des Guerres d’Indochine à Fréjus, ou remis à leurs familles.
(2) À compter du 16 octobre 1948, en plus de la garde tonkinoise encadrée par les 1er et 4e escadrons, la 3e légion met sur pied et installe dans la région d’Hoa-Binh, au nord de l’Indochine, le groupe d’escadrons Muong de la Garde républicaine.
(3) Seuls les partisans sont engagés. Les supplétifs, souvent présents avec leurs familles et leur bétail, peuvent partir quand ils le souhaitent…
(4) Les Dinassaut ou divisions navales d’assaut ont été créées en 1947.
(5) Notice dans l’ouvrage de Raymond Duplan (adjudant-chef), Ceux d’Indochine. Livre d’or des gendarmes morts en Indochine (1945-1956), Maisons-Alfort, SHGN, 2004, p. 96. La citation de la Croix de guerre des TOE avec palme qui est attribuée à titre posthume au garde Pierre Charles Ducas, le 22 février 1950, est énoncée en ces termes : « Garde brave, énergique, plein d’allant et animé par les plus belles qualités militaires. Le poste qu’il commandait à Xom May (Tonkin) ayant été attaqué, dans la nuit du 28 au 29 août 1949, par un fort élément rebelle et enlevé par traîtrise, s’est retranché avec deux autres gardes dans le dernier réduit et a servi jusqu’à la mort le fusil-mitrailleur. »
(6) Notice dans l’ouvrage de Raymond Duplan (adjudant-chef), Ceux d’Indochine. Livre d’or des gendarmes morts en Indochine (1945-1956), Maisons-Alfort, SHGN, 2004, pp. 76-77. La citation de la Croix de guerre des TOE avec étoile de vermeil qui est attribuée au garde Jean Louis Marcel Darciaux, le 29 novembre 1949, est énoncée en ces termes : « Garde courageux, énergique et animé des plus belles qualités militaires. Le 29 août 1949, à Xom May (Tonkin), a lutté jusqu’à la mort contre les rebelles qui avaient pénétré dans son poste, faisant ainsi preuve du plus bel esprit de devoir et de sacrifice. »
(7) Notice dans l’ouvrage de Raymond Duplan (adjudant-chef), Ceux d’Indochine. Livre d’or des gendarmes morts en Indochine (1945-1956), Maisons-Alfort, SHGN, 2004, p. 39. La citation de la Croix de guerre des TOE avec étoile d’argent qui est attribuée au garde Bernard Léon Louis Boisnard, le 16 février 1950, est énoncée en ces termes : « Garde courageux, énergique et animé des plus belles qualités militaires. Le 28 août 1949 à Xom May (Tonkin) a lutté avec la dernière énergie contre les rebelles qui avaient pénétré dans son poste, faisant preuve du plus bel esprit de devoir et de sacrifice ; a été porté disparu. »
(8) Au total, au Tonkin, la 3e légion de gendarmerie a perdu 185 hommes tués au combat et 86 disparus. 2 533 citations personnelles, dont 104 à l’ordre de l’armée, nous ont été attribuées. Le nombre de partisans mort ou disparus à nos côtés m’est inconnu, mais il doit être très important. Globalement, 14 000 gradés et gendarmes ont combattu en Indochine. 654 d’entre eux sont morts au combat et 1 650 ont été blessés. Aucun prisonnier gradé ou gendarme capturé dans le secteur des îles du Mékong, de Bentré ou dans la province de Hoa-Binh n’a été rendu par le Vietminh.
(9) Le 20 août 1955, trois à quatre cents rebelles attaquent simultanément ce gros bourg situé à 17 kilomètres de Philippeville, et massacrent tous les Européens qui tombent entre leurs mains. On compte 35 morts, 15 blessés et 2 disparus. Ce massacre qui marque les esprits constitue un tournant dans la guerre d’Algérie.
(10) Dans les années 1980, d’innombrables ressortissants du Vietnam, du Laos et du Cambodge qui s’enfuient de leurs pays respectifs face au durcissement de leurs régimes politiques, trouvent refuge en Occident, et notamment en France.